
L’engagement écologique et social à Nancy
La ville de Nancy présente un bel exemple de réforme écologique et sociale, « par le bas », portée par le monde associatif et soutenue par les habitants. Encore faut-il que ces initiatives originales parviennent à s’imposer, face à l’enracinement de certaines de nos manières de vivre et de consommer.
Les problèmes que pose l’urgence climatique sont connus ; les solutions le sont moins. Depuis 2015 et la COP21, les mobilisations écologiques se font plus bruyantes, portées par des figures symboliques comme Greta Thunberg et des actions de désobéissance civile comme celles d’Extinction Rebellion. Mais cette mobilisation a une autre face, moins visible : des initiatives qui développent ici et maintenant des façons de produire, d’échanger, de consommer qui préfigurent ce que pourrait être une société durable. Les actions de contestation ou de désobéissance ont un rôle de sensibilisation et d’interpellation, mais ne témoignent pas forcément de la faisabilité du nouveau monde qu’elles promeuvent. Inversement, d’autres initiatives plus proches du secteur de l’économie sociale et solidaire permettent de faire exister ici et maintenant des alternatives, mais elles se confrontent aussi à l’inertie de l’existant.
En effet, l’action associative et civique permet à tout un chacun de s’impliquer dans son quartier et sa ville pour les transformer. On est alors tenté d’en faire le vecteur d’une révolution apaisée, par le bas plutôt que par le haut. Or les associations ne forment pas des sujets autonomes, mais font face aux mêmes difficultés que la société dans son ensemble, dont elles doivent prendre en compte les exigences et besoins, par exemple économiques ou institutionnels, pour trouver des ressources, ce qui suppose une structuration plus rigoureuse, et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit de créer des formes alternatives d’activité économique, appelées à s’intégrer de façon durable au paysage. Cela peut créer une tension entre l’exigence économique et institutionnelle de professionnalisme, le caractère labile, non expert et souvent apolitique des formes contemporaines d’engagement (le terme « bénévole » a souvent remplacé celui de militant), et l’exigence éthique du militantisme écologique. Celui-ci est également traversé par un sentiment d’urgence qui peut parfois se brancher sur les pulsions contradictoires de sacrifice de soi au travail ou d’auto-valorisation de soi qui sont suscitées par les gouvernementalités contemporaines.
Ville de passage, Nancy pâtit partiellement peut-être de sa proximité avec Paris grâce au TGV, dont l’attractivité comme métropole mondiale conduit à l’aspiration d’une partie de ses forces vives. Mais elle bénéficie de l’héritage historique du duché de Lorraine et de l’École de Nancy d’Art nouveau, de la présence de nombreuses universités et donc d’une forte population étudiante (un tiers de la population de la commune de Nancy), qui maintient son dynamisme et une certaine capacité d’innovation. C’est le village Alternatiba des initiatives qui, concernant Nancy, a donné un coup d’accélérateur au mouvement pour le climat. Quelques mois avant le sommet mondial pour le climat de Paris, plusieurs milliers de personnes se retrouvaient à Nancy pour découvrir et faire découvrir, le temps d’un week-end, les possibilités concrètes à mettre en œuvre sur nos territoires pour contribuer activement à lutter contre le changement climatique.
C’est à ce moment-là qu’ont été lancées plusieurs des associations et coopératives dont nous allons parler dans ce dossier : la Grande Épicerie générale, La Cantoche, le Florain, le Plan B, Képos, le MAN qui préfigurent ce que pourrait être une société plus durable et plus juste. Mais ces initiatives ne peuvent prospérer que si la société prend davantage en compte les exigences qu’elles portent et qui se heurtent souvent à des forces bien plus enracinées dans notre monde.
Le florain, monnaie locale
Samuel Colin, membre du collectif d’animation du florain, présente cette monnaie locale, active sur l’aire de Nancy, au service de la transition écologique et sociale en Meurthe-et-Moselle.
Le 6 janvier 2016, après un premier intérêt montré lors du village Alternatiba de 2015, cent vingt personnes se retrouvaient pour une journée de travail sous forme de « forum ouvert » avec un objectif commun : faire émerger une monnaie locale citoyenne complémentaire sur Nancy et ses environs. En octobre 2017, les premiers billets étaient mis en circulation.
Entre-temps, les bénévoles impliqués dans le projet n’ont pas chômé : rédaction d’une charte de valeurs, définition du cadre légal et de la gouvernance de l’association, établissement des principes de fonctionnement de la monnaie, conception et impression des billets… Sans compter le travail de communication pour faire connaître le projet au plus grand nombre. Cela n’a pas été sans difficultés, et nous pouvons remercier les monnaies locales, le stück (alsacienne) et l’eusko (basque), pour le soutien apporté.
Ainsi, le florain a vu, dès sa naissance, se pencher sur son berceau les fées de l’écologie, de la solidarité et de l’action collective et locale. C’est une chose d’avoir des valeurs, c’en est une autre de les défendre par des actes. Le florain n’a pas pour vocation première la sensibilisation ; c’est avant tout un outil concret pour favoriser des modes de production, de distribution et de consommation durables, à la hauteur des enjeux environnementaux et sociaux auxquels nous faisons face. Et ce en s’appuyant sur plusieurs leviers.
Le premier et le plus simple est celui de l’orientation de la consommation. Les producteurs et commerçants qui intègrent le réseau du florain s’engagent à respecter la charte de l’association. Ainsi, un particulier qui utilise des florains soutient par son achat une activité qui contribue au développement soutenable et solidaire de son territoire.
De plus, cette dépense amorce une dynamique : si je fais le choix de payer mon repas en florains plutôt qu’en euros, le restaurateur va devoir chercher comment les dépenser, se mettre en relation avec des fournisseurs locaux, qui vont être eux-mêmes amenés à leur trouver un débouché, etc. Grâce à ce cercle vertueux, le florain joue un rôle de consolidation du tissu économique local, sans se replier sur lui-même : le florain est complémentaire de l’euro, il ne cherche en rien à le remplacer.
Dernier atout, et non des moindres, le florain permet également de soutenir l’investissement des entreprises de son réseau. La loi sur l’économie sociale et solidaire de 2014 impose aux monnaies locales de disposer d’un fonds de réserve bancaire sur lequel sont stockés autant d’euros que d’unités de monnaie locale en circulation. Ce fonds, placé auprès de la coopérative financière la Nef, facilite la mise à disposition des prêts à destination pour les professionnels du réseau.
Lorsque je change un euro en florain, je soutiens donc l’économie responsable de mon territoire à travers ma consommation, et l’investissement que le florain permet. L’entreprise, de son côté, y gagne une clientèle engagée et intègre des réseaux de coopération d’acteurs locaux.
Après deux ans et demi d’existence, on compte un peu plus de cent mille florains en circulation, qui peuvent être dépensés auprès de deux cents acteurs économiques différents. Avec le soutien financier des collectivités locales, l’association a créé un emploi de coordinatrice, et le nombre de bénévoles et de comptoirs de change ne fait qu’augmenter.
Pour autant, le tableau n’est pas idyllique. Tout d’abord, avec 550 utilisateurs et utilisatrices fin 2019, nous sommes encore loin de l’ambition affichée à horizon 2023 de 1 % d’habitants touchés, soit environ 5 000 personnes. Cette ambition passe par un travail de communication et de sensibilisation important ainsi que par le développement d’une offre de florains dématérialisés (avec une application sur smartphone), complémentaire des billets en papier.
Le choix de la dématérialisation, qui n’a pas été totalement consensuel, illustre une autre difficulté : les tensions qui existent entre notre volonté d’être au plus près de nos valeurs et l’envie de toucher le plus large public possible. Cette tension existe aussi autour de l’admission ou non de certains professionnels dans le réseau, notamment quand un ou plusieurs aspects de leur activité ne nous semblent pas en parfaite adéquation avec notre charte des valeurs.
Enfin, l’association fait face à des difficultés financières récurrentes. La gestion d’une monnaie locale est chronophage et souvent complexe, ce qui nécessite l’embauche de personnes compétentes et motivées. Toutefois, les ressources de l’association se limitent aux adhésions des professionnels et des particuliers et à quelques subventions, ce qui rend l’équilibre économique délicat à trouver.
Heureusement, l’association peut s’appuyer sur une équipe bénévole et salariée très impliquée et résiliente, sur deux réseaux nationaux de coopération entre monnaies locales (le Mouvement Sol et le réseau des MLCC), ainsi que sur un vaste écosystème de solutions locales porté par la dynamique du Plan B. C’est à la fois un soutien précieux et l’esquisse du projet de société que nous souhaitons défendre.
La norme de demain
Pauline Nowik présente le Plan B Nancy, qui a pour objectif le changement d’échelle des initiatives de l’économie sociale, solidaire et écologique (ESSE) sur l’aire de vie de Nancy.
Pendant le village Alternatiba de Nancy en 2015, nous avons constaté l’existence de solutions pour aller vers une transition écologique, mais aussi des axes de progrès dans nos modes de communication : affiches réalisées au stylo, bénévoles ne maîtrisant pas toujours leur argumentaire, stands bricolés… Certains visiteurs nous ont fait savoir que cela nuisait à notre crédibilité. Forts du bilan de cet événement, de cette prise de conscience, une dizaine de citoyens et citoyennes se sont réunis avec l’ambition de faire changer d’échelle nos propositions locales face au changement climatique. C’est ainsi qu’est né le Plan B Nancy, une boîte à outils au service de trente associations, collectifs et acteurs de l’ESSE. Notre stratégie repose sur la mutualisation, la professionnalisation et la communauté.
Afin de permettre aux associations de consacrer plus de temps à leur mission, le Plan B propose de mutualiser les moyens matériels et humains disponibles au sein de la communauté. Ainsi, il s’agit de mettre en relation les structures ayant besoin de matériel ou de ressources (un vidéoprojecteur, par exemple) avec celles qui les possèdent, ou d’acquérir les biens et services manquants dans le réseau. Début 2020, cela se traduit par l’inauguration d’un local de travail, de réunion et de stockage qui s’inscrit dans la construction d’un réseau de lieux engagés.
Par ailleurs, quand le budget annuel cumulé des deux principales associations nancéiennes prônant une mobilité durable en ville ne dépasse pas quelques dizaines de milliers d’euros, alors que Renault dépense plusieurs centaines de millions d’euros en publicité, comment faire valoir nos idées ? Au-delà de la mutualisation des moyens, il faut nous professionnaliser pour convaincre le plus grand nombre, par exemple par des formations pour mieux s’organiser, animer efficacement une réunion, communiquer ou se développer, par un financement participatif ou public.
Le Plan B cherche à faire des initiatives locales actuelles la norme de demain. Cependant, certaines personnes, même déjà sensibilisées à la cause climatique, n’ont pas pour autant connaissance de toute la diversité de ces initiatives : par exemple, un utilisateur de l’atelier vélo Dynamo ne connaît pas forcément la Grande Épicerie générale, supermarché collaboratif. Comment alors leur apporter l’information de l’existence de ces projets ?
En favorisant les échanges entre différentes structures, le Plan B se positionne comme facilitateur de leur coopération. L’animation de cette communauté passe par la tenue régulière de réunions conviviales, invitant les représentants des associations membres à venir échanger, pour sortir du cercle des convaincus. Ainsi, les interactions se multiplient : les représentants des Cigales, après avoir rencontré des bénévoles de la Cantoche lors d’une réunion du Plan B, organisent dans ce restaurant une soirée de présentation de leur outil d’épargne citoyenne. Les personnes qui s’y rendent ont pu découvrir au passage la possibilité de payer son repas en florains.
Ce changement d’échelle implique aussi la mobilisation active d’un nombre croissant de personnes. Dans ce but, le Plan B, à travers la mise en place des « Défis du mardi », invite chaque semaine les personnes volontaires à relever un défi collectif lié à une association de la communauté, à travers une proposition concrète : se rendre à une manifestation, participer à une formation… Les défis comportent différents niveaux d’engagement, pour les rendre accessibles à tous.
Même si l’appui financier des collectivités locales nous semble indispensable pour amorcer notre dynamique, l’autofinancement est identifié comme un facteur clef de succès. Mais à ce jour, les personnes ayant adhéré ou contribué à notre campagne de financement participatif fin 2018 font partie du cercle militant ou de ses proches, et nous peinons à élargir ces cercles.
Actuellement, des dizaines de bénévoles sont impliqués pour développer le Plan B. Cela représente près de trois cents heures de travail mensuelles, soit deux équivalents temps plein. Cette organisation connaît des limites car l’engagement d’un bénévole est plus volatil que celui d’un salarié. L’embauche d’un coordinateur ne serait pas du luxe et permettrait de nous appliquer à nous-mêmes notre objectif de professionnalisation. Nous constatons aussi une réelle difficulté à attirer et intégrer de nouveaux bénévoles, même si nous pouvons nous féliciter de quelques belles rencontres. Enfin, pour que la mutualisation de moyens fonctionne, il est aussi indispensable que les membres s’approprient la boîte à outils du Plan B, par exemple en proposant des articles pour le média collaboratif NotrePlan.net.
Tout cela vise à alimenter un cercle vertueux : une communauté forte permet d’adapter au mieux l’offre de services du Plan B et une offre de services adéquate permet de convaincre plus de collectifs de rejoindre la communauté.
Une consommation plus responsable
Thierry Colin, membre de la Grande Épicerie générale, présente ce supermarché participatif.
Plus de cent soixante coopérateurs ont investi dans la Grande Épicerie générale à Nancy et participent au fonctionnement du magasin, qui a pour ambition de devenir un supermarché participatif. La petite épicerie test au milieu du quartier arabe de la ville, rue Saint-Nicolas, doit s’agrandir en 2020. Et la crise sanitaire due au coronavirus a donné plus de sens à ce projet participatif.
L’aventure a débuté avec la livraison de sapins, d’oranges, de pains et de fromages dans le jardin d’un adhérent en 2016. Aujourd’hui, les quarante-cinq mètres carrés de rayonnage sont devenus trop petits pour accueillir les produits des quelque soixante-dix producteurs locaux et toutes les autres références commandées à une poignée de grossistes. Car la Grande Épicerie générale à Nancy n’est pas un simple magasin de produits locaux et entend devenir un supermarché où chacun peut faire l’ensemble de ses courses au même endroit, du papier toilette aux produits d’hygiène en passant par l’épicerie sèche et les fruits et légumes, voire du textile et un « cinquième rayon » proposant des vêtements ou des vélos d’occasion.
Le principe a été inventé à Brooklyn en 1973 et, depuis cinq ans, existe en France avec plus d’une cinquantaine de projets analogues à travers le territoire. Au-delà d’une simple coopérative d’achat avec des salariés, chaque coopérateur, qui détient des parts sociales, doit impérativement participer trois heures par mois au fonctionnement du magasin pour pouvoir faire ses courses (tenir la caisse, mettre en rayon, commander les produits, faire la comptabilité, réceptionner les livraisons, laver les réfrigérateurs…). Les tâches sont multiples et permettent à la coopérative de proposer une marge unique de 20 % sur tous les produits. Le panier moyen peut être moins cher que dans un magasin classique. Surtout, les produits sont tous choisis par les coopérateurs : plus éthiques, plus locaux, plus bio, mais adaptés à toutes les bourses. Il s’agit de diffuser une consommation plus responsable sans rien imposer.
Le fonctionnement au quotidien se fait sur une base collective et des groupes de travail sur des sujets divers (par exemple, « zéro déchet » pour développer le vrac ou « catalogue » pour rechercher des produits locaux) font avancer le projet qui génère déjà plus de 15 000 euros de chiffre d’affaires par mois, quatre ans après la naissance de l’association qui s’est transformée en coopérative en 2020. La charge de travail est importante et le travail participatif en équipe parfois compliqué, facilité par l’informatique, mais aussi source d’incompréhensions.
Le pari est de savoir si ce qui fonctionne dans les grandes villes (Paris, Montpellier, Lille, Lyon, Bordeaux…) peut fonctionner dans une ville moyenne. Quelques éléments permettent de le penser, mais il y a des freins. L’offre est encore limitée, il n’y a pas d’effet volume et donc certains produits sont aussi chers qu’ailleurs. La Grande Épicerie générale n’a pas atteint le millier de coopérateurs en quelques mois, comme dans d’autres grandes villes. Le prix de l’immobilier dans le centre et la petite couronne est élevé à la vente ou à la location. Nancy est une ville universitaire, de passage, et il y a un turn-over mécanique des adhérents les plus impliqués.
Autre frein, la difficulté de convaincre : le projet est complexe, il faut prendre le temps d’expliquer toutes ses dimensions. Les coopérateurs entendent dépasser la simple consommation différente : le lieu a vocation à créer du lien, à accueillir des expositions artistiques et d’autres initiatives (troc, « repair café »…) pour en faire un tiers lieu.
À Nancy, l’épicerie test a démontré que la structure peut tourner, avec une très forte implication d’une cinquantaine de bénévoles qui travaillent plus de trois heures par mois. La crise du coronavirus a donné tout son sens à ce projet : solidarité avec les producteurs locaux en difficulté de livraison et de production, réinvention du système de livraison pour des courses en toute sécurité sanitaire. À l’heure où la mondialisation a montré ses limites, la réappropriation de sa consommation peut être une piste à suivre.
Le goût de la transition
Xenophon Tenezakis, membre du collectif d’animation de la Cantoche, présente ce restaurant-bar associatif qui s’inscrit dans la transition écologique et dans la vie de son quartier.
La Cantoche est née au moment du village Alternatiba des initiatives à Nancy de 2015, qui fut suivi de nombreuses réunions publiques et de la création d’une charte de valeurs. Le projet a reçu une impulsion décisive en mai-juin 2017, avec le montage d’un restaurant éphémère. Le succès de l’initiative nous a encouragés à nous structurer davantage, en établissant plusieurs groupes de travail thématiques : restauration, recherche de local, finances, etc. Certes, dans les faits, les différents groupes étaient souvent portés par le même noyau de personnes motivées. Le lieu a commencé à accueillir du public en novembre 2018, et le restaurant a ouvert en juillet 2019. L’activité de l’association est soutenue par deux salariés, une coordinatrice et un chef cuisinier.
À la Cantoche, on peut manger un repas végétarien, préparé le plus possible à partir de produits et légumes locaux, issus du département, voire du bassin nancéien. Mais on peut aussi simplement boire un verre ou bien participer à l’un de nos événements à prix libre. Il s’agit souvent de conférences-débats, de projections ou réunions liées à la transition écologique et sociale. Il suffit pour tout cela d’adhérer, également à prix libre. On peut aussi s’engager de façon plus active, en tenant le bar ou en participant à la cuisine, voire en prenant en charge de façon régulière une tâche au sein d’un des groupes de travail.
La Cantoche se veut ainsi un lieu accueillant, mais elle a aussi pour but d’agir pour le climat au niveau local par l’appropriation collective d’une alimentation en transition. En effet, le système agro-alimentaire émet un tiers des gaz à effet de serre, selon le Réseau Action Climat. L’urgence climatique et plus largement écologique nous appelle à changer nos modes de vie, maintenant. La Cantoche veut contribuer à ce changement en promouvant une alimentation responsable, mais aussi lutter contre l’isolement produit par nos sociétés contemporaines et favoriser l’engagement citoyen. En somme, notre projet se veut à la fois écologique, solidaire et civique.
En somme, notre projet se veut à la fois écologique, solidaire et civique.
Nos objectifs sont partiellement atteints. Après un démarrage parfois difficile, nous avons atteint, en janvier-février 2020, une moyenne de quinze repas vendus par service, et ce par la participation de bénévoles pour chaque service, l’organisation de trois événements par semaine autour de nos problématiques, ainsi qu’une coopération réussie entre salariés et bénévoles. De quoi espérer stabiliser à moyen terme notre initiative sur le plan financier, mais aussi humain. Nous sommes également en contact avec des acteurs divers de Nancy : des associations et collectifs autour de l’écologie, des associations culturelles, de solidarité, des acteurs institutionnels, etc. Pour eux, notre lieu sert, au choix, de tremplin pour se faire connaître, ou bien, pour des associations d’aide au retour à l’emploi par exemple, de sas pour que des personnes désocialisées puissent se réinsérer en douceur. Nous réalisons aussi des animations de sensibilisation auprès de divers acteurs publics ou privés.
Du fait du caractère mixte de notre projet, à mi-chemin entre des logiques marchandes et non marchandes, et de l’incertitude associée à la réalisation de tout projet un peu novateur, nous avons vécu de fortes tensions entre professionnalisme et bénévolat, expertise et spontanéité, non exprimées comme telles, quoique vécues parfois dans le conflit ou dans l’incompréhension mutuelle. Un accompagnement de socianalyse, inspirée de l’analyse institutionnelle de Georges Lapassade et René Lourau, nous a permis de mettre des mots sur ces difficultés et d’imaginer des solutions pour les surmonter.
Comme d’autres associations, nous devons aussi intégrer les contraintes du contexte de Nancy : une population très mobile et une instabilité des personnes engagées, qui contribue parfois à une certaine désorganisation. D’autre part, l’immobilier est assez cher. Nous n’avons trouvé notre local actuel que grâce à la bonne volonté de son propriétaire actuel, et nous aurions besoin d’espaces de travail spécifiques, pour éviter que des activités parfois incompatibles entre elles se gênent. L’épidémie de Covid-19 a mis notre activité à l’arrêt, mais nous la considérons aussi comme une occasion de revoir notre fonctionnement, pour repartir de plus belle et pérenniser l’association.
Kèpos et son jardin d’entreprises
Emmanuel Paul, président de Kèpos, présente sa société qui œuvre à la transition écologique par la coopération interentreprises.
L’ampleur des défis liés à la transition écologique implique d’expérimenter de nouveaux modèles. C’est fort de cette conviction qu’un groupe de jeunes entrepreneurs a commencé à se réunir en 2018 à Nancy pour jeter les bases d’une approche collective de ces enjeux. Il y avait là, entre autres, un traiteur travaillant uniquement avec des produits bio et locaux, un fabricant de yourtes, un médecin toxicologue spécialiste de santé et d’environnement, un ingénieur concevant des machines low tech, emmenés par un professionnel du développement territorial en reconversion professionnelle. Tous étaient frappés par l’ampleur de la tâche et la modestie de leurs réalisations. D’où la volonté de faire corps pour sortir de la marginalité et porter une ambition véritablement transformatrice.
C’est ainsi qu’a été créée la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Kèpos en 2019. Le choix du statut coopératif s’imposait pour ce type de projet. La gouvernance d’une SCIC se fait selon le modèle « une personne, une voix », en faisant le pari du multi-sociétariat. Sont ainsi représentés, dans les organes de décision, les salariés de l’entreprise, ses bénéficiaires, des personnes physiques ou morales qui soutiennent la démarche, de même que des collectivités, favorisant ainsi la communication entre ces acteurs. Vingt jeunes entreprises sont accompagnées dans ce cadre.
Kèpos travaille avec elles selon trois approches : accompagnement, coopération, mutualisation. L’accompagnement, à la fois individuel et collectif, permet à ces entreprises en développement de mieux asseoir leurs décisions, en sortant leur dirigeant de l’isolement. Un panel de services est mis à leur disposition (recherche de financements, montage de réponse à des appels d’offres, conseil en organisation, etc.). La SCIC leur propose des formations régulières sur les enjeux de la transition écologique. Ensemble, ces entreprises montent des offres partagées, par exemple dans le domaine du conseil ou de la formation, susceptibles d’intéresser tout acteur privé ou public qui souhaiterait mettre en œuvre son propre processus de transition. Enfin, la mutualisation a pour but que le groupe se dote collectivement de ressources partagées auxquelles personne ne pourrait individuellement prétendre.
Si l’animation de ce collectif, que Kèpos appelle son « jardin d’entreprises », permet à de très petites entreprises engagées d’enclencher un processus de premier développement, la SCIC a souhaité mettre en place des actions s’adressant à des acteurs qui se situent plus en amont dans le processus de création d’activité. Elle a ainsi créé avec l’appui du réseau France Active un dispositif, nommé « la Serre à projets », qui vise à faire émerger sur le territoire de nouvelles activités en phase avec la transition écologique. Ce dispositif d’entrepreneuriat inversé a pour méthode de repérer sur le territoire des besoins non satisfaits, d’imaginer des solutions pour y répondre et d’étudier leur faisabilité, avant de les confier à des porteurs de projets issus de l’économie sociale et solidaire. Cette véritable « fabrique de projets d’utilité sociale » est la seule en France à être spécifiquement positionnée sur la transition écologique.
Kèpos a également construit une expertise susceptible d’intéresser des entreprises plus mûres ou même des collectivités ou des associations. Forte de la grande diversité des compétences de ses coopérateurs, elle accompagne les processus de transition dans les organisations, en aidant dirigeants et salariés à mettre les enjeux écologiques à l’ordre du jour. Au-delà du développement durable ou de la responsabilité sociale des entreprises, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux actuels, Kèpos défend une démarche de transformation reposant sur trois piliers : sobriété dans l’usage des ressources de l’entreprise, limitation des conséquences négatives sur les écosystèmes, résilience de l’organisation.
Après trois ans de travail, la cohésion du groupe a crû considérablement. Chez chacun des membres, des emplois ont pu être créés, des appels d’offres remportés, des financements décrochés ou des initiatives mises en valeur dans la presse nationale, ce qui crée une émulation. Cela n’est pas sans difficultés. La légitimité du projet doit régulièrement être réaffirmée, tant face aux acteurs institutionnels, exigeants du point de vue des labels et des signaux de compétence, que face aux acteurs plus militants, qui peuvent douter de la possibilité de concilier écologie et fonctionnement du système économique actuel. Les incertitudes économiques sont également importantes. Quoi qu’il en soit, les fondateurs de Kèpos ont inscrit dans les statuts de la coopérative l’espérance comme une valeur fondatrice de leur projet. En effet, au-delà de la prospérité ou non de leurs activités, la question qu’ils se posent tous, alors qu’ils sont à un âge où ils construisent leur famille et ont des enfants, est celle de la transmission.
La non-violence pour agir
Patricia Cartigny et Denys Crolotte présentent le Mouvement pour une alternative non violente (MAN) de Nancy, qui est engagé dans les luttes écologistes et pour une transformation globale vers une société juste, durable, solidaire et tolérante.
Au niveau national, le MAN est une fédération de groupes locaux qui a pour but la promotion de la non-violence dans toutes ses dimensions, éthiques et politiques. La non-violence est une démarche de compréhension des violences subies et de réappropriation par les citoyens de leur pouvoir de discernement et d’action. Ce n’est pas une démarche facile quand la révolte gronde, mais elle apprend à conjuguer démocratie et résistance, solidarité et convivialité, respect et responsabilité.
Le MAN s’est historiquement structuré en 1974 à partir des groupes de recherche et d’action sur la non-violence, des comités de soutien aux objecteurs de conscience qui refusaient d’effectuer leur service militaire et des collectifs de solidarité avec les paysans du Larzac. Parmi les personnalités qui ont aidé à construire le MAN, on peut citer le philosophe Jean-Marie Muller, qui a écrit nombre d’ouvrages sur la non-violence, Jacques de Bollardière, général emprisonné à la suite de son opposition publique à l’utilisation de la torture pendant la guerre d’Algérie en 1962, devenu par la suite militant contre l’arme nucléaire, écologiste et non violent, et Jacques Semelin, chercheur universitaire sur les résistances non violentes pendant la Seconde Guerre mondiale, puis sur les crimes de masse passés et récents.
Le groupe de Nancy est présent dans les mobilisations actuelles pour le climat. Il avait déjà organisé un forum national en Meurthe-et-Moselle en 2008 sur les thèmes de l’écologie et de la non-violence, avec l’intuition que les mobilisations écologistes renouvellent la question de la non-violence1. Pendant le village Alternatiba de Nancy en 2015, nous avons pu aborder l’éducation à la non-violence en faisant jouer des enfants et des adultes à des jeux coopératifs et présenter l’outil du théâtre forum. En participant à ces projets, le MAN Nancy a vu naître une nouvelle génération militante, qu’il accompagne grâce à son réseau militant très enraciné.
La première marche pour le climat à Nancy, le 8 décembre 2018, a été un moment décisif pour cette nouvelle dynamique nancéienne, car le préfet a interdit cette mobilisation un jour avant la date de la manifestation sous prétexte de risques d’incidents avec les Gilets jaunes. Il a été décidé de maintenir cette manifestation comme acte de désobéissance civile, avec comme ciment la non-violence. Elle a été un succès par le nombre des participants, le respect absolu des consignes de non-violence, mais aussi par son retentissement national, après que le préfet a voulu punir deux des organisateurs par vingt-quatre heures de garde à vue. De mémoire de militant non violent, il n’y avait pas eu pareille action depuis les mobilisations pour soutenir les paysans du Larzac entre 1974 et 1980 ! L’action non violente a également été utilisée avec brio par une trentaine de militants issus de différentes associations lors du « nettoyage de la Société Générale » en septembre 2018, pour protester contre les paradis fiscaux et le financement de projets industriels polluants liés au gaz de schiste.
La non-violence est depuis lors incontournable dans les mobilisations pour le climat, avec une formation spécifique des personnes chargées de l’encadrement des manifestations, auxquelles le MAN participe. La formation à la non-violence est également une des pierres angulaires du MAN à Nancy. Un catalogue de formation est publié tous les ans qui aborde aussi bien l’action et désobéissance civile non violente, la communication, la régulation des conflits, la négociation, que des outils pédagogiques comme la « Fresque du climat ». Le MAN organise aussi tous les deux mois des « débats de la non-violence » avec des publics divers, autour des thèmes autour du pouvoir, de l’hospitalité, de la justice, de la violence et qui nourrissent parfois des publications.
Nous invitons l’ensemble des citoyennes et citoyens à signer la pétition pour que la France ratifie le traité d’interdiction des armes nucléaires. Nous l’invitons également à nous rejoindre lors d’une rencontre nationale ouverte sur le thème : « Face à l’urgence climatique, agir pour la justice sociale », qui aura lieu en Lorraine à l’été 2021.
- 1.Voir Écologie et non-violence, Lyon, Éditions du MAN, 2009.