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Le Grand Paris : quel impact environnemental ?

novembre 2010

#Divers

Qui connaît l’« Autorité environnementale » (AE) ? Peu de gens, sans doute. Créée en application d’une réglementation européenne, cette instance indépendante rattachée au ministère du Développement durable a pour mission de rendre des avis publics sur les études d’impact environnemental des plans, programmes et projets portés par l’État. Installée en mai 2009, l’AE vient de rendre un avis sur le « Schéma d’ensemble du réseau public de transport du Grand Paris » qui mérite de ne pas passer inaperçu. Bien qu’il ne porte pas sur l’ensemble du projet d’aménagement mais seulement sur son volet transports collectifs et que sa portée soit en principe purement méthodologique, l’avis de l’AE lève quelques lièvres d’importance dont les opposants au Grand Paris pourront tirer parti lors du prochain débat public sur les deux projets de transport (la fameuse « double boucle » de Christian Blanc et le projet « Arc Express » porté par le conseil régional). Pour situer l’importance des enjeux, rappelons que le coût de la double boucle est estimé à 22, 7 milliards d’euros et que, dans ce genre d’opération, les prévisions financières sont rarement respectées.

Parmi les différentes questions posées dans l’avis, la plus embarrassante pour les promoteurs du projet pourrait bien être celle des bouleversements qu’il suppose dans la répartition géographique de la population française : alors que l’Insee prévoit une croissance de la population de l’Île-de-France de 669 000 habitants entre 2007 et 2030, le projet retient l’hypothèse d’une croissance de 1, 8 million d’ici 2035. Sauf à supposer un appel massif à l’immigration, cette stratégie de croissance de la « Région Capitale » tourne le dos à des décennies d’une politique de rééquilibrage du territoire fort coûteuse pour les finances publiques mais considérée jusqu’ici comme un succès (avec le dynamisme des « métropoles d’équilibre », Lyon, Nantes ou Lille, etc.). Comme l’observe pudiquement l’avis :

Cette question, éclairée d’un jour nouveau par rapport aux anciennes réflexions sur « Paris et le désert français », semble à l’AE mériter d’être évoquée lors du débat public, au titre des justifications du projet, notamment du point de vue de ses impacts environnementaux.

Pour justifier ce choix de recentralisation du territoire, le principal argument des porteurs du projet est la nécessité stratégique de renforcer le rayonnement mondial de Paris, avec en toile de fond la rivalité avec Londres. Que vaut cet argument, quand on observe l’insolente compétitivité d’une Allemagne qui ne semble guère obsédée par l’ambition de faire de Berlin une mégapole ? En tout état de cause, la logique la plus élémentaire voudrait que cette stratégie soit confrontée à celle qui prévalait jusqu’ici, sous-tendue par la volonté de limiter la croissance de l’agglomération parisienne au profit des capitales régionales.

Comme on peut s’en douter, une telle croissance démographique aurait des effets sur l’occupation du sol, le transport (les migrations Paris-régions) et l’environnement. L’avis ne manque pas de souligner les impasses du dossier, notamment sur les impacts du réseau sur l’urbanisation nouvelle, à proximité des gares et dans l’ensemble de la région :

Les emplois et l’habitat ne peuvent en effet être considérés comme indépendants du réseau, alors que l’un des objectifs affichés est de les modifier.

Où sera logée la population supplémentaire ? Avec quelles conséquences pour les espaces verts et la qualité de la vie dans l’agglomération ? Autant de questions restées pour l’instant sans réponses satisfaisantes.

Quant aux infrastructures de transport, l’avis note que leurs impacts sur la biodiversité, l’agriculture et les paysages ne pourront être limités qu’à la condition expresse de réaliser en souterrain l’intégralité des tronçons prévus dans le projet, ce qui est loin d’être acquis compte tenu des contraintes financières.

Concernant la question cruciale des émissions de gaz à effet de serre, les simulations indiquent une baisse de 2 % sur 25 ans par rapport au scénario tendanciel (en raison d’une diminution de 1, 2 % du trafic automobile). Cela peut sembler satisfaisant, mais, comme l’observe l’avis, un tel résultat resterait très en deçà des objectifs que s’est fixés la France pour 2050 :

La quasi-stabilité des émissions du secteur des transports, qui représente, en Île-de-France comme ailleurs, un peu moins de 30 % des émissions, obligerait si elle se poursuivrait à diviser par 6 ou 7 les émissions de tous les autres secteurs, dont le bâtiment, pour atteindre l’objectif national de diviser par au moins 4 les émissions totales d’ici à 2050 (objectif cité par la loi d’orientation sur l’énergie de 2005 et rappelé dans la loi dite « Grenelle I » de 2009).

On espère que le débat public permettra de donner plus d’écho à toutes ces interrogations. L’impression générale que renforce la lecture de l’avis de l’AE est que, en dépit de ses prétentions visionnaires, le Grand Paris rêvé par Christian Blanc reste un projet du xxe siècle, une époque où l’on aménageait l’espace de manière volontariste sans trop se soucier des équilibres naturels et sociaux. Il est beaucoup plus urgent aujourd’hui d’inventer un développement durable des espaces urbains que de se prendre au jeu d’une course à l’expansion des villes-monde dont il n’est nullement prouvé qu’elle soit déterminante pour le bien-être de nos descendants.