La modernité séculière a-t-elle besoin d'une théologie politique ?
Si l’on en juge par le « retour » du religieux dans la sphère publique, notamment sous ses formes fondamentalistes ou intégristes, la sécularisation et la laïcisation semblent avoir atteint leurs limites pour légitimer une sphère publique-politique autonome. Un autre facteur accrédite ce constat : les multiples travaux consacrés ces dernières années au problème théologico-politique, et la réflexion pour justifier à nouveaux frais une parole publique des Églises dans les débats contemporains. Ces défis nouveaux, qui traversent les démocraties libérales, ne seraient-ils pas l’expression d’un impensé affectant autant les religions que ce qu’on désigne par le mot « sécularisation » ? Impensé des potentialités politiques des religions, impensé du rapport entre sécularisation et transcendance.
En Europe, le christianisme, monothéisme le plus directement concerné par les conséquences du fondement a-religieux des sociétés démocratiques, est au cœur de ce problème. Pour preuve, le débat de ces dernières années sur les héritages chrétiens de l’Europe, ceux-ci renvoyant implicitement à la tentative d’une réévaluation critique des rapports de l’Europe avec ce fondement, issu des Lumières. Je ne reviendrai pas sur ce débat qui n’est plus à l’ordre du jour, si ce n’est de façon allusive, aux fins de ma démonstration. Il me paraît plus utile de procéder à un examen synthétique de ce qu’a pu représenter de spécifique et d’original la théologie politique du christianisme. Ne comporterait-elle pas les conditions d’une compréhension renouvelée de la genèse de la modernité séculière ? L’enjeu est en ce sens celui d’une herméneutique de l’histoire politico-religieuse européenne. Et si cette herméneutique est pertinente, une pensée politique d’inspiration théologique n’est pas inéluctablement à reléguer dans un passé révolu. J’illustrerai mon propos en revenant sur une controverse ancienne (années 1930 !) sur les enjeux théologico-politiques de la « nature » de Dieu, entre Carl Schmitt et Erik Peterson. Cette controverse apporte d’indéniables éclairages sur les dangers et les aspects positifs présents dans les requêtes politiques de la théologie chrétienne. Bien que le contexte politique et religieux de Schmitt et de Peterson ne soit plus le nôtre, les arguments qu’ils mettent en avant n’ont pas perdu toute actualité. Ils appellent cependant un autre jugement sur le statut de la « théologie politique » dans les démocraties libérales.
Le problème théologico-politique chrétien: une clé d’interprétation de la sécularisation
Comme on le sait, la sécularisation fait, depuis deux siècles, l’objet de nombreuses discussions. La philosophie, l’histoire et la sociologie ont chacune apporté leurs analyses sur ce « phénomène » sans précédent. Comment les sociétés européennes, et plus largement occidentales, ont-elles pu basculer d’une légitimation théologico-politique à un fondement autonome et séculier ? Sous l’angle philosophique, il existe, de la « mondanisation » hégélienne à La légitimité des temps modernes de Blumenberg1, un vaste spectre d’interprétations2. Opposé au théorème de la sécularisation3, Blumenberg ne dénie pas pour autant un ancrage de la modernité dans l’histoire chrétienne. Mais la modernité n’en dispose pas moins, à ses yeux, de la capacité de s’auto-affirmer. Elle n’est donc pas une sécularisation pure et simple de la substance théologique du christianisme, processus que Hegel qualifie de « mondanisation ».
Ce débat sur la relation entre christianisme et modernité séculière a été l’objet d’une autre approche, plus française, chez de nombreux penseurs du xixe siècle : Saint-Simon dans les années 1820 (le Nouveau christianisme4), Edgard Quinet dans les années 1860 (le Christianisme et la Révolution française), mais aussi Michelet, Comte, Proudhon, ou encore Tocqueville… ont livré leur version de la continuité ou de la rupture avec le passé religieux. On pourrait même remonter en amont aux philosophies politiques des xviie et xviiie siècles, qui ont proposé des « conversions de sens » du christianisme pour asseoir sur un fondement séculier la sphère publique-politique.
Ces multiples interprétations, dont aucune ne peut être rejetée d’un trait de plume, ont le défaut de manquer d’une théorie explicitement polysémique du christianisme. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de penser sa ou ses significations politiques. Comme l’a souvent répété et mis en valeur dans ses livres le théologien Hans Küng, il y a des « paradigmes » successifs du christianisme (par exemple, le problème, selon lui, est justement que le « paradigme catholique romain médiéval » régit toujours le fonctionnement du pouvoir et du droit dans l’Église romaine5). Une fois encore, contrairement à une conception « substantialiste » de l’identité religieuse, c’est avec… et sur ces paradigmes qu’il faudrait travailler. Ce sont ces paradigmes, tels qu’ils sont identifiés par Küng ou par d’autres, qui ont une portée politique. Chacun d’eux entretient un rapport à la sphère politique, que ce soit dans le contexte primitif d’une attente imminente du règne du Christ, dans le contexte de l’installation de l’histoire du christianisme dans la longue durée, ou enfin dans la contestation philosophique des Églises. On reconnaît dans la première configuration le paradigme judéo-apocalyptique, dans la deuxième le paradigme impérial hellénistique, puis le modèle catholique-romain médiéval et celui de la Réforme, dans la troisième configuration enfin celui de la modernité classique des xviie et xviiie siècles.
Mais ces paradigmes ne sont intelligibles qu’à l’aune d’un concept central au monothéisme chrétien, à savoir celui de médiation, lequel se décline selon plusieurs modalités théologiques. Je voudrais ici en indiquer les critères les plus décisifs. Si le christianisme présente autant de flexibilité, c’est en raison de la subversion fondatrice que représente son message eschatologique. L’ordonnancement politique étant référé à un « règne » qui lui est supérieur, l’autorité politique ne peut se clore sur elle-même. Cette impossible clôture est d’autant plus radicale que la personne du Christ est la seule figure humaine qui soit à égalité avec Dieu. Autrement dit, les doctrines chrétiennes de l’Incarnation, de la Trinité et de l’eschatologie conditionnent un rapport dissymétrique avec tout établissement politique. Sa légitimité est jugée à l’aune des deux premières médiations, celle du Dieu de la Trinité et celle de l’Incarnation. En vertu de ces deux médiations, la condition politique est désormais irriguée par une finalité qui la dépasse, le bien commun politique n’étant qu’une anticipation du bien spirituel. En conséquence, pour juger du bien-fondé de la légitimité de l’autorité politique, il ne faut pas moins qu’une médiation seconde soit à l’œuvre, à savoir celle de l’Église.
Mais à partir de là, d’inévitables conflits se sont produits entre les pouvoirs temporel et spirituel, le premier revendiquant son autonomie, le second sa finalité supérieure. Autrement dit, la médiation chrétienne, en raison de l’altérité qu’elle postule entre l’ordre du monde et son message eschatologique toujours « en voie » de réalisation, ne peut que générer une instabilité récurrente tant dans le champ politique que dans celui de l’Église. Tout ordonnancement humain est considéré comme relatif. Il ne peut donc prétendre émarger à la catégorie d’un sacré intangible. Cette instabilité a suscité de multiples réformes de la médiation ecclésiale, soit dans le sens catholique (romain), soit dans le sens protestant. Elles constituent autant de paradigmes théologico-politiques du christianisme. C’est pourquoi ces réformes n’ont jamais été politiquement neutres. Chaque conception de l’Église, chaque conception théologique de la fin des temps, a eu pour contrepartie une conception de l’ordre politique, l’inverse étant tout aussi vrai.
Parallèlement, il en a résulté, et ce n’est pas la moindre des transformations, d’autres modalités du rapport entre le particulier et l’universel, du paradigme impérial hellénistique à celui des Réformes. Pour résumer les choses très brièvement : l’émergence corrélative de l’individu et de l’État moderne séculier est incompréhensible si l’on ne prend pas en compte la permanence de ce rapport ambivalent. L’un comme l’autre ont contribué à la mise hors jeu des conflits topiques du « spirituel » et du « temporel ». À la dualité théologico-politique du christianisme a été substituée, dans un premier temps, celle de l’unité de la souveraineté, comme en témoignent les philosophies politiques de Hobbes et de Spinoza. Elles sont le précieux indicateur d’un moment clé dans cette transmutation de la médiation chrétienne en médiation étatique, avec l’importance de la réinterprétation de la Bible. Dans un deuxième temps, c’est la pensée libérale qui prend le relais pour mieux articuler souveraineté et liberté. De façon corrélative, la dualité a très vite retrouvé tous ses droits, mais selon une tout autre perspective, par la distinction des pouvoirs exécutif et législatif. Tout le problème de ce nouveau paradigme est de penser la composition collective à partir de l’individu. Une autre conception de l’universel en a surgi : celui qui se rattache au concept d’« humanité ». Toute l’alchimie de la « sécularisation » revient à faire basculer la médiation, du haut (théologico-politique) vers le bas (autonomie6).
Cependant, cette interprétation théologico-politique de la genèse de la modernité séculière a pour conséquence qu’elle permet d’identifier une donnée fondamentale de la trajectoire européenne : les potentialités politiques de la théologie chrétienne, potentialités dont l’instabilité récurrente a conduit sur les chemins de l’autonomie7. Sauf que dans cette aventure deux fois millénaire, ces potentialités se sont disséminées, c’est-à-dire « sécularisées ». Et que ce parcours, dont l’Europe « hérite », l’oblige donc à reconsidérer le statut de la « sécularisation » dans son rapport à sa genèse théologico-politique. Le contexte présent sollicite à nouveaux frais non seulement les catégories théologiques du christianisme, mais aussi un modèle de modernité séculière qui dépasse l’idée d’une banale sécularisation de catégories chrétiennes et de la crise de l’universel dans l’humanisme libéral. Cette crise est née des présupposés philosophiques individualistes et de leur incapacité contemporaine à articuler transcendance collective et autonomie individuelle8, le point focal de cette incapacité étant l’hypertrophie du « droit9 ». Présupposés philosophiques qui restent par ailleurs, quelle que soit sa « dépression » actuelle, au cœur du projet européen.
Face à cette crise, on doit se poser la question : les postulats théologiques de l’universel chrétien seraient-ils à même d’apporter des réponses dont aurait effectivement besoin l’Europe, bien qu’ils ne soient pas non plus sans dangers ? C’est tout l’intérêt de la querelle qui a mis aux prises Carl Schmitt et Erik Peterson sur le statut chrétien du théologico-politique. La controverse qui les opposa, d’abord dans les années 1930, ensuite dans une réponse de Schmitt à Peterson en 1969, atteste une fois encore de l’ambivalence du théologico-politique chrétien et de ses « usages ». C’est cette ambivalence que je voudrais mettre en évidence dans le contexte du paradigme catholique-romain.
La controverse Schmitt/Peterson : une critique de la modernité aux prises avec le paradigme théologico-politique du catholicisme
De même que la réflexion historique et philosophique sur les liens entre modernité et christianisme, les droits de l’homme ont fait l’objet d’une analyse critique dès le xixe siècle, tant du côté de la « droite » que de la « gauche ». Le « lieu » commun de cette critique, de la pensée catholique traditionaliste à celle du marxisme, est le caractère abstrait de la philosophie bourgeoise de l’humanisme libéral. Marqué par l’expérience de deux totalitarismes, le xixe siècle n’a pas été moins sévère, et là encore selon des perspectives très différentes, que ce soit dans la pensée politique de Hannah Arendt10 ou, plus récemment en France, dans l’œuvre de Marcel Gauchet11, ou encore avec les critiques vigoureuses de Régis Debray et d’autres sur la dérive « droit-de-l’hommiste ». À ces positions philosophiques s’ajoute le retour politique, aux Xixe et xxe siècles, du « problème » théologico-politique, d’abord avec la critique radicale effectuée par l’anarchiste Bakounine12, ensuite à travers le débat intracatholique entre Erik Peterson et Carl Schmitt. Ce « retour » a fait resurgir ce qui était censé être résolu depuis le xviie siècle avec Hobbes et Spinoza.
Contre la critique de Bakounine, le socialisme révolutionnaire, le primat de la pensée techno-économique et la neutralisation du politique opérée par le libéralisme, ces pensées ayant pour critère commun la négation de toute transcendance, Schmitt réhabilite en 192213 la nécessité d’une structure de pensée théologico-politique pour penser l’articulation du droit et de l’État. C’est donc en juriste et intellectuel engagé que Schmitt s’intéresse aux potentialités politiques de la théologie chrétienne, notamment sous sa « forme14 » catholique romaine. À l’opposé de cet usage politique de la foi chrétienne et face à l’hitlérisme, Erik Peterson prend clairement position en 1933 contre toute instrumentalisation politique du discours théologique. C’est tout le sens de la querelle qui sépare le théologien Peterson (converti au catholicisme en 1930) du juriste d’État Carl Schmitt – querelle qui rebondit en 196915 – que je voudrais ici restituer dans ses grandes lignes, tant elle exprime le retour d’un impensé qui n’est pas inéluctablement voué à une pente réactionnaire, en dépit de son enracinement droitier chez Carl Schmitt. Je mettrai l’accent sur la question centrale de l’universel et du peuple, car elle focalise la divergence concernant le nationalisme nazi, tout en s’accordant sur la critique commune des Lumières16.
C’est par une pensée de l’analogie (ou, à vrai dire, de l’homologie) entre des catégories théologico-ecclésiologiques et juridico-politiques que Schmitt élabore sa pensée du politique : le catholicisme romain est pour lui l’expression la plus achevée de la forme politique en raison de sa capacité à représenter juridiquement le peuple. L’Église est cette médiation par laquelle l’individu est membre d’une communauté (d’un peuple) qui lui confère sa dignité. La théorie schmittienne de la représentation, puisée dans l’institutionnalisme catholique17, prend le contre-pied exact de la représentation individualiste libérale ; il faut y ajouter le caractère décisionniste de l’autorité pontificale et la finalité eschatologique de l’Église. Par rapport à cette visée eschatologique, une autre « image de l’histoire18 » est proposée, et réhabilitée, à l’encontre des philosophies de l’histoire du xixe siècle. C’est aussi une autre théorie de l’universel19 et du peuple, à tous égards opposée à l’abstraction de l’humanisme libéral, auquel fait défaut l’Incarnation christique, source théologique de l’institution de la visibilité de l’Église et de la représentation du peuple. La théorie schmittienne de l’Incarnation justifie donc pour Schmitt le paradigme catholique du christianisme, car il apporte, selon lui, la définition la plus authentique de l’« Église », comme institution visible. À partir de 1933 cependant, le ralliement de Schmitt à Hitler le conduira à opérer un glissement de sa théorie de la représentation dans le sens d’une définition national-socialiste du peuple20.
En rupture avec Schmitt, Peterson défend une conception de l’Église qui n’est pourtant pas sans affinité avec les vues du juriste sur l’Église. Il en va ainsi de son plaidoyer pour le caractère visible et universel de l’Église, qui l’a conduit, lui, théologien luthérien, à quitter le protestantisme. Il contestait en effet le ralliement des chrétiens allemands (Deutsche Christen), défenseurs de la Reichstheologie, au national-socialisme21. La conception nationaliste du peuple chez les nazis, fondée sur la race et le sang, est en contradiction avec la visibilité universelle de l’Église (qui est le sens même de sa définition depuis l’annonce de l’Évangile aux païens), avec la durabilité de la prédication évangélique jusqu’à l’accomplissement eschatologique du royaume de Dieu, avec la succession apostolique et enfin avec les décisions théologico-dogmatiques de l’Église au cours de l’histoire. Ces deux derniers critères impliquent un droit propre à l’Église, qui garantit sa visibilité et son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Sur tous ces points, Peterson recourt au concept de décision, que ne pouvait récuser Schmitt, théoricien d’un concept décisionniste de la souveraineté22. Mais, on le voit, l’application de ce concept implique un tout autre rapport à la sphère politique. À l’analogie schmittienne entre l’Église et l’État, Peterson oppose l’impossibilité de réduire l’Église à un projet politique, a fortiori quand ce projet est radicalement incompatible avec le monothéisme chrétien : cette seconde raison ne fait que corroborer les arguments précédents. Peterson systématise cette incompatibilité en 1935 dans le Monothéisme comme problème politique autour de deux axes théologiques : la doctrine de la Trinité et l’eschatologie. Ils rendent inconcevable une « théologie politique » chrétienne. L’idée de Trinité récuse la pluralité païenne, unifiée par l’institution impériale romaine (et signifiée, sous le régime nazi, par la soumission au Führer) : en effet, avec le monothéisme trinitaire, la pluralité ne réside véritablement que dans le Dieu Un. L’eschatologie chrétienne, de son côté, récuse la prétention à une paix exclusivement politique : la paix véritable – pax nostra, comme dit saint Paul – ne peut en effet survenir que dans la reconnaissance de la messianité du Christ, d’où le plaidoyer de Peterson en faveur de saint Augustin, théoricien de la doctrine des deux Cités, et contre Eusèbe de Césarée, apologète d’un rapport symphonique entre le pouvoir impérial de Constantin et l’Église, au début du ive siècle.
Pour autant, sur cette doctrine, Peterson et Schmitt ne sont pas aussi éloignés qu’il n’y paraît, comme en témoigne la réflexion du juriste dans Catholicisme romain et forme politique, parue en 1923. La divergence de vue repose, une fois encore, sur la nécessité pour Schmitt d’un État autoritaire : par analogie, la puissance de l’Église, ou une Église puissante, n’est pas contradictoire avec la réconciliation eschatologique finale en Dieu. Chose que refusent d’admettre tous les tenants du « complexe anti-romain23 ».
Adhérant à une conception commune de l’Église (y compris dans sa rationalité juridique) – en l’occurrence celle du paradigme catholique-romain – et à une critique commune de l’humanisme libéral (et du siècle des Lumières), le théologien et le juriste se sépareront pourtant lors de l’événement dramatique du nazisme. Mais bien avant 1933 – comme le confirme le deuxième essai de Carl Schmitt paru en 1969, Théologie politique 2, et rédigé contre le Monothéisme comme problème politique –, l’enjeu de la divergence tient aux conséquences théologico-politiques de la visibilité de l’Église, et au reproche que Schmitt adresse à Peterson d’une théologie « pure », sans signification politique. Il en résulte deux problèmes nodaux, celui de la particularité du peuple (qui justifie le nationalisme pour Schmitt) et celui de l’universel (qui lui pose un problème redoutable24).
Est-ce à dire que Peterson refuse toute théologie politique, celle-ci étant, à ses yeux, inévitablement vouée à une posture idéologique réactionnaire ? Certainement, dès l’instant où, pour lui, il s’agit de mettre en valeur ce qui sépare, depuis l’aube des temps chrétiens, le paganisme (romain d’abord, nazi ensuite) du monothéisme, et plus encore du Dieu trinitaire. Néanmoins, même pour Peterson, l’Église n’est pas en tant que telle délestée de toute signification politique, comme en atteste à ses yeux la notion primitive d’ecclesia, calquée sur « …la notion de polis propre à l’Antiquité25 ». Par ailleurs, il revient sur les croisements du théologique et du politique dans Christus als Imperator26 : le christianisme opère aussi une subversion du théologico-politique païen, et cette subversion demeure d’une profonde actualité dans les années 1930. En outre, le statut chrétien du théologico-politique écarte autant le nationalisme (thème sur lequel il reviendra encore après la guerre) que la neutralité de l’humanisme libéral27. Sur ce dernier écueil, une théologie politique offre des réquisits qui méritent un nouvel examen. Ils sont de nature à identifier (ou à réidentifier) la signification d’une théologie politique chrétienne, qui doit être clairement distinguée par rapport à d’autres traditions religieuses. Demeure pour les Églises le soin d’en actualiser la réalisation.
Les potentialités politiques de la théologie chrétienne : quelle pertinence pour la condition démocratique ?
Pour datée que soit la controverse de Schmitt et de Peterson, elle n’en est pas moins révélatrice de deux problèmes : d’une part, la difficulté pour le christianisme (toutes Églises confondues) de trouver ses marques au sein des sociétés séculières et démocrates-libérales. D’autre part, la difficulté inverse, pour les démocraties libérales, d’établir un rapport non excluant entre l’humanisme philosophique et une transcendance religieuse (ou de source théologique28). La tentative schmittienne de réhabiliter une transcendance théologique pour « sauver » les sociétés modernes d’une conception exclusivement immanente de leur fondement (rappelons que le libéralisme ne constitue pour lui qu’une étape vers le socialisme et l’anarchisme révolutionnaire) s’est révélée indéniablement dangereuse. Mais les critiques venant du marxisme révolutionnaire à l’encontre des démocraties bourgeoises ne se sont pas révélées moins dangereuses. La thèse de Peterson offre, quant à elle, une autre image d’une transcendance théologique : elle produit surtout des effets de sens aux fins d’une résistance à l’idolâtrie de la puissance politique. Mais, prisonnier du contexte exceptionnel imposé par le nazisme, Peterson n’apporte pas pour autant une pensée ni du politique ni de la démocratie libérale. Sur ce manque, les théologiens européens, qui ont élaboré une nouvelle « théologie politique » dans les années 1970, se sont montrés tout aussi décevants. De l’échec du recours schmittien et des limites du recours petersonien à des catégories théologico-politiques, soit pour penser un ordre juridique, soit à des fins de résistance contre l’oppression, faut-il en conclure à une impossible articulation du théologique et du politique ? Toute pensée de la sphère publique-politique d’inspiration théologique ne conduirait-elle qu’à une impasse ?
Comme je l’ai déjà fait valoir, sur le terrain exclusivement philosophique, la philosophie politique post-totalitaire a eu pour effet collatéral de consacrer de puissantes analyses critiques à la conception humaniste libérale des droits de l’homme. Elles se sont notamment focalisées sur la critique de l’hypertrophie du droit et sur la nécessité du politique comme appartenance à une communauté particulière29. Ce n’est donc pas tant la visée universelle des droits qui est en cause que la désarticulation entre le particulier et l’universel. Par rapport à cette faille, le christianisme dispose-t-il de ressources théologico-politiques qui pourraient surmonter les impasses auxquelles conduisent l’individualisme et l’universalisme libéral, de même qu’il a surmonté celles du nationalisme ?
À rebours d’une transcendance religieuse relevant de la pure hétéronomie, les catégories théologiques du christianisme – Trinité, Incarnation, Église, sacrements, eschatologie – font signe vers une autre approche anthropologique des concepts qui ont structuré l’humanisme séculier et libéral, en particulier ceux de liberté et d’égalité. En christianisme, ces concepts fondamentaux de la modernité sont insérés au sein d’une économie théologique de l’altérité. Cette économie est cependant incompréhensible sans le concept de médiation, grâce auquel se déploient les différentes catégories théologiques du christianisme. La médiation chrétienne postule toujours un « entre » : l’idée chrétienne de Dieu (altérité trinitaire au sein des Personnes divines) est habitée par cette autre médiation qu’est l’Incarnation (altérité de l’union de l’humain au divin dans un espace/temps). C’est à l’aune de la « nature » très paradoxale du Dieu du monothéisme chrétien que se déploie la médiation de l’Église (institution universelle de la fraternité). Par ses sacrements, elle fait signe vers l’altérité entre l’institution civique de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, et l’institution chrétienne de ces trois données fondamentales. Point de liberté et d’égalité en faisant l’impasse sur la fraternité. Mais ce que donne à entendre le christianisme sur la fraternité ne revient pas à postuler la préséance d’une « humanité » universellement abstraite. La logique de l’Incarnation implique que la fraternité des « hommes » libres et égaux prend appui sur l’appartenance particulière à un peuple, qui est la condition paradoxale de la visée de l’universel.
Dans la figure de l’altérité que propose le christianisme, l’appartenance à une communauté politique particulière (peuple) et la visée universelle (l’humanité) doivent toujours faire l’enjeu d’une tension féconde, de nature à surmonter la pesanteur d’un côté des réflexes « identitaires », de l’autre d’un universalisme terne ; ce ne sont que des miroirs inverses d’une même difficulté. Enfin, dans cette altérité politico-religieuse, la condition politique n’est jamais close sur elle-même30. Son processus historique ne s’accomplit que dans une réalité méta-temporelle (l’altérité de l’eschatologie). La condition politique ne saurait échapper au critère majeur de sa définition : la médiation du temps historique. Mais ce temps n’est ni absolutisé ni prédéterminé par une philosophie de l’histoire, ni neutralisé par un « présentisme » sans rivage. Ce dernier, qui pèse fortement sur les démocraties libérales contemporaines, n’est pas sans expliquer la réduction de la condition politique au droit, devenu en quelque sorte le point à la fois immanent et final à la mise en œuvre de la dignité humaine. La temporalité historique dont il est ici question est elle aussi irriguée par une médiation, celle du temps qui se déroule sans la prétention d’en déceler le moment final. De plus, une théologie politique de l’histoire, loin de réduire à un état passif la condition politique, est au contraire source de la mise en œuvre du civisme. L’« ignorance » de la durée du monde, aussi provisoire soit-elle, requiert la prise en charge active de son habitation. Une image chrétienne de l’histoire offre la possibilité d’une autre approche de la démocratie, conjuguant transcendance de l’institution (toute institution a besoin de verticalité et d’enracinement dans une diachronie) et appropriation autonome de la vie collective (horizontalité de la condition civique). Par ailleurs, les figures théologiques de la médiation chrétienne ne peuvent non plus se ramener au seul paradigme catholique. L’altérité inhérente à la médiation appelle une polysémie de la mise en œuvre de ses figures. À rebours des paradigmes de chrétienté et des philosophies de l’histoire, c’est plutôt à une théologie « du » politique qu’il faudrait s’intéresser. Le « du » dans « du politique » postule une altérité d’une autre nature que la classique séparation libérale entre politique et religion31.
Au terme de ces analyses, il me semble que le christianisme et l’humanisme libéral ont tout intérêt à assumer leur parenté conflictuelle, liée à une histoire commune. Deux écueils sont à éviter : celui d’une opposition binaire entre l’un et l’autre, et celui qui mène à l’impasse inverse, l’obsession d’un christianisme caracolant à la remorque de la modernité libérale, dans une version séculière de « valeurs » d’inspiration chrétienne. Dans ces deux cas de figure, le christianisme échoue à faire valoir un rapport d’altérité fécond pour la composition collective des démocraties modernes. Pour éviter ces deux écueils, le christianisme a besoin d’une autoréflexion sur lui-même, en particulier sur ce qu’il a produit comme représentations théologiques du politique, caduques et pérennes. Les démocraties libérales devraient aussi adopter cette posture réflexive : d’où viennent-elles, qu’ont-elles dû abandonner des représentations théologiques du politique pour s’auto-affirmer, qu’ont-elles perdu ce faisant et dont elles pourraient avoir besoin ?
Toute approche substantialiste, donc non « paradigmatique », voue à l’échec la possibilité d’une articulation entre christianisme et modernité séculière. De même que le recours aux catégories théologico-politiques pour penser à la fois l’appartenance à une communauté politique et sa visée de l’universel ne peut se réduire à l’appel à un passé fondateur de type apologétique, de même la défense de l’humanisme ne peut s’enfermer dans la position incantatoire de l’invocation des droits de l’homme32. Les mythes donnent à penser, mais à condition qu’ils ne deviennent pas des mythologies qui les fétichisent ! C’est tout l’enjeu contemporain d’une théologie du politique, qui est au cœur d’une herméneutique de l’histoire européenne et occidentale. C’est se donner la possibilité d’un rendez-vous avec nous-mêmes. Immense travail !
- *.
Professeur à l’université de Metz (société et religion), chargé d’enseignement en philosophie politique à l’Institut catholique de Paris.
- 1.
Hans Blumenberg, la Légitimité des temps modernes, Paris, Gallimard, coll. « Nrf », 1999.
- 2.
Voir sur cette question l’ouvrage de Jean-Claude Monod, la Querelle de la sécularisation, Paris, Vrin, 2002, p. 154-157.
- 3.
Ce que contre Schmitt, Blumenberg démasque comme une interprétation substantialiste de l’histoire.
- 4.
La théorie saint-simonienne du « nouveau christianisme » est l’occasion pour Carl Schmitt de critiquer ce qu’il appelle la théorie des « parallèles historiques » : voir Donoso Cortés dans une interprétation européenne d’ensemble, 1944, texte en cours de publication sous ma direction, aux éditions du Cerf. Pour l’édition allemande, voir les quatre essais sur Donoso Cortés : Donoso Cortés in gesamteuropaïscher Interpretation Vier Aufsätze, Cologne, Greven, 1950.
- 5.
Hans Küng, Le christianisme, ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, Paris, Le Seuil, 1999.
- 6.
La pensée hégélienne de l’État comme médiation est, pour cette raison, un moment philosophique et historique capital. Il éclaire ce à quoi les démocraties libérales ont renoncé. Pour une analyse plus précise du concept de médiation et des critères spécifiques à une théologie politique chrétienne, voir mon livre : Bernard Bourdin, la Médiation chrétienne en question. Les jeux de Léviathan, Paris, Cerf, coll. « La nuit surveillée », 2009.
- 7.
Nous rejoignons sur cette analyse l’essentiel de la thèse de Marcel Gauchet, bien que nous ne le suivions pas sur son opposition trop binaire entre hétéronomie et autonomie. Différence aux conséquences non négligeables : si l’hétéronomie… religieuse du christianisme contient les potentialités de l’autonomie… séculière, les conditions sont réunies pour penser une théologie politique séculière, qui ne peut être évidemment une « restauration » de ce qui a précédé la modernité.
- 8.
Transcendance théologique pourtant bien présente dans la philosophie libérale de Locke.
- 9.
Voir Dominique Schnapper, la Démocratie providentielle. Essai sur l’égalité contemporaine, Paris, Gallimard, coll. « Nrf », 2002. Voir en particulier la conclusion intitulée « L’épuisement de la transcendance collective ».
- 10.
Hannah Arendt, l’Impérialisme, trad. de l’anglais par Martine Leiris, Paris, Fayard, coll. « L’Espace du politique », 1982 : voir le dernier paragraphe du chapitre V « Sur la complexité des droits de l’homme », p. 279-280.
- 11.
La pensée de M. Gauchet se rapproche sur ce point de celle de H. Arendt ; voir Marcel Gauchet, « L’intellectuel et l’action politique, entretien », Le Banquet, 1, 1992, Entretien, p. 37.
- 12.
Michel Bakounine, Œuvres complètes, vol. 1, Michel Bakounine et l’Italie 1871-1872, introduction et annotations d’Arthur Lehning, Paris, Champ Libre, 1973, la Théologie politique de Mazzini, p. 19-77 et p. 107-278. De formation hégélienne de droite, Bakounine bascule du côté de la gauche hégélienne pour finalement devenir un théoricien de l’anarchisme. Il ne suffit pas, pour lui, de renverser l’autorité de Dieu, il faut aussi supprimer l’autorité politique et l’État. C’est tout le reproche qu’il adresse à Marx qui, en réalité, par la voie du socialisme, est aussi étatiste que Hegel. Voir la critique par Schmitt de l’anarchisme de Bakounine dans Carl Schmitt, Théologie politique, traduction et introduction par Jean-Louis Schlegel, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1988, Théologie politique I, p. 74-75. Il est convenu d’appeler Théologie politique 1 le texte de 1922, et Théologie politique 2 celui de 1969.
- 13.
C. Schmitt, Théologie politique, 1922, 1969, op. cit.
- 14.
Voir C. Schmitt, Catholicisme romain et forme politique, texte en cours de publication sous ma direction, aux éditions du Cerf. Pour l’édition allemande, voir Römischer Katholizismus und politische Form (1925), Stuttgart, Klett-Cotta, 2008 (5e éd.).
- 15.
À la différence de l’essai intitulé Théologie politique, de 1922, qui vise à établir des homologies entre concepts juridiques et théologiques, celui de 1969 est une critique tardive, bien que déjà annoncée en 1950 dans l’introduction de Schmitt à ses essais sur Donoso Cortés, de la thèse de Peterson de 1935, sur « l’impossibilité théologique d’une théologie politique ».
- 16.
Voir le texte introductif de Peterson dans Erik Peterson, le Monothéisme : un problème politique et autres traités, Paris, Bayard, 2007, p. 45.
- 17.
L’institutionnalisme est un aspect majeur de la pensée de Schmitt qu’il développe dans sa dimension théologico-politique, dans la Visibilité de l’Église et Catholicisme romain et forme politique. Il se caractérise par l’articulation étroite entre la personne et la fonction, la première étant au service de la seconde. La fonction pontificale en est l’exemple type.
- 18.
Voir Donoso Cortés dans une interprétation européenne d’ensemble, op. cit., 1944.
- 19.
Voir C. Schmitt, la Notion de politique. Théorie du partisan, traduction de Marie-Louise Steinhauser, préface de Julien Freund, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1992 : « Le monde n’est pas une unité politique, il est un pluriversum politique », p. 95.
- 20.
Voir C. Schmitt, État, mouvement, peuple. L’organisation triadique de l’unité politique, traduction, introduction et commentaire d’Agnès Filleul, Paris, éd. Kimé, 1997. Ce déplacement ne se réduit pas toutefois au ralliement de Schmitt au nazisme. Sur la distinction entre la théorie schmittienne de la représentation et la question de l’identité du peuple, voir Jean-François Kervégan, Hegel, Carl Schmitt. Le politique entre spéculation et positivité, Paris, Puf, coll. « Léviathan », 1992, p. 314 sqq. En substance, l’identité d’un peuple ne peut être ramenée à sa seule constitution politique, c’est-à-dire à sa représentation. Pour Schmitt, il existe une part incompressible de nature non politique dans l’identité du peuple. Par rapport à l’identité, l’égalité « de similitude » au sein d’une communauté nationale occupe une fonction centrale.
- 21.
Les « chrétiens allemands » sont les tenants d’une théologie du nationalisme allemand. Peterson délégitime cette théorie dans sa critique de la rencontre providentielle du christianisme et de l’Empire romain.
- 22.
C. Schmitt, Théologie politique, op. cit., p. 15.
- 23.
C’est sur ce thème que commence Catholicisme romain et forme politique : Schmitt désigne par cette expression aussi bien les Églises protestantes que celles de l’orthodoxie, ainsi que des personnalités politiques et littéraires tels Bismarck et Dostoïevski. L’ensemble de l’essai vise à démontrer le contraire par son plaidoyer pour une institution puissante et visible.
- 24.
Ce problème se pose à Schmitt pendant la période nazie, il prend alors ses distances avec le catholicisme romain pour lui préférer un christianisme païen : C. Schmitt, le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbole politique, Paris, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2002. Voir dans cet ouvrage le texte de Wolfgang Palaver, « Carl Schmitt, mythologue politique », p. 191-242 (notamment p. 229-242).
- 25.
E. Peterson, le Monothéisme…, op. cit., p. 181.
- 26.
Le Christ Imperator (E. Peterson, le Monothéisme…, op. cit., p. 185-195).
- 27.
Sur cette question, la position d’Erik Peterson est en affinité avec celle de Schmitt. Retenons au moins un texte du théologien : E. Peterson, les Témoins de la vérité, introduction et traduction par Didier Rance, Genève, Ad Solem, 2007, « L’Apocalypse et le martyr », p. 102.
- 28.
Projet qui est pourtant au cœur de la pensée libérale de John Locke.
- 29.
Voir les réflexions récentes de Marcel Gauchet, la Condition politique, Paris, Gallimard, coll. « Nrf », 2005. On retiendra plus précisément le chapitre X : « Le problème européen » et le chapitre XI : « Les tâches de la philosophie politique ».
- 30.
Ce qui signifie que cette impossible clôture n’est pas liée à la nature du régime politique (monarchie, démocratie… peu importe en l’occurrence). C’est beaucoup plus une question d’anthropologie religieuse, qui ne peut cependant avoir la même signification pour les sociétés post-hégéliano-marxistes et les sociétés de chrétienté. Autre temps, autre rapport à la temporalité historique ! Mais le principe demeure ce qu’il est.
- 31.
Je me suis limité dans cet article à la dimension théorique du renouvellement d’une pensée politique d’inspiration théologique. Une illustration plus concrète reste à préciser, d’autant que les débats contemporains qui concernent de près la composition d’un être-ensemble collectif sont nombreux. Les Églises ne manquent pas de faire connaître leurs positions. Leurs interventions sont souvent en désaccord avec la puissance publique : que ce soit sur la burqa, les sans-papiers, le travail du dimanche, l’économie et la bioéthique… Ce dialogue de sourds s’explique, au moins pour une part, par l’accent mis du côté des Églises, sur la conviction, et du côté des gouvernants, par l’accent mis sur la « conformation au réel ». Deux médiations de l’être-ensemble sont en conflit ! Celles-ci ne sont pas insurmontables, mais à la condition d’éviter deux écueils : pour les Églises, une approche trop unilatéralement morale, déconnectée de toute articulation au « politique ». Inversement, le réalisme des gouvernants n’est pas sans dangers, dès lors que leur action n’est plus coordonnée à une visée éthique. À cet égard, la rencontre régulière instaurée par Lionel Jospin, entre les évêques et le gouvernement en exercice, constitue une initiative intéressante : elle permet d’établir une « médiation » de nature à mieux ajuster le débat public sur des questions fondamentales de la vie en société.
- 32.
Voir dans Esprit le dossier sur les Lumières, Refaire les Lumières ?, août-septembre 2009.