
Crédit illimité de Nicolas Rey
La prose de Nicolas Rey s’inscrit dans une tradition lyrique élégiaque par l’expression de la frustration du sentiment amoureux.
Après de nombreuses autofictions, récits de ses amours contrariées, de ses métamorphoses et de sa descente aux enfers, Nicolas Rey renoue avec la fiction en publiant Crédit illimité, un roman léger, drôle et élégant. Il y met en scène un narrateur au bord du gouffre, obligé de travailler pour la multinationale de son père et de licencier quinze personnes. Incapable de s’y résoudre, il élaborera un plan pour tuer son père. Comme l’auteur, le narrateur, Diego Lambert, 49 ans, est un ancien écrivain cocaïnomane, interdit bancaire. Les chapitres ponctués de rencontres entre Diego et son analyste (qui finiront ensemble) et la mise en scène du « je » ne sont pas sans rappeler l’élaboration de l’autofiction de Serge Doubrovsky. De même, l’interprétation du patricide, motif psychanalytique par excellence, n’est pas à laisser au hasard, tant l’influence de la discipline est présente à travers les pages. Contraint de licencier des travailleurs, le narrateur ne saurait s’y résigner et préfère trouver une voie plus émancipatrice : la « mort » du patron. La prose de Nicolas Rey s’inscrit dans une tradition lyrique élégiaque par l’expression de la frustration du sentiment amoureux. Mais il n’est plus question de l’ambivalence du sentiment amoureux et de sa non-réciprocité, comme ce fut le cas pour sa Joséphine1, mais d’un amour impossible. Peut-on mentir à celle qu’on aime ? La transparence est-elle une condition du couple ? En dépit de ce que laisse présager le titre, le crédit du narrateur n’est peut-être plus illimité dans son rapport aux femmes. Il est lui-même persuadé de tomber amoureux pour la dernière fois – image de la rédemption et du repentir après une vie d’excès. Mais « il semble heureux ». Le passé du narrateur apparaît comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête. Cela transparaît dans les constructions grammaticales : derrière le présent du récit, l’imparfait n’est jamais loin – l’imparfait d’un homme hanté par ses actes passés, nostalgique d’un présent qu’il ne peut vivre autrement que sur le mode du souvenir.
- 1. Nicolas Rey, Lettres à Joséphine, Vauvert, Au diable Vauvert, 2019.