
L'apologie d'Avital Ronell
La suspension d’Avital Ronell de l’université de New York après une accusation de harcèlement sexuel envers un étudiant pose question. S’il a bien libéré la parole, le mouvement #MeToo impose une lecture unique et un tribunal populaire qui condamnent avant de juger.
Depuis quelques jours – et cela va continuer –, les journaux affichent à la façon d’un scoop le fait qu’Avital Ronell, la « philosophe féministe », a été suspendue pour des accusations de harcèlement sexuel[1]. Pour les journalistes, le scoop tient au fait, d’une part, qu’une femme féministe se retrouve au banc des accusés, d’autre part, qu’une horde de féministes aux positions universitaires prestigieuses rédige une lettre de soutien à celle-là même qui s’exerce à la violence le plus souvent imputée aux hommes. Voilà que #MeToo se « renverse[2] » : parmi les femmes, en celles qui auraient été en première ligne pour dénoncer le harcèlement et le patriarcat qui en serait l’explication ultime, se cachent celles qui en réalité abusent de leur pouvoir au moment même où elles voudraient défendre les victimes et celles qui ne veulent pas voir les abus de pouvoir des femmes.
La journaliste qui tient ce scoop peut se féliciter de sa perspicacité herméneutique. Grâce à des informations probablement récoltées en quelques heures, elle a tout compris et elle a tout dit ! L’affaire est close et concluante : non seulement les femmes aussi peuvent être en position d’abuser de leur pouvoir, mais les féministes sont incohérentes quand il s’agit d’interroger leur propre machisme.
Mais ce coup de génie herméneutique doit nous interroger car ce qu’il révèle, c’est la façon dont ce qu’on appelle le mouvement #MeToo (et dont le caractère de mouvement tient à la façon dont il s’est mondialisé et, par-là, dont il s’est quasiment institutionnalisé[3]), constitue une matrice herméneutique unique et entièrement constitutive de l’actualité (et donc des faits). Cette matrice permet non seulement de lire mais de rendre visibles et publics des faits qui seront à leur tour considérés comme des événements. Or, si quelque chose peut être rendu visible, c’est qu’on peut le lire. Si une information peut circuler si vite et être reprise en boucle, c’est qu’on dispose de toutes les coordonnées pour la comprendre. #MeToo, qui n’est pas un mouvement au sens classique du terme, est justement la propagation de cette matrice. Ce qui bouge avec #MeToo, c’est certes la parole « des femmes » (et des hommes !) qui, dans un premier temps, s’est mobilisée. Mais cette mobilisation n’obtient la force d’un mouvement qu’en constituant voire en imposant une herméneutique, c’est-à-dire par un coup de force qui stabilise le sens. Il n’y a pas, derrière #MeToo, des militants, des individus qui agissent en leur nom ou au nom d’un parti : l’événement politique que constitue #MeToo réside uniquement dans le type de communication qu’il fait naître. Il incite à dire dans la mesure où l’on peut lire, c’est-à-dire dans la mesure où toute une série de signes ou de faits entrent dans une même matrice explicative[4].
Tout faire (lire)
Le cas d’Avital Ronell est emblématique de ce coup de force herméneutique. Tout y est lu et rendu visible selon une même grille de lecture où tout s’enchaîne sans qu’on n’ait rien à prouver, à démontrer et surtout à remettre en question : une femme accusée ou jugée coupable de harcèlement est la preuve que les femmes participent au même titre que les hommes de la violence du patriarcat ; une lettre dont les signataires sont multiples (et certainement pas tous féministes !) et de multiples provenances constitue l’événement d’une contradiction du féminisme voire d’un renversement de #MeToo. Cette grille de lecture étant solidement instituée, son consensus étant indiscutable, on peut alors tout faire, c’est-à-dire tout faire lire : on peut rendre publics des fragments de correspondance qui sont par définition privés et qui n’ont souvent de sens que dans le secret (inviolable) d’une correspondance ; on peut par là rendre signifiant ce qui ne l’est peut-être pas ; on peut réduire à une seule et même sémantique ce qui par définition est polysémique et peut-être échappe à toutes les sémantiques (peut-on instituer une frontière sûre entre des mots d’amour, l’expression d’un phantasme érotique, un jeu verbal privé, une communication définie par l’ironie et l’humour ?) ; on peut lire dans une lettre de soutien (pour maladroite qu’elle soit) les contradictions d’un féminisme qui – si féminisme il y a – veut peut-être un peu plus de nuance sémantique.
Mais quand on peut tout faire lire, on peut aussi tout faire. On peut s’adonner au lynchage illimité de celui ou celle qui se trouve sur le banc des accusés, des coupables. On n’a plus besoin de soupeser la gravité d’une faute. Celle-là est d’avance déterminée par la grille de lecture qui rend possible sa traque ; au moment où elle est révélée, au moment où elle est dite, elle a la gravité de la façon dont elle s’énonce, de la visibilité que soudainement elle revêt.
#MeToo naît de la nécessité de casser cette façon qu’a la violence de s’exercer en toute légitimité, et de s’effacer au moment même où elle se manifeste. N’oublions pas que la violence extrême n’est pas nécessairement occulte. Elle est manifeste et c’est cela qui la rend silencieuse et tenace. C’est en façonnant le réel que la violence se légitime elle-même. La tâche difficile de #MeToo est d’en finir avec cette légitimation de la violence. Mais parler d’un mouvement #MeToo, y adhérer pleinement, n’est-ce pas faire confiance aveuglément à ce qui résulterait d’une force contraire à l’omerta qui jusqu’à présent régnait : pouvoir tout faire lire parce qu’il n’y a plus qu’une seule sémantique à l’œuvre, une seule sémantique qui rend les faits accessibles et ainsi les constitue ? Quand on prétend résoudre une injustice en ayant pleinement confiance dans les pouvoirs du visible (de ce tout dire qui tient d’un pouvoir tout lire) on risque – ne le sait-on pas assez ? et ne le sait-on pas de la façon dont les fascismes du siècle passé se sont installés ? – de légitimer la pire des violences politiques.
Le dédoublement de la loi
S’il n’est pas question de s’interroger sur la culpabilité ou l’innocence d’Avital Ronell, ni sur la gravité des faits qui lui sont imputés[5], il faut toutefois s’interroger sur la spécificité du système qui la juge. En effet, si Avital Ronell peut être jugée (non à l’aune du Title IX [6], qui est supposé répondre à ses propres prérogatives, mais par les lecteurs des médias), c’est dans la mesure où il y a un système sémantique dans lequel une faute peut être énoncée. C’est le béaba du droit : la loi ne peut juger que ce qui a été nommé et reconnu comme un mal au préalable. Or Avital Ronell est jugée non par deux systèmes du droit mais par deux mécanismes qui incarnent la loi : le Title IX qui répond aux procédures particulières des universités américaines ; le « tribunal populaire[7] » qui ne cesse de se constituer et de se propager par l’intermédiaire des journaux et des réseaux sociaux.
La force de #MeToo, comme mouvement politique, c’est avant tout cela : le dédoublement de la loi. Ce qui caractérise la force de #MeToo, c’est la confrontation de la loi des réseaux sociaux à une autre loi, celle dont le jugement, s’il n’est pas toujours juste (pour des raisons structurelles), se doit au moins d’être conforme au droit. La nécessité de #MeToo vient en effet d’une insuffisance : nos dispositifs légaux ne sont pas en mesure de protéger contre les différentes formes de violence sexuelle. Le harcèlement est sournois ; le viol très souvent ne laisse pas de traces et impose, pour de multiples raisons, le silence. Nous sommes ici devant des formes de violence dont les traces sont souvent des séquelles psychologiques et qui, pour cette raison, laissent dans le doute permanent aussi bien les victimes que la communauté dans son ensemble. Pour cette raison, l’insuffisance de la loi ne tient pas seulement au fait qu’elle ne protège pas suffisamment contre la violence mais aussi au fait qu’elle est incapable de la reconnaître, et donc de la juger. #MeToo naît de cette blessure qui habite et a structuré la société jusque-là, de ce silence qui hante la société et auquel nos dispositifs légaux ne sont pas en mesure de répondre (si tant est qu’ils puissent y prêter l’oreille). #MeToo se produit en ce sens comme la remise en question des institutions juridiques.
Dans un premier temps,
l’appel à la dénonciation cherche à briser ce silence dans lequel est maintenue la violence,
dans un second temps, il relève d’un dispositif d’épuration.
Pouvons-nous cependant briser ce silence en substituant (et non plus seulement en confrontant) une loi à une autre ? Bien des ramifications dudit mouvement #MeToo y prétendent. Au Chili par exemple, où le mouvement féministe a été spectaculaire et tenace, les mots d’ordres (et donc les subjectivités) politiques se sont définis autour de l’idée que la présomption d’innocence est patriarcale. On a donc pu voir, en tête des manifestations féministes, des panneaux avec le mot « Porcs » inscrit en lettres capitales, accompagné des nom et prénom desdits porcs, qu’on pouvait dénoncer sans procès et dont on pouvait même demander, sur certains graffitis, la mise à mort. Or, même si tous ceux et toutes celles qui adhèrent à #MeToo ne se reconnaissent pas dans ce qu’on a appelé des « excès », il faut dire que ces excès sont dans la continuité de la grille de lecture à laquelle #MeToo a donné naissance et qui l’institue comme mouvement. En plus de l’allusion directe aux porcs dans le hashtag français #BalanceTonPorc, la sémantique de #MeToo, c’est cette grille de lecture qui se produit comme un dispositif de traque. Tandis que, dans un premier temps, l’appel à la dénonciation cherche à briser ce silence dans lequel est maintenue la violence, dans un second temps, il relève d’un dispositif d’épuration. On n’est plus seulement devant des faits relatés et qui nous convoquent tout d’abord en tant que témoins, on est devant la circulation de noms qui deviennent l’incarnation, la manifestation même du Mal. Par là, même si la dénonciation n’est pas la délation, au moment où #MeToo prétend faire justice et non seulement mettre en question un système du sein de son (ou ses) silence(s), #MeToo se produit comme une terrible sémantique puisqu’elle n’a pas seulement brisé un silence (et peut-être ne l’a-t-elle pas brisé du tout), elle l’a éliminé. Lorsqu’on affirme que la présomption d’innocence est patriarcale et que, par là, on peut afficher publiquement le nom des porcs, on ne cherche plus à établir des faits, à les interpréter, dans le silence et la difficulté qu’implique toute interprétation, on obéit à une logique qui cherche à faire justice en rendant visible le « mal » afin de l’éliminer.
Dans ce contexte, la question n’est donc pas – quelle que soit la trouvaille géniale de la journaliste – ce que pensent les féministes quand c’est une femme qui est accusée voire jugée coupable de harcèlement, mais si cette sémantique, qui se confond avec une opération de traque, relève bien du féminisme. Que certaines féministes se félicitent de cette libération de la parole ne signifie pas qu’être féministe, c’est souscrire à cette sémantique où tout peut être dit parce que nous disposons d’une grille de lecture unique. L’information reprise en boucle sur Avital Ronell (et à présent sur Asia Argento, qui lui est d’ailleurs assimilée dans plusieurs articles, assimilation qui montre bien qu’il n’y a qu’une sémantique à l’œuvre, puisque non seulement tout est comparable à tout, mais tout revient au même) tient tant que tient cette sémantique qui a explosé à Hollywood (mais sans faire exploser Hollywood, qui continue d’avoir beau jeu de sa propre violence).
La traque
Il faut alors revenir, non à ce qui serait la faute d’Avital Ronell, mais aux procès qui lui sont faits. À lire les journaux (qui mélangent fake news et pauvres news), la procédure interne à l’université n’aurait retenu qu’un seul chef d’accusation, celui de harcèlement sexuel, pour lequel Avital Ronell a été sanctionnée par une suspension de ses fonctions pendant un an (sans salaire). Mais les journaux ont ajouté un nouveau procès à ce procès : le procès des féministes qui soutiennent une féministe. Au regard du procès d’Avital Ronell, coupable de harcèlement, de trahison (de la cause féministe) et de corruption (de ses collègues féministes), le procès de M. le Maudit, ce personnage de Fritz Lang que l’innocence (du moins apparente, mais peut-être pas seulement) conduit à violer et à tuer des enfants (c’est-à-dire à commettre le pire des crimes), semble bien simple ! M. le Maudit est traqué par les représentants de la loi, la police d’État, mais aussi par les hors-la-loi qui, à cause de M. le Maudit que la police recherche activement, ne peuvent plus agir efficacement. M. le Maudit doit donc se confronter à deux tribunaux, celui, public, des représentants de la loi, et celui, clandestin, des hors-la-loi. Or la différence entre le tribunal des hors-la-loi et le tribunal des représentants de la loi, c’est que les premiers crient leur haine à ce meurtrier qui ne peut répondre de ses actions et qu’ils souhaitent éliminer tandis que les seconds cherchent à comprendre l’incompréhensible, et savent du moins qu’en tant que représentants de la loi, ils ne peuvent rien dire de façon assurée, mais seulement interpréter.
Avec M. le Maudit, les instances de jugement sont plurielles – mais une du moins garde la trace d’un silence, ne prétend pas avoir tout dit et tout compris. Avec le cas d’Avital Ronell, à force de se multiplier, ces instances de jugement risquent d’être toutes reconduites à une seule sémantique. En effet, en plus des journaux qui ont repris la nouvelle en boucle, et par simple copier-coller, on peut imaginer quelle justice est en train de se faire sur les réseaux sociaux, puis dans la communauté universitaire, au sein et déjà au-delà de l’université de New York. La sentence mesurée (juste ou injuste – ce n’est pas la question ici) prise dans ces étranges tribunaux qu’on trouve au sein des institutions universitaires américaines est d’emblée démultipliée et il semble n’exister plus qu’un seul tribunal pour Avital Ronell qui a d’ailleurs été immédiatement bannie des colloques où, avant que le New York Times ne la jette en pâture, elle était encore attendue pour parler et pour penser (ce qu’elle devrait encore savoir faire aujourd’hui, si elle savait le faire hier : comme Hollywood, l’institution universitaire va donc se préoccuper, de façon prioritaire, de son image en s’épurant du mal qui l’habite, au prix d’éliminer toute pensée). L’effet de multiplication des instances de jugement réduit finalement le jugement à un seul, et pas au moindre, puisqu’à présent, Avital Ronell n’est pas suspendue de ses fonctions à l’université mais bannie par ses propres pairs (et amis). Au fond, lorsqu’on dispose d’une grille de lecture à ce point tournée vers la nécessité de rendre visible, on n’a certainement plus besoin de juger car on a déjà condamné. Ici, nous ne sommes pas dans le cas de La Colonie pénitentiaire de Kafka, où nous sommes condamnés par avance au regard d’une loi que nous ne parvenons pas à déchiffrer et d’une faute que nous ne pourrons ainsi jamais comprendre. Les réseaux sociaux fabriquent à l’inverse une ressource de visibilité où tout est d’avance condamné parce que tout est d’avance déchiffré. Dans ce contexte, il n’y a plus de jugement, parce qu’il n’y pas plus de droit de réponse.
Cette reconfiguration du jugement – voire ce primat de la condamnation sur le dispositif judiciaire – a de quoi inquiéter. M. le Maudit date de 1931 et est construit autour de l’idée qu’il y a un rapport de dépendance entre la loi et ceux qui l’enfreignent. M. le Maudit met en scène une société construite sur la base d’une économie où la légalité travaille toujours avec l’illégalité (et vice versa), ce qui questionne finalement les prétentions de toute loi (à faire justice). Que se passe-t-il en 2018 lorsque l’exigence de justice s’institue par la multiplication des tribunaux et, finalement, par l’instauration d’un seul tribunal, un tribunal populaire qu’il faut maintenant penser à échelle mondiale ? Tandis qu’hier la loi était insuffisante, aujourd’hui elle est en excès. Elle n’est pas seulement omniprésente (comme toute loi), elle est revendiquée comme droit particulier qu’on peut exercer sans médiation. Elle n’est pas ce dont il faut s’affranchir parce que ce n’est pas de l’exercice de la loi seule qu’on peut attendre la justice, mais ce dont on s’est déjà approprié comme un outil qui ne requiert même plus la médiation de l’interprétation. À lire le New York Times et tous les journaux qui ont repris en boucle l’information[8], Avital Ronell n’a même pas seulement commis une faute : elle a pacté avec le Mal. Mais, question plus abyssale encore : que se passera-t-il si (ou que se passe-t-il quand), sous couvert de vouloir en finir avec toutes les formes de violence, l’institution universitaire adopte les règles de l’État policier ? Ce qui pourrait n’être qu’un mauvais présage est déjà malheureusement une triste réalité. D’une part, on sait que bien des universités, soit pour les systèmes qui les financent, soit pour la pression de l’opinion publique, soit parce qu’elles hébergent des sortes de tribunaux internes qui impliquent des coûts (conseils juridiques) exorbitants, ne sont pas des institutions indépendantes. D’autre part, plusieurs pays, sous pression des mouvements dits féministes, ont adopté des protocoles qui permettent de suspendre un (ou une) professeur sans qu’une procédure régulière ait été ouverte et achevée. Pis, certaines universités ont déjà mis en œuvre un système de traque qui permet de réunir tout élément susceptible de corroborer une possible accusation. Ainsi y a-t-il au sein des universités des organes chargés de contacter des étudiants qui pourraient fournir des informations à charge contre un (ou une) professeur. Or, lorsqu’on cherche le mal, on le trouve toujours… Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que toute cette histoire ait été colportée par des universitaires[9], émus jusqu’à la haine devant ce qu’ils perçoivent encore aujourd’hui comme une incohérence des féministes.
Si le procès d’Avital Ronell est bien plus compliqué que celui d’M. le Maudit, il est bien plus triste que celui de Socrate. Socrate fut jugé (et condamné à mort) par les représentants de la cité, par ceux qui se préoccupent (sans les remettre en question) des lois. Avital Ronell est aujourd’hui poursuivie par la propre communauté universitaire qui est censée interroger la légitimité des lois et toutes les formes précipitées de jugement. Socrate a été condamné non parce qu’il était hors la loi, mais parce que, en ne vivant que de la remise en question de l’ordre établi, il était tout simplement étranger à la loi et à la cité. Le procès intenté contre Avital Ronell n’est peut-être en rien comparable à celui de Socrate (ou peut-être l’est-il point par point), ce qui change en tout cas, c’est qu’aujourd’hui les juges sont aussi les philosophes.
Avec Socrate, la philosophie commence. Avec Avital Ronell, il faut espérer que la philosophie recommence[10].
[1] - La première journaliste à révéler cette information – pourtant confidentielle – est Zoe Greenberg dans The New York Times, 13 août 2018. Le titre de son article, “What Happens to #MeToo When a Feminist is the Accused?”, a déterminé la façon dont tous les autres journaux (à l’exception, pour l’instant, de certains journaux français) ont repris l’information.
[2] - Voir Sara Léguillon, « Quand une féministe est accusée de harcèlement », Le Temps, 17 août 2018.
[3] - Ce qui est justement étonnant (et inquiétant) est que, sans avoir besoin d’institutions et de structures légales, et tout en prétendant être contre l’institution (son machisme endémique), #MeToo est devenu une institution au sens où tout ce qui transite par ce hashtag a une légitimité incontestable – comme si #MeToo était plus juste que la justice (que ce mouvement dénonce).
[4] - La compréhension des signes est fondamentale pour repérer la violence. Une violence (un meurtre, une extermination) est souvent précédée d’un signe qui tient lieu de menace. La violence est alors signifiée avant d’être exécutée. Dans le cas de #MeToo ou plutôt d’un certain discours « féministe » qui l’accompagne, la question des signes concerne aussi bien les « victimes » que les « bourreaux ». On sait à certains signes qu’une femme (ou un homme) a été maltraité(e) ou violé(e) ou harcelé(e). Parfois, ces signes sont symptomatiques d’une violence qu’on ne sait pas avoir subie. Les signes commencent donc à parler avant les personnes – ce qui est logique, mais problématique quand nous nous confions complètement au pouvoir des signes. Tout le travail fait pour que des victimes prennent conscience de leur violence et en cela puissent la lire est évidemment fondamental et inédit. Ce qui est problématique, voire grave, c’est qu’on s’appuie aussi sur des signes pour déterminer qui est un potentiel violeur ou harceleur. L’argument du signe fut, par exemple, la réponse de plusieurs porte-parole dites « féministes » à la question de savoir s’il était juste de suspendre un acteur accusé de viol sans que des faits aient été établis. Le jour (peut-être le nôtre ?) où un système juridique pourra entièrement se fonder sur l’idée que « certains signes ne trompent pas », il n’y aura plus de présomption d’innocence parce qu’il n’y aura tout simplement plus d’innocence.
[5] - À ce propos, on peut se reporter à l’article de Robert Maggiori, « Harcèlement : Avital Ronell et la question du langage », Libération, 29 août 2018. C’est, à ma connaissance, le seul article journalistique qui se garde bien de juger les faits pour lesquels Avital Ronell est reconnue coupable et qui a le courage de tenter une analyse des faits.
[6] - Le Title IX est la loi sur la discrimination sexuelle dans l’éducation.
[7] - Non celui qui passe par un système de représentation et d’élection, mais celui de l’opinion publique, celui qui se constitue lui-même, et n’a donc pas à répondre de son jugement.
[8] - À l’exception de certains journaux français, comme Mediapart par exemple, qui ont restitué la condamnation d’Avital Ronell dans le contexte actuel, où, afin de préserver leur image, les institutions – dont l’institution universitaire – sont susceptibles de contourner la procédure et d’écourter le temps de la justice.
[9] - C’est sur le blog d’un professeur de l’université de Chicago qu’a circulée et qu’a été commentée et virulemment critiquée la lettre rédigée en soutien à Avital Ronell. Par ailleurs, les commentaires qu’on peut lire sur l’important site The Philosophical Salon aux différentes explications qu’a données Slavoj Zizek au regard de ce qui l’a amené à signer cette lettre trahissent plutôt la haine et le ressentiment que l’attitude réfléchie. La philosophie, qui consiste principalement à suspendre le jugement, est donc ici précipitée dans le jugement.
[10] - Cet article a été élaboré grâce au soutien du Fond national du développement scientifique et technologique au Chili.