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Xi Jinping, sommet du BRICS en 2015 | Wikipédia
Xi Jinping, sommet du BRICS en 2015 | Wikipédia
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La diplomatie controversée de Xi Jinping

Dans le contexte de la crise sanitaire mondiale, les tentatives de désinformation chinoise ont été largement dénoncées. En réaction, la diplomatie de Xi Jinping se fait plus offensive.

Le 12 avril 2020, en pleine tourmente de l’épidémie de Covid-19, la France découvre avec surprise un article publié sur le site officiel de l’ambassade de Chine en France, qui critique la mauvaise gestion française de la crise. Si l’article prétend vouloir « rétablir des faits distordus », comme l’indique son intitulé, le ton sans détour, sous couvert d’anonymat, pour relayer des informations non vérifiées et des accusations sans preuves contre le pays hôte, surprend. Il contraste non seulement avec le caractère mesuré et discret de la diplomatie classique, mais aussi avec le visage bienveillant que la diplomatie chinoise a voulu montrer dans le passé. Depuis que le virus Covid-19, après avoir sévi en Chine dès décembre 2019, fait des ravages sans précédent aux quatre coins du monde, la stratégie diplomatique chinoise sous Xi Jinping semble prendre une nouvelle tournure, avec son lot d’agressivité et d’informations douteuses. Mais quels sont ces «  faits distordus  » qui ont conduit la diplomatie chinoise à monter ainsi au créneau ? Et cette nouvelle posture ne joue-t-elle pas contre l’objectif initial de la Chine, qui était de rendre moins inquiétante sa montée en puissance ?

Une success story contrariée

Au fur et à mesure de la propagation du virus dans le monde, imposer sa propre version de l’épidémie et se poser en modèle de gestion exemplaire est devenu une nécessité pour le gouvernement chinois. Ayant subi de plein fouet l’irruption de l’épidémie dans une ville de onze millions d’habitants, la Chine a connu de lourdes pertes humaines et économiques. Le début de gestion catastrophique, caractérisé par les mensonges et la censure, a non seulement suscité la colère des Chinois, mais aussi accéléré la propagation du virus. Accusé par ses propres citoyens d’avoir censuré l’information et d’avoir causé la mort de milliers de personnes, et par le reste du monde d’avoir dissimulé des informations sur l’origine du virus et réagi trop tardivement pour empêcher sa propagation, le gouvernement a visiblement choisi une stratégie de défense agressive.

L’appareil étatique chinois déploie ainsi toutes les ressources possibles pour louer la bonne gestion de la crise par le gouvernement : des films, des vidéos et des livres sont sortis du jour au lendemain pour démontrer l’efficacité du système chinois et la clairvoyance de son leader. Les médias officiels et les ambassadeurs chinois en poste à l’étranger se relaient pour faire valoir que les dures épreuves endurées par le peuple chinois sont des sacrifices qui ont permis au reste du monde de gagner un temps précieux pour mieux se préparer.

En plus du discours, la Chine tente de se positionner en sauveur du monde en mettant en scène sa solidarité internationale. Une manière de signifier à la fois à son peuple et à l’opinion internationale que la Chine est sortie victorieuse de cette crise. La machine de propagande fait grand bruit pour accompagner les envois de matériels médicaux tels les masques à des pays empêtrés à leur tour dans la crise sanitaire. Les ambassadeurs chinois tweetent et retweetent les remerciements de pays bénéficiaires, passant volontairement sous silence le fait que ces matériels ne sont pas tous des dons.

La Chine tente de se positionner en sauveur du monde.

La mission prioritaire désormais est d’essayer de faire oublier l’origine chinoise de cette épidémie. Dès la fin du mois de février, Zhong Nanshan, épidémiologiste respecté et héros de la lutte contre le Sras en 2003, sème le doute, en affirmant que si l’épidémie a émergé d’abord en Chine, il n’est pas certain que la Chine en soit l’origine. D’ailleurs, depuis que l’Oms a décidé le 11 février de nommer le virus «  Covid-19  », la Chine fait tout son possible pour empêcher à l’intérieur comme à l’extérieur du pays toute mention de la «  pneumonie de Wuhan  », une dénomination communément utilisée depuis le début de l’épidémie, mais dorénavant teintée de racisme aux yeux des autorités chinoises.

La meilleure défense est l’attaque

Cette tentative de brouiller les pistes sur l’origine du virus ne tarde pas à créer des tensions diplomatiques, et c’est alors qu’on observe une montée au créneau des diplomates chinois. Il faut dire qu’une nouvelle génération de diplomates arrive en poste un peu partout dans le monde, encouragés par leur ministre de tutelle, Wang Yi, à adopter un esprit combatif. Ainsi l’ambassadeur de Chine en Australie, Cheng Jingye, a laissé entendre lors d’un entretien accordé à l’Australian Financial Rewiew le 26 avril que si l’Australie persistait dans sa demande d’enquête internationale sur la propagation du Covid-19 depuis la Chine à travers le monde, elle s’exposait à un boycott économique, notamment par des mesures d’interdiction aux touristes et aux étudiants chinois de s’y rendre. De même, l’ambassadeur chinois à Londres, Liu Xiaoming, dans un article publié par le Financial Times le 28 avril, considère que ceux qui se permettent de critiquer la Chine pour sa gestion de la crise lui doivent des excuses. La Chine semble suivre désormais l’exemple de la Russie de Poutine et n’hésite plus à recourir à des rumeurs et à des informations douteuses via les réseaux sociaux, plus particulièrement des plateformes comme Twitter et Facebook, interdites en Chine. Zhao Lijian, l’un des porte-parole du ministère des Affaires étrangères, dans un de ses tweets du 12 mars, accuse presque ouvertement les Américains d’avoir importé le virus en Chine quelques mois auparavant, validant ainsi une rumeur sur les réseaux sociaux chinois soupçonnant des militaires américains venus participer aux 7es Jeux mondiaux militaires à Wuhan fin octobre, d’avoir été les premiers porteurs du virus, alors que le diagnostic de l’hôpital de Wuhan qui a pris en charge les militaires incriminés était sans appel : les cinq soldats étrangers hospitalisés étaient atteints de paludisme !

De la même façon, Taïwan a fait l’objet d’une campagne de fausses informations, d’autant que sa gestion de la crise suscite l’admiration de l’Occident et fait ainsi de l’ombre au «  modèle chinois  ». Taïwan, cette île rebelle, indépendante de fait depuis 1949 mais que Pékin considère comme partie prenante de la Chine, a su gérer la crise sans confinement, mais avec six morts seulement jusqu’à ce jour malgré sa proximité géographique avec la Chine, et malgré son exclusion de l’Oms sous pression persistante de Pékin. Une drôle de campagne s’est déroulée début avril, autour du directeur général de l’Oms, Tedros Adhanom Ghebreyesus, considéré comme proche de Pékin. Le 8 avril, il accuse ouvertement les autorités de Taïwan, lors d’une conférence de presse à Genève, de mener une campagne raciste à son encontre via Facebook, sans fournir de preuve. L’accusation est relayée dans un article du 12 avril sur le site officiel de l’ambassade de Chine. Or le service d’investigation du ministère de la Justice taïwanais a pu démontrer, preuves à l’appui, que les messages d’excuses au nom du peuple de Taïwan qui ont circulé sur les réseaux sociaux par la suite venaient d’abord de comptes Twitter vraisemblablement tenus par des Chinois.

Les arroseurs arrosés ?

Si les gouvernements occidentaux sont plutôt réservés face à la propagande chinoise, l’agressivité de ces diplomates chinois ainsi que la prolifération de fausses informations à l’occasion d’une crise d’ampleur finissent par agacer l’opinion publique et les obligent à réagir. Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, a ainsi dû convoquer l’ambassadeur chinois après la publication de l’article du 12 avril cité plus haut pour lui signifier : « Certaines prises de position publiques récentes de représentants de l’ambassade de Chine en France ne sont pas conformes à la qualité de la relation bilatérale » entre les deux pays. Le président américain, en réponse à l’accusation chinoise sur l’origine du virus, utilise sciemment l’expression «  virus chinois  », également dans l’objectif de détourner l’attention de l’opinion publique sur sa mauvaise gestion de la crise. Ici et là, des procédures judiciaires s’ouvrent à l’encontre de la Chine. Le gouvernement de l’État du Missouri, aux États-Unis, a ainsi porté plainte contre le gouvernement chinois, l’accusant d’avoir dissimulé la gravité de l’épidémie. L’avocat français Frédérik Canoy a déposé une plainte le 14 avril 2020 auprès de la Cour pénale internationale, visant le président chinois en personne, ainsi que le directeur de l’Institut de virologie de Wuhan, pour « crime contre l’humanité ». L’Union européenne a pris des distances avec la Chine en remerciant ouvertement Taïwan pour ses dons de masques, ce que l’UE ne faisait pas dans le passé pour ne pas offenser Pékin. Le commissaire européen Josep Borrell a publié un communiqué critiquant le discours chinois de désignation des Européens comme agents de propagation du virus. Des voix mécontentes s’élèvent aussi depuis plusieurs pays africains, comme au Nigeria, au Kenya ou encore au Ghana, dénonçant la responsabilité chinoise dans cette crise.

En 2003, l’Occident a observé de loin la crise sanitaire du Sras, qui s’est limitée à l’Asie, malgré la dissimulation d’informations par le gouvernement chinois au début de la crise. En 2019-2020, alors que l’épidémie de Covid-19 a paralysé les économies du monde entier, l’absence de transparence de ce même gouvernement incite à toujours plus de suspicion que de confiance.

Judith Geng

Journaliste à la rédaction en langue chinoise de RFI.

Mei Yang

Journaliste.

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