
L’Empire du non-sens. L’art et la société technicienne de Jacques Ellul
Essai prophétique, paru en 1980, dix ans avant la querelle française de l’art contemporain, L’Empire du non-sens est réédité par les éditions L’Échappée. Son auteur, le philosophe et théologien Jacques Ellul (1912-1994), articule non sans provocation la réflexion esthétique à l’analyse sociale, culturelle et anthropologique. Il en résulte un texte inclassable, radical, grâce à son approche par la Technique – soit les procédés et outils de l’industrie moderne (management, marketing, technologies numériques…) et l’idéologie d’efficacité qui préside à leur essor. Exit les fausses gloires. Se trouvent ici pourfendus les dévoiements artistiques, tour à tour, des technosciences, du « ludisme technicien » ou du formalisme – « un art sans contenu, sans message, sans signification, qui se veut parfois directement conforme à la Technique, parfois l’exprime involontairement ». Frappants, également, l’analyse du rapport du discours à la technique et ce portrait du critique en « technocrate » : « Le critique […] remplit une fonction sociale de médiation monopolisatrice sur la base de sa compétence technique. Il est technicien des arts et des lettres, comparable aux énarques et autres technocrates. » S’il n’échappe pas, çà et là, au schématisme ou à la surenchère, ce livre explosif éclaire d’un jour inédit les risques d’absorption des œuvres dans un certain « système technicien », et saisit avec audace les enjeux de leur problématique réception.