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Notes de lecture

Dans le même numéro

La démocratie écologique. Une pensée indisciplinée sous la direction de Jean-Michel Fourniau, Loïc Blondiaux, Dominique Bourg et Marie-Anne Cohendet

Avant-propos de Chantal Jouanno

juil./août 2022

Plus que de simples actes de colloque, il s’agit d’un livre collectif, kaléidoscope de ce que nous inspirent aujourd’hui les lignes de tension entre démocratie et écologie, la place à donner aux sciences dans les processus de décision, les enjeux de l’urgence, la réforme des institutions ou la nécessité de transformer les règles du jeu autour de la démocratie délibérative.

L’ouvrage introduit par Jean-Michel Fourniau, président du groupement d’intérêt scientifique « Démocratie et participation » du CNRS, est issu d’une semaine de réflexion à Cerisy-la-Salle en mai 2019, organisée sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). Celui-ci réunit des contributions d’une trentaine d’auteurs, certains confirmés comme Jean-Michel Fourniau ou Marie-Anne Cohendet, Dominique Bourg, Serge Audier, Catherine Larrère, Michel Badré, Corine Pelluchon ou Joëlle Zask, mais aussi de nombreux jeunes chercheurs tels Manuel Cervera-Marzal, Dimitri Courant, Juliette Roussin, Laura Séguin, Théo Grémion, Maxime Gaborit ou Magali Della Suda, autour des liens entre démocratie et écologie dans une perspective de justice sociale. Tous traitent à leur manière des voies et moyens pour recréer aujourd’hui une communauté citoyenne large, refonder les institutions, donner à l’écologie la place qui lui revient et imaginer un avenir en commun. Tous le font avec « indiscipline », en se situant hors des sentiers battus, avec créativité et modestie, tant l’écologie, par sa transdisciplinarité, nécessite d’apprendre et de redonner place aux savoirs. Chantal Jouanno, présidente de la CNDP, nous rappelle d’ailleurs que « la démocratie écologique et son expression institutionnelle, le débat public, vivent de l’indiscipline », qualifiant celle-ci de « vertu démocratique et écologique ».

Plus que de simples actes de colloque, il s’agit d’un livre collectif, kaléidoscope de ce que nous inspirent aujourd’hui les lignes de tension entre démocratie et écologie, la place à donner aux sciences dans les processus de décision, les enjeux de l’urgence, la réforme des institutions ou la nécessité de transformer les règles du jeu autour de la démocratie délibérative. Les textes se répondent : certains insistent davantage sur le retour d’expérience avec une capacité d’éclairage souvent inédite – ainsi des contributions de Jean-Michel Fourniau sur le grand débat national ou de Catherine Larrère et de Michel Badré sur le débat public relatif à la gestion des déchets nucléaires, mais aussi de Françoise Verchère, coprésidente du Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes –, d’autres n’hésitent pas à s’engager pour une refondation politique, comme Serge Audier évoquant les voies d’un éco-républicanisme. Ce dernier rappelle que les réflexions sur la prise en compte du long terme dans la décision politique – la démocratie écologique est avant tout une démocratie du long terme – sont présentes dès le xixe siècle (Tocqueville, John Stuart Mill), y compris dans la pensée républicaine française (Charles Dupont-White). Et il voit dans le développement d’une véritable interaction entre État et société la perspective pour donner vie à l’éco-républicanisme qu’il appelle de ses vœux.

L’expérience de la Convention citoyenne pour le climat est aussi évoquée par plusieurs auteurs comme un fil rouge des interrogations actuelles. Dimiti Courant la compare ainsi avec l’Assemblée citoyenne irlandaise de 2017, soulignant que ce n’est pas le tirage au sort qui, en soi, permet de légitimer les propositions qui en sont issues, mais le cadrage d’ensemble de l’exercice délibératif et sa légitimité pour un public aussi large que possible, qui ne saurait donc se réduire aux citoyens « élus ». Revenant sur le mouvement des Gilets jaunes, dont l’une des réponses institutionnelles a été justement l’expérimentation de la convention citoyenne, Manuel Cervera-Marzal s’interroge quant à lui sur les difficultés à qualifier le temps démocratique dans lequel nous vivons, alors que tant de phénomènes se percutent : l’affaiblissement de la représentation, l’inscription dans d’autres espaces-temps de la démocratie (zones à défendre, Nuit debout…), l’expression des radicalités.

L’ouvrage offre également des développements passionnants sur la culture du débat public, rappelant que l’information et la participation du public sont des droits consacrés par la convention d’Aarhus de 1998 et que, depuis la création de la CNDP en 1995, une méthodologie d’organisation traduit ces droits en actes. Cette pratique a conduit à envisager une véritable rupture avec la tradition consultative de l’administration en France, comme le soulignait le Conseil d’État dans son rapport de 2011, évoquant la nécessité de construire une administration délibérative. Mais, comme le montre Jean-Michel Fourniau en revenant sur les étapes du « fait politique du débat public », son institutionnalisation s’est trouvée « coincée » entre la montée des revendications citoyennes vis-à-vis de grands projets de plus en plus contestés et la volonté des pouvoirs publics de continuer à aménager le territoire sans prendre en considération l’urgence écologique.

Il est temps de mettre l’accent sur la richesse de contenu des débats organisés, notamment sur ce qu’ils révèlent des attachements aux lieux et de la capacité à élaborer des biens communs, et non de s’en tenir à une vision strictement procédurale. Dans leur postface, Floran Augagneur et Ilaria Castillo se penchent de manière précise sur les conditions à réunir pour que démocratie et écologie puissent converger. Ils insistent particulièrement sur la nécessité d’associer la profondeur de la délibération à des conditions d’information et de participation d’un public aussi large que possible. Pour paraphraser la manière dont les enjeux européens sont souvent décrits, il ne s’agit pas de choisir entre approfondissement et élargissement, mais de les conjuguer : « Pour des raisons environnementales comme pour des raisons démocratiques, la recherche de la participation du plus grand nombre de personnes concernées à la délibération est indispensable. »

Hermann, 2022
300 p. 24 €

Lucile Schmid

Haut-fonctionnaire, membre du comité de rédaction de la revue Esprit, Lucile Schmid s'est intéressée aux questions de discrimination, de parité et d'écologie. Elle a publié de nombreux articles pour Esprit sur la vie politique française, l'écologie et les rapports entre socialistes et écologistes. Elle a publié, avec Catherine Larrère et Olivier Fressard, L’écologie est politique (Les Petits…

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Faire corps

La pandémie a été l’occasion de rééprouver la dimension incarnée de nos existences. L’expérience de la maladie, la perte des liens sensibles et des repères spatio-temporels, le questionnement sur les vaccins, ont redonné son importance à notre corporéité. Ce « retour au corps » est venu amplifier un mouvement plus ancien mais rarement interrogé : l’importance croissante du corps dans la manière dont nous nous rapportons à nous-mêmes comme sujets. Qu’il s’agisse du corps « militant » des végans ou des féministes, du corps « abusé » des victimes de viol ou d’inceste qui accèdent aujourd’hui à la parole, ou du corps « choisi » dont les évolutions en matière de bioéthique nous permettent de disposer selon des modalités profondément renouvelées, ce dossier, coordonné par Anne Dujin, explore les différentes manières dont le corps est investi aujourd’hui comme préoccupation et support d’une expression politique. À lire aussi dans ce numéro : « La guerre en Ukraine, une nouvelle crise nucléaire ? »,   « La construction de la forteresse Russie », « L’Ukraine, sa résistance par la démocratie », « La maladie du monde », et « La poétique des reliques de Michel Deguy ».