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Vers l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne

Le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européen accordé à l’Ukraine en juin dernier engage toute l’Europe, au-delà du soutien financier et militaire à Kiev. La perspective d’une intégration dans les institutions de l’Union dessine pour le pays un horizon d’avenir, un chemin pour l’après-guerre.

Le 16 juin 2022, Emmanuel Macron, Olaf Scholz et Mario Draghi sont allés à Irpin et à Kiev, accompagnés du président roumain, Klaus Iohannis. Pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine, le président français et les chanceliers allemand et italien ont exprimé sans ambiguïté une politique d’engagement sur la durée, « jusqu’à la victoire de l’Ukraine », libre, indépendante et souveraine sur la totalité de son territoire. « Cette guerre changera l’avenir de l’Europe. […] C’est en Ukraine que se joue la sécurité européenne », a dit le président français pendant la conférence de presse. Ainsi, la stratégie européenne est posée : les Ukrainiens, avec tous les Européens et les alliés, doivent gagner cette bataille contre Moscou, coupable de « barbarie ». Enfin, E. Macron et O. Scholz reconnaissent que Vladimir Poutine ne veut pas la négociation, mais la guerre et la destruction. Enfin, ils admettent que la solution n’est pas à Moscou, mais en Europe.

La période des atermoiements, demi-mesures et autres « oui, mais » semble révolue. Il était temps, car le président Zelensky avait perdu patience et confiance dans les trois grands pays fondateurs de l’Union européenne. Le meilleur gage de ce changement de position est l’octroi du statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne, statut que la France, l’Allemagne, l’Italie et la Roumanie se sont engagées à accorder aux Ukrainiens « immédiatement ». Le vote du Conseil de l’Union européenne, le 23 juin prochain, se présente sous de bien meilleurs auspices qu’au début du mois.

Rappelons que les institutions européennes soutiennent la candidature de l’Ukraine et de la Moldavie depuis des semaines. Ursula von der Leyen et Charles Michel se sont exprimés régulièrement sur ce sujet. La présidente de la Commission a redit, le 17 juin, qu’elle demandait avec force le statut de candidat pour ces deux pays voisins. À Chisinau, le 15 juin, Emmanuel Macron a assuré la présidente moldave de son soutien pour l’obtention du statut de candidat.

Le Parlement européen soutient très majoritairement cette décision. Le 9 juin, les dirigeants de tous les groupes politiques ont signé un communiqué de presse appelant les vingt-sept États membres à accorder le statut de candidat à l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. Par ailleurs, le Montenegro, la Macédoine du Nord et l’Albanie ont signé un communiqué commun demandant à l’Union européenne d’accorder le statut de candidat à l’Ukraine.

Ainsi, les Européens dans leur ensemble ont pris la mesure du renversement provoqué par l’agression russe contre l’Ukraine. Ils ont compris que cette guerre ne ressemblerait à nulle autre et qu’elle engagerait toute l’Europe bien au-delà d’un soutien financier et militaire à Kiev. Cependant, une partie des élites politiques et économiques, notamment en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, au Danemark et au Portugal, ont résisté face à l’emballement de l’histoire et à l’urgence d’une nouvelle stratégie. 

Il a fallu près de quatre mois de destruction et de crimes pour que les dirigeants français et allemand modifient radicalement leurs positions. Pourquoi ? Dans nos deux pays, un ensemble de facteurs a bloqué l’analyse critique, clinique, stratégique, du renversement que produisait cette guerre1. Les facteurs politiques tiennent au calendrier des élections, au difficile équilibrisme de dirigeants « centristes » et à une idéologie souverainiste, arrogante, teintée d’anti-américanisme et parfois d’euroscepticisme, dans un contexte général d’oubli de la « fragilité de la paix », comme l’a reconnu Emmanuel Macron à Kiev. Les facteurs économiques sont bien connus : dépendance énergétique, industriels puissants, lobbies et intérêts corporatistes installés au cœur de l’État, qui ont nourri l’indulgence coupable à l’égard du système Poutine. Enfin, les postulats géopolitiques d’un autre temps ont brouillé l’entendement : respect de la « grande puissance russe » et de sa « sphère d’influence ; défiance envers les « petits États nationalistes » de l’ex-URSS ; réticence face à la « domination » stratégique des États-Unis ; stratégie souverainiste de l’État fort, non contraint par l’Union européenne ou l’Otan. À ceci s’ajoute la crainte des migrations et la peur de l’extension de la guerre, qui ont nui à la compréhension des événements et nourri des positions attentistes, parfois hostiles à l’Ukraine.

Pourquoi le statut de pays candidat revêt-il une telle signification aujourd’hui, pour l’Ukraine et pour nous ? L’engagement des vingt-sept États membres donnera aux Ukrainiens, écrasés par la tragédie, un espoir d’avenir, une raison pour continuer à se battre et survivre. En effet, la perspective d’entrée dans nos institutions dessine un chemin pour l’après-guerre. Les années de préparation, en coopération étroite avec l’Union européenne, sont accueillies par les Ukrainiens comme une chance de réformer leur État en profondeur et d’assurer leur sécurité, tant civile que militaire. La route sera longue et ardue, mais elle confortera l’Ukraine dans son appartenance au monde européen, à un monde de droit, de justice et de paix.

Le sens des responsabilités des citoyens ukrainiens est impressionnant. Depuis le début de l’agression, ils démontrent une remarquable capacité d’organisation et de gouvernement au niveau local, régional, national, face à toutes les urgences d’une économie de guerre : gestion du ravitaillement, gestion des personnes déplacées, communication et information, services publics, écoles, transports, tribunaux, hôpitaux et morgues, enquêtes sur les exactions. L’Ukraine a fait beaucoup de progrès depuis la première occupation russe en 2014 et a déjà avancé sur ce parcours vers l’Union européenne. Seulement, nombreux étaient ceux qui ne le savaient pas ou ne voulaient pas le croire. La désinformation russe contre l’Ukraine se propageait allègrement dans nos médias et au sein de nos élites. Nous découvrons ce que les 45 millions d’Ukrainiens pourront apporter à l’Union européenne.

Désormais, tous les gouvernements européens appellent à un soutien inconditionnel à l’Ukraine et à la victoire de la République attaquée, pour qu’elle retrouve la souveraineté sur la totalité de son territoire, Crimée incluse. Il n’est plus question de prendre en compte les intérêts russes ou de calmer Poutine. Le danger russe ne nous paralyse plus. Plus personne ne croit aujourd’hui en une solution à Moscou. La solution appartient à l’Ukraine, avec le soutien de ses alliés, de l’Organisation des Nations unies et de nombreuses organisations et associations dans le monde.

En détruisant les villes d’Ukraine et en martyrisant les populations, Vladimir Poutine a définitivement enterré la « sphère d’influence de la Grande Russie ». Belarusses, Géorgiens, Moldaves et Ukrainiens refusent de vivre sous la domination de la dictature. Et la fin de la sphère russe met donc fin au « voisinage oriental » de l’Europe. Aucun État, aucune nation, ne peut vivre en sécurité dans une zone grise, coincé entre Moscou et l’Europe. Les pays de l’entre-deux rejoindront l’Union européenne, à leur rythme, car il n’existe pas de troisième voie. Le besoin est vital pour un pays démocratique d’appartenir à un ensemble multilatéral, organisé dans le respect du droit, la règle institutionnelle, la justice, et la sécurité de chacun.

 

  • 1. Voir le dossier « En Ukraine et en Russie, le temps de la guerre », Esprit, avril 2022.

Marie Mendras

Politologue, Marie Mendras est chercheure au CNRS et au Centre de Recherches Internationales de Sciences Po, où elle enseigne. Elle est spécialiste de la Russie, de l’Ukraine et des relations Europe-Russie. Elle travaille sur le système politique et les élites russes, ainsi que sur les conflits menés par Moscou hors de ses frontières. Marie Mendras a rempli de nombreuses missions d’observation…