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Notes de lecture

Dans le même numéro

Primo Levi ou la tragédie d’un optimiste de Myriam Anissimov

juin 2022

En 1987, Primo Levi mettait fin à ses jours en se jetant dans l’escalier de l’immeuble qui l’avait vu naître en 1919. Moins de dix ans après, en 1996, Myriam Anissimov publiait la première biographie consacrée à l’auteur de Si c’est un homme, rééditée cette année dans une version actualisée. M. Anissimov s’appuyait notamment sur le recueil de témoignages de premier ordre des proches de l’écrivain et chimiste turinois.

Dans cette biographie, elle revient longuement sur son œuvre la plus connue et sur les qualités de l’écrivain : « le témoin intègre, le procureur calme et précis, qui en appelle à chaque lecteur pour la reconnaissance des crimes qui furent commis, et leur sanction, pas plus, pas moins ». À cela s’ajoutent sa formation scientifique et sa nationalité italienne, très minoritaire au sein des prisonniers, qui firent de lui un excellent observateur de son Lager, qu’il considérait comme son « université ». Plus largement, l’œuvre de Levi peut se lire comme une réflexion sur le bien et le mal, sans aucun manichéisme, l’auteur consacrant de nombreux développements à ce qu’il appela la « zone grise ». Même si Levi estime que les déportés se transforment à jamais en victimes, ses livres sont aussi marqués par la culpabilité du survivant. Levi pense que les disparus auraient été les plus légitimes pour témoigner, tout en étant les meilleurs sur le plan moral. Pour autant, toute la vie de l’écrivain est guidée par le besoin et le souci de témoigner, dans le style le plus lisible possible.

Dès son retour de captivité, il écrit Si c’est un homme en parallèle de son emploi de chimiste. La publication du livre en 1946 est très difficile et se fait dans une relative indifférence. En conséquence, il privilégie sa carrière professionnelle pendant plus d’une décennie. S’il aime beaucoup son travail, comme en témoigne plus tard son livre La Clé à molette, il se remet à écrire dans les années 1960 après la réédition de Si c’est un homme et ses premières traductions en allemand et en anglais. Son œuvre la plus célèbre ne sera publié correctement en français qu’en 1986, soit un an avant sa disparition. En 1963, il livre son témoignage de sa fin de guerre en Russie avec La Trêve. Douze ans après, son ambitieux Système périodique lui offre la consécration dans son pays.

Sa reconnaissance en tant qu’homme de lettres est néanmoins tardive et limitée. Il reste associé à la Shoah et marginalisé du fait de son activité de chimiste. Il s’essaie toutefois au roman historique avec Maintenant ou jamais, dans lequel il revient sur sa rencontre avec l’univers yiddish lors de son année à Auschwitz. À cette même occasion, le juif italien très intégré qu’il était avait aussi découvert sa judéité. En 1984, Le Système périodique est traduit aux États-Unis et rencontre un grand succès qui bénéficie à l’ensemble de son œuvre.

Prenant une retraite anticipée, il entame une vie d’écrivain à temps plein. Levi devient alors très sédentaire. Il est en effet accablé par la charge de sa mère et de sa belle-mère vieillissantes. Ses dernières années sont traversées par des épisodes de dépression, qui se reflètent dans sa poésie à la tonalité beaucoup plus sombre que le reste de son œuvre. Le dernier livre publié de son vivant (Les Naufragés et les Rescapés) constitue une nouvelle réflexion sur l’univers concentrationnaire. Ses ultimes préoccupations se concentrent autour de la responsabilité des scientifiques, la réconciliation entre culture et science, et l’environnement.

Avec un grand souci de la contextualisation tout en faisant une large part aux extraits de l’œuvre de Levi, Myriam Anissimov nous donne ainsi à lire le beau portrait d’un humaniste héritier des Lumières au cœur de l’horreur de l’histoire.

Points, 2022
896 p. 9,90 €

Benjamin Caraco

Docteur en histoire et conservateur des bibliothèques, Benjamin Caraco est chercheur associé au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (UMR 8058) et coordonne la rédaction du site Nonfiction.

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La démocratie des communs

Les « communs », dans leur dimension théorique et pratique, sont devenus une notion incontournable pour concevoir des alternatives à l’exclusion propriétaire et étatique. Opposés à la privatisation de certaines ressources considérées comme collectives, ceux qui défendent leur emploi ne se positionnent pas pour autant en faveur d’un retour à la propriété publique, mais proposent de repenser la notion d’intérêt général sous l’angle de l’autogouvernement et de la coopération. Ce faisant, ils espèrent dépasser certaines apories relatives à la logique propriétaire (définie non plus comme le droit absolu d’une personne sur une chose, mais comme un faisceau de droits), et concevoir des formes de démocratisation de l’économie. Le dossier de ce numéro, coordonné par Édouard Jourdain, tâchera de montrer qu’une approche par les communs de la démocratie serait susceptible d’en renouveler à la fois la théorie et la pratique, en dépassant les clivages traditionnels du public et du privé, ou de l’État et de la société.