
Lettre sur le pouvoir d'écrire
Auteur d’un ouvrage de référence sur le roman américain, Claude-Edmonde Magny, qui fut une collaboratrice du groupe littéraire d’Esprit, était, avec Marthe Robert et Monique Nathan entre autres, l’une des personnalités féminines qui ont renouvelé la critique littéraire et la vie éditoriale de l’après-guerre. Ce court texte que la jeune philosophe a adressé à Jorge Semprun en février 1943 (celui-ci, qui a écrit la préface de cette édition avant sa mort, ne le reçut que début août 1945) condense sa pensée littéraire : tout en évoquant Balzac, Bernanos, Cocteau et Mallarmé, elle insiste sur les liens de l’écriture et de la « déprise de soi ». Pour elle, un auteur doit parvenir à se « désencombrer de lui-même », à faire le vide de manière à mieux traduire l’expérience humaine, celle des autres, celle de tout un chacun, mais certainement pas celle d’un je obsédé de lui-même. À l’époque, la phénoménologie invitait à pratiquer l’épochè, la mise en suspens(Claude-Edmonde Magny a écrit des articles sur Sartre dans Esprit), la mise entre parenthèses de la psychologie et de ses lourdeurs. À l’époque, le Nouveau Roman était en discrète gestation, mais la lectrice passionnée de littérature anglo-américaine n’est certainement pas étrangère à des choix littéraires où le désir de se vider de soi est une manière de toucher au plus profond par l’expérience de l’écriture. On pense bien entendu à Faulkner mais aussi à Joyce, T.S. Eliot, Lawrence, Huxley sur lesquels elle a écrit dans Esprit entre 1941 et 1951. Les 80 ans d’Esprit (1932-2012) fournissent une bonne occasion de découvrir l’une de ces figures qui ont fait la revue « à la marge ».
O. M.