
Les enseignants sont-ils mal payés ?
En moyenne, les enseignants français comptent parmi les moins bien payés du monde. D’importants écarts salariaux existent de surcroît au sein de la profession, qui fragilisent surtout les non-titulaires et les remplaçants.
La rémunération des enseignants a fait l’objet de nombreux débats durant la campagne présidentielle. La question est en effet particulièrement politique : c’est une profession dont le travail est jugé, avec celui des soignants et de quelques autres, essentiel à la nation ; les enseignants sont nombreux, payés par l’État, et les masses salariales sont considérables ; ils sont notoirement mal payés ; enfin, la profession enseignante est traversée par d’importantes inégalités salariales.
Comparaisons internationales
Pour répondre à cette question, on peut tout d’abord procéder à des comparaisons internationales, en prenant le salaire brut moyen d’un même niveau (typiquement, le secondaire) et d’une même ancienneté (en général, quinze ans), et en convertissant le tout en dollar constant à parité de pouvoir d’achat. Selon les chiffres de l’OCDE, la conclusion est sans appel : les enseignants français sont très mal payés. Avec 42 000 dollars en 2020, la France se situe entre l’Italie et la Colombie, loin derrière le Japon, le Portugal ou l’Espagne (55 600 dollars pour cette dernière) et très loin derrière les États-Unis, le Danemark ou l’Allemagne : 65 000 dollars pour les États-Unis, soit 55 % de plus que la France, 1, 6 fois plus pour le Canada, deux fois plus pour l’Allemagne… En dessous de la France, on trouve des pays bien plus pauvres : le Mexique, la Turquie, la Grèce, le Chili…
Mais ces salaires sont des moyennes, qui sont influencées par les inégalités, les gros salaires tirant les moyennes vers le haut. Idéalement, il faudrait prendre la médiane, mais les données ne sont pas toujours disponibles. Or les inégalités de salaires des enseignants sont importantes. En dehors du temps de travail (la plupart des enseignants font des heures supplémentaires1), elles sont déterminées par l’ancienneté et le concours obtenu. En bas de l’échelle, on trouve les non-titulaires (remplaçants), surtout dans le privé. Les salaires démarrent à 1 500 euros brut. Inutile de se demander, dans ces conditions, pourquoi les viviers de suppléants sont vides… Qui voudrait remplacer un collègue au pied levé, avec des conditions de diplôme exigeantes (bac + 3 minimum) pour un salaire à peine supérieur au smic ?
Ensuite, vient le gros des troupes, les certifiés. Un débutant perçoit environ 2 000 euros brut (1 700 euros net). Ce montant peut être augmenté de quelques primes, mais elles sont souvent faibles dans l’Éducation nationale. Ainsi, un professeur principal percevra au maximum une prime de 110 euros brut par mois, ce qui est indécent au regard du temps que la fonction nécessite (charge d’accompagnement des élèves, suivi des bulletins et dialogue avec les familles). Il y a quelques exceptions (les primes REP + peuvent s’élever à 430 euros brut par mois), mais elles concernent très peu d’enseignants. À l’autre bout de la hiérarchie, les agrégés de classes préparatoires qui font des heures supplémentaires peuvent facilement toucher 3 500 euros net par mois en milieu de carrière, et beaucoup plus en fin de carrière.
Ainsi, dans l’Éducation nationale, selon le statut et l’ancienneté, les salaires varient facilement du simple au double. Ce qui demeure toutefois des inégalités plus modérées que dans le reste de la société et notoirement le secteur privé : le rapport entre les 10 % les mieux payés et les 10 % les moins bien payés étant d’environ 3, 5 en 2019, après redistribution (selon l’Insee).
Comparaison locale
Une autre approche consiste à comparer le groupe des enseignants avec un autre groupe social. Comme il y a un lien très fort entre niveau de diplôme et salaire, selon la théorie économique du capital humain formalisée par l’équation de Mincer, on va le plus souvent comparer à diplôme égal. Mais on peut aussi comparer le salaire enseignant dans la société française en général, en le comparant aux salaires du privé, au pouvoir d’achat moyen ou même au salaire minimum.
Ainsi, par rapport au salaire minimum, la chute est vertigineuse. Alors que les débutants gagnaient 2, 3 fois le smic en 1980, ils gagnent environ 1, 2 fois le smic en 20212. Ce type d’indicateur permet de mesurer l’effondrement de la profession selon deux aspects. En matière d’attractivité, cela explique les grandes difficultés de recrutement de l’Éducation nationale depuis quelques années : concours pas remplis, barres d’admission sans cesse ajustées, viviers de remplaçants vides (et professeurs non remplacés !). Cela a, incidemment, des effets sur la qualité de l’enseignement délivré : quand on paie bien, on attire les meilleurs. Quand on paie mal, on prend le risque de retrouver le vieux proverbe soviétique : « Ils font semblant de me payer, je fais semblant de travailler. » En matière de statut social, l’enseignant n’est plus un notable respecté, avec le curé et le maire, comme au xixe siècle, mais une profession lambda des classes moyennes inférieures. Et ce malgré la hausse considérable du niveau de diplôme nécessaire pour accéder à la profession, qui fait des enseignants des équivalents de cadres : bac + 2 dans les années 1980, bac + 3 jusqu’au quinquennat Sarkozy, bac + 5 depuis…
On pourrait ainsi multiplier les points de comparaison : le salaire moyen dans le privé (tous niveaux de diplôme confondus, en excluant les temps partiels) est de 2 400 euros net ; le salaire moyen des enseignants, 2 600 euros. Sans surprise, les enseignants sont beaucoup moins bien payés que leurs homologues diplômés du supérieur : le salaire médian des « bac + 5 » est de 3 300 euros par mois, et le salaire moyen des cadres dépasse 4 000 euros net par mois – 25 à 50 % de plus que les enseignants3.
Les enseignants français sont donc mal payés, quel que soit le point de comparaison.
Les enseignants français sont donc mal payés, quel que soit le point de comparaison. Bien sûr, la profession a des attraits évidents pour ceux qui la pratiquent, et c’est souvent un métier de passionnés. L’autonomie dans le travail est grande par rapport au salarié moyen. L’emploi est à vie, comme pour tous les fonctionnaires. Les vacances sont importantes (et nécessaires !). Le métier en lui-même est passionnant, même s’il peut être vécu très différemment selon les conditions de travail (milieu rural ou urbain, lycée REP ou favorisé, privé ou public, enseignement professionnel ou général, etc.). Il n’en demeure pas moins que les salaires ne sont pas à la hauteur de ce qu’un pays comme la France, septième économie mondiale, devrait payer pour un métier aussi essentiel.
Revaloriser la profession
Il faut augmenter tous les enseignants sans contrepartie, vu le retard pris par la France dans ce domaine. S’il est absurde de reprocher à la France de ne pas atteindre le niveau de l’Allemagne (un pays avec un PIB 40 % supérieur au nôtre), il est indécent de les payer à un niveau inférieur à l’Espagne, 40 % moins riche que nous. Mais les sommes en jeu sont considérables : tous niveaux confondus, il y a un peu plus de 850 000 enseignants, ce qui peut expliquer la timidité des gouvernements successifs sur ce dossier. S’il faut augmenter tout le monde, il faut surtout augmenter davantage les jeunes et les non-titulaires : pour des questions éthiques de réduction des inégalités au sein de la profession et d’attractivité de la profession, en particulier pour les remplacements. Les agrégés en fin de carrière des classes préparatoires n’ont pas besoin de 10 % d’augmentation : ce sont les enseignants récemment titulaires, les non-titulaires, les certifiés, les instituteurs qui ont besoin de 10 % d’augmentation (minimum).
Augmenter les professeurs, c’est revaloriser dans la société une profession qui exerce l’une des missions les plus nobles qui soient : l’accès au savoir et à la culture, « ce qui fait de l’homme autre chose qu’un accident de la nature », comme le disait André Malraux.