Une vie de rencontres
Ce livre est composé des portraits, inattendus et originaux, des nombreux personnages que Jean Lacouture a rencontrés durant ses voyages professionnels, mais aussi tout au long d’une vie où le respect pour la poésie la plus exigeante a pu s’accorder avec la passion pour le rugby ou la tauromachie. Ce dont témoigne une conversation inattendue portant sur un match du tournoi des cinq nations (cinq à l’époque !) entre l’auteur et René Char. Les portraits suivent le cours des pays et des révolutions qu’il a traversés, le Maroc de Mohammed V et de Mehdi Ben Barka, l’Égypte de Nasser, la Tunisie de Bourguiba, le Vietnam de Ho Chi-Minh, Giap (et Paul Mus), le Cambodge du roi Sihanouk ; mais aussi les amitiés politiques (Mendès France, Alain Savary), théâtrales, artistiques (Camus, Cuny, Bounoure, Audiberti, Schéhadé, Vilar…) ; mais aussi les grandes références intellectuelles (Charles-André Julien, Berque, Massignon et Germaine Tillion) ; sans oublier la mémoire d’une enfance bordelaise marquée par Montaigne, Mauriac, la rencontre à l’université d’un homme de culture trop méconnu aujourd’hui (Gaétan Picon) ; et puis encore l’initiation au savoir par les pères jésuites (auxquels il a consacré une somme). Mais ces portraits nouent parallèlement un autre récit plus discret, celui de l’apprentissage des métiers de journaliste, d’écrivain et d’éditeur. On connaît le journaliste, le biographe de Charles de Gaulle et André Malraux, l’éditeur qui fonde la collection « L’histoire immédiate » au Seuil, et l’on se prend à rêver à des Lacouture dans la presse quotidienne d’aujourd’hui ! Mais il y a des conditions au savoir-faire et au bel ouvrage (ce qui n’empêche pas Lacouture d’avoir pu se tromper !). Ce récit singulier salue ceux qui l’ont accueilli et formé : un patron de presse (Hubert Beuve-Méry au Monde), un homme de revue (Jean-Marie Domenach, d’Esprit, fait l’objet de belles pages reconnaissantes), et un éditeur « unique » (Paul Flamand au Seuil). Journalisme, édition, monde des revues, tout s’entrecroisait et s’enrichissait alors ! Mais, pas de nostalgie, Lacouture rappelle surtout que la passion, pour un métier ou pour l’écriture, exige d’être capable d’admiration. Pour un artiste, un geste du rugby ou un moment de poésie. C’est ce qu’il fait ici.
O. M.
O. M.