Démocratiser l'entreprise. Avant-propos
Emmanuel Macron entend transformer le monde du travail. Ministre de l’Économie, il souhaitait « déverrouiller l’économie française » ; devenu président, il a fait de la réforme du Code du travail son premier grand chantier. Aux ordonnances « pour le renforcement du dialogue social », entrées dans la loi ces jours-ci, succèdera au printemps un Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises.
L’un des objectifs de ce plan serait de mieux associer les salariés à la gestion des entreprises. Dans cette perspective, la Cfdt a présenté en décembre des propositions visant d’abord un meilleur partage de la richesse, via l’extension des dispositifs d’épargne salariale et de la participation, ensuite un partage du pouvoir de décision, avec la constitution d’une « codétermination à la française », et enfin une reformulation des deux articles du Code civil définissant l’objet social des entreprises. Le gouvernement a par ailleurs confié une mission « Entreprise et intérêt général » à Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la Cfdt, et Jean-Michel Senard, président du Groupe Michelin.
A minima, cette effervescence ne sera qu’un subtil exercice d’équilibre politique : libéraliser, flexibiliser, « et en même temps » démocratiser. Avec une vraie ambition de transformer les rapports de travail et le partage des responsabilités dans l’entreprise, elle permettrait de reprendre au fond la question de l’émancipation. C’est elle que nous avons souhaité poser dans ce dossier, en interrogeant les relations de travail et de pouvoir au sein de l’entreprise, dans des sociétés travaillées par la montée des inégalités, les risques écologiques et le pouvoir de nouveaux géants transnationaux parfois plus puissants que des États.
Vouloir démocratiser l’entreprise aujourd’hui, c’est renouer avec une forme d’utopie praticable, comme lorsqu’Emmanuel Mounier écrivait en juillet 1933, en conclusion d’un dossier d’Esprit sur « Le travail et l’homme » : « Le salariat, dans les conditions actuelles, comportant une dépendance non pas à une juste autorité sociale, mais à une oligarchie d’argent, doit sous cette forme disparaître devant des formes à déterminer, mais qui relèveront d’un régime de copropriété et de cogestion corrélative. » Il l’écrivait à une tout autre époque, en attente elle aussi de propositions nouvelles. À nous d’imaginer des corrélations pour aujourd’hui.