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Notes de lecture

ANDRÉ GORZ, UN PENSEUR POUR LE XXIe SIÈCLE

mars 2009

#Divers


Gerhardt Hirsch est né à Vienne en 1923, d’un père juif, marchand de bois, et d’une mère catholique de quinze ans plus jeune, ambitieuse. En 1930, ils optent pour un nom moins juif, Horst. Le couple ne va pas bien et en 1938, c’est la séparation. Le jeune Gerhardt est scolarisé en Suisse et, en 1945, obtient son diplôme d’ingénieur chimiste. Depuis plusieurs années, il lit abondamment et s’intéresse de près à la philosophie, surtout après sa découverte de l’Être et le néant de Jean-Paul Sartre, en 1943. En 1947, à Lausanne, il rencontre une Anglaise, jeune fille au pair, Doreen Keir, qui sera Kay dans le Traître qu’il rédige alors, ils se mettent en ménage et, on le sait, ne se quitteront que pour mourir ensemble d’un commun accord, le 22 ou 23 septembre 2007. En 1949, ils emménagent à Paris. Après plusieurs petits boulots, Gerhardt devient journaliste économique à L’Express, fondé par Jean-Jacques Servan-Schreiber qui l’encourage à prendre un pseudonyme, ce sera André (à cause de Malraux) et Bosquet (traduction en français de l’allemand horst), qu’il conserve lorsqu’il entre à France-Observateur, ancêtre du Nouvel Observateur. Il usera également d’un autre pseudonyme, André Gorz, lorsqu’il devient un des piliers de la revue de Sartre, Les Temps Modernes. Michel Bosquet est le journaliste talentueux militant de la cause écologique et André Gorz, le théoricien existentialiste, le critique d’un marxisme économiciste et enfin l’analyste fin, et novateur, de l’après-capitalisme, de l’après-salariat, dans ce puissant ouvrage, insuffisamment étudié, qu’est l’Immatériel1. C’est là qu’il démontre que le capitalisme de l’immatériel est comme gêné par le salariat et qu’il préférerait n’avoir affaire qu’à des individu-en-mission, se formant tout au long de leur vie, disponible selon les carnets de commande, fonctionnant comme une petite entreprise sous-traitante. Cette analyse anticipe, sur bien des points, ce qu’on peut observer, non seulement aux États-Unis mais en Europe, là où le salariat (à l’ancienne) se cantonne dans les services à la personne et les tâches d’entretien (jardinage, ménage, gardiennage…). Thèse essentielle à confronter à d’autres données et à méditer. Dorine atteinte d’une maladie évolutive, le couple s’installe à Vosnon, dans l’Aube, à la fin des années 1970, mais André Gorz poursuit son étude des évolutions du capitalisme et publie des ouvrages largement discutés par « la nouvelle gauche », mais aussi par les écologis­tes, comme Adieux au prolétariat (1980), les Chemins du paradis. L’agonie du capital (1983), Métamorphoses du travail (1988), Misères du présent, richesse du possible (1997) et un texte plus intimiste, Lettre à D. Histoire d’un amour (2006).


Cet ouvrage regroupe des témoignages d’intellectuels qui ont tous connu et fréquenté André Gorz. Chacun s’évertue à démontrer en quoi son œuvre éclaire notre présent et contribue, non seulement à sa compréhension, mais surtout à son dépassement. Christophe Fourel relate son trajet intellectuel et insiste sur sa parenté avec Ivan Illich. Patrick Viveret souligne « l’aller et retour dialectique entre la posture personnelle existentielle du sujet et la question du sens de l’amour comme question politique au cœur des stratégies de transformation sociale ». Jean Zin commente la position d’André Gorz : « Nous naissons à nous-mêmes comme sujets, c’est-à-dire comme des êtres irréductibles à ce que les autres et la société nous demandent et permettent d’être. » Denis Clerc et Dominique Méda explicitent la conception de « l’emploi et du travail » dans son œuvre, Marie-Louis Duboin-Mon rend hommage à son père, Jacques Duboin (1878-1976), le théoricien de « l’économie distributive » et établit des passerelles entre les deux penseurs, etc. L’ouvrage se clôt avec la publication de trois textes passionnants d’André Gorz, « Un être est un être qui a à se faire ce qu’il est », « Kafka et le problème de la transcendance » et « Nous sommes moins vieux qu’il y a vingt ans ».


Thierry Paquot


1. André Gorz, l’Immatériel, Paris, Galilée, 2003.



 

La Découverte, 2009
240 p. 18 €