
Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?, de Christopher Stone
Professeur de droit inquiet du peu d’intérêt de ses étudiants pour ce qu’il raconte, Christopher Stone s’empare de l’opposition du Sierra Club à la société Disney qui veut ouvrir une station de ski dans une vallée californienne riche en séquoias. La cour rejette la demande en arguant que le Sierra Club n’est victime d’aucun préjudice personnel. Or il voulait défendre les arbres… Et si ceux-ci avaient aussi des droits ? C’est le sujet de son enseignement de 1971 et de l’article de 1972, enfin traduit. La très riche préface de Catherine Larrère rappelle le propos du juge de la Cour suprême William O. Douglas qui se demandait alors pourquoi ne pas ouvrir les tribunaux « aux rivières, aux lacs, aux estuaires, aux plages, aux crêtes montagneuses, aux bosquets d’arbres, aux marais, et même à l’air », avant d’établir un précieux historique des principales contributions qui se préoccupent des droits du vivant (Peter Singer, Richard Routley, Arne Naess…) à la suite d’Aldo Leopold. Stone revient sur son article en 1985 afin de l’actualiser et d’y ajouter la question du pluralisme, que contesta John Baird Callicott, partisan du monisme. La position de Stone fut ridiculisée par Luc Ferry, pour qui seule l’humanité possède une personnalité juridique, fermant ainsi toute possibilité de débat. Heureusement, nous n’en sommes plus là : l’Équateur, en 2008, confère à la nature la qualité de sujet de droit, la Bolivie édicte une « loi sur les droits de la Terre mère » en 2010, tandis que les fleuves Whanganui en Nouvelle-Zélande et le Gange et la Yamuna en Inde acquièrent la personnalité juridique. Aux États-Unis, la Community Environmental Legal Defense Fund (Celdf) défend des écosystèmes dégradés ou saccagés par des activités industrielles ou touristiques. À la suite de Baptiste Morizot, Catherine Larrère évoque la diplomatie afin de régler les conflits entre « populations humaines et non humaines ». Le long article technique de Stone mérite d’être lu, après cet éclairage philosophico-juridique, et l’on comprend mieux son argumentation. Pourquoi ne pas tenir compte des fleuves et des forêts, à qui certains reprochent de ne pas parler, alors même que des multinationales ou des collectivités territoriales ne parlent pas non plus et pourtant agissent, parfois au détriment de la « nature » ?