
Des réfugiés environnementaux
Malgré une évolution du cadre juridique, notamment aux niveaux régional et national, il n’existe pas encore de statut clair pour les réfugiés environnementaux. Les déplacements liés aux changements climatiques sont pourtant massifs et une approche pragmatique reste indispensable pour faire face aux catastrophes.
Alors que l’époque est aux frontières et que nous commémorons le 70e anniversaire de la convention de Genève relative au statut des réfugiés, les migrations liées à l’environnement demeurent dépourvues de régime juridique clair. D’autres leviers, diplomatiques par exemple, peuvent néanmoins favoriser des migrations ordonnées.
Les migrations environnementales sont assurément un phénomène majeur des temps présents, d’ampleur croissante, mais difficile à apprécier. Anciennes, comme en atteste l’archéologie, présentes dans les mythes fondateurs, les migrations environnementales sont appelées à croître selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mais elles sont difficiles à définir et à mesurer1. Les spécialistes parlent volontiers de « déplacés environnementaux » pour souligner la contrainte de migration et inclure les catastrophes naturelles et les accidents industriels.
Avec ces réserves méthodologiques, l’Internal Displacement Monitoring Centre a relevé en moyenne près de 25 millions de déplacés environnementaux par an entre 2008 et 2018, soit trois fois plus que les déplacés liés à des conflits. Il s’agit essentiellement de déplacements internes ou régionaux, liés à des inondations et des tempêtes dans des zones côtières ou des deltas densément peuplés. L’aggravation des effets du changement climatique pourrait pousser plus de personnes à migrer, avec une cartographie des enjeux complexe et évolutive2.
L’affaire Teitiota
La position du Comité des droits de l’homme des Nations unies, adoptée en janvier 2020 dans l’affaire Teitiota (un ressortissant des Kiribati, menacées de submersion) contre la Nouvelle-Zélande, annonce une évolution du cadre juridique. En effet, elle affirme pour la première fois le principe selon lequel l’absence d’efforts nationaux et internationaux significatifs contre les effets du changement climatique dans les pays d’origine peut exposer les individus à une violation de leurs droits, notamment celui à la vie.
Le porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés Andrej Mahecic s’en est félicité, ajoutant que son organisation « a toujours souligné que les personnes fuyant les effets néfastes du changement climatique et l’impact des catastrophes, que celles-ci soient soudaines ou lentes à se manifester, peuvent avoir des raisons valables de demander le statut de réfugié en vertu de la Convention de 1951 sur les réfugiés ou des instruments régionaux relatifs aux réfugiés ». Pourtant, le statut de réfugié, en Occident, (ne) s’applique (qu’)à toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité.
L’organisation des Nations unies précise ainsi que le changement climatique et les catastrophes peuvent affecter la jouissance des droits de l’homme au regard de leurs effets et de la capacité des États à assurer la protection des victimes. Par ailleurs, le fait que les personnes soient collectivement touchées ne remet pas en cause la validité de demandes individuelles, tant que la crainte individuelle de persécution est fondée. De plus, l’intervention des États pour répondre aux situations de tensions peut s’avérer discriminatoire, justifiant une demande d’asile3. Mais ces cas sont limités par la nécessité d’un franchissement de frontière.
Des conventions régionales sont plus aisément envisageables qu’une révision des conventions de Genève ou qu’une convention internationale ad hoc, à l’instar de celle de l’Union africaine de 2009, dite convention de Kampala. En Europe, la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, trop politique, n’a jamais été utilisée pour la protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées. Au niveau national, des instruments existent : par exemple, l’ouverture de la protection subsidiaire, dans des pays du nord de l’Europe, en cas de catastrophes naturelles, ou lorsqu’un pays est dans l’incapacité temporaire de protéger ses propres ressources. On peut aussi rappeler le statut de protection temporaire accordé par les États-Unis dans certaines situations. Enfin, des visas humanitaires ont été envisagés, par exemple par les autorités néo-zélandaises.
Droit mou et mesures concrètes
La régulation des migrations environnementales requiert ainsi l’approfondissement du « droit mou4 » au plan international et la mise en œuvre de mesures concrètes face aux risques environnementaux.
Le préambule de l’accord de Paris de 2015 a ainsi affirmé que « les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière et que, lorsqu’elles prennent des mesures face à ces changements, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits […] des migrants ». Plus controversé bien que non contraignant, le pacte de Marrakech de 2018 distingue les « catastrophes naturelles soudaines » et les « catastrophes naturelles à évolution lente [dues aux] effets néfastes du changement climatique et de la dégradation de l’environnement, tels que la désertification, la dégradation des terres, la sécheresse et l’élévation du niveau de la mer », prévoyant pour les secondes des options de réinstallation et des modalités de visa.
Une approche pratique est indispensable pour faire face aux catastrophes et améliorer l’habitabilité des zones les plus vulnérables.
Surtout, une approche pratique est indispensable pour faire face aux catastrophes et améliorer l’habitabilité des zones les plus vulnérables. Ainsi, on peut citer : le programme Living with Flood au Vietnam qui a permis, depuis 1996, de reloger des centaines de milliers de foyers du delta du Mékong ; les « migrations dans la dignité » de la stratégie nationale des Kiribati ; ainsi que des programmes d’adaptation de filières économiques, conduits par les États, les collectivités locales ou la société civile. Il existe aussi des accords bilatéraux, sur le modèle du partenariat de 2008 entre la Colombie et l’Espagne pour l’accueil, avec l’appui de l’Organisation internationale pour les migrations, de milliers de paysans colombiens. À l’échelle internationale, rappelons le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe, adopté par l’ONU en 2015 et traduit en plan d’action par la Commission européenne l’année suivante. Mentionnons aussi le financement international des systèmes d’alerte précoce aux risques climatiques (CREWS), lancé lors de la Cop21.
L’échelon régional est souvent privilégié, même si la coopération n’est pas toujours évidente. L’Union européenne a notamment annoncé le renforcement de sa plateforme de connaissances en matière d’adaptation. L’approche régionale a aussi été retenue par l’initiative Nansen, lancée en 2012 par la Norvège et la Suisse, et adoptée en 2015 par cent dix États. La plateforme, constituée l’année suivante, sur les déplacements liés aux catastrophes est à ce jour le cadre le plus concret de gouvernance internationale des migrations environnementales.
Il n’existe donc pas, à proprement parler, de réfugiés environnementaux. Il existe des réfugiés, c’est-à-dire, dans notre droit, des personnes qui se voient octroyer un statut protecteur sur le fondement de la convention de Genève, susceptible un jour de s’appliquer à des situations liées au changement climatique ou à des catastrophes. Il n’en demeure pas moins que les migrations environnementales forcées sont un phénomène majeur de notre époque, qu’il nous faut appréhender de façon pragmatique et apaisée5.
- 1.Voir Christel Cournil et Benoît Mayer, Les Migrations environnementales. Enjeux et gouvernance, Paris, Presses de Sciences Po, 2014.
- 2.Voir Dina Ionesco, Daria Mokhnacheva et François Gemenne, Atlas de migrations environnementales, Paris, Presses de Sciences Po, 2016.
- 3.Voir Haut-Commissariat pour les réfugiés, Legal considerations regarding claims for international protection made in the context of the adverse effects of climate change and disasters, 1er octobre 2020.
- 4.Le « droit mou » (soft law) est cette zone grise entre le droit et la politique qui joue un rôle croissant dans le système international, dans un contexte de multilatéralisme contrarié. Il est de nature à inspirer des législations nationales.
- 5. Pour en savoir plus, voir Jérôme Medelli, Des « réfugiés environnementaux », Délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés, juin 2021.