
Chroniques de l’Europe sous la dir. de Sonia Bledniak, Isabelle Matamoros et Fabrice Virgili
Les auteurs proposent avec succès une autre manière de questionner l’Europe, en pointant « ce qui fait date », et rendent vivante une histoire où l’idée et le sentiment européens se dessinent par petites touches.
En 1886, la Suisse organise une conférence « pour l’unité technique des chemins de fer et la fermeture des wagons à marchandises devant passer en douane ». Certains pays européens s’entendent pour utiliser le même modèle de clé, permettant à un train de traverser presque tout le continent sans problème d’ouverture ou de fermeture. Ce processus de standardisation fait partie des cent vingt-quatre dates retenues pour le recueil des Chroniques de l’Europe. Ces récits traitent tous de la même question : comment un fait devient-il un événement (quelle trace laisse-t-il ?) et quelle est sa résonance européenne ?
Les plus de quatre-vingts autrices et auteurs et le choix des dates, de 1405 à 2020, se concentrent sur la technique, les idées, l’environnement, l’économie ou les arts, tout en mettant de côté l’histoire institutionnelle : ainsi, l’organisation du réseau européen de communications de Maximilien Ier au tout début du xvie siècle par deux Vénitiens, les Tassi ; l’arrivée de la tomate et sa diffusion à partir de 1613, ou encore la naissance d’un héros pour la littérature jeunesse avec Robinson Crusoé en 1719. Si certains événements relatés sont connus (l’exil des huguenots français, le mouvement Paneuropa de Coudenhove-Kalergi, Simone Veil présidente du premier Parlement européen élu au suffrage universel), d’autres sont traités à partir d’un angle original, comme la Révolution française vue par les femmes européennes, la première victime du mur de Berlin, ou les morts de correspondants de guerre à Budapest et à Suez.
En regard du texte principal, des documents (photos, dessins, affiches) prolongent le récit. Surtout, l’événement est proposé dans un contexte global. Par exemple, en 1817, en Écosse, Robert Owen, directeur d’une usine de coton, propose de diviser la journée en trois parties égales (travail, loisir, repos). Ce récit s’inscrit au sein d’une frise chronologique partant de 1516, quand Thomas More imagine la journée de travail de six heures, en passant par 1880, avec l’affirmation d’un « droit à la paresse », et allant jusqu’à 2020, quand le Parlement européen propose un droit à la déconnexion. Les échos européens, sur le temps long, à des événements apparemment secondaires donnent corps à une histoire commune. L’Europe n’a pas attendu le traité de Rome pour exister et s’incarner.
Le danger est naturellement de lire une succession de faits singuliers, sans rapport les uns aux autres. Or le foisonnement de l’ouvrage témoigne justement de la complexité de l’objet « Europe » dans toutes ses dimensions. Les auteurs proposent avec succès une autre manière de questionner l’Europe, en pointant « ce qui fait date », et rendent vivante une histoire où l’idée et le sentiment européens se dessinent par petites touches.
Ce livre est finalement le témoin d’une réflexion sur l’histoire de l’histoire de l’Europe.
Complément d’une approche plus classique, celle des traités et des relations entre les États, ces chroniques ont toute leur place dans la bibliothèque de l’étudiant et du citoyen.