La moquerie par l'image : un retour du blasphème ? (entretien)
La dérision envers la religion n’est pas une nouveauté, et le christianisme, dès ses origines, n’a pas été épargné. Depuis le début du xxe siècle, la multiplication des œuvres d’art qui s’attaquent à la religion va de pair avec la sécularisation des sociétés occidentales. Mais, au xxie siècle, la diffusion mondialisée des images et leur utilisation politique invitent à réinterroger la notion de « blasphème ».
Esprit – On pourrait assez bien appliquer au monde de l’art cette citation de l’écrivain roumain Norman Manea : « Dans le grand marché libre et carnavalesque du monde d’aujourd’hui, seul semble audible ce qui est scandaleux, mais rien n’est assez scandaleux pour devenir mémorable1. » La moquerie et la dérision semblent partie prenante des démarches esthétiques de nombreux artistes contemporains : on peut retenir comme repère l’exemple des moustaches ajoutées par Marcel Duchamp à la Joconde (titre : LHOOQ) en 1919. Est-ce un moment historique de rupture avec la grande tradition picturale, un refus de la représentation, qui fait basculer dans un autre cycle de l’histoire de l’art ou est-ce seulement une petite provocation, sans postérité réelle dans l’histoire de l’esthétique ?
Des images vulnérables
François Bœspflug – Ce geste m’apparaît surtout comme la reprise d’un acte très ancien de détournement et de subversion des œuvres destinées à rendre honneur à ce qui est représenté. Une image est toujours vulnérable : il est tellement facile de la détourner ! Et la libido de transfiguration – associée à la défiguration, plutôt – est illimitée. Quelque chose de très particulier, au regard des autres aires culturelles, est en effet né en Grèce ancienne quand la dérision s’est portée sur les dieux du corpus homérique. Homère et Hésiode présentent un panthéon qui, à partir du vie siècle, est tourné en dérision dans de nombreuses représentations artistiques, sur les vases, les fresques, etc. Or, cette tradition n’a cessé de perdurer malgré les censures politiques et religieuses, même au Moyen Âge, où l’on se moque sans vergogne de la messe, des offices religieux, des clercs, des moines… Ce qui se poursuit ou reprend de plus belle au moment de la Réforme, où la gravure anticléricale et antipapiste se diffuse largement. Mais, jusqu’à la Révolution française, il restait des sujets auxquels on ne touchait pas : la Vierge Marie, la crucifixion, la Trinité, Dieu le Père.
Au cours du xixe siècle, en revanche, la moquerie s’étend des clercs aux représentations divines. En 1878, par exemple, Félicien Rops, pour la première fois, représente, dans une Tentation de saint Antoine, une crucifixion où le Christ est poussé sur le côté et laisse la place à une très belle femme nue. Avait-on jamais osé un tel bricolage « blasphématoire » ? Cela n’a pas été bien vécu, en tout cas. Cette audace fit école. On a pu répertorier, depuis, tout un livre sur les représentations de femmes crucifiées2. Juste après l’invention de la photographie, dès les années 1860, on a fait des expérimentations sur les représentations du corps et il existe des séries de photographies sur des femmes en croix. Dans l’ensemble, la période actuelle n’est pas la plus dure vis-à-vis des représentations religieuses : les caricatures antireligieuses étaient beaucoup plus nombreuses et féroces entre 1870 et 1914 que maintenant… Il est vrai que la culture religieuse était plus présente et que la confrontation avec la religion faisait vibrer le public. Aujourd’hui, par contraste, c’est un climat de dérision un peu désespérée, impuissante, teinté d’indifférence « boffiste ».
Dans l’Antiquité, on se moquait bien sûr des chrétiens (voir le pamphlet de Celse, Contre les chrétiens) mais il n’existe qu’un seul exemple de moquerie portant sur les grands symboles de la religion : on a retrouvé par exemple à Rome un graffito sur le mont Palatin qui représentait un crucifix à tête d’âne, avec la légende moqueuse : Alexamenos adore son Dieu… La manière grecque de se moquer des Dieux, ce phénomène assez insulaire dans l’histoire des formes, qui s’était progressivement intégrée à la culture chrétienne, est aujourd’hui mondialisée. Désormais, avec la circulation accélérée des images et leur diffusion instantanée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les moqueries et les images détournées de leur sens d’origine circulent sans limitation. Des traditions différentes sont ainsi mises en contact sans médiation ni précaution aucune, alors que dans le bouddhisme ou l’islam, il n’y a pas de tradition d’images dégradantes. Ce qui est neuf, c’est ce forum généralisé qui place tout le monde en contact direct avec des traditions iconiques différentes.
La caricature religieuse prend aussi appui sur un statut particulier des images dans le christianisme, instrument de la prédication auprès des fidèles. Les Évangiles présentent de nombreuses scènes propices à la mise en image, et, surtout, le récit de la Passion du Christ se prête à des représentations qui contiennent une certaine violence.
Le christianisme est, avec l’hindouisme, une religion particulièrement iconophile. Après de nombreuses controverses théologiques et deux siècles d’aniconisme, le christianisme a fini par considérer que les images faisaient partie des besoins expressifs des fidèles chrétiens. Pour les chrétiens, il est donc légitime de fabriquer, d’exposer, de diffuser des images. Une religion iconophile, qui diffuse beaucoup d’images, est bien sûr particulièrement sensible aux détournements. Mais plus encore, on peut se demander si le récit de la vie du Christ ne suscite pas une forme de violence, y compris dans les images religieuses, puisqu’il existe une représentation chrétienne du « Christ aux outrages », qui renvoie explicitement au passage des Évangiles racontant que le Christ fut tourné en dérision au moment de sa présentation devant Pilate, un passage qui reprend le thème développé par le prophète Isaïe du Messie bafoué.
La Passion du Christ est elle-même une représentation très ambivalente du point de vue des représentations. La torture est une mort mise en spectacle. La cruauté fait partie du spectacle dans notre tradition au moins depuis les jeux du cirque à Rome, qui rassemblaient des foules pour voir les gens s’entretuer. Le christianisme, du fait de la Passion du Christ, met en spectacle la mort du Christ et sa souffrance avec le chemin de croix. Il y a de ce fait une prédisposition du christianisme à susciter toutes sortes d’agressions iconiques. Le Bouddha meurt de mort naturelle, ce qui est beaucoup moins spectaculaire, assurément.
Caricaturer la religion dans des sociétés sécularisées
Mais pourquoi des artistes s’en prendraient-ils encore aujourd’hui aux images chrétiennes dans une société largement sécularisée et déchristianisée ?
Bonne question, qu’il faudrait poser aux artistes, aux galeristes, aux collectionneurs. Il n’est pas certain qu’ils disposent d’une réponse pertinente. Quoi qu’il en soit, je ne connais pas de thème aussi fréquenté durant tout le xxe siècle par toutes les avant-gardes à travers le monde que la crucifixion ou l’homme en croix. Je suis en train de préparer un livre pour Bayard sur le thème de la crucifixion et je me demande si je ne dois pas prévoir un volume qui irait du ive au xixe siècle, puis un volume à part pour le xxe siècle, condamné à être volumineux, tant les représentations se sont démultipliées au cours du dernier siècle. Une extension parallèle à la déchristianisation, ce qui peut paraître paradoxal. Mais il me semble qu’on n’a jamais trouvé mieux comme paradigme de l’homme, ou de la femme, injustement traité, quelle que soit la population concernée : minorités persécutées, paysans spoliés, femmes violées, innocents bafoués. On n’a pas trouvé figure plus synthétique : c’est l’image de l’impuissance, de la souffrance qui dure et qui est exposée aux regards. Il me semble donc que dans la culture visuelle mondiale ou en voie de mondialisation, la crucifixion est un motif, voire le modèle par excellence de l’humanité maltraitée. Le zeste qui fait finalement toute la différence, c’est qu’il y a dans la position du corps en croix un potentiel de représentation érotique : bras ouverts, corps exposé, comme en attente. Impuissance douloureuse, consentement voire attente se disent ensemble dans la même figure.
Le xxe siècle n’a pas été avare de crimes et de massacres, si bien que la représentation de la victime est en quête d’un paradigme de la souffrance, de l’humanité maltraitée. Ce motif se transporte, se déporte et, en fonction des contextes, prend des sens différents. Mais l’utilisation éloquente, pour exprimer une figure de la souffrance, l’emporte largement sur la dérision antichrétienne ciblée. Francis Bacon ou Antonio Saura ne tournent pas autour du motif de la crucifixion par antichristianisme, ce serait une lecture très réductrice de leur œuvre3. Picasso peint une crucifixion en 1930 et va en Belgique à Boisgeloup en 1932, où il fait coup sur coup seize dessins durant l’automne, tous autour du motif du calvaire ; pour lui, c’est une mise à l’épreuve de la forme cubiste. Cette large diffusion du motif de la croix montre que l’iconographie chrétienne est devenue une réserve dans laquelle on peut prendre la liberté, quelle que soit la réaction des Églises, d’aller puiser pour les expériences esthétiques et les militances les plus variées. Les emprunts montrent que le christianisme est, pour le meilleur et pour le pire, « muséalisé » ou « patrimonialisé », ce qui déconnecte les références chrétiennes du dogme, de la liturgie, de la mystique…
Si une mise en perspective historique permet de relativiser la « nouveauté » de la moquerie antireligieuse, comment expliquer une sorte de regain de susceptibilité des croyants ? Du point de vue de la réception, la sensibilité semble exacerbée. Pourquoi ?
Des croyants en général, c’est trop dire. Parmi les chrétiens, tous ne sont pas attentifs ni aux aguets ; la plupart sont heurtés mais, dans cette histoire longue, ils ont appris à laisser passer, et la majorité fait le gros dos : autant en emporte le vent. Pourtant, dans des milieux plus intégristes, il y a la volonté de réagir, une instrumentalisation du thème pour protester de manière publique, avec l’outil de la procédure judiciaire. Mais ce sont quand même de petites minorités. En 1997 paraît un livre de photographies de Bettina Rheims et Serge Bramly, Inri, une mise en scène érotisée de la Passion du Christ, qui a été retiré de la vente suite à une plainte de la Conférence épiscopale de France. Cela n’a pas soulevé les foules… Qui s’en souvient aujourd’hui ? Le relevé de ce type d’incident serait fastidieux. Pourtant, les tribunaux sont régulièrement saisis de plaintes déplorant des « blasphèmes ». En Alsace, par exemple, du fait de la permanence du concordat entre l’État français et le Saint-Siège, la loi punit toujours le blasphème, des peines sont prévues, même si elles ne sont pas appliquées. Dans plusieurs pays européens, le blasphème est toujours un délit. En Bavière, suite à la reprise d’une pièce à scandale de la fin du siècle (Oskar Panizza, le Concile d’amour, 1895), des personnes réclament sa réintroduction dans le droit pénal.
D’un point de vue théologique, le blasphème entre dans le cadre pieux, liturgique du bien dire et du mal dire de Dieu. Dans le décalogue, un commandement demande de ne pas invoquer le nom de Dieu en vain, ce qui vise les serments faits à la légère ou l’utilisation du nom de Dieu comme caution dans un pacte qu’on n’a pas l’intention de respecter. Au-delà, le christianisme développe l’idée que la dignité de l’homme consiste à dire du bien de son Créateur et non du mal. Jurer est un péché qui relève à la fois de l’injustice, puisque l’homme doit tout à son Créateur, et aussi du refus de la déférence, comme un vassal doit hommage à son suzerain.
Mais dans la vie chrétienne, le blasphème n’occupe aucune place concrète, sauf par accident. Si bien que ce sont surtout les répercussions sociales du blasphème qui sont importantes4. L’idée est que les gens qui jurent, même par accident, font courir un risque à l’ensemble de la collectivité car Dieu pourrait se venger de l’injure qu’il a subie en ripostant par des épidémies, des guerres, des famines… Louis IX (saint Louis), par exemple, ne tolérait aucun juron pendant les traversées en mer, de peur qu’une tempête ne se déclenche. C’est pourquoi il a établi une juridiction contre le blasphème, plus sévère que celle voulue par le Saint-Siège, défavorable à toute mutilation corporelle en cas de blasphème. Les mesures pénales sont cruelles : on coupe la langue, on fend la lèvre inférieure… Le dernier condamné pour blasphème de l’Ancien Régime, écartelé en place publique en 1766 à Abbeville, est le chevalier de La Barre, qui aurait lacéré un crucifix en bois à la pointe de l’épée. On trouve des amendes lourdes punissant ce « délit » jusqu’à la fin du régime de Napoléon III. Petit à petit, le blasphème s’efface des législations en Occident. Mais il représente encore une transgression très grave dans les pays qui se réfèrent à la charia. C’est une des fautes les plus graves qui soient, toujours pour la même raison, car quelqu’un qui fâcherait Dieu fait courir un danger à l’ensemble de la société.
Dérision sans frontières
Mais cette sensibilité contemporaine n’est-elle pas liée aussi à la difficulté de repérer les formes d’expression artistique, qui ne relèvent plus exclusivement des canons classiques ? Les œuvres qui choquent appartiennent souvent à des genres hybrides, insaisissables, l’installation, la performance…
Oui, une part de l’art contemporain est faite pour surprendre, provoquer, se décaler, plus que pour être reçue, investie et réappropriée. L’idée plus ou moins scandaleuse l’emporte sur le savoir-faire traditionnel. On observe par voie de conséquence un débrayage entre les goûts du grand public et les productions valorisées par le marché de l’art. La mondialisation du marché de l’art est une mondanisation, pour ne pas dire une mondanité, qui n’atteint en rien le rapport des chrétiens aux images. Les images d’usage chrétien n’ont à peu près rien à voir avec la coucherie de l’art contemporain avec le monde du fric. Rien. Je prédis une « exculturation », non pas du christianisme, comme l’annoncent certains sociologues, mais de l’art contemporain. Croyez-vous vraiment que l’on contemplera encore durant plusieurs générations les compressions de César, la machine Cloaca à fabriquer de la merde de Vim Delvoye (actuellement présentée au Louvre), les créatures fluo de Jeff Koons, les carreaux cassés de Parmegiani ?
On parle un peu trop vite à propos de ces contestations de la tradition d’« iconoclasme ». En réalité, il faut le distinguer de l’iconophobie, qui est l’hostilité aux images en général, qui considère qu’elles ne sont d’aucun apport spirituel, qu’elles sont une distraction, au sens fort, une perte de temps. Celle-ci est assez répandue dans différentes traditions spirituelles qui considèrent que l’essentiel est invisible au regard. Il y a ensuite l’iconomachie qui est le fait non seulement d’être défavorable aux images mais de les combattre, et même l’iconoclastie, qui vise à les détruire. Il y a donc un étagement des attitudes dont il ne faut pas perdre la nuance. Le refus de la figuration au début du xxe siècle peut être lu comme une iconophobie mais qui ne veut pas dire que Kazimir Malevitch ou Paul Klee ont cherché à détruire des images, sinon métaphoriquement. Mais la destruction des images n’est pas toujours métaphorique. À l’époque de la Réforme, il y a eu de vrais combats iconoclastes, des « bris d’images » au sens le plus concret du terme. À Berne par exemple, on a récemment découvert, sous le mur de fortification de la Cité haute, une fosse remplie de statues cassées par les réformés5. Plus récemment, on se souvient de la destruction à l’explosif des Bouddhas monumentaux de Bamiyan par les talibans afghans.
Les objets du marché circulent sans limitation dans un espace mondial. Mais la réception des œuvres qui détournent les symboles religieux reste marquée par des contextes locaux.
On l’a vu avec les caricatures de Mahomet publiées au Danemark et qui ont provoqué en 2006 des émeutes en Égypte et en Afrique, qui ont fait au total cent cinquante morts. Mais la publication de ces caricatures de presse n’est devenue une « affaire » que parce que la Ligue arabe au Caire a instrumentalisé ce sujet pour des raisons politiques, en faisant insérer parmi les dessins danois d’autres dessins beaucoup plus injurieux qui ne provenaient pas de Scandinavie, comme l’a prouvé l’enquête de Mohamed Sifaoui6. En Occident, on tolère de plus en plus mal la censure, la limitation du droit d’opinion d’expression tandis que, dans le même temps, le développement de mouvements fondamentalistes dans des pays du monde musulman et arabo-musulman produit une contestation nouvelle des images. Depuis la montée en force du wahhabisme fin xviiie, repris par les Frères musulmans début xxe siècle en Égypte, une partie du monde musulman s’est coupée d’une grande part de sa tradition. C’est une difficulté de nombreuses régions de vivre dans un islam amputé de sa mémoire, beaucoup plus complexe qu’on ne veut le croire.
Je viens de finir un article sur la représentation de Mahomet dans l’art7. On répète à tort que la représentation du prophète est interdite dans l’islam. Mais où donc cette interdiction a-t-elle été formulée en clair, et théologiquement justifiée ? Pourquoi l’interdiction de représenter Dieu, héritée du décalogue juif, serait-elle étendue au prophète qui n’a jamais cessé de rappeler qu’il était un homme ? Ce qui n’a jamais été fait en islam, c’est ce que font les chrétiens iconophiles, d’abord byzantins, avec la Sainte Face du Christ ou le Pantocrator, à savoir la représentation frontale comme portrait à contempler. On voit plus fréquemment Mahomet de profil en action, sur sa jument, entrant dans La Mecque ou Médine, ou voyageant à travers les cieux. On en trouve beaucoup dans la miniature persane des xive-xvie siècles, par exemple, ou dans l’enluminure provenant des sultanats de l’Inde. Il est vrai qu’il n’y a en islam aucun Coran illustré, alors que les Bibles illustrées sont très nombreuses. On raconte que quand Mahomet pénètre dans le sanctuaire de la Kaaba à La Mecque, il découvre trois cent soixante statues qu’il juge idolâtriques. Il demande de tout détruire, sauf une peinture murale de la Vierge à l’Enfant.
Pour détourner le sens d’une image, il faut commencer par lui accorder un sens. Or le mode de signification des images est loin d’être univoque. Que signifie le jeu entre le premier et le second degré pour une image ?
L’image laisse une part d’interprétation créative très importante à celui qui la regarde. Elle est de signification flottante et présente une certaine vulnérabilité sémantique. Elle n’affirme pas quelque chose comme le fait une phrase, qui tend vers l’univocité. Il n’y a pas de sens premier de l’image accessible indépendamment de la connaissance de son contexte de production. En l’absence de titre ou d’indication, il n’y a pas de sens allant de soi. Si l’on voit une sculpture d’Henry Moore, d’une femme avec un enfant, on doit s’interroger : est-ce une représentation de la Vierge à l’Enfant ? Pour les orthodoxes, par exemple, il y a de vraies et de fausses icônes, selon le mode de présentation des personnages. Mais ce n’est pas évident. Toute image présente un certain nombre de sens possibles, plus ou moins triés en fonction du contexte, de l’usage, de la culture de l’observateur…
Dans le contexte catholique ou orthodoxe, de par un enthousiasme excessif, on a cru que les images pouvaient remplacer la parole. On a pu dire que l’image est une « prédication silencieuse ». Le langage des mots et celui des formes sont pourtant différents. Le poète latin Horace a été convoqué pour justifier le pouvoir de persuasion des images (« ut pictura poesis ») car, selon lui, l’image pénètre plus profond et plus vite dans les esprits que la parole. Jacques Ellul parlait à ce sujet de la « parole humiliée », tant on a dévalorisé la parole par rapport aux images. Or l’image ne vient qu’après le discours. L’idée qu’on pourrait charger les seules images de porter un message ne me semble pas possible. Les images sans légende sont muettes ou gardent une interprétation flottante.
- *.
Dominicain, professeur d’histoire des religions à la faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg. Parmi de nombreux ouvrages consacrés à l’iconographie chrétienne, il a publié Dieu et ses images. Une histoire de l’Éternel dans l’art (Paris, Bayard, 2008 ; nouv. éd. 2011) et plus récemment Dieu dans l’art à la fin du Moyen Âge et les Théophanies bibliques dans l’art d’Orient et d’Occident (Genève, Droz, 2 vol., 2012). Il a également fait paraître récemment un livre d’entretiens sur son parcours, avec Évelyne Martini : Franc parler. Du christianisme dans la société d’aujourd’hui (Paris, Bayard, 2012).
- 1.
Norman Manea, la Cinquième Impossibilité, Paris, Le Seuil, coll. « Fiction et compagnie », 2013.
- 2.
Jürgen Zänken, Crucifixae. Frauen am Kreuz, Berlin, Gebr. Mann Verlag, 1998.
- 3.
François Bœspflug, « La crucifixion déportée. Sur la sécularisation d’un thème majeur de l’art chrétien », dans Jean-Marie Husser (sous la dir. de), Religions et modernité. Actes de l’université d’automne de Guebwiller, 27-30 octobre 2003, Crdp de l’académie de Versailles, coll. « Les actes de la Desco », p. 141-161.
- 4.
Jean Delumeau, Injures et blasphèmes, Paris, Imago, 1989.
- 5.
Voir l’exposition » Bildersturm. Wahnsinn oder Gottes Wille ? « .
- 6.
Mohamed Sifaoui, l’Affaire des caricatures. Dessins et manipulations, Paris, Éditions Privé, 2006.
- 7.
F. Bœspflug, « Le Prophète de l’islam serait-il irreprésentable ? », Revue des sciences religieuses, avril 2013, 87/2, p. 139-159. Voir aussi Caricaturer Dieu ? Pouvoirs et dangers de l’image, Montrouge, Bayard, 2006.