
L’effacement des lieux de Janine Altounian
« Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le afin de le posséder. Ce qu’on n’utilise pas est un pesant fardeau[1] », disait Goethe. Ces vers, chers à Janine Altounian, condensent la théorie de la transmission générationnelle à laquelle elle a consacré son œuvre, depuis ses premiers articles, parus dans Les Temps modernes, jusqu’à l’ouvrage qu’elle nous livre aujourd’hui. Théorie qui, dans le cas du génocide arménien – dont elle assume et fait perdurer la mémoire –, est mise à l’épreuve du paradoxe que représente une transmission marquée par le négatif : entre le manque de paroles pour donner forme à l’expérience et l’anéantissement de la culture et de la langue qui constituent, ou auraient pu constituer, l’essentiel de cet héritage. Comment donc « acquérir » et « posséder » ce qui se manifeste d’abord comme un vide ? Comment éviter de porter le poids d’un deuil interminable – celui d’une mort sans sépulture –, en le rendant « utile » à la vie, ou à la « survivance