
Psychanalyse de l'aéroport international, de Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon
Les auteurs se focalisent sur un « lieu » si particulier, l’aéroport international, dont un célèbre anthropologue a pu faire l’idéaltype du « non-lieu ». Remarquablement illustré, au point que les images, photographies et captures d’écran participent pleinement à la thèse du livre : l’aéroport international, dans toutes les mégalopoles (Atlanta, Dubaï, Tokyo, Chicago, Hong Kong, Shanghai, Bombay, Paris, etc.), est « le lieu le plus normalisé et invariant qui soit. Son organisation est semblable d’un pays à l’autre. Les circulations sont rationalisées, l’air est conditionné, les commerces sont standardisés. Il constitue l’un des dispositifs les plus complexes, homogènes et aboutis produits par la modernité ». Ce « modèle » est facile à reproduire, donc à généraliser, aussi colonise-t-il « de nombreux équipements urbains : les gares, les institutions politiques, les monuments, les stades, les salles de concert, les musées, les hôtels internationaux, les malls et les boutiques duty free en centre-ville, les chaînes de restauration à la signalétique bilingue, les écoles, les universités, les bureaux paysagers, les aires d’autoroute ». La hantise de l’attentat terroriste génère un éventail incroyable de contrôles policiers qui met à mal la liberté du voyageur, sans que celui-ci s’y oppose, puisque c’est pour son bien ! Seules quelques militantes féministes dénoncent les attouchements suspects et parfois intimes dont leur corps fait l’objet, vidéo-surveillé, scanné, analysé par la caméra thermique, palpé, sondé, etc. Les technologies de pointe sont utilisées au point qu’aucun passager ne sort indemne de ces contrôles effectués au nom de la « transparence » ! Un tel « lieu » clinique impose à chaque « habitant » (personnel de l’aéroport, membres des équipages, policiers, commerçants, passagers, etc.) ses comportements dûment temporalisés. Tout est prédéterminé par la logique fonctionnelle d’une telle « ville » artificielle, mais admirablement gérée, telle une dystopie parfaite. Ce qui n’empêche pas un pilote de devenir fou, un passager de se déshabiller dans le hall, une femme exténuée de crier ou de se rouler par terre en larmes. Aussi propose-t-on des massages, des transats, des caissons silencieux, des pièces de recueillement interreligieux et même des animaux domestiques pour la détente… L’entassement est la règle pour contrôler une telle masse de passagers avec des files d’attente bien délimitées pour découper les attentes. Seule la première classe est prioritaire et dispose d’une cabine relativement spacieuse et luxueuse. Prendre l’avion n’a rien d’agréable, aussi est-ce pour comprendre ce masochisme que les auteurs optent pour une psychanalyse. Ouvrage salutaire qui appelle, de fait, à une décroissance des déplacements aériens et au refus de toutes les formes de contraintes volontaires…
Thierry Paquot