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Dans le même numéro

Droits des grands-parents, droits de la femme, droits de l'enfant : quelle hiérarchie ?

décembre 2009

#Divers

Controverse

Droits des grands-parents, droits de la femme, droits de l’enfant : quelle hiérarchie ?

Un couple ayant appris que leur fille avait accouché de manière anonyme (dit accouchement sous X) d’une petite fille engage une procédure afin d’apporter la preuve qu’ils sont les « grands-parents1 » de cet enfant, pour, ensuite, faire valoir des droits fondés sur ce lien génétique. Par ordonnance du 8 octobre 2009, le juge des référés du Tgi d’Angers autorise une analyse comparée de sang entre les membres du couple et l’enfant. Il ouvre de ce fait la possibilité pour le couple d’engager une procédure, si preuve est faite de l’existence d’un lien, pour annuler le statut de pupille de l’État de l’enfant, et donc son adoptabilité, et se voir confier la garde de cet enfant. Et ce malgré la volonté de la mère de naissance d’effacer tout lien entre son enfant et ses ascendants.

Les enjeux

Cette décision ravive à nouveau le débat sur le fondement de la filiation et sur le maintien ou non de l’accouchement anonyme. Les médias ont d’ailleurs immédiatement porté les commentaires sur ce sujet, aidés en cela par les avocats des parties, celui du préfet n’hésitant pas à considérer que cette décision marquait la fin de l’accouchement anonyme.

Elle met également en lumière une nouvelle fois la confrontation entre différents intérêts difficilement conciliables, en l’occurrence ceux de « grands-parents » qui n’acceptent pas la décision de leur fille et veulent la contraindre à être mère, ceux d’une femme qui a décidé de ne pas garder l’enfant et de ne pas le confier à ses propres parents et ceux d’un enfant qui attend de grandir de manière stable dans une famille2.

Elle illustre par ailleurs l’hésitation de la Justice face à ces situations et sa difficulté à établir une jurisprudence cohérente, donnant le sentiment de revirements successifs. Tout récemment en effet, un arrêt de la Cour de cassation de juillet 20093, pour un cas présentant des similitudes, a rejeté une demande présentée par des « grands-parents » qui revendiquaient l’établissement de liens de filiation. La cour a estimé que l’accouchement anonyme annulait de facto tout établissement de filiation maternelle, et donc qu’en l’absence de filiation entre l’enfant et la femme qui l’a mis au monde, les « grands-parents » n’avaient pas qualité à agir. Trois mois seulement après, le Tgi d’Angers semble ainsi remettre en cause cette décision de principe4. Sur des questions de famille et de filiation qui exigent une inscription dans la durée, il n’est pas souhaitable que le droit varie aussi sensiblement à quelques mois d’écart.

Elle donne enfin le sentiment que l’État ne contribue ni à la clarté, ni à la solidité du droit, ses positions semblant fluctuer selon les événements au risque de fragiliser l’édifice législatif et réglementaire dont il est pourtant le garant. Il est à cet égard étonnant que le préfet, tuteur de l’enfant, n’ait pas interjeté appel de la décision du Tgi d’Angers qui l’a débouté. Alors que son avocat indiquait dans les médias que cet arrêt signifiait la mort de l’accouchement sous le secret, il eût été utile et logique qu’il porte l’affaire en appel, l’absence de réaction donnant a contrario le sentiment que l’État entérine une décision qui remet en cause l’existence de l’accouchement anonyme. Sans compter l’état d’incertitude que cette absence de réaction laisse perdurer pour l’enfant dont il est pourtant le tuteur (voir infra).

La confusion sur le caractère de la filiation

Les commentaires dans la presse sur cette ordonnance reflètent des enjeux idéologiques. Certains estiment que c’est un pas supplémentaire dans le droit à l’accès aux origines génétiques (pour les personnes nées dans l’anonymat mais la question se pose désormais également pour celles nées par assistance médicale à la procréation avec donneur anonyme5). D’autres considèrent que c’est une sape dans l’édifice de l’accouchement anonyme et qu’il existe une confusion sur le caractère de la filiation, confusion entretenue dans les médias entre les origines génétiques et les statuts juridiques de parenté.

Pour qualifier le lien entre l’enfant qui est né dans l’anonymat et sa génitrice qui lui a donné naissance, voire avec les propres parents de cette femme, les termes de « parent », « mère » ou « grand-parent » sont régulièrement employés, alors que ces statuts ne reposent que sur l’institution juridique qui les délivre selon des dispositifs précis (reconnaissance, adoption, présomption de paternité dans le cadre du mariage, etc.), et non pas sur un seul lien génétique déconnecté de tout aspect juridique. Sur cet aspect, notons toutefois que le juge des référés n’est pas plus clair dans son ordonnance, puisque plusieurs fois il dénomme la génitrice qui a accouché dans l’anonymat « mère » alors que, légalement, elle n’est justement pas la mère, et il affirme que les tests permettront d’établir un lien de parenté alors qu’ils n’établiraient éventuellement qu’un lien génétique.

De façon plus générale, cette ordonnance relance donc le débat, encore ouvert, sur l’importance de l’élément génétique comme preuve de la « filiation ». Même si l’ordonnance ne statue pas sur la filiation, la demande de tests génétiques est motivée par cette question. Les parents de la femme qui a accouché veulent disposer d’éléments probatoires dont ils se prévaudront dans une probable nouvelle procédure. Ils veulent être considérés comme des grands-parents. Rappelons toutefois que ces parents ne sont pas, eux-mêmes, juridiquement des parents par la grâce de l’élément génétique, mais par le fait que l’institution juridique les a déclarés père et mère au moment de la naissance de leur fille. D’ailleurs, si ce jugement devait faire jurisprudence, comment des « grands-parents », devenus parents par adoption ou par assistance médicale à la procréation avec donneur (donc sans lien génétique avec leur enfant), pourraient-ils faire valoir leur droit6 ?

Les implications de cette décision

Sur le plan juridique, soulignons en préalable que cette ordonnance n’emporte pas de conséquence immédiate sur le statut de l’enfant. Le juge n’a, à ce stade, autorisé que la demande de tests génétiques. Mais ce faisant, il a trouvé le moyen de permettre au couple d’entamer une future procédure (contre l’arrêté préfectoral d’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’État) afin d’obtenir un droit de visite, voire un droit « de garde », voire l’établissement d’une filiation7. Ce recours n’est en effet possible que s’il est démontré l’existence d’un lien avec l’enfant. Justifier d’un lien, oui, mais lequel en l’occurrence puisque la mère n’existe pas juridiquement, et que les « grands-parents » n’ont pas pu entretenir de liens avec l’enfant ? Le juge contourne alors la difficulté en considérant que la preuve du lien « n’interdit pas celle du lien biologique ».

Il appartiendra au Tgi, saisi sur le recours, d’apprécier la pertinence et le bien-fondé de ce lien, et surtout ses conséquences. Car la vraie question, une fois reconnue l’existence d’un lien biologique, est celle de sa portée. En effet, en présence d’un accouchement anonyme qui interdit toute forme de reconnaissance et de filiation de la mère et donc de ses ascendants (comme l’a rappelé la Cour de cassation sur une affaire similaire), les « grands-parents » ne peuvent rien revendiquer même si un lien biologique existe. À tel point d’ailleurs que certains considèrent que le jugement en l’espèce mène à une impasse. Anticipant sur ce risque, le Tgi d’Angers développe une argumentation pour que ce lien biologique engendre des droits. Elle repose habilement sur la défense des droits de l’enfant et de la mère, l’objectif étant de démontrer que ces droits ne sont pas affectés par la reconnaissance faite aux « grands-parents ». Mais cette argumentation, que nous allons développer, ne manque pas de soulever des questions.

Droits de l’enfant

Le juge ne s’étend pas, curieusement, sur l’intérêt pour l’enfant de connaître et de vivre dans sa « famille d’origine ». En revanche, il considère que ses droits sont préservés puisqu’il sera libre d’engager ou non une action pour établir sa filiation, laissant ainsi présumer que l’enfant pourrait être élevé par ses « grands-parents », sans filiation ni à leur égard, ni à l’égard de sa mère de naissance8. Une façon sans doute de distinguer clairement le lien biologique et le lien juridique, l’un pouvant exister sans l’autre. Présentée comme un avantage, cette solution qui laisserait un enfant demeurer sans filiation n’apparaît guère pertinente. En effet, si le tribunal juge ultérieurement la demande des « grands-parents » recevable, il prononcera l’annulation du statut de pupille (et donc son adoptabilité) et leur confiera la garde de l’enfant (une tutelle sera alors mise en place) sans que la filiation soit établie juridiquement. En cas de rejet, il pourrait leur autoriser un droit de visite. Juridiquement donc, même s’ils se voient confier sa garde, ces « grands-parents » ne pourront pas établir un lien de parenté avec l’enfant qui demeurera un « tiers ». Que le tribunal ait choisi une voie qui conduit à une impasse juridique pour l’enfant pose question. Que le préfet, tuteur légal de cet enfant, ait choisi de ne pas faire appel de cette décision (considérée pourtant comme surprenante par les avocats eux-mêmes), la rendant ainsi définitive sans autre débat judiciaire, interroge également.

Quels sont au fond les droits de l’enfant lorsqu’il est l’enjeu d’un conflit familial ? Dans ces affaires, la justice doit retenir la solution la moins mauvaise possible pour l’enfant et la réponse est difficile tant les antagonismes et les revendications des adultes sont forts. Dans le cas présent, on peut s’interroger sur l’option envisagée qui, de prime abord, peut sembler la meilleure. Qui en effet ne souhaiterait pas qu’un enfant grandisse harmonieusement auprès de ses « grands-parents », en l’absence de parents ? Mais la situation en l’occurrence est plus complexe : la mère de naissance n’a pas voulu reconnaître cet enfant et renie le droit à ses parents de l’élever à sa place (voir infra). Quelle relation l’enfant vivant dans sa propre famille pourrait-il ainsi avoir avec elle ? Quelle image de sa mère de naissance l’enfant aurait-il dans ce contexte familial où la présence réelle ou implicite de la mère, qui refuse de l’être, sera prégnante ? Complexité encore en cas d’adoption ultérieure de l’enfant par les « grands-parents », car il deviendrait alors juridiquement la sœur de la femme qui l’a mis au monde… Au final, on le voit, l’option envisagée comme devant répondre au mieux aux intérêts de l’enfant n’est pas nécessairement la meilleure car elle ne lui octroie pas un statut, ni ne garantit un développement affectif stable.

Droits de la mère

À l’égard des droits de la mère qui a sollicité le secret de son identité, le tribunal a recours à une interprétation non seulement étonnante, mais contestable, qui lui permet de remettre en cause le caractère secret de l’accouchement et ainsi d’en affaiblir ses conséquences. Pour créer un lien avec les « grands-parents », il lui faut en effet supprimer le caractère secret de l’accouchement. Pour y parvenir, il laisse supposer qu’en réalité, malgré la volonté de la mère de naissance elle-même, il n’y a pas eu d’accouchement anonyme. Le droit de la femme attaché à l’accouchement anonyme étant ainsi atteint, la porte est ouverte pour que soit reconnu un droit des « grands-parents » à établir un lien avec l’enfant.

Le texte du jugement mérite d’être cité :

[…] la mère qui tout en sollicitant le secret de son admission au regard de son enfant, a levé le secret à l’égard de ses propres parents et permis à sa mère de voir l’enfant peu après sa naissance, établissant un lien avec elle. L’attitude ambiguë de la mère de [la petite fille] à ce sujet ne doit pas être occultée.

Un autre lien aurait ainsi été créé, ni juridique, ni biologique, mais lié à une mise en relation de l’enfant avec l’entourage familial de la femme qui a accouché. Le consentement de cette femme à laisser sa mère voir l’enfant à l’hôpital, serait ainsi considéré comme un « lien » établi. On peut s’étonner que cet élément clé de l’argumentaire repose sur une notion qui n’est pas définie juridiquement, ni même dans ce contexte précis de l’ordonnance. Il est seulement mentionné qu’il y a eu visite, donc probablement un contact visuel (on ne sait pas si ce contact a été physique, la mère de la femme qui a accouché ayant pu porter l’enfant dans ses bras par exemple). On ne sait pas si le « grand-père » a également vu l’enfant (seule la « grand-mère » est citée) mais son éventuelle absence semble sans conséquence puisque l’expertise des sangs lui est également consentie. Est-ce d’ailleurs la vision de l’enfant, ou le simple fait pour la fille d’avoir informé ses parents, qui met en doute le caractère anonyme de l’accouchement ? Une telle thèse reviendrait à remettre en cause un nombre important d’accouchements anonymes, car il est probable que les grossesses, notamment des jeunes filles, soient connues des familles. En poussant le raisonnement, on peut imaginer que des frères ou sœurs, cousins ou cousines, voire des amis réclament des droits puisqu’ils auraient, soit eu connaissance de l’accouchement, soit vu l’enfant.

Quant à l’attitude de la jeune fille considérée comme « ambiguë », elle repose sur un jugement de valeur surprenant sur un plan juridique. En outre, le bon sens permet d’appréhender que ces accouchements se déroulent dans un contexte psychologiquement difficile pour les femmes, isolées dans leur décision, et qu’elles peuvent avoir besoin d’un soutien, qu’elles soient ou non en conflit avec leur famille.

Parler d’ambiguïté laisse imaginer que la femme pourrait regretter sa décision et souhaiterait reconnaître l’enfant, ou le faire reconnaître par ses parents. Or il n’en est rien. Ses déclarations parues dans Le Courrier de l’Ouest, le 13 octobre, montrent que son comportement n’a rien d’« ambigu » mais qu’elle est au contraire très déterminée. Elle indique que sa décision est mûrement réfléchie et qu’elle n’a jamais voulu de cette enfant. Elle évoque un « déni de grossesse ». Elle indique préférer lui assurer un avenir équilibré au sein d’une famille adoptive. Elle réfute tout droit à ses parents de l’influencer dans sa décision et de mener une action qui entraverait sa volonté, clairement exprimée. Elle les exhorte de « ne pas se mêler » de l’avenir de cette enfant :

Moi aussi, je ne veux que l’intérêt de cette petite. Je veux qu’elle ait une famille qui saura s’occuper d’elle et lui apporter tout l’amour dont elle aura besoin. Mais je ne veux pas que cette enfant soit élevée par eux.

On ne saurait être plus clair. Quand bien même cette parole peut être difficile à comprendre, elle doit être entendue et respectée, elle est l’expression de la liberté de décision d’une personne majeure. Peut-on passer outre la volonté d’une femme qui exprime aussi clairement son choix ? Cette question mérite d’être réfléchie dans un contexte de remise en cause permanente de l’accouchement anonyme.

Droits des « grands-parents »

La réaction de « grands-parents » qui se sentent liés à un enfant, qui n’acceptent pas qu’il soit élevé par des tiers, et qui veulent l’inscrire dans leur lignée familiale, est aisément compréhensible. Mais cette aspiration entraîne des conséquences qui ne sont pas sans dommages pour l’enfant. En effet, en déposant une requête contre l’arrêté préfectoral d’admission de l’enfant en tant que pupille de l’État, les « grands-parents » bloquent la possibilité pour lui de se voir adopter, et donc de se voir établir une filiation9. L’enfant qui peut, par sa qualité de pupille de l’État, entrer par l’adoption dans une famille se retrouverait ainsi sans statut. Leurs intentions, à la lecture du jugement et des déclarations de leur avocate dans la presse, ne sont pas claires quant aux conséquences d’une éventuelle annulation : veulent-ils seulement obtenir un « droit de garde » ou simplement un « droit de visite10 » ? Envisagent-ils d’adopter ultérieurement l’enfant ? La seule chose que l’on sache, selon une dépêche Afp, c’est qu’ils veulent laisser une « seconde chance à leur fille » qui a, selon eux, fait une « bêtise ». Ils semblent ainsi vouloir faire pression sur leur fille pour qu’elle reconnaisse l’enfant. Leur premier acte en ce sens a été de lever le secret de cet accouchement malgré la volonté de la mère. La deuxième étape est la demande de reconnaissance de lien entre eux et l’enfant, car si on la leur accorde, on reconnaît de facto le lien entre l’enfant et leur fille, qu’elle a pourtant voulu rompre. La troisième étape serait celle d’obtenir la reconnaissance de l’enfant par leur fille. Si leurs motivations vis-à-vis de l’enfant sont peu claires, celles à l’égard de leur fille le sont en revanche ; ils exigent, en quelque sorte, que leur fille, pourtant majeure, revienne sur sa décision.

Cette démarche à l’égard de leur fille leur est d’autant plus nécessaire que des grands-parents ne disposent pas de possibilité d’obtenir la reconnaissance de leur petit-enfant, en passant « au-dessus » de son parent. La reconnaissance passe nécessairement en premier lieu par le parent. En droit, il ne peut y avoir de grand-parent en l’absence de parent. Pour qu’ils soient grands-parents, leur fille doit reconnaître l’enfant. Leur droit d’être grands-parents vient en conséquence heurter le droit de leur fille d’accoucher de manière anonyme et de ne pas être mère. Et en l’occurrence vis-à-vis de l’enfant, c’est le droit de la mère jusqu’à présent qui prime.

Un pas de plus vers une remise en cause de l’accouchement anonyme ?

Le fait que le tribunal cherche à interpréter si l’accouchement a bien été anonyme, et remette en cause son caractère secret malgré la volonté de la mère, constitue indéniablement une brèche, même si rien ne préjuge de la décision que prendra le tribunal saisi sur la demande d’annulation du statut de pupille de l’État. Il est certain que cette décision s’inscrit dans un mouvement général « tendant à refouler et à marginaliser l’accouchement sous X, mouvement initié par la loi du 22 janvier 2002 créant le Cnaop11 » et renforcé par une récente loi de janvier 2009. En outre, récemment, la secrétaire d’État chargée de la famille a fait connaître son souhait de faire évoluer l’accouchement secret en accouchement « protégé », afin d’élargir l’accès aux origines mais, selon ses déclarations, sans remettre en cause les règles juridiques établissant la filiation. Par ailleurs, le refus du préfet de faire appel de la décision du tribunal va dans le sens d’un affaiblissement de l’accouchement anonyme.

Supprimer totalement la faculté offerte aux femmes de l’anonymat au moment de l’accouchement paraît difficile à mettre en œuvre. Comment contraindre des femmes à laisser leur identité malgré leur refus, sauf à courir le risque qu’elles déposent de fausses identités et que les enfants ne puissent avoir accès à la connaissance de leurs origines12 ?

Concentrer tout le débat sur le problème de l’accouchement anonyme est faire fausse route car la question est en réalité celle de la reconnaissance et non pas de l’anonymat. En effet, quand bien même celui-ci serait supprimé, la femme continuerait à disposer de la possibilité de rompre le lien sans demander l’avis des « grands-parents », soit en consentant à l’adoption et en mettant fin à la filiation établie, soit en empêchant l’établissement d’une filiation (l’obligation qui pourrait être faite aux femmes de laisser leur identité serait, selon la réforme envisagée, sans impact sur l’établissement de la filiation et donc sur le droit des « grands-parents »).

De la hiérarchie des valeurs

Ainsi, cette ordonnance révèle une absence de hiérarchie des valeurs et des droits. Qu’est-ce qui doit primer ? Le désir d’adultes qui revendiquent un « statut grand-parental » avec un enfant qui vient de naître et qui désirent influencer une décision prise par leur propre fille majeure ? La libre volonté d’une femme, majeure, qui use d’un droit qui lui garantit un anonymat, fondement de sa totale autonomie envers ses parents et élément d’un corpus juridique général que l’on pourrait nommer « droit de la femme » ? L’avenir (protection et bien-être) d’un enfant dont l’intérêt doit motiver les décisions à prendre ? On peut penser que, dans cette ordonnance, le premier élément a primé sur les deux autres, sans que l’ensemble des conséquences qu’il entraîne ne semble avoir été raisonnablement évalué.

Guillemette Leneveu, Gilles Séraphin*

Librairie

Will Self, NO SMOKING, Paris, Éditions de l’Olivier, 2009, 346 p., 23 €

Le choix surprenant d’un titre en anglais, No Smoking, pour la parution en français du roman de Will Self, The Butt (traduction littérale : le mégot) est une introduction subtile à l’univers de cet écrivain anglais qui, en quelques romans, nouvelles et recueils d’articles, a imposé un univers caustique qui se joue des différences culturelles et détourne les valeurs de la société occidentale en une farce dérangeante.

À la fin de ses vacances familiales sur une île mystérieuse qui n’est jamais nommée, Tom Brodzinski décide d’arrêter de fumer. Le mégot qu’il jette du balcon de son appartement atterrit malencontreusement sur le crâne d’un Anglo-Saxon marié à une indigène, déclenchant un engrenage vertigineux de catastrophes. Confronté aux lois du pays et aux coutumes tribales, le héros, pétri de bonnes intentions, est entraîné dans un voyage ethnographique déroutant à travers un monde étrange sur fonds d’inventions linguistiques et d’humour décapant.

William Woodard Self semble cultiver dans sa vie même l’art du paradoxe. Né en 1961 dans une banlieue terne du nord de Londres au sein d’une famille qu’il qualifie d’intellectuels snobs – son père est professeur de sciences politiques à la London School of Economics –, il connaît une jeunesse agitée, se mutilant avec des cigarettes et des lames de couteaux avant de s’adonner à la consommation de stupéfiants et d’alcool. Cette image de marginal drogué le poursuit encore, bien qu’il affirme ne plus être dépendant – nicotine et caféine exceptées – et compenser ses manques par une activité littéraire compulsive.

Avide lecteur, passionné notamment de science-fiction, il se refuse à faire des études d’anglais pour échapper aux exercices d’analyse critique de textes et opte pour la philosophie à Exeter College à Oxford. Père de quatre enfants, il vit actuellement à Stockwell, dans le sud de Londres, avec sa seconde épouse. Quand il ne se livre pas à des vagabondages insolites, neutralisant sa claustrophobie en avion par de longues marches jusqu’aux aéroports et autour des villes, il écrit dans une pièce qu’il aime en désordre et pleine de rebuts.

Will Self se perçoit essentiellement comme un écrivain même quand, journaliste reconnu, il participe à des émissions de télévision populaires, écrit des articles politiques ou publie, sous forme de recueils, des interviews, des chroniques gastronomiques ou des papiers sur ses flâneries pédestres.

Depuis la parution en 1991 de son premier recueil de nouvelles, The Quantity Theory of Insanity13, Will Self publie environ un texte par an, abordant avec sarcasme dans ses romans des thèmes tels que la sexualité dans Vice-versa14, la vie après la mort dans Ainsi vivent les morts15 ou la religion dans The Book of Dave16.

No Smoking s’inscrit dans cette critique acerbe de l’idéologie dominante. Will Self est un écrivain surprenant. Son univers se reconnaît très vite : un humour décapant, une hardiesse de ton, une audace sans limites pour traquer les dysfonctionnements sociaux, une violence gratuite. Mais il se distingue surtout par sa manière de privilégier dans chacun de ses romans une approche narrative inédite et d’en pousser la logique jusqu’à l’extrême.

Dans The Book of Dave, roman qui précède No Smoking et dont la traduction en français, probablement difficile, est en cours, Will Self s’appuie sur une langue imaginaire pour conforter l’utilisation d’un texte comme fondement d’une nouvelle religion, quelque cinq cents ans après son écriture. No Smoking s’articule autour de la notion de mouvement avec des séquences incisives et hachées dont la cadence chaotique fait écho à la vision d’une société intrusive et coercitive que Will Self veut dénoncer.

Construit comme une intrigue policière aux rebondissements multiples, ce roman déjanté, entre Kafka et Conrad, entraîne le lecteur dans un monde absurde et malmène sa conscience libérale. La cigarette devient une métaphore pour toutes les valeurs biaisées, qu’elles affectent le particulier ou le collectif.

Will Self part d’une mésaventure individuelle cocasse : en jetant son dernier mégot, Tom Brodzinski espère bien une transformation positive de son existence. Il se retrouve accusé d’avoir intentionnellement blessé Reggie Lincoln, puis menacé d’une condamnation pour meurtre quand le vieillard tombe dans le coma et enfin inculpé d’infraction à la législation antitabac car, dans sa trajectoire, le mégot a traversé un espace public. La sentence souligne avec humour les incohérences d’un système de justice hypocrite, entre simulacre de procès et rituels magiques : le héros est condamné à donner au clan Intwennyfortee « deux bons fuzis de chasse, un jeu de faitoux complé, 10 000 dollars17 » et à le leur apporter au-delà de Eyre’s Pit dans le berceau de la tribu Tayswengo.

Chaque étape de ce périple fantastique, entrepris avec un autre condamné mystérieux, Brian Prentice, est marquée par des situations tragi-comiques qui font alterner détails répugnants, scènes sordides, paysages splendides et personnages haut en couleur. Ridicule et pitoyable à la fois, Tom Brodzinski traverse passivement les épreuves, se contentant parfois de consulter sans même le comprendre l’épais ouvrage de référence, les Chants des Tayswengos, écrit par les anthropologues von Sasser.

La satire allégorique permet alors à Will Self de décliner tous les travers qu’il impute à la société occidentale actuelle, des méfaits du colonialisme de l’après-11 septembre et de la guerre en Irak aux implications perverses du politiquement correct et du multiculturalisme en passant par les dérives des pratiques économiques et les aléas du tourisme sauvage.

Will Self s’amuse à caricaturer jusqu’à l’horreur, truffant ses propos de détails scabreux et drôles à la fois. Aucun registre n’est épargné : les hôtels luxueux en pleine saison redeviennent des lieux glauques et sales après le départ des touristes ; les actes de guerre sont perpétrés à tout moment par des tribus aux frontières invisibles et aux différences culturelles grimées ; les tontines ou assurances obligatoires, qui reviennent au dernier vivant, favorisent les assassinats ; la justice répond à des critères d’une rigidité incompréhensible ou se révèle parfaitement anarchique.

La puissance du roman tient en la tension exercée par le décalage constant entre la présentation anodine des situations et leur caractère extravagant, qu’il prête à l’hilarité, à l’écœurement ou à la gravité. Loin de se lancer dans de longues diatribes explicatives, Will Self ponctue son récit de jeux de mots et de termes inventés – makkata, astande, inquivoo –, de sonorités particulières – tancroppollopp, gollybollyfolly –, de descriptions imagées comme celle d’une mine de bauxite. Il joue sur de supposées coïncidences – Gloria, la cousine de l’avocat de Tom, Jethro Swai-Phillips, est la copie conforme de son épouse Martha –, sur des solidarités inversées – quand Tom se sent mal, le psoriasis de son équipier Brian Prentice s’atténue –, il raconte des rêves étonnants – les jeux entre Tom et son fils adoptif –, il détaille des cérémonies rituelles incongrues – à l’hôpital, près de la chambre de Reggie Lincoln, les Intwennyfortee déclenchent le détecteur d’incendie en faisant cuire des tiges verdâtres de drogue.

Tout cela rend la lecture très ludique mais aussi mystérieuse. Le chamboulement des repères traditionnels et la satire des pratiques tribales induisent des questions, qui restent implicites, sur les véritables méchants de la farce, sur les rapports de force réels entre les indigènes et les détenteurs officiels du pouvoir.

À leur arrivée dans le territoire de la tribu Tayswengo, tous les protagonistes se retrouvent autour d’Erich von Sasser qui, porte-parole de l’auteur, donne la clef de l’histoire.

Will Self termine son livre comme il l’a commencé, par la vision d’un vieux poivrot, défiguré par une immense cicatrice blanche de la nuque à la calotte crânienne, se baissant pour ramasser un mégot.

Sylvie Bressler

Philip Roth, EXIT LE FANTÔME, Paris, Gallimard, 2009, 329 p., 21 ?

Automne 2004. C’est le moment où Nathan Zuckerman, le double fictionnel de Philip Roth, décide de retourner à New York afin de subir un traitement destiné à remédier à certaines séquelles de l’ablation d’une prostate cancéreuse. Onze ans plus tôt, il s’est exilé dans l’ouest du Massachussetts suite à une série de menaces de mort à contenu antisémite. Ses nouveaux voisins, notamment un ancien pilote de chasse qui a troqué le patronyme de Golub pour celui plus wasp de Hollis, sont certes charmants mais un peu intrusifs (ils lui offrent deux chats pour qu’il ne soit plus seul). En fait, Zuckerman, qui a appris une fois à la campagne qu’il était atteint d’un cancer, s’est progressivement mis au ban de son pays après avoir été mis au ban de la sexualité (p. 87).

Depuis le 11-Septembre il ne regarde plus les journaux, ne vote plus et ne surfe (évidemment) pas sur l’internet.

Me tenir au courant, explique-t-il à une interlocutrice, ne me convient plus, et ce qui ne me convient pas, je n’en ai que faire (p. 51).

Mais ces résolutions d’ermite vont (provisoirement) voler en éclats sous l’effet de deux retrouvailles et d’une rencontre.

Les premières retrouvailles, ce sont évidemment celles de New York.

À la campagne, rien ne m’apportait les tentations de l’espoir. Entre l’espoir et moi, paix conclue. Mais en venant à New York, en quelques heures seulement, New York avait eu sur moi l’effet qu’il a eu sur tout le monde : il avait ouvert le champ des possibles. L’espoir avait ressurgi (p. 30).

Les secondes ont lieu à l’hôpital où il est venu en consultation. Dans l’ascenseur, qui s’arrête à l’étage en dessous du service d’urologie, entre Amy Belette, qui a désormais plus de 70 ans, mais qu’il avait rencontrée dans les années 1950 alors qu’elle était la muse d’un écrivain désormais oublié : E. I. Lonoff. La rencontre, c’est celle d’un jeune couple d’écrivains, Jamie Logan et Billy Davidoff, qui, dans les annonces de la New York Review of Books (que Zuckerman a tout de même achetée !), propose d’échanger pour un an leur appartement new-yorkais contre une maison à la campagne. C’est le déclic. Il les contacte et les rencontre dans la foulée. Elle veut quitter New York pour ne « pas être pulvérisée au nom d’Allah » (p. 50). Ils sympathisent. Jamie et Billy l’invitent à la soirée électorale qui doit voir le triomphe de John Kerry… Les résolutions de Zuckerman ont fini de s’écrouler, il est tombé sous le charme de Jamie.

Mais Nathan a parlé au jeune couple de sa rencontre avec Amy. Et ces derniers s’empressent de donner les coordonnées de son hôtel à l’un de leurs amis : Richard Kliman. Archétype du biographe à scandale tout à la fois péremptoire, arriviste et donneur de leçons, il rédige une biographie de Lonoff dans laquelle il compte mettre en évidence que l’œuvre de celui-ci découle d’un secret important que ce dernier a toujours réussi à dissimuler : une relation incestueuse avec sa sœur.

À côté de la question de la déchéance physique et mentale (Amy a un cancer au cerveau), le thème de la biographie, et plus précisément celui du rapport entre la vie et l’œuvre d’un écrivain, constitue l’autre foyer d’Exit le fantôme. Zuckerman rétorque à un Kliman arrogant :

« L’explication » biographique, en règle générale, ne fait qu’aggraver les choses en ajoutant des éléments qui ne sont pas dans l’œuvre, et qui, s’ils y étaient, n’auraient aucun effet d’ordre esthétique (p. 62).

Les dialogues entre Zuckerman et Kliman sont du Roth au meilleur de sa forme. L’auteur de la Tache, qui ne partage pas les propos généraux de son personnage sur la biographie18, dénonce en fait l’impérialisme d’un politiquement correct qui a fait, par exemple, exclure Hemingway et Faulkner d’une exposition de la grande bibliothèque publique de New York consacrée aux écrivains majeurs du xxe siècle.

Il fut un temps, dit Amy, où les gens intelligents se servaient de la littérature pour réfléchir. Ce temps ne sera bientôt plus (p. 207).

Mais Nathan n’a plus la force de lutter. Il découvre que sa « carte d’adhérent est périmée » (p. 298). Il ne souhaite plus qu’une chose, ne plus affronter l’« énergique grossièreté » de Kliman, être de retour là où il n’aura plus besoin de se heurter à qui que ce soit, de désirer quoi que ce soit ou de devoir « convaincre les gens de ci ou de ça » ou encore de jouer un rôle dans le drame de son époque (p. 313). Il fait, dit-il, partie avec Amy des « déjà plus », dépossédés d’eux-mêmes par des corps à la dérive. Kliman, persuadé que « sa prostate […] est indestructible » n’a pas saisi qu’il fait partie des « pas encore », « qui n’ont pas idée de la vitesse avec laquelle les choses se retournent »…

Et c’est ainsi qu’après neuf romans depuis l’Écrivain fantôme, Nathan Zuckerman prend congé de son public ! Dans une excellente émission qui lui était consacrée : La Grande librairie (France 5, le 8 octobre 2009), Philip Roth disait souhaiter écrire un gros roman et mourir juste après afin de ne plus être… entre deux romans ! Quand on lit Indignation paru depuis Exit de fantôme et non encore traduit en français19, qui nous relate les tourments d’un jeune juif new-yorkais embarqué dans la guerre de Corée, on se dit que, heureusement, nous n’en sommes pas encore là. Et que Roth, classique et populaire comme Gershwin, n’a pas fini de nous captiver.

Jean-Paul Maréchal

Jacques Sémelin, J’ARRIVE OÙ JE SUIS ÉTRANGER, Paris, Le Seuil, 2007, 298 p., 19, 80 €

Jacques Sémelin est un chercheur reconnu, enseignant et auteur de nombreux ouvrages importants : tous concernent en leur fond la question cruciale des conditions de la sortie de la violence, la question de la paix comme puissante construction collective. Un de ses apports significatifs à la pensée morale et politique contemporaine est d’avoir aidé à redéfinir la non-violence comme action de résistance active majeure. Mais son obsession, qui vise à penser la fin de la violence, l’a obligé à interroger, décrire, qualifier les pires situations de violences extrêmes contemporaines. Les différences de sens entre les termes de « génocide », « purification ethnique », « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité » doivent être restituées pour mieux comprendre leur sens politique puisqu’on découvre que différents pouvoirs institués s’autorisent à commettre les pires crimes pensables, parfois de façon massive. Ce terrible usage politique du crime est un piège pour la pensée, puisque la relecture rétrospective du vainqueur empêchera l’histoire d’être faite dans sa justesse, premier stade de la justice pour les victimes.

Dans cet ouvrage au titre à la fois doux et effrayant, on entend une autre voix, une autre histoire. J’ai souvent écouté l’auteur dans ses interventions publiques. Il a une voix magnifique de ténor, très claire, dont la puissance de déploiement dans un grand amphithéâtre s’allie à la force de son propos pour capter tout un auditoire. L’évidence de sa profonde gentillesse sans calcul, de sa modestie absolue, de son absence totale de posture fait de la pensée qu’il offre avec tant de pertinence une grande aventure intellectuelle pour ses auditeurs qui sont emportés.

Quelque chose passe dans la lumière de sa voix, qui ne peut plus passer dans son regard. Ce vecteur qui s’accroche quand les yeux se croisent entre ceux qui se parlent. Et son rire éclatant électrifie cette vibration lumineuse de sa voix pour empêcher l’interlocuteur de s’arrêter à l’ombre des yeux. La perte annoncée de la vue, à cause d’une maladie grave, fait l’histoire du livre.

Même s’il s’agit d’un récit personnel, on sent partout le souci de ne pas déranger le lecteur. Comment déjouer la gêne du lecteur qui découvre la mauvaise nouvelle de l’infirmité dans tous ces méandres ? L’écriture, comme sa façon de vivre, est une lutte pour préserver le confort du bien-voyant qui pourrait ressentir un certain malaise en apprenant la mauvaise nouvelle du handicap. Jacques Sémelin marche vite dans la rue, tend vaillamment la main pour dire bonjour, au risque de louper celle d’en face, rit, blague et fonce vers l’escalier du métro avec un entrain insensé !

C’est un récit, jamais lourd, jamais chargé de ce poids tragique qui serait pourtant si compréhensible, qui décrit avec franchise et élégance comment il faut, en quelques décennies, renoncer à la lumière des regards croisés, à la séquence du « bonjour » yeux dans les yeux, à voir les seins d’une femme, aux contrastes des objets, au monde périphérique, au bariolé, au lien entre une voix et un visage, au changement de taille de l’enfant qui grandit, au noir franc aussi puisque ce qui dévore tout est une grisaille. Ce sont les papillons qui ont quitté les premiers le champ visuel de Jacques. Ce sont des maladresses bizarres, au bal, lorsqu’il faut changer de cavalière, qu’il ne la voit pas à temps, celle qui est là, et qui se laisse agrippée par un autre, et qu’il se retrouve au milieu des danseurs « tout seul comme un con »… La lecture, gardée presque au-delà du possible, dans sa possibilité la plus extrême, grâce aussi aux prouesses de l’informatique.

La croissance sournoise et irréversible du handicap tapisse tout, et pourtant la bravoure, la vaillance et la générosité de l’auteur se déploient à mesure que le temps passe : les tentatives de thérapies foireuses, les moments de déni franc et salvateur, les disputes entre amoureux, la paternité, les études et les voyages. Le récit est arquebouté sur l’exigence première de ne pas faire intervenir dans le lien à autrui, y compris le lecteur, la diagonale tragique, la faille d’épouvante, de l’inévitable fin du monde visuel pour lui.

Il y a de la noblesse ici, héritée d’une famille modeste et formidable, dont la valeur et l’intelligence ne se comprennent qu’à la fin du livre. Le non-dit a eu sa part dans la joie de vivre, une insouciance préservée où aller puiser de la vaillance, une protection, même éphémère, contre le mal qui progresse. Lire ce livre est aussi une grande occasion de réfléchir sur le « dire » ou le « non-dire », sur les ressources intérieures contre toutes les vérités atroces, annoncées, irrémédiables mais auxquelles on échappe encore ce soir, tout de suite.

Véronique Nahoum-Grappe

Tzvetan Todorov, LA SIGNATURE HUMAINE. Essais 1983-2008, Paris, Le Seuil, 2009, 478 p., 23 €

À travers des portraits, des analyses historiques, des lectures et un dernier chapitre sur Goethe, il s’agit toujours d’une tentative pour mieux comprendre les conduites humaines – ce qui est signé de l’homme, d’où le titre. Le premier chapitre aurait pu s’intituler « ouverture » : consacré à Germaine Tillion, il manifeste une exceptionnelle sympathie pour cette femme, que Todorov a connue plutôt vers le crépuscule de sa vie et qui semble devenue comme une étoile lumineuse dans son propre parcours, un modèle envié de culture, de rectitude, de l’art de vivre la « signature humaine ». Raymond Aron, Edward Saïd et deux grands théoriciens russes du langage et de la littérature, opposés presque à tous égards – Mikhaïl Bakhtine et Roman Jakobson –, fournissent ensuite la matière d’autant d’exercices d’admiration. L’empathie, là encore, est frappante. Suit une série de retours historiques sur le « salut » des juifs bulgares, Staline, les liens entre artistes modernes et dictatures, les limites de la justice et de la mémoire pour lutter contre le mal. Des récits de la conquête de l’« autre » du Nouveau Monde à Beckett, de La Rochefoucauld à Stendhal, de Mozart à Constant, avec Goethe enfin, se poursuit l’hommage multiple à l’humanité diverse de quelques inspirés. Le final sur Goethe suggère la force des « affinités électives », elles-mêmes liées à une biographie : celle d’un expatrié dans le Paris des années 1960, devenu très vite un linguiste connu et reconnu, qui prend dans les années 1970 le « tournant éthique », à l’envers des tendances philosophiques qui ont pratiqué plutôt le linguistic turn. D’origine bulgare, parti intellectuellement du structuralisme et du formalisme, Todorov précise pudiquement que l’« existence » l’a arraché aux recherches formelles – sans qu’il les dénonce pour autant, bien au contraire, même si l’air « humain » était un peu confiné dans ces parages de l’époque structuraliste. Le lien entre la vie et les livres publiés est ainsi discrètement suggéré, sans lourdeur cependant et avec le souci que son passé d’ex-citoyen d’un pays aimé, mais au régime détestable, n’emporte pas le regard distancié sur le détestable – et l’amour dû à toute humanité. Raymond Aron, un des héros de ce livre, a mérité l’estime universelle pour les deux – pas seulement pour la sûreté de son jugement critique.

Tout dans ce livre un peu discontinu, nous dit l’auteur, a été fortement révisé, retravaillé – au point qu’il n’a pas éprouvé le besoin de préciser le lieu et l’année de publication des chapitres. Le thème de la « signature humaine » réunit l’ensemble. Le destin tourmenté de l’Europe ne peut pas être étranger, nous l’avons dit, à un enfant de Bulgarie. Il refuse pourtant de s’ériger en juge. Todorov prône la nécessité et encourage la volonté du Bien plus que le rejet du Mal et la condamnation des mauvais. Influence de Tillion peut-être ? « Tillion ne fait pas le tri parmi les victimes » et pas davantage, malgré des souffrances sans nom, parmi les bourreaux finalement. « La compassion lui paraît supérieure à la justice même. » Quand elle défend le terroriste Y. Saadi pendant la guerre d’Algérie, Beauvoir, Bost et Lanzmann parlent de « saloperie ». Todorov, lui, guette les signes qui empêchent de faire de tout homme une équation simple, celle des justiciers de tous bords, précisément. La malveillance continue le mal, et en tout cas n’avance pas l’ombre d’une solution. Que justice soit faite, oui, mais le rôle du critique éclairé qui relit cette histoire n’est pas celui-là. C’est frappant dans le texte sur Jakobson et Bakhtine, où le premier, éclatant d’intuitions en linguistique et en poétique, apparaît pourtant comme un théoricien plus curieux et enthousiaste que pertinent, et d’une abstention politique confondante au temps des Soviétiques – plus encore quand on sait ses origines juives. Le second, condamné par le régime, vit retiré de tout et de tous, presque « autiste » comme on dit aujourd’hui, à l’écart et donc, de fait, au-dessus des contingences du stalinisme. Todorov ne dit pas que le comportement de Jakobson puisse être approuvé, mais il ne le condamne pas non plus sans appel. De même, dans le texte sur « le sauvetage des juifs bulgares », sans cacher son horreur des communistes qui ont éliminé impitoyablement, après la guerre, même l’opposition non fasciste (si ce mot est correct pour le roi et le gouvernement de la période antérieure), Todorov rapporte sobrement, sans effets de manche, une histoire qui soulève le cœur ; mais pour lui, l’enjeu est sans doute surtout de rendre hommage au courage de quelques citoyens oubliés d’un pays oublié qui mériterait mieux de la mémoire européenne pour cet épisode. Au fond, il tente d’appliquer pour son propre compte ce qu’il loue et admire chez les autres : la modération éclairée. Il se veut homme des Lumières, mais avant tout tolérant, plein d’empathie, opposé (comme Edward Saïd) au « manichéisme primaire », à la « stigmatisation sans nuance de l’ennemi », porteur lucide de l’universalité de l’humanisme éclairé.

Cette absence d’hystérie à une époque qui célèbre sa manifestation publique immodérée mérite l’éloge. La rançon de cette modération ? Manque peut-être l’hommage à rendre malgré tout à quelques passions humaines, ou à quelque déséquilibre en l’homme. Todorov nous dit comme Pascal que « l’homme passe l’homme », mais la sensibilité pascalienne a eu, chez Pascal lui-même d’abord, des effets plus contradictoires que celle de l’« honnête homme » dont parle la « quatrième de couverture », celui dont « l’humanisme marqué par la rencontre avec le mal » « échappe tant à la lassitude qu’au pessimisme ». Relevons un absent de cette histoire : la religion, souvent effleurée, presque jamais thématisée, même quand les « grands hommes » du livre en ont vraisemblablement une. Todorov s’y risque un peu avec Constant. Car chez Constant (lu avec sympathie par Todorov), le « sentiment religieux » consiste surtout en « l’aspiration au contact avec l’illimité, (en) l’harmonie avec la nature, (en) une place dans le flux du temps ». L’avenir de la religion semble ainsi résider dans l’ouverture des individus à la quête religieuse de l’infini cosmique ou esthétique, et à la possibilité de perfectibilité à l’infini. En cela, Constant est certes très actuel, pas seulement moderne, mais « postmoderne » ! Et l’on peut certes préférer ce sentiment océanique d’occasion, très romantique, ou idéaliste, cette religion sans corps finalement, aux religions constituées ou au corps des religions. Comme Constant, Todorov, probablement, pense ainsi neutraliser ou extirper l’aiguillon du « fanatisme identitaire » et du « prosélytisme intolérant ». Mais une solution aussi simple, presque superficielle ici, résiste-t-elle à la réalité complexe et des religions et du monde ? Sur ce point, soucieux de neutraliser toute violence sans doute, obnubilé par les apparences présentes, manquant peut-être de connaissances ou de connivence (ce qui serait totalement légitime), Todorov, le modéré éclairé et éclairant, ne rend pas compte d’un pan important de la réalité du Mal… et du Bien dans l’histoire. Ce faisant, il renonce aussi à les fonder. Et en fin de compte, Goethe est emblématique : il s’agit de la joie d’exister et de la joie devant l’existence, dans l’amour du bien et le souci des autres, dans une coïncidence avec soi qui n’exclut rien de la diversité du monde. Goethe, le « génie qui absorbe tout, qui sait s’approprier tout », qui « est capable de s’ouvrir à toutes les possibilités ». Mais que peut signifier une « signature humaine » si singulière, et en même temps si lisse, si légère dans l’affrontement à l’altérité, pour les pauvres gens de la terre, et même pour les seuls « honnêtes hommes » parmi eux ?

Jean-Louis Schlegel

Esther Benbassa, ÊTRE JUIF APRÈS GAZA, Paris, Cnrs Éd., 2009, 82 p., 4 €

Dans le paysage intellectuel juif français, Esther Benbassa occupe une position singulière, celle qui interroge les fonctionnements contemporains de l’identité juive, au risque de mettre le doigt dans les plaies20. En 2007, elle réfléchissait sur les ressorts d’une identité forgée ou conditionnée par la souffrance. Sans mettre en cause la nécessité de garder la mémoire des souffrances passées, elle pointait la tentation de définir l’identité juive par la Shoah, en insistant sur le risque qu’une telle attitude faisait courir : l’effacement des autres composantes de cette identité.

On n’est donc pas surpris de la voir revenir sur le sujet de l’identité juive à travers le prisme de l’événement dramatique que fut l’offensive israélienne lancée contre Gaza.

Une interrogation traverse tout son texte : comment se fait-il que la communauté juive de France, presque unanimement, ait soutenu le gouvernement israélien, en semblant largement privée d’esprit critique ? Et cette interrogation se redouble par la suivante : comment se fait-il que les Juifs d’Israël, eux aussi, aient massivement fait corps avec la politique de leur État ?

C’est dans la blessure des identités qu’Esther Benbassa trouve une réponse, du côté des Juifs orientaux dont le poids s’est singulièrement accru depuis la création de l’État d’Israël, tant en Palestine qu’en France. Il ne s’agit pas de les désigner comme coupables des horreurs qui ont été commises à Gaza, même si le texte ne manque pas de témoigner d’une réelle indignation qui pourra irriter certains. Il s’agit de comprendre par quel mécanisme les judaïsmes français et israélien, à la différence du judaïsme américain, ont en quelque sorte occulté l’interrogation éthique pour se laisser dominer par les passions. Précisons ici qu’Esther Benbassa n’ignore pas et n’euphémise pas le comportement du Hamas. Elle ne nie pas les dangers et les menaces qui pèsent sur Israël. Elle ne se voile pas la face devant la violence et les passions palestiniennes. Elle se demande plutôt comment les considérer de manière à ne pas être dirigé par celles-ci.

L’explication qu’elle propose, c’est celle d’une identité blessée, minorée, celle d’une parole tue pendant longtemps car celle-ci ne pouvait se faire entendre face à l’énormité de la Shoah. C’est celle d’une humiliation qui n’a pas pu être parlée ; celle d’un judaïsme oriental ou « arabe » trop longtemps considéré, sous la lumière noire du génocide qui ne l’avait pas atteint directement, comme de seconde catégorie ; celle de la souffrance – notamment d’un exil non pris en compte (il n’y avait guère de fierté à tirer d’avoir quitté l’Algérie, par exemple) – de ceux qui n’étaient ni de pures victimes ni de brillants héros ; et celle d’une ressemblance ou d’une forme de fraternité indicible, interdite, avec le monde arabe où ce judaïsme avait longtemps vécu, qui s’inverse en hostilité faute d’être assumée.

Ce genre de blessure, selon un processus souvent observé dans d’autres peuples, s’est retourné, dit l’auteur, en nationalisme intransigeant, peu lucide sur lui-même. De même qu’il arrive que des enfants martyrisés deviennent eux-mêmes des adultes martyrisant, des peuples humiliés peuvent devenir indifférents à l’injustice subie par d’autres. La souffrance à ceci de terrible et d’étrange qu’elle ne vaccine pas ceux qui l’ont subie du danger de pouvoir à leur tour l’infliger.

C’est tout le sens du livre d’Esther Benbassa d’essayer de mettre au jour ce mécanisme en espérant qu’en le regardant en face les judaïsmes français et israéliens sauront s’en affranchir. Ainsi peut-elle espérer tenir et partager la position qui est la sienne :

Je ne veux pas être juive et rejeter Israël. Je ne veux pas non plus être juive et approuver cette guerre immorale que mène Israël.

Pour sauver une identité juive que des drames comme celui de Gaza mettent en péril, il importe, dit-elle, de se souvenir que ce qui fait cette identité, dès lors que l’on ne la réduit pas à une religion particulière, c’est en particulier un attachement à l’éthique. À condition évidemment que cette éthique soit réellement mise en œuvre. Y a-t-il un autre chemin pour écrire une histoire de vie plutôt que de mort, ou faut-il qu’Israël s’enferme dans le syndrome de Massada ? La question vaut aussi pour les Palestiniens. C’est l’appel dérangeant et nécessaire que veut lancer ce petit livre, pour qu’il n’y ait plus de nouveau Gaza…

Jean-François Bouthors

Hervé Le Bras, VIE ET MORT DE LA POPULATION MONDIALE, Paris, Éd. Le Pommier/La Cité des sciences, 2009, 180 p., 8, 60 €

Le démographe Hervé Le Bras raconte avec clarté, érudition et conviction l’histoire de la population, du mot et de ses significations, tant démographiques que politiques. La notion n’apparaît, en Occident, qu’au tournant des xvie et xviie siècles sous la plume de Francis Bacon et ne devient une évidence qu’à la fin du xviiie siècle et surtout au cours du xixe siècle. Auparavant et ailleurs, nul ne se préoccupait du nombre d’habitants sur la planète – ou dans un pays – et chacun parlait de « gens », de « peuple », et l’on acceptait, sans nécessairement le formuler, le principe selon lequel « il n’y a de richesse que d’homme », pour reprendre la formule de Jean Bodin. Avec Malthus, la croissance exponentielle de la population apparaît sous un jour nouveau car les subsistances ne croissent que de manière linéaire, d’où des mesures pour la limiter. Par la suite, certains proposeront une sélection imposée (on peut imaginer les critères !), sous le nom d’eugénisme… Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Unesco récuse les théories racistes et demande au biologiste Ashley Montagu un rapport, lequel explique qu’il n’existe qu’un seul genre humain et aucun lien entre le patrimoine génétique et culturel. La hiérarchie entre les races se dissimule alors sous l’appréciation classificatoire des cultures, ce que Claude Lévi-Strauss dénonce dans ce remarquable ouvrage, Race et histoire, où il explique qu’aucune culture n’est supérieure à une autre. Comme on assiste à une multiplication de la population à l’échelle mondiale, de nombreux savants s’intéressent aussi bien aux facteurs qui la facilitent qu’à ceux qui la réguleraient. Hervé Le Bras expose ces nombreuses conceptions et explications avec un réel talent pédagogique et une grande honnêteté. Parmi les causes de la baisse de la fécondité, il note la scolarisation des filles, l’allongement de la durée de l’allaitement et le recul de l’âge du mariage. En 1960, le Times consacre sa « Une » à l’explosion démographique, on parle de la « bombe P », d’autant plus dangereuse pour l’Occident que celui-ci, après le baby-boom, connaît une période de stagnation et de vieillissement de sa population alors que le tiers-monde est loin de cette « transition démographique » que certains experts avaient repérée. Seule la Chine se lance dans une politique étatique autoritaire de contrôle des naissances, avec un incontestable succès, aux conséquences psychologiques, familiales, générationnelles non encore vraiment étudiées. Revient sur le devant de la scène, le spectre de Malthus et la lancinante question : la terre peut-elle nourrir tous ces humains ? Là encore on s’oppose des chiffres, les uns prétendent qu’un milliard est un bon chiffre, d’autres affirment que 12 milliards de terriens ne poseraient pas de problème ! C’était avant la mise au point du calcul de l’empreinte écologique… Question politique puisqu’elle implique les rapports de force entre les États, la population pour un jeune couple, d’ici ou d’ailleurs, ne concerne que leur devenir et leur plaisir d’être parents. Comment prendre la mesure des enjeux, de nature bien différente, de cette question ? Prudemment, Hervé Le Bras fait appel à la raison et invite le lecteur à se garder des dieux anciens (ces vieux démons !) et de citer Max Weber : « La multitude des dieux antiques sortent de leurs tombes sous la forme de puissances impersonnelles parce que désenchantées et ils s’efforcent à nouveau de faire tomber notre vue en leur pouvoir tout en reprenant leurs luttes éternelles. »

Thierry Paquot

Saskia Sassen, CRITIQUE DE L’ÉTAT. Territoire, autorité et droits de l’époque médiévale à nos jours, Paris, Demopolis/Le monde diplomatique, 2009, 478 p., 26 €

Après la publication de la Globalisation. Une sociologie21 qui invitait, non sans inverser fondamentalement les perspectives de travail, les sciences sociales à se pencher sur des thèmes liés à la globalisation, la sociologue Saskia Sassen, connue pour ses analyses portant sur la ville globale contemporaine (qui s’inscrit dans les réseaux mondialisés), prend de front l’une de ces questions dans cet ouvrage de facture plus historique. Et pas n’importe quelle question puisqu’il s’agit de l’État, l’institution qui a forgé notre histoire occidentale. S’appuyant sur la comparaison historique, elle s’arrête d’abord longuement sur la constitution des États territoriaux durant la période médiévale pour mieux saisir par contraste ce qu’il en advient désormais de l’État contemporain qui n’associe plus « naturellement » l’autorité et le pouvoir. Sans laisser entendre, comme les idéologues du libéralisme, que l’État est en voie de disparition, la sociologue américaine s’interroge sur les métamorphoses de l’État qui sont la conséquence manifeste de la globalisation et sur son rôle effectif. Ce sont les États eux-mêmes qui ont en effet créé les conditions d’« un espace dénationalisé standard à l’intérieur des États nationaux » dont les entreprises multinationales ont tiré les bénéfices. Les deux premières parties de cette somme analysent l’assemblage historique du national (en s’appuyant sur le modèle de l’État médiéval puis sur le modèle de l’État américain en voie de centralisation progressive) puis son désassemblage historique. Ce qui conduit Sassen à s’interroger dans cet ouvrage (qui mériterait bien entendu une longue présentation analytique) sur ce qui est formellement global :

Les écrits sur la mondialisation signalent très rarement qu’il n’existe, au sens strict, que deux grandes institutions mondiales vraiment formelles à savoir le tribunal pénal international (Tpi) et les Accords sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (Trips),

et à explorer les priorités politiques à mettre en œuvre si l’on ne veut pas que la globalisation (« de » et « par » l’État) soit un facteur de dégradation et de réduction de la démocratie. Mais l’auteure ne cède pas au pessimisme puisqu’elle rappelle que les faibles (les pauvres d’aujourd’hui) demeurent des acteurs de l’histoire et que la tâche la plus urgente est de repenser les droits des citoyens et des migrants dans un monde globalisé où le rapport du matériel et du numérique est également un défi majeur. Dans cette optique, les derniers chapitres portent sur les modifications actuelles de la relation à l’État national, sur l’autorité de l’État face aux réseaux numériques et sur la nécessité d’imaginer des assemblages inédits d’ordres mixtes temporels et spatiaux (voir la conclusion sur les nouveaux assemblages territoires/autorités/droit). Il va de soi que les chantres du républicanisme étatique à la française risquent d’en perdre leur latin, à savoir celui du droit romain qui a contribué à l’assemblage historique occidental. Il est évident que Sassen limite les formes de re-territorialisation à la ville globale qui lui est chère, ce qui ne va pas dans le sens d’une re-territorialisation soucieuse des invariants anthropologiques de l’art de construire et d’habiter. Mais sa lucidité force le respect.

Olivier Mongin

Zygmunt Bauman, L’ÉTHIQUE A-T-ELLE UNE CHANCE DANS UN MONDE DE CONSOMMATEURS ?, Traduit de l’anglais par Christophe Rosson Paris, Climats, 2009, 296 p., 23 €

Né en Pologne en 1925, Zygmunt Bauman enseigne depuis 1968 en Grande-Bretagne, et est devenu, de livre en livre (le Coût humain de la mondialisation, 1999 ; la Vie en miettes, 2002 ; l’Amour liquide, 2004 ; le Présent liquide, 2007, etc.), un fin observateur des mutations qui affectent la société moderne, tant sous les effets de la mondialisation que par le déploiement ininterrompu de nouvelles technologies de l’information et de la télécommunication. Penser le monde qui se façonne sous nos yeux devient impératif pour qui ne veut pas être instrumentalisé et souhaite agir et réagir. Aussi, ce nouvel essai arrive à point, non seulement parce qu’il nous incite à revoir notre outillage mental mais aussi à résister à ce que l’on nous propose, comme allant de soi, n’être que des « consommateurs satisfaits ».

Notre monde a changé, il correspond à la « modernité liquide » qui, à ses yeux, est « caractérisée par des frontières floues, éminemment perméables, la dévaluation irrépressible (quoique déplorée et combattue) des distances spatiales et de la capacité de défense des territoires, ainsi que par l’intensité des mouvements humains par-delà toutes frontières ». Ainsi moins de frontières (certes l’État-nation existe toujours, mais son poids, sa signification, sa représentation, ne cessent de régresser) et plus de mobilité, les flux maillent notre environnement, nous devenons nous-mêmes des nœuds de réseaux et notre existence se fluidifie de plus en plus. Tout circule sans hiérarchisation aucune, tout comme nous circulons sans toujours savoir pour quoi. L’identité de chacun ne consiste plus à affirmer des valeurs et des croyances mais ressemble, comme le dit justement Bauman, à « une renégociation des réseaux ». Les analyses de Simmel sur la frontière, de Ricœur sur l’ipséité et la mêmeté, de Levinas sur le visage, méritent une sérieuse adaptation aux circonstances actuelles, avec l’effacement progressif de l’opposition entre les deux principes freudiens (le principe de plaisir et le principe de réalité) et surtout la généralisation et la banalisation de l’extraterritorialité de toutes les activités humaines et de toutes les technologies qui les conditionnent. Les nouveaux murs ne sont pas édifiés pour protéger la Cité des dangers extérieurs mais intérieurs ! Zygmunt Bauman précise que la sécurité est devenue la principale exigence du consommateur loin devant la liberté. Cette extraterritorialité est en avance sur la démocratie, qui peine à trouver ses marques, non pas tant géographiques, mais politiques et idéologiques. La marchandisation, déjà étudiée par Karl Marx, se généralise à un point paroxysmique, le soi se vend sur le marché, chacun se promotionne sur le Web, avec une impudeur naïve plus que calculatrice ou exhibitionniste. L’auteur mentionne une étude britannique qui révèle qu’un tiers des garçons interrogés et un quart des filles cessent une relation avec un Sms, sans trouver cela choquant ! Même le sentiment amoureux subit le sort de n’importe quelle information, sa circulation sur l’internet et sa totale dévalorisation. Le consommateur domine, c’est la figure emblématique de la modernité liquide, elle est même gênée par le citoyen, mais heureusement, comme l’écrivait Günther Anders, dans son maître livre, l’Obsolescence de l’homme, il est temps que le citoyen consomme au point de se fondre entièrement dans ce nouveau rôle, être comblé par ses possessions sans avoir conscience d’en être possédé !

Thierry Paquot

Anne Salmon, MORALISER LE CAPITALISME ?, Paris, Cnrs éd., 2009, 262 p., 25 ?

La « moralisation » du capitalisme est loin d’être un thème éphémère. Au cœur de nombreuses controverses, il fait souvent l’objet de jugements lapidaires qui laissent peu de place à une véritable compréhension des enjeux dont il est porteur. Spécialiste reconnue de cette question, Anne Salmon conduit, dans son dernier ouvrage, une analyse fouillée et brillante de ce thème récurrent du débat intellectuel.

Contrairement à une idée reçue, la mobilisation de l’éthique par le capitalisme n’est pas une pratique nouvelle. En effet, comme le rappelle l’auteur, deux éthiques ont accompagné la rationalité capitaliste dans son développement : l’éthique protestante lors de la naissance du capitalisme moderne (au xviiie siècle) et l’éthique progressiste, ensuite, au moment de l’essor industriel des sociétés occidentales (au xixe siècle). En quoi, s’interroge Anne Salmon, le phénomène actuel d’invocation de l’éthique par le capitalisme apparaît-il singulier ?

La singularité du mouvement actuel – à savoir « l’éthique économique des entreprises » qui se déploie dans une phase historique de « rationalisation des échanges et des communications » (p. 236) – réside dans son projet d’« instituer une éthique purement économique » (p. 242). Face à l’effritement des deux grandes éthiques transcendantes qui l’ont précédé, le mouvement actuel vise à s’assurer la prévisibilité des comportements en suscitant des « valeurs capables de recimenter des formes de coopération mise à mal par l’introduction des valeurs marchandes au cœur des rapports de travail » (p. 242).

Il s’agit alors non pas de réencastrer l’économie dans la société mais bien au contraire d’encastrer la société dans l’économie. On assisterait donc non à une moralisation du capitalisme comme certains se plaisent à le répéter mais à une « économisation de l’éthique ». L’objectif ultime de certains acteurs étant « non pas de réenchâsser l’économie dans le social et le politique [mais] à établir les bases d’une société de marché » (p. 10).

Dans un style d’une grande limpidité, Anne Salmon étaye sa démonstration par une mise en perspective historique fondée sur une lecture fouillée, non seulement des grands classiques comme Weber, Comte, Marx, Arendt… mais également des textes managériaux qui abondent depuis le début des années 1990.

Au terme de la lecture de Moraliser le capitalisme ?, il apparaît que l’« offre éthique » contemporaine constitue en fait « un outil de gestion destiné à restaurer la loyauté des salariés au moment où les buts de croissance et du “toujours plus de travail et de gains” ne s’articulent plus nettement au progrès de la société » (p. 20).

L’incapacité constatée à l’automne 2009 de l’administration Obama à plafonner les versements de bonus aux banquiers sauvés de la catastrophe par l’intervention de l’État est là pour nous rappeler les limites de l’autocontrôle du capitalisme par les entreprises.

Le livre d’Anne Salmon démontre, à partir d’un objet particulier, que l’une des fonctions essentielles de la morale est d’endiguer les effets négatifs de la recherche de l’intérêt individuel. Et que bien naïf est celui qui parie sur la convergence spontanée de ces deux ordres de justification. Bien naïf et bien peu rationnel d’ailleurs car, si une telle convergence existait, la morale serait inutile.

En cela le livre d’Anne Salmon constitue une contribution essentielle au décryptage d’un phénomène qui n’a pas fini de faire parler de lui.

Jean-Paul Maréchal

Laurent Fignon, NOUS ÉTIONS JEUNES ET INSOUCIANTS, Paris, Grasset, 2009, 397 p., 19 €

Ancien vainqueur du Tour de France, l’auteur effectue son coming out sur le dopage dans ce livre annoncé comme « explosif ». La jeunesse bien sûr, cause d’errances plutôt « pardonnables »… Ce texte est écrit avec la complicité d’un journaliste, Jean-Emmanuel Ducoin, dont se ressent quelquefois la « patte », voulue aussi poignante que littéraire. Lois et filières du dopage seraient-elles dévoilées ? Le lecteur de bonne volonté cherche dans ce texte le seul fil un peu « novateur » : l’idole vieillie avouant ses « tactiques » obscures. Il trouve ce fil ici ou là : Fignon s’est dopé. Oui, le double vainqueur du Tour nous le dit. Il le dit très vite, mais il le dit. Il se serait dopé d’ailleurs extrêmement rarement et quasiment par hasard. Il se serait dopé aussi sous l’effet de mauvaises influences, pressions toutes passagères, accidentelles, étrangères à lui-même (géographiques aussi, en Amérique du Sud par exemple où la coke est aussi présente que les pavés sur le chemin), lesquelles bien sûr n’ont rien à voir avec sa carrière… Alors que l’ancien vainqueur du Tour décrit comme tout différent ce qu’il a vu, au début des années 1990, avec l’Épo. Il s’agirait ici de bien autre chose : beaucoup plus explosif, beaucoup plus détonnant, et surtout totalement « inimaginable ». Suivent très vite quelques pages d’insinuations opaques, erratiques, confuses, écrites au conditionnel, bourrées de précautions, de voiles, de masques. Fignon a subodoré mais n’a rien vu. Il a entendu mais n’a rien écouté. Il a constaté des résultats « stupéfiants » de la part de cyclistes quelconques, mais ne peut clairement se l’expliquer. « On » lui dit qu’il y a des filières de dope mais il n’ose s’en approcher, c’est trop glauque. « On » lui dit qu’il y a des gens qui savent, mais ne peut leur toucher la main de peur d’être contaminé. Franchement, le lecteur comprend si bien qu’on se moque de lui que le texte lui en tombe des mains…

Georges Vigarello

Brèves

Robert Littell, L’HIRONDELLE AVANT L’ORAGE. Le poète et le dictateur. Paris, Éditions Baker Street, 2009, 336 p., 22 €

Père de Jonathan Littell dont les Bienveillantes, un roman sur la barbarie nazie, est l’un des succès de ces dernières années (voir l’article de Georges Nivat dans Esprit, octobre 2008), Robert Littell est l’un de ces journalistes à l’anglo-saxonne (il a travaillé longtemps à Newsweek) qui n’ont pas oublié les secrets de la plume littéraire. Mais surtout il est un connaisseur hors pair de l’horreur soviétique et du stalinisme. Ici, non sans faire écho à l’ouvrage de Martin Amis sur Staline (Koba la terreur, L’œuvre éditions, voir la brève dans Esprit, mars-avril 2009, p. 264-265) qui était comme une longue lettre de reproche à son père écrivain et « toutou du komintern » entre 1941 et 1956, Littell évoque alternativement des personnages qui vont ou non se rencontrer : le garde du corps personnel de Staline, un champion russe d’haltérophilie dont la carrière a été brisée, Nadedja Mandelstam, Ossip Mandelstam (et une comédienne proche de leur couple), Boris Pasternak, Anna Akhmatova. À travers les deux principaux protagonistes de ces récits, Ossip Mandelstam et Staline, où l’histoire donne lieu à une fiction, l’auteur scrute les liens obscurs qui se sont tissés entre le poète qui ne craint pas la provocation (on lui doit le titre du livre : « … et chacun effectuera avec son âme, telle l’hirondelle avant l’orage, un vol indescriptible ») et « l’égocrate » dont la fascination pour le poète signifie peut-être qu’il pressent ce qu’il y a d’incontrôlable dans le langage. Mais la rencontre imaginée avec Staline est aussi l’occasion de voir celui-ci à travers la plume d’un écrivain (l’écrivain Littel qui fait parler le poète Mandelstam). « Oh, Nadenka, toi qui partages mes soucis, je t’assure que j’écoutais Staline comme on écoute un fou. Et puis je me souviens de l’histoire de Tolstoï, à propos d’un homme qui, de loin, paraissait faire quelque chose en laissant à penser qu’il était fou. En s’approchant, il s’apercevait que l’homme aiguisait un couteau. On peut dire que le khoziayin semblait fou, mais en réalité il aiguisait un couteau. »

O. M.

Frédéric Gros, MARCHER, UNE PHILOSOPHIE, Paris, Carnets nord, 2009, 304 p., 17 €

Éditeur et commentateur de Michel Foucault, auteur d’un ouvrage remarqué sur la guerre, Frédéric Gros aime à scruter des comportements qui ne sont pas sans connotation éthique (ethos pour mœurs et non pour loi morale) comme Foucault, et en se focalisant sur la marche il se penche sur un rythme qui tend à la pacification des corps. Constatant que la marche peut provoquer des excès (excès de fatigue, de beauté, d’ivresse…), l’auteur veut dire qu’« on ne va pas en marchant à la rencontre de soi-même, comme s’il s’agissait de se retrouver, de se libérer des aliénations anciennes pour reconquérir un moi authentique. En marchant, on échappe à l’idée même d’identité, à la tentation d’être quelqu’un, d’avoir un nom et d’avoir une histoire ». Ce n’est pas l’aufhebung hégélienne qui est la perspective de la marche mais le renoncement à être un soi « enclos ». C’est pourquoi cette ouverture à un dehors permanent qu’est la marche donne lieu à la fuite (Rimbaud), au pèlerinage, au vagabondage ou à la promenade comme chez Kant. Mais, dans tous les cas, elle favorise avant tout une certaine lenteur (F. Gros ne cesse de rappeler que marcher n’est pas un sport) qui est une manière de voir le monde autrement. La marche va alors de pair avec un art de la lenteur : « La lenteur, c’est de coller parfaitement au temps… Cet étirement du temps approfondit l’espace. C’est un secret de la marche : une approche lente des paysages qui les rend progressivement familiers. C’est comme la fréquentation régulière qui augmente l’amitié […] En marchant, rien ne se déplace vraiment : c’est plutôt que la présence s’installe lentement dans le corps. » Cette présence corporelle qui était l’obsession de Nietzsche selon qui il faut demeurer le moins possible assis, (« Être “cul-de-plomb”, je le répète, c’est le vrai péché contre l’esprit. »)

O. M.

Nicolas Baverez, APRÈS LE DÉLUGE. La grande crise de la mondialisation, Paris, Perrin, 2009, 196 p., 10 €

Parmi les chroniqueurs économistes, l’originalité de Nicolas Baverez n’est pas seulement d’être peu amène avec la gauche de gouvernement, ou d’être un décliniste confirmé qui avait prévu bien des événements « malheureux » à sa manière, mais de ne pas se contenter de croire que la mondialisation est derrière nous. Plus que jamais, il faut en saisir les caractéristiques et en tirer les conséquences. Mais cette lucidité se double chez l’économiste aronien, proche de la revue Commentaire, d’un souci déjà ancien chez lui de tenir compte des relations internationales. Mais, au-delà de la prise en compte des « Bric » (Brésil, Russie, Inde, Chine), Baverez est l’un des trop rares économistes qui rappelle que nous vivons une rupture historique qui ne concerne pas que les relations internationales puisqu’elle a des conséquences historiques majeures qui ne sont pas sans peser sur le destin de l’histoire européenne. Ce constat d’une histoire en train de se métamorphoser en dehors de l’Europe conduit Baverez à rappeler que le libéralisme politique n’est pas sans valeur à un moment où le capitalisme mondialisé s’accorde assez aisément avec des régimes répressifs et autoritaires (Chine, États rentiers en tous genres…). À travers cet ouvrage très politique, c’est donc bien de l’avenir de la démocratie qu’il est question et pas uniquement de la bonne ou de la mauvaise santé chiffrée de l’économie.

O. M.

Ghassan Tuéni, ENTERRER LA HAINE ET LA VENGEANCE. Un destin libanais, Paris, Albin Michel, 2009, 192 p., 19 €

Ghassan Tuéni n’est pas du genre à raconter sa vie. Certes, on peut lire ses conférences, ses dialogues avec Gérard Khoury et Jean Lacouture, ses nombreuses interrogations sur le Proche-Orient et sur son Liban. On sait qu’il fut le mari de la poétesse Nadia Tuéni trop tôt disparue, on connaît aussi le diplomate et le journaliste dont le groupe de presse Nahar (qu’il a créé) rappelle que le Liban a le sens de la démocratie et que celle-ci commence le respect de l’édition et de la liberté des médias. Mais, homme de pudeur, homme de la parole ferme et discrète, Ghassan Tuéni parle dans cet ouvrage de ce qui lui a permis de tenir dans un pays trop longtemps en guerre et de supporter des tragédies (trop de morts autour de lui : sa femme Nadia Tuéni-Hamadé meurt après une longue maladie [1935-1983], et ses trois enfants : Nayla meurt d’un cancer à l’âge de sept ans [1955-1963], Makram [1965-1987] d’un accident de voiture et Gibran, le fils qui lui a succédé au journal Nahar et en politique, est assassiné sauvagement le 12 décembre 2005). Dans cet esprit, il parle avec pudeur et force de sa foi, de son lien avec la religion orthodoxe, de sa passion des icônes, du personnage évangélique de Marie-Madeleine qu’il vénère car elle lui a appris à pardonner, il raconte aussi l’enterrement de Gibran, la découverte tardive des carnets de poésie de son fils Makram qui avait les talents de sa mère. Ainsi Ghassan Tuéni nous parle de lui, de ses guerres intérieures avec bravoure et franchise. Le Liban est un pays qui vit grâce à des personnalités valeureuses comme Ghassan Tuéni. Nous avons eu l’occasion de saluer et de l’apprécier à Esprit : voilà un homme rare, très rare qui insiste sur le rôle de l’écriture (celle du journaliste ou celle de la poétesse) qui lui a permis de dialoguer avec lui-même en permanence, de ne pas succomber à la haine ni à la vengeance.

O. M.

Philippe Verdier, LE PROJET URBAIN PARTICIPATIF. Apprendre à faire la ville avec ses habitants, Gap, Yves Michel, coll. « Modes d’emploi/Adels », 2009, 264 p., 24, 50 €

On se plaint fréquemment ici même de la faiblesse de la démocratie urbaine (à ajouter à la fragilité de la démocratie politique et de la démocratie sociale) tout en rappelant souvent (ce fut encore le cas de Françoise Choay au terme d’un texte publié dans notre livraison de novembre) que la culture urbaine n’est guère valorisée dans ce pays. Cet ouvrage à finalité pédagogique répond à ces deux manques tout en s’inquiétant des conditions d’une dynamique citoyenne et participative. Les deux premiers chapitres s’interrogent successivement sur l’inscription corporelle et spatiale (dans espace il y a spes, l’espoir de quelque chose d’autre, ce que rend possible la mise en mouvement) et sur les valeurs qui sous-tendent la naissance du monde urbain qui, à juste titre, n’est pas pensé ici en opposition au rural. Un troisième chapitre propose un historique des formes et types d’urbanisme que l’Europe a pu connaître (Renaissance, haussmannisme…) et s’attarde sur les déconvenues « fonctionnalistes » du xxe siècle alors que s’impose aujourd’hui « l’urbain généralisé » à l’échelle planétaire. Enfin, en se focalisant sur la notion de projet, l’ouvrage de P. Verdier décline les erreurs à ne pas commettre pour dynamiser la démocratie urbaine et propose aux animateurs et politiques des pistes de réflexion pour lesquelles un territoire n’a de sens qu’en fonction des pratiques qu’il rend possible. Si ce livre tient ses promesses il offre un supplément qui est celui des dessins qui le rythment. Comme s’il fallait rappeler à l’heure du tout numérique (où l’écran remplace la présence physique sur le site) que le geste de dessiner consonne avec la mise en forme spatiale et le respect du geste manuel (voir ci-dessus la brève consacrée à l’ouvrage de J.-L. Nancy sur le dessin).

O. M.

Bénédicte Didier, PETITES REVUES ET ESPRIT BOHÈME À LA FIN DU XIXe SIÈCLE (1878-1889), Paris, L’Harmattan, 2009, 380 p., 34 ?

Les poètes improvisent dans les cafés, se regroupent en cénacles, publient une revue afin de populariser leurs œuvres, tentent de se faire connaître au prix d’innombrables « coups montés », dont certains s’avèrent bien drôles, bref se font remarquer tout en honorant la création littéraire et en rêvant au succès, non sans mal ! Dans cet entre-deux-guerres (1870 et 1914) vont fleurir de nombreuses revues dédiées à un « -isme » à la durée de vie généralement limitée. Néanmoins cette précarité ne nuit pas à l’originalité, comme par exemple le vers-librisme, qui généralise le procédé initié par Baudelaire et s’émancipe de la versification au nombre de pieds réguliers et à la rime imposée pour s’aventurer dans une prose poétisée, ou le décadentisme, qui entremêle les restes du romantisme à un symbolisme orientalisé. Bénédicte Didier remanie sa volumineuse thèse en un ouvrage savant qui s’attache aux instigateurs de ces revues « manifestes » dont la richesse a été sous-estimée par les critiques : La Plume de Jean de La Leude, L’Hydropathe de Paul Vivien, Le Chat noir de Rodolphe Salis, mais aussi Émile Goudeau et Alphonse Allais, Panurge d’Harry Alis, La Vogue de Léo d’Orfer et puis de Gustave Kahn ou encore Le Décadent d’Anatole Baju. La plupart de ces publications brandissent la jeunesse de leurs contributeurs comme étendard et s’en prennent à la famille, la religion, l’armée, l’argent sans pour autant faire l’apologie du collectivisme ou de l’anarchie, c’est l’art (?) qui les mobilise, c’est l’Art qu’ils vénèrent, ou plus exactement le statut social de « l’artiste » qui leur sied parfaitement. Le rôle de ces revues par rapport à la grande presse aurait mérité un chapitre de même que la notion d’« esprit bohème », mais le lecteur curieux trouvera dans les notes de ce travail universitaire de riches informations sur les pseudonymes de ces artistes engagés pour un art total…

T. P.

Bernard Poignant, VOYAGE AU CŒUR DU PARLEMENT EUROPÉEN, Paris, Fondation Jean-Jaurès, coll. « Les essais », 2009, 74 p., 4 €

Que fait un parlementaire à Strasbourg et Bruxelles ? En répondant simplement à cette question, par la description du travail d’un député, Bernard Poignant comble une véritable lacune de notre perception des institutions européennes. Peut-être le Parlement est-il trop dévalué dans les institutions françaises pour que nous accordions assez d’attention à l’intérêt de sa fonction. Il ressort en tout cas qu’un style parlementaire s’est développé entre députés européens au fil des années et que ceux-ci sont désormais très attachés, vis-à-vis des autres institutions européennes, à faire reconnaître leur manière d’agir et leurs contributions à la construction de l’Europe. En dehors des débats sur les perspectives d’évolution des pouvoirs du Parlement avec la ratification du traité de Lisbonne, l’intérêt de cette sorte de compte rendu de mandat est de faire sentir au lecteur les difficultés et les mérites de la rencontre d’élus de nationalités différentes. Regardant avec humour et distance sa propre expérience, le député sortant adresse cette recommandation à ses successeurs : « Le Parlement européen te fera prendre une cure d’humilité : accepte-la avec plaisir ! »

M.-O. P.

Textes réunis par Jean-Claude Gardes et Guillaume Doizy, RIDICULOSA, no 15. Caricature et religion(s), Brest, Université de Bretagne occidentale, 2008, 574 p

Né de manifestations autour de ce thème à Brest en mai 2008, ce très gros numéro de Ridiculosa mérite l’attention déjà par son illustration : deux gros cahiers photos reprennent en couleurs de nombreuses caricatures, d’époques et de pays très différents, par ailleurs reproduites en pleine page dans les textes qui en parlent. Ces derniers, une quarantaine, sont certes inégaux et font un peu kaléidoscope, mais leur diversité inédite et leur approche variée sont aussi un avantage. Le volume s’ouvre sur des usages iconoclastes de la religion dans le cinéma, la BD et des journaux satiriques récents. Il s’éparpille ensuite, au gré des sujets, tantôt plus généraux, tantôt et plus souvent assez précis et pointus, sur toute l’Europe et des débuts du christianisme à nos jours. Pour l’imagination caricaturiste, la religion a toujours été un puits sans fond d’inspiration et de création, selon les époques et les querelles du moment. Mention spéciale, malgré tout, à la tradition de la caricature anticléricale, même si ce livre manifeste aussi la profusion des « caricatures de Dieu » ou du Christ comme tels. Une curiosité à signaler : deux études sur les caricatures du bouddhisme, en l’occurrence de moines bouddhistes, en Asie. Elles présentent beaucoup d’analogie avec celles qui ciblent le clergé et ses turpitudes en Occident. La dernière partie (« Autour de Mahomet ») traite du plus actuel ; les thèses et partis pris de leurs auteurs, plus ou moins explicites, mériteraient discussion. Il manque peut-être dans ce volume imposant une évaluation plus quantitative du dessin antireligieux (par rapport au politique par exemple). Quoi qu’il en soit, avec la reproduction des caricatures, il fera référence.

J.-L. S.

En écho

L’AVIDITÉ – « Un petit détail comme l’avidité », revue Penser/rêver (Paris, Éd. de l’Olivier, automne 2009, no 16). La devise de la revue est formulée ainsi : « Penser/rêver : pour entrer dans le trouble de la réalité intérieure, dans la déraison du monde, voir ce qu’il en est de nous. » Dans cette optique, la dernière livraison de cette revue explore l’avidité sur le plan de la nourriture (Laurence Kahn) et se penche sur les déraisons de l’Homo oeconomicus. Mais c’est le texte de Jean-Michel Rey qui retient particulièrement l’attention : dans « La haine de savoir », l’auteur du Temps du crédit (Ddb, voir son entretien dans Esprit, « Qu’est-ce que faire crédit ? », mars 2005, en accès libre sur notre site) commente des propos de Simmel, Bentham ou La Boétie et s’arrête sur cette phrase de Paul Valéry afin de comprendre les ressorts obscurs de la politique et de l’économie : « Peu de contraintes sociales, écrit Valéry – justice, guerre, fiscalité, formalités, etc. –, supportent d’être énoncées en toute netteté – sans se montrer bientôt des applications arbitraires de la force, et l’échange d’un mal réel contre un bien hypothétique. » Ce qui n’est pas sans lien avec une crise de confiance (celle de l’automne 2008) qui a mis à nu des pans entiers de cette force peu visible que l’on s’est empressé de recouvrir au nom d’une confiance retrouvée. On pourra également prendre connaissance de la jeune revue Incidences. Philosophie, littérature, sciences humaines et sociales (Paris, Éd. Le Félin, 2008-2009, no 4-5, incidence.redaction@gmail.com) qui traite de la question des rapports de Michel Foucault avec la psychanalyse (articles de Jacques Lagrange, John Forrester, Judith Butler, P.-H. Castel, entretien avec Roger Ferreri et Frédéric Gros).

LE LIBÉRALISME EN CRISE – L’Économie politique (décembre 2009, no 44) propose un dossier très éclairant qui rappelle ce qui sépare le libéralisme économique du néolibéralisme économique (une relecture du thème de la main invisible cher à Adam Smith complique la vision que l’on peut avoir de cet auteur, un article plus historique rappelle que la crise économique de la fin du xixe siècle est à l’origine d’une approche plus démocratique et sociale du libéralisme). Mais, parallèlement, des articles montrent comment la transformation du libéralisme en néolibéralisme a été le fait de groupes de pression, à commencer par celui des banquiers et industriels suisses dès les années 1950.

L’IMPASSE DU TIBET – Soixante ans après l’entrée des premières troupes de l’Armée populaire de libération à Lhasa, le problème tibétain demeure. Après les mouvements de protestation (1956-1959, 1987-1989, printemps 2008), Perspectives chinoises (2009, no 3) consacre un dossier substantiel au Tibet. Comme les mouvements de révolte au Tibet relèvent de causes multiples et complexes, les questions sont ainsi formulées et posées dans l’éditorial d’Élisabeth Allès et Françoise Robine : « Quelle est la part de la contestation économique ? Quelle est celle de la revendication politique et culturelle ? Quelle est la part de la religion dans la révolte ? Quel est le rôle des populations des Han et des Hui présentes dans les villes et l’impact des politiques de sédentarisation ? Comment les autorités chinoises traitent-elles la question tibétaine ? »

Avis

Directeur de la revue Le Débat, éditée par Gallimard, Pierre Nora est depuis plusieurs décennies le responsable éditorial de collections (dont la « Bibliothèque des histoires » est la plus connue) qui ont accompagné l’histoire de cette maison d’édition depuis les années 1960 et l’évolution des sciences humaines. À tort nous avons laissé entendre (voir l’article intitulé « Révolution et émancipation, les accidents du xxe siècle » dans notre numéro d’octobre 2009) qu’il avait refusé d’éditer chez Gallimard le livre d’Eric Hobsbawm (l’Âge des extrêmes publié aux éditions Complexe) sur l’histoire de l’Europe au xxe siècle. Pierre Nora nous a fait savoir qu’il s’agit là d’une rumeur totalement infondée et non pas d’un « fait historique ». Si nous sommes désolés d’avoir contribué à diffuser une idée qui n’a pas lieu d’être, il n’y avait là aucun sous-entendu idéologique ou d’un autre ordre de notre côté. Par ailleurs, force est de reconnaître que la revue Le Débat a publié il y a quelques années un dossier substantiel sur l’Âge des extrêmes d’Eric Hobsbawm qui manifeste l’intérêt de l’éditeur pour ce livre.

Olivier Mongin

Les conférences « Esprit Public », organisées par Terra Nova, Esprit. Alternatives économiques et la mairie du 3e arrondissement de Paris ont repris. Le mardi 8 décembre, le sociologue Serge Paugam présentera ses propositions pour une action efficace contre la grande pauvreté (19 h-21 h, salle Odette Pilpoul, mairie du 3e, 2, rue Eugène-Spuller, 75003 Paris, renseignements : 01 53 01 75 45).

En association avec l’École nationale de la magistrature, Esprit, le Centre Perelman de philosophie du droit et le Centre de théorie politique de l’Université Libre de Bruxelles, l’Institut des hautes études sur la justice consacre cette année le séminaire de philosophie du droit aux « Figures de l’anti-juridisme. De la pensée française à la critique des droits de l’homme ». Ces travaux permettront d’écouter le 7 décembre 2009 Tristan Strome : « Exception, décision, dictature et anti-droit-de-l’hommisme : actualité de Carl Schmitt en France ». 11 janvier 2010, Justine Lacroix : « Le droit-de-l’hommisme. Retour sur un débat français ». 25 janvier 2010, Pierre Guenancia : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (la critique pascalienne du droit et de la politique). 8 février 2010, Philippe Raynaud : « Les Lumières françaises et la monarchie : aux origines de l’“antijuridisme” français ». 15 février 2010, Laurent de Sutter : « Après la critique du droit (à propos d’Althusser) ». Les conférences ont lieu de 18 h à 20 h à l’Enm, 3ter, quai aux fleurs, 75004 Paris ou sont accessibles sur internet (www.ihej.org). Contacts : jhubr echt@ihej.org ; mchami@ihej.org, Tel: 01 40 51 02 51, Fax: 01 44 07 13 88.

Nous compléterons le mois prochain notre parcours dans les « contrecoups de la crise » en proposant une série d’articles sur les notions remises en avant dans l’année écoulée. On a beaucoup parlé, en effet, des excès du marché et de la dette, du risque, de l’usage des chiffres, de l’impartialité des marchés, des biens communs, du droit de propriété… Mais aucune de ces notions ne va de soi, elles ont une histoire, des sens multiples, elles cachent des malentendus, elles demandent à être précisées. Après avoir interrogé les économistes sur la discipline dans notre numéro de novembre, nous donnons la parole à des philosophes qui s’interrogent sur les termes utilisés dans le savoir économique. Ils feront ainsi échos aux interrogations soulevées dans le présent numéro sur les évolutions possibles de notre modèle économique confronté aux limites de l’exploitation des ressources naturelles.

  • 1.

    Pour faciliter l’exposé, nous utilisons dans le texte le terme de « grand-parent » pour désigner les parents de la femme qui a accouché, bien qu’ils ne soient pas, juridiquement, les « grands-parents ».

  • 2.

    Contrairement à d’autres affaires, ne viennent pas en plus s’ajouter des parents adoptifs, l’enfant n’ayant pas été placé dans une famille adoptive (voir infra).

  • 3.

    Arrêt no 916 du 8 juillet 2009 de la 1re chambre civile de la Cour de cassation. Des parents avaient découvert dans les papiers de leur fille, après son décès, qu’elle avait accouché d’un enfant en décembre 2005, dans l’anonymat. Ils avaient retrouvé la trace de l’enfant et étaient intervenus pour s’opposer à son adoption et pour réclamer l’établissement d’un lien de filiation.

  • 4.

    Une différence malgré tout existe entre ces deux affaires : pour celle du Tgi d’Angers, l’enfant n’a pas été placé dans une famille en vue de son adoption, contrairement à l’affaire jugée par la Cour de cassation où l’enfant vivait déjà dans sa future famille adoptive, élément qui a pu renforcer le rejet par la cour de la demande des « grands-parents ». La décision du Tgi d’Angers aurait-elle été différente si l’enfant avait déjà été placé ? Il n’en demeure pas moins que l’élément commun à ces deux affaires est celui d’une femme qui a accouché de manière anonyme, et que la Cour de cassation a considéré que cet accouchement rompait toute filiation à l’égard de la mère, et donc de ses ascendants. On ne voit pas en quoi dans l’affaire en cause cette appréciation devrait être différente, sauf à considérer comme le Tgi d’Angers s’y est employé, que la fille ayant autorisé sa mère à voir l’enfant, aurait levé le caractère anonyme de cet accouchement, le vidant ainsi de ses effets.

  • 5.

    Voir le dossier publié par Esprit : « La filiation saisie par la biomédecine », mai 2009.

  • 6.

    A contrario, si le droit était ouvert à tous les « grands-parents » qui établissent ce lien génétique, nous pourrions envisager le cas où les « grands-parents » paternels se manifesteraient à leur tour pour faire établir leur lien biologique. Comment s’organiserait alors la « garde » de l’enfant ? Qui serait plus légitime qu’un autre ?

  • 7.

    Article L 224-8 du code de l’action sociale et des familles : « L’admission en qualité de pupille de l’État peut faire l’objet d’un recours […] par les parents […], par les alliés de l’enfant ou toute personne justifiant d’un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde de droit ou de fait et qui demandent à en assumer la charge. »

  • 8.

    La loi du 16 janvier 2009 sur la filiation permet désormais à l’enfant d’effectuer une action en recherche de maternité même dans le cas d’un accouchement anonyme, sauf s’il a été adopté.

  • 9.

    À noter que si l’adoption plénière rompt les liens entre l’enfant et sa « famille d’origine », « elle n’empêche pas pour autant d’accorder à des tiers, parents ou non, donc y compris des grands-parents “de fait”, le droit d’entretenir des relations avec l’adopté, si c’est son intérêt (Code civil, art. 371-4) ». Pascale Salvage-Geres, « Les grands-parents et l’adoption de leurs petits-enfants », Droit de la famille, Lexis-Nexis, octobre 2009.

  • 10.

    Début novembre 2009, leur avocate se prononçait pour l’une des deux dernières possibilités.

  • 11.

    Commentaire de Françoise Dekeuwer-Defossez au sujet de l’abolition de la fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité tirée de l’accouchement anonyme décidée par la loi du 16 janvier 2009 dans « La loi du 16 janvier 2009 sur la filiation : bien plus qu’une simple ratification ! », Revue Lamy droit civil, 2009.

  • 12.

    Un autre risque étant que cette perte de l’anonymat conduise à une hausse des accouchements « sauvages », hors du milieu médical, préjudiciables tant à la femme qui accouche qu’au nouveau-né, puis des abandons (d’enfants qui auraient encore moins de possibilités de recouvrer leurs origines), voire des infanticides.

  • *.

    Guillemette Leneveu est directrice générale de l’Union nationale des associations familiales (Unaf). Gilles Séraphin est rédacteur en chef de la revue Recherches familiales et sous-directeur en charge de la recherche, des études et des actions politiques à l’Unaf. Ce texte n’engage cependant que leurs auteurs et en aucun cas l’institution qui les emploie. Voir leurs précédents articles dans Esprit : Guillemette Leneveu, « Tests génétiques : le passage en force », novembre 2007 ; Gilles Séraphin, « L’accès aux origines : les ressorts d’un débat passionné », mai 2009.

  • 13.

    Will Self, The Quantity Theory of Insanity, Londres, Bloomsbury Press, 1991 (trad. fr. : la Théorie quantitative de la démence, Paris, Éditions de l’Olivier, 2000).

  • 14.

    Id., Vice-versa, Paris, Éditions de l’Olivier, 1996.

  • 15.

    Id., Ainsi vivent les morts, Paris, Éditions de l’Olivier, 2001.

  • 16.

    Id., The Book of Dave, Londres, Viking/ Penguin, 2006.

  • 17.

    W. Self, No Smoking, op. cit., p. 138.

  • 18.

    Philip Roth (entretien), « Ceux qui lisent et écrivent sont une survivance », Le Monde, 3 octobre 2009.

  • 19.

    Le dernier livre de P. Roth, The Humbling, vient de sortir. Les lecteurs français devront-ils, comme pour Exit, attendre deux ans avant de pouvoir le lire ?

  • 20.

    E. Benbassa, la Souffrance comme identité, Paris, Fayard, 2007 (voir le compte rendu dans Esprit en juin 2007).

  • 21.

    Saskia Sassen, la Globalisation. Une sociologie, Paris, Gallimard, coll. « Nrf essais », 2009.