Repères. Bernanos et le mal
Bernanos et le mal, Claire Daudin
Georges Bernanos, Essais et écrits de combat, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », tome I, 1972, 1 776 p., 61 €, tome II, 1995, 1 968 p., 79 €
Georges Bernanos, Œuvres romanesques complètes, suivi de Dialogues des Carmélites, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », tome I, 2015, 1 376 p., 65 €, tome II, 2015, 1 296 p., 65 €
Les romans de Bernanos, réédités dans la Pléiade, ont une réputation de noirceur qui n’est pas usurpée. L’imaginaire de l’auteur se déploie dans des ténèbres traversées d’éclairs, où le mal triomphe tant qu’un personnage de saint ne lui oppose sa fragile résistance. Ses essais, désignés comme « écrits de combat » dans la même collection, n’échappent pas à l’emprise du mal. Aucun sursaut d’optimisme ne vient sauver un monde en proie à des forces obscures que les instances politiques, religieuses, militaires sont bien en peine de maîtriser. Les conférences de l’après-guerre frappent par leur catastrophisme. Bernanos, parcourant une Europe en ruine, s’y fait prophète de malheur.
Qu’un écrivain catholique contemporain de deux guerres mondiales voie le mal partout, on ne s’en étonnera pas. Mais en quoi sa vision peut-elle nous intéresser ? Le mal n’est plus aujourd’hui associé au péché. Les limites de la transgression reculent, la mauvaise conscience perd du terrain, les conduites individuelles refusent de se soumettre aux règlements comme aux jugements. Certes, il est des crimes qui semblent impardonnables, imprescriptibles, comme celui de pédophilie, qui n’est pas absent des romans de Bernanos. Mais l’opprobre est jeté sur des coupables auxquels on ne peut s’identifier. La faute est d’autant plus réprouvée qu’elle est commise par un autre, qui prend sur lui tout le mal concevable et qu’on est prêt à lyncher. L’examen de conscience exigé de lui n’a pas à être pratiqué par soi. Il est une humiliation infligée au coupable désigné, comme l’autocritique dans les régimes totalitaires avant l’exécution. La faute n’est pas ma faute, c’est celle de l’autre qui est mon ennemi. Il semble que nous en ayons fini avec ce qui était l’axe majeur de la morale : se considérer soi-même comme source possible du mal. Nous ne sommes plus peccamineux ; les romans de Mauriac, si nous les lisons, auront pour nous l’attrait de l’étrangeté. Les faiblesses de la chair, le déchirement intérieur lié à la conscience de la faute et à l’impossibilité de ne pas la commettre, cette approche du mal qui le cantonne à la sphère privée sur fond de conflit entre le corps et l’âme semble dépassée, voire exotique…
Mais Bernanos n’est pas Mauriac. Si le mal est omniprésent dans son œuvre, il n’est jamais ramené à la faute individuelle. Les débats de la conscience, la tentation, la honte, le remords ne l’intéressent pas. Le mal est pour lui une force qu’il n’hésite pas à personnifier – la figure de Satan parcourt ses romans –, entre les mains de laquelle les hommes sont des marionnettes, victimes et maillons d’une chaîne qui passe par eux sans que leur libre arbitre entre en jeu. Asservis au mal, les peuples le sont comme les individus : les essais de Bernanos développent la même vision métaphysique que ses romans, non plus à l’échelle d’un village du nord de la France, mais à celle d’un monde mis à feu et à sang par des nations soumises aux dictateurs. L’abdication de la liberté est la condition suffisante pour que le mal l’emporte. L’humanité vaincue n’est pas l’humanité pécheresse, toujours susceptible d’être sauvée, mais une engeance façonnée par « le spéculateur », nouvelle incarnation de Satan, dont Bernanos ne se reconnaît plus frère – et qui nous ressemble terriblement.
L’illusion du péché
Le premier roman de Bernanos s’intitule Sous le soleil de Satan. Publié en 1926, écrit sur plusieurs années, ce roman est présenté par l’auteur comme né de la guerre, bien qu’il n’en soit jamais question dans le livre. Mais les quatre années vécues sur le front par le futur écrivain l’ont marqué au point qu’il se donne comme objectif littéraire de « jeter un saint1 » à la face du monde. D’emblée, Bernanos refuse la littérature de témoignage comme la prise de position partisane. Il ne sera ni Barbusse, ni Giono. Sa posture est métaphysique : dénoncer la guerre ne suffit pas car, sous sa forme moderne qui exclut toute possibilité d’héroïsme comme tout espoir de paix, elle n’est qu’une des manifestations du mal qu’il lui faut combattre dans son principe.
Dès Sous le soleil de Satan, le mal apparaît comme l’astre autour duquel gravitera son œuvre. L’originalité du romancier est de réactualiser la figure traditionnelle du diable en le faisant marcher sur les chemins d’Artois, en lui donnant un accent et un métier. C’est le maquignon dont le jeune prêtre Donissan fait la rencontre alors qu’il s’est perdu dans la campagne et qui, au cours de leur conversation, se présente comme son ami. La scène nocturne verse peu à peu dans une autre dimension, tandis que le prêtre, sans cesse revenant sur ses pas, perçoit une présence mystérieuse à ses côtés. Comme dans la scène, très proche, de Journal d’un curé de campagne où le curé d’Ambricourt est victime d’un malaise dont le tire une figure féminine qui peut être la Vierge Marie ou Séraphita, la fille des fermiers, la nuit est propice à l’irruption du surnaturel. Les éléments réalistes de la vie rurale se dissolvent dans l’obscurité pour laisser place à une présence qui n’est pas de ce monde, mais la transition est imperceptible. Dans Sous le soleil de Satan, il faut plusieurs pages avant que le maquignon secourable se dévoile comme Lucifer, et que sa compassion se révèle une emprise maléfique que le futur saint de Lumbres devra combattre sa vie durant. Les procédés littéraires auxquels Bernanos a recours soulignent la proximité du surnaturel et sa familiarité avec notre univers.
Pour Bernanos, la domination du mal n’est pas une expression vaine. Le mal asservit, les hommes qui ont affaire à lui ne sont pas libres. Ils sont à proprement parler possédés, telle Mouchette dans Sous le soleil de Satan, qui acquiesce au mal par désir d’émancipation et ne pourra que subir son destin de victime. Fugueuse, meurtrière, amante illégitime, mère d’un enfant mort-né, celle qui a cru se révolter contre l’ordre établi, les lois de la famille et de la société, découvre sous le regard du prêtre Donissan qu’elle n’est que la victime et le résultat d’une chaîne de péchés qui remonte à ses aïeux. Cette révélation la conduit au suicide.
Dans Journal d’un curé de campagne, un semblable don de lucidité permet au jeune curé d’Ambricourt de percer à jour Chantal, la fille des châtelains. Elle aussi croyait avoir pris une décision libre en projetant de fuir la maison de ses parents et de se donner la mort. Lors d’un entretien d’une puissante intensité dramatique, le jeune prêtre lui révèle non seulement ses projets secrets, mais encore qu’elle est le siège du démon, qu’il a pris possession de son être :
Il y a dans toutes les maisons, même chrétiennes, des bêtes invisibles, des démons. La plus féroce était dans votre cœur, depuis longtemps, et vous ne le saviez pas2.
Ces personnages d’adolescentes rebelles excitent la pitié plus que la réprobation : le récit les présente comme les victimes de leur entourage, en particulier de leurs mauvais parents, plutôt que comme des coupables. Elles trouveront leur aboutissement romanesque dans la figure d’une autre Mouchette3 qui, elle, n’a pas besoin de commettre de crime, ni de rêver d’en commettre, pour se perdre. Bernanos fait au contraire de la jeune pauvresse un symbole de pureté, pureté de l’enfance qui s’exprime à travers son chant. Violée par le braconnier Arsène, méprisée et malmenée par les habitants du village, Mouchette n’aura d’autre issue que le suicide, victime absolue d’un mal diffus et mortifère qui excède infiniment la faute personnelle.
Mais c’est dans Monsieur Ouine, ultime roman de Bernanos, que cette illusion du mal réduit au péché individuel est le plus nettement dissipée. Un meurtre a été commis, celui d’un petit valet de ferme retrouvé étranglé. Alors qu’une enquête est ouverte, c’est toute la communauté villageoise qui se trouve aux prises avec la culpabilité. Dénonciations, suicide, scènes d’hystérie et de lynchage se succèdent sous le regard épouvanté, impuissant, du jeune curé de cette « paroisse morte ». Un personnage émerge pourtant, qui pourrait être la cause de ce chaos. M. Ouine, le mystérieux professeur de langues, débarqué un beau jour au château de Néréis, investit la place et s’emploie à dissoudre les liens familiaux. Il séduit le jeune Steeny qui croit trouver en lui un père de substitution. Des indices semblent le désigner comme l’assassin du petit valet, dont le corps retrouvé nu laisse également planer le doute d’une agression sexuelle. Ce registre malsain est également celui sur lequel sont évoquées les relations entre M. Ouine et son jeune disciple.
Nous voici donc face à la figure du mal absolu telle que notre époque la reconnaît, celle du prédateur d’enfants. Pourtant ce personnage, dont Monique Gosselin a parfaitement analysé la dimension satanique4, n’est qu’un maillon de la chaîne, victime du mal qu’il propage à son tour. Le seul attentat à la pudeur qui soit décrit dans le roman, c’est celui que M. Ouine a subi, non ceux qu’il aurait pu commettre. Ce retournement dans le statut du personnage, Bernanos l’effectue à travers un passage à la prose hallucinatoire, où surgissent détails insolites – les lunettes à monture de fer – et images de mort, détresse, impuissance, sensations physiques de dégoût et de soulagement. Scène dont on se demande quelle réminiscence l’a fait naître sous la plume de l’écrivain, et qui se déchiffre comme l’évocation d’un viol d’enfant par personne ayant autorité, en l’occurrence un professeur de collège5. De la même manière, Miss, la gouvernante anglaise qui vit au domicile de Steeny, est à la fois un personnage corrupteur qui multiplie les tentatives de séduction à l’égard du jeune homme après avoir entraîné sa mère dans une relation saphique, et la victime de la convoitise d’hommes qui ont abusé d’elle dans sa jeunesse6.
Ce n’est pas pour excuser ses personnages, pour les sauver, que Bernanos nous livre ces éléments sur leur enfance, mais pour donner toute sa vraie mesure à la puissance du mal, qui excède la volonté humaine, faisant peser son joug sur bourreaux et victimes, innocents et criminels.
Les moutons devenus enragés
Bernanos reste fidèle à cette vision du mal dans ses essais. Lorsqu’il contemple l’histoire de la première moitié du xxe siècle dont il est à la fois le témoin et l’acteur, les décisions prises par les gouvernants lui paraissent de peu de poids face au déferlement de violence et de destruction qui s’abat sur l’humanité. Certes, il dénonce des responsables, « l’Arrière », la bourgeoisie, la presse, les évêques, les élites, et son talent de polémiste se nourrit de ces inculpations qui épargnent peu de monde. Mais avec l’exil et le recul du séjour au Brésil (1937-1945), Bernanos discerne dans les conflits qui ravagent l’Europe des forces à l’œuvre dépassant les capacités humaines :
J’ai besoin de dire que la guerre moderne, la guerre démocratique totalitaire, la guerre des peuples, n’a de national que le nom. […] La guerre démocratique totalitaire, la guerre de tous par tous, et par tous les moyens, est une sorte de catastrophe dont les militaires et les politiques surveillent le cours en ayant l’air de le diriger, bien qu’elle reste aussi pratiquement inutilisable que les tremblements de terre et les marées7.
Pour Bernanos, combattant de la Première Guerre mondiale, contemporain de la Seconde et témoin de la guerre d’Espagne, il est illusoire de croire que des hommes orchestrent les puissances mises en branle dans les guerres modernes. Elles sont le résultat de démissions successives qui vont ouvrir la porte au chaos :
On ne peut plus donner le nom de guerre à cette énorme fuite des peuples devant des responsabilités historiques qu’ils se sentent incapables d’assumer. Le monde s’est échappé dans la guerre, pour reculer d’autant l’épreuve, pour lui devenue sans doute insurmontable, de la paix, d’une vraie paix8.
Dans ses premiers écrits du Brésil, Bernanos fait un portrait d’Hitler qui en dit long sur sa représentation du mal à l’œuvre dans l’histoire9. Loin de dépeindre le Führer comme un être monstrueux, portant la responsabilité des massacres et des destructions qui vont défigurer la surface de la terre, Bernanos en fait la dupe des puissants, une sorte d’ahuri « qui n’en est pas revenu », un « cancre », un « rêveur ».
Il pensait, croyait, désirait comme un enfant parmi des vieillards. Il réalisait un rêve d’enfant. C’est chose prodigieuse que la solitude de l’enfant parmi les hommes, et quand un être a rompu cette solitude, il voit accourir les foules, son destin éclate comme la foudre10.
Méprisé par les élites, bafoué dans son désir d’être peintre, Hitler a converti ses aspirations en volonté de puissance. Sa force prodigieuse se nourrit de son ressentiment à l’égard des gens de la haute et des vainqueurs d’hier, mais aussi d’un refoulement général qui trouve à se délivrer en sa personne. Les peuples « mis au collège11 », gouvernés par les « pions », maintenus en enfance par les « vieillards », se sont précipités derrière celui qui a mis le feu à l’établissement.
Bernanos explique le triomphe des totalitarismes par la captation des aspirations à la grandeur de peuples brimés par des régimes démocratiques anémiés.
Le monde moderne avait bien besoin d’une mystique, mais ce sont les dictatures qui l’ont rassasié, comblé, rempli12.
Dans l’adhésion des peuples aux dictatures, Bernanos voit le triomphe politique du mal métaphysique :
La force et la faiblesse des dictatures est d’avoir fait un pacte avec le désespoir des peuples. Ce pacte est précisément celui de Satan13.
Le principal vecteur du mal dans l’histoire reste la lâcheté des hommes, leur asservissement volontaire qui peut se muer en violence aveugle. Sous la plume de Bernanos, ils sont tour à tour des « moutons », des « imbéciles », et c’est de leur soumission à l’ordre établi, de leur refus obstiné de « chercher à comprendre » que naîtront les pires déchaînements. La colère des imbéciles14 et des moutons devenus enragés est l’instrument du diable, Bernanos en est convaincu et le dénonce dans sa prose enflammée dès les débuts de la guerre civile espagnole dont il est témoin à Majorque. Le motif revient de manière récurrente dans ses écrits du Brésil15.
Satan a triomphé
Cette humanité dévaluée, qui recherche la servitude pour elle-même, Bernanos la peint sous un jour encore plus terrible dans les conférences qu’il donne en 1946 et 1947, après son retour en France16. Loin de partager l’enthousiasme des vainqueurs, il voit dans l’issue de la guerre une défaite pour l’humanité. Qu’importe la victoire des Alliés ; dans le combat cosmique et métaphysique dont la guerre n’aura été pour l’écrivain que le signe visible, Satan a triomphé. Dieu est le Grand Absent des textes de l’écrivain catholique, et sa défaite retentit de manière pathétique dans ses derniers écrits. En 1939, dans Nous autres Français, Bernanos lançait cet avertissement :
Nous répétons sans cesse, avec des larmes d’impuissance, de paresse et d’orgueil que le monde se déchristianise. Mais le monde n’a pas reçu le Christ – non pro mundo rogo –, c’est nous qui l’avons reçu pour lui, c’est de nos cœurs que Dieu se retire, c’est nous qui nous déchristianisons, misérables17 !
En 1947, dans La liberté pour quoi faire ?, il constate :
Qui peut croire ce monde digne d’amour ? À quoi bon aimer qui s’est soi-même voué à la haine ? Dieu n’y réussit même pas, il se résigne à laisser subsister l’enfer. Le Fils de Dieu est mort et on pourrait dire que l’enfer survit au Fils de Dieu18.
Les évocations des camps de la mort et de la bombe atomique qui envahissent les conférences ne laissent plus de place à l’espérance. Bernanos se laisse aller à des discours apocalyptiques exprimant une angoisse profonde. Sur les ruines de la chrétienté, il est persuadé d’assister à « la naissance d’un homme nouveau19 », dont la conception est « absolument opposée à celle de l’homme chrétien ». Créature la plus aliénée qui soit, le « consommateur » semble sortir des mains du « spéculateur » comme Adam était sorti des mains de Dieu :
Le spéculateur se fait une certaine idée de l’homme. Il ne voit en lui qu’un client à satisfaire, des mains à occuper, un ventre à remplir, un cerveau où imprimer certaines images favorables à la vente des produits. La spéculation disposait des machines. Grâce aux machines elle disposait de la puissance. Elle a ainsi, en un temps fabuleusement court, par le seul miracle de la technique, y compris celle qui permet non pas seulement de contrôler l’opinion universelle, mais de la faire, créé une civilisation à l’image d’un homme prodigieusement diminué, amoindri, non plus fait à l’image de Dieu mais à celle du spéculateur – c’est-à-dire d’un homme réduit au double état, également misérable, de consommateur et de contribuable20.
Ultime avatar de Satan, le « spéculateur » façonne une humanité selon ses besoins, en une parodie de création, une genèse infernale. Cette vision frappe à la fois par sa dimension métaphysique et son réalisme. Bernanos parvient à se situer sur les deux plans en décrivant l’avènement de la société de consommation qui succède à la civilisation anéantie dans la guerre. Ce qu’il annonçait comme une calamité est devenu le monde dans lequel nous vivons, notre milieu ambiant, constatons-nous avec effroi. Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous avons tant de difficulté à percevoir le mal, immergés que nous sommes dans son royaume ?
La patience des pauvres
À la fin de La liberté pour quoi faire ?, Bernanos écrit : « Un chrétien ne peut pas désespérer de l’homme21. » L’écrivain, malgré la noirceur de sa vision, ne cède pas tout le terrain. Visionnaire dans sa manière de comprendre le mal et d’en percevoir les effets, il l’est également dans les résistances qu’il lui oppose. De même que son approche du mal sort du champ de la morale, les obstacles qu’il dresse devant de lui n’ont rien à voir avec la bonne conduite.
Dès les Enfants humiliés, Bernanos met son espérance dans la patience des pauvres. Le séjour au Brésil lui fait discerner un salut possible pour l’humanité dans les enfants et les paysans de cette immense contrée à la nature hostile mais à la mesure de l’homme. Dans la préface de la Lettre aux Anglais (1942), l’écrivain s’en prend violemment à ceux qui exploitent la nature au lieu de la cultiver, il oppose le labeur des paysans pauvres au pillage des ressources par les nations riches et leur technologie. Ce « Bernanos altermondialiste22 » ouvre ainsi une brèche dans « l’organisation totalitaire et concentrationnaire universelle23 », cet empire du mal, qu’est devenu le monde à ses yeux.
Catholique de vieille souche, se réclamant de « la chrétienté française, fière, fidèle et libre24 », Bernanos n’en prend pas moins à revers la morale traditionnelle qui réduit le mal à la faute individuelle et le circonscrit dans la notion de péché. En cela, il se distingue de ses coreligionnaires romanciers, François Mauriac ou Julien Green, pour qui la chair reste la principale source du mal. Bernanos, quant à lui, se moquait ouvertement de « l’obsession du derrière de la marquise25 ». En un siècle marqué par les conflits les plus destructeurs, il avait du mal une bien autre perception. Il sut l’exprimer sur le mode romanesque, loin de tout psychologisme, en créant des personnages de possédés, victimes du mal ou instruments de la grâce – le curé d’Ambricourt, dans Journal d’un curé de campagne, se compare à un tisonnier dans les mains de Dieu. Cette remise en cause de l’individu comme conscience autonome, à rebours de la pensée moderne, a séduit les cinéastes les plus novateurs, en les incitant à trouver d’autres modes de récit ouverts à l’irreprésentable des grandes forces métaphysiques. Pour un Bresson, pour un Pialat, il y avait là un beau défi. Bernanos fait fi du libre arbitre et heurte nos mentalités, mais il a quelque chose à nous dire. Ses avertissements trouvent un écho dans le souci qui est le nôtre de ne pas laisser la maîtrise du monde aux puissances de l’argent, de la technologie et des médias, car « la plus redoutable des machines est la machine à bourrer les crânes, à liquéfier les cerveaux26 ». Réactionnaire et provocateur, visionnaire et précurseur, cet écrivain inactuel prend, avec un demi-siècle d’avance, les questions les plus actuelles au sérieux.
Claire Daudin
Poésie
Guy Goffette, « Qui refuserait d’accorder sa parole au silence27 ? »
Goffette est un homme de la Gaume, autrement dit la Lorraine belge. Est-ce l’éloignement de sa région qui l’a rendu si discret sur la topographie de son enfance, quoique imprégné d’elle ? Il faut avancer très loin dans Éloge pour une cuisine de province28, son livre le plus connu, pour recueillir une confidence précise nous permettant de l’identifier en jeune poète et de le suivre dans son paysage originel. C’est dans une séquence intitulée « La lecture à Metz », dédiée à son ami et congénère Jacques Réda, mitoyen de la même frontière.
On pourrait croire à une enfance vécue dans les parages de Rimbaud, la Moselle jouant ici le rôle de la « jeune Oise », avec le même climat d’étouffement provincial sans issue. Si le poème, en effet, nous parle de Shanghai, la mention de Cergy, tout à côté, annule l’exotisme des distances, des « ailleurs » où la poésie avait coutume jadis de s’échapper. Ici plus d’Aden, plus d’Éden, les portes se sont refermées sur un univers presque exclusivement domestique – une cuisine de province, est-il dit. Le poète n’a plus le loisir d’habiter la terre en poète, comme le croyait encore naïvement tel philosophe. Une petite pièce, tout au plus. Une pièce exiguë, contenant les drames amoureux de l’existence, les ruptures, les exclusions, les improbables retours.
La forme parfaite du poème, en ce sens, est devenue le sonnet, autrement dit cette splendide chambre d’échos – stanza la strophe, la chambre – dans laquelle les conflits familiaux de l’existence sont à tout moment sur le point d’exploser. Toutefois, la pudeur du poète lui fait effacer les signes trop manifestes de son intimité, transformant son poème en une sorte de chanson populaire impersonnelle capable de nous toucher tous directement, aux points les plus faibles de notre propre mémoire.
Guy Goffette est un poète de la sensibilité et de la nostalgie. Un poète de la pudeur et du silence. Dont la prosodie le plus souvent libérée de toute ponctuation, à l’exception de quelques virgules pour la reprise de souffle, installe un lien poétique pareil à une respiration. Le poème semble pour ainsi dire sortir du silence avant d’y retourner très vite se taire sinon se terrer.
Dans cet incessant travail de liaison traitant chaque poème en plan-séquence de cinéma, autrement dit lui conférant une sorte de « respiration » visuelle propre, les coupures les plus raides sont dépassées dans le sens du mouvement. Voyez, par exemple, l’extrême violence faite à la syntaxe rythmique dans le texte ci-dessus, le heurt brutal où se télescopent « de peu » et « un coup de vent plus sec », qui contraint le lecteur à s’y reprendre à plusieurs reprises pour rétablir la continuité du sens. Goffette est un prosodiste du vers libre qui pousse le défi jusqu’à faire obstacle à sa fluidité même. Il a beau invoquer sans cesse le mot « souffle », il ne peut s’empêcher de n’en rien attendre, de ne le rapporter à aucune métaphysique supérieure, comme si c’était un souffle pour rien. Curieuse désinvolture ou volonté, pour le moins, de rester en suspens, dans l’intervalle des choses et des êtres comme une manière d’Icare planant :
Jamais peut-être autant que dans cette poésie on n’a senti l’obstination de l’enfance à ne pas grandir, à demeurer au stade de l’étonnement primordial, sans l’espoir d’aucune fable consolante en provenance de quelque lieu ou personne que ce soit. Avec Guy Goffette, le poète semble être venu au monde pour apprendre tout simplement les pleins et les déliés de son propre souffle.
Jacques Darras
Cinéma
Dieu ou Mammon ?
Merci patron ! François Ruffin, Documentaire, Jour2Fête, 2016
Sorti en février, le film documentaire Merci patron ! de François Ruffin a fait un tabac en salle : plus de 500 000 entrées à la mi-mai. Le film a, semble-t-il, joué un rôle dans la mobilisation à partir de fin mars des Nuit debout et, du reste, François Ruffin est apparu place de la République comme une sorte de leader, voire comme un oracle – malgré le souci égalitaire de ces assemblées.
Le scénario du film a été résumé cent fois, et on le répétera donc très vite. L’usine où travaillaient Jocelyne et Serge Klur fabriquait des costumes Kenzo à Poix-du-Nord, près de Valenciennes. Elle appartenait à une filiale de Lvmh, le leader mondial du luxe. Elle a été délocalisée en Pologne, puis en Bulgarie, et le couple est licencié. Le film commence au moment où il va cesser de toucher les allocations-chômage ; il est criblé de dettes, le fils a eu un accident de voiture qui coûte cher et un huissier risque de venir saisir la maison (ce qui donne d’ailleurs des idées : comme dans la Petite Maison dans la prairie, on envisage de la faire sauter avant sa venue). C’est là qu’intervient François Ruffin, fondateur à Amiens du journal militant Fakir. Il imagine un scénario improbable : un chantage auprès de la direction de Lvmh et même directement auprès de Bernard Arnault, le Pdg (et donc le « patron » du film). Entouré d’un inspecteur des impôts belge, d’une bonne sœur rouge, de la déléguée Cgt et d’ex-vendeurs à La Samaritaine, le fils Klur (alias Ruffin) ira porter le cas de ses parents à l’assemblée générale de Lvmh si Arnault ne verse pas la somme demandée et ne trouve pas un nouvel emploi pour Serge, le père. Le scénario raconte comment, grâce à la manipulation à la fois incroyable et cocasse du maître chanteur François Ruffin, les David picards vont duper le Goliath du luxe mondialisé, et avec lui l’homme le plus riche de France.
Le film est incontestablement une réussite, et dans les « comédies documentaires », un genre rare paraît-il, il fera date. Les ficelles sont grosses, mais l’ensemble est traité avec légèreté et causticité, et avec une empathie contagieuse pour les « simples gens » du Nord ouvrier. La réalisation est même si travaillée qu’on a l’impression par moments de basculer du côté de la fiction. Sur cette réussite cinématographique, on peut lire l’excellente critique de Jacques Mandelbaum29 :
Un mélange de flibuste cinématographique, de lutte idéologique et de satire bien trempée, qui suscite à la fois enthousiasme et réserve. Karl Marx, version caméra cachée. Bakounine, en vidéo gag.
Le ressort de tout, qui suscite bien sûr la jubilation dans des salles souvent conquises d’avance, c’est le topos universel de la victoire des petits sur les gros, des petits beaucoup plus malins que les gros lourdauds, surtout quand ces derniers sont présentés, comme ici, moins comme des méchants que comme des benêts, avant tout soucieux d’écarter à moindres frais (pensent-ils) un moucheron énervé qui dérange leurs affaires. L’« empereur du luxe » lui-même, Bernard Arnault – guère charismatique à l’oral –, l’ancien commissaire aux renseignements généraux venu négocier avec les Klur – à la fois paternaliste, condescendant et trop bavard – et le secrétaire général de Lvmh – un socialiste lié à Fabius – donnent, en caricature d’eux-mêmes, un sérieux coup de main aux entreprises subversives de Ruffin. Même si seuls les Klur sont sauvés, le film les dépasse. C’est une leçon pour tous les vaincus de la mondialisation : la fortune peut sourire aux audacieux et aux rusés, les mastodontes et les prédateurs sont certes puissants mais pas toujours très malins, les Petits Poucets sont capables de rouler les Ogres avec un peu d’imagination et en se serrant les coudes.
L’enthousiasme s’est donc beaucoup exprimé, les réserves très peu. Mais la mobilisation et l’engouement politique que suscite le « docu » lui donnant un autre poids, il est intéressant, sans tempérer le premier, d’expliciter un peu les secondes. La démagogie n’est pas absente dans Merci patron ! Mais ce sont surtout les manipulations de Ruffin, y compris avec la famille Klur, béate d’admiration, qui laissent perplexe. Dans sa critique, Jacques Mandelbaum évoque ces scrupules, mais pour les balayer aussitôt :
Blâmez le réalisateur tant que vous voulez pour ses méthodes. Suspectez, à juste raison, sa malhonnêteté de jeter un doute sur l’intégrité du film. Il n’en reste pas moins que, au regard des comportements désastreux qu’il révèle, le péché paraît véniel.
Dans Le Monde diplomatique30, au contraire, l’économiste atterré Frédéric Lordon n’a cure de doutes ou de blâmes éventuels : « ce film à nul autre pareil » donne « le goût des ambitions révisées à la hausse ». Il annonce quasiment une aurore messianique : « L’opprimé fait mordre la poussière à l’homme aux écus », ce qui sonne d’ailleurs comme une réminiscence de la Bible : « De la poussière Il relève le faible, du fumier Il retire le pauvre, pour l’asseoir en compagnie des rois » (1 Samuel 2, 8). Le riche mord la poussière chez Lordon, la Bible couronne le pauvre : une inversion à méditer. Selon Lordon toujours, la « bonne nouvelle de l’évangile selon saint Klur » pourrait être « que cet ordre social soit beaucoup plus fragile qu’on ne le croit ». Qu’il soit renversable donc. Et que la révolution est toujours un horizon nécessaire.
Devant une histoire certes amorale, mais où le héros est le faible – qui lutte pour sa survie – et la victime le puissant – qui perd un peu d’argent (ridiculement peu par rapport à sa fortune), les lourds sabots de la morale seraient de trop. Ce serait au minimum une réaction de grincheux, et au pire cela tombe à côté de la vraie question, qui est l’injustice insupportable créée par des délocalisations dont le seul motif est encore et toujours la maximisation des profits. Et pourtant, un malaise demeure : comment admettre l’imposture organisée, l’amoralité sans complexe et la bonne conscience si évidente de Ruffin et de ses amis ? Le « kantien » qui demeure en nous s’émeut, lui qui se souvient que nul sentiment, si « noble » soit-il, ne saurait dispenser du respect de la loi morale en toutes circonstances. Mais le « hégélien » insiste en sens inverse : nos décisions morales ne sont pas prises dans l’abstraction idéaliste, elles s’inscrivent dans les violences concrètes de la société et de l’histoire. Paradoxalement, c’est la « bonne sœur rouge », lors de la visite au début du film dans le désert laissé par les délocalisations, qui assène une ligne de conduite radicale, tirée de l’Évangile : « Il faut choisir entre Dieu et Mammon (l’argent). »
C’est la seule allusion à la nécessité d’options fondamentales. Mais la comédie estompe par la suite ce principe trop sérieux, évidemment destiné uniquement à Bernard Arnault et aux maîtres de la mondialisation heureuse, pour lesquels l’assemblée des actionnaires et les bénéfices qu’on leur annonce (ou non) constituent le moment suprême de l’année. La « bonne sœur » les renvoie à la vraie question : le sens et l’usage de ces bénéfices. Les victimes virées en leur nom ne sont pas concernées. Pour elles, la lutte des classes n’est pas seulement un axiome intellectuel : elles sont dedans et l’éprouvent dans leur vie concrète. Et « Mammon », elles ne connaissent pas. Pour Ruffin et ses amis, cela justifie toute action, même amorale, pour soutirer tout ce qu’ils peuvent à un patron qui lui-même ne marque pas, pour autant qu’on le sache, de scrupules exagérés dans la gestion de ses affaires (et n’a d’ailleurs pas bonne presse même parmi ses pairs).
Déjà saint Thomas admettait qu’il existe des situations d’urgence dans lesquelles le pauvre en train de crever a le droit de voler pour survivre. Mais il n’est pas besoin d’une éthique chrétienne pour comprendre que faire la leçon aux pauvres en survie est non seulement immoral, mais indécent.
Non : on aurait au fond apprécié que Ruffin évoque lui-même le problème moral. Son film « gouailleur et potache » (Mandelbaum) y aurait gagné en épaisseur. Mais campé dans sa bonne conscience de flibustier ou de bandit de grand chemin au grand cœur, faisant, paraît-il, du combat contre Arnault une question personnelle, il ne (se) pose aucune question. Il met sans peine de son côté les rieurs, et les militants de gauche (bobos comme radicaux) se pâment devant son film : eux qui ne sont pas des Klur y trouvent la confirmation de la justesse de leurs combats, et les moyens de la lutte deviennent une question tout à fait secondaire. Mais si la question morale n’existe pas avant la révolution, pourquoi et comment serait-elle d’actualité après ? Ou encore, le « choix entre Dieu et Mammon » serait-il réservé seulement aux chevaliers d’industrie couchés sur leur tas d’or et à leurs décisions économiques et entrepreneuriales ?
Eux seuls seraient concernés par la richesse, par les moyens de l’acquérir et de la partager ? Quelle blague !
Jean-Louis Schlegel
Danse
Danser malgré tout !
Des rives méditerranéennes au nord de l’Europe, Festival Montpellier Danse, 36e édition Du 23 juin au 9 juillet 2016
À New York, dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, la compagnie de danse Martha Graham – devenue compagnie de répertoire après la disparition de la chorégraphe américaine – commémorait l’effondrement des tours du World Trade Center en invitant de jeunes chorégraphes à revisiter Lamentation (1930), une danse de deuil et de souffrance. Dans ce solo radical, la pionnière de la Modern Dance américaine dansait dans l’obscurité, toujours au bord de la défaillance sans jamais s’effondrer, enveloppée dans un long tube de jersey triangulaire qu’elle déformait en diagonales en partant du centre de son propre corps. Comme elle l’écrit dans ses mémoires, ce solo suggère
la tragédie qui hante le corps, cette capacité que nous avons de nous dilater à l’intérieur de notre propre enveloppe, de percevoir et de mettre à l’épreuve les contours et les limites de l’universelle douleur31.
L’histoire de la danse moderne se confond dès le début du xxe siècle avec l’histoire politique et sociale de l’Occident, aspirant à un corps engagé et libéré et réaffirmant sans cesse l’idée que la liberté émerge de l’individu lui-même.
Face à l’histoire, face au pouvoir
Face à l’histoire du Moyen-Orient et des pays méditerranéens qui, depuis 2001, ont vu s’enchaîner guerres, exodes, radicalisation idéologique, destructions massives et attentats, comment les artistes de ces pays prennent-ils position en s’emparant du potentiel politique du geste et du mouvement pour danser malgré tout ?
Le festival Montpellier Danse, dans des éditions antérieures, a régulièrement accueilli et soutenu ces artistes qui tentent de s’exprimer à travers un travail formel et un matériau chorégraphique qui engage le corps tout entier. Chaque jour, ils se confrontent au pouvoir, à la répression, à la censure, à l’autocensure et au chaos pour accomplir leur œuvre. À l’envers des images médiatiques, l’édition 2016, traversée par les événements récents, rassemble à nouveau ces artistes qui font acte de création et de résistance, au sens où l’entend Gilles Deleuze :
L’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication. L’œuvre d’art n’a rien à faire avec la communication. L’œuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance. Là, oui. Elle a quelque chose à faire avec l’information et la communication à titre d’acte de résistance32.
Entre présence et mémoire
Ainsi, la danse de Radhouane El Meddeb, chorégraphe et interprète originaire de Tunisie, témoigne plus d’un jeu de forces en présence que d’un rapport de force. En 2014, avec Au temps où les Arabes dansaient, il créait une pièce audacieuse pour quatre danseurs masculins qui rend hommage aux corps et à la liberté en s’emparant de la danse orientale du bassin, réservée aux femmes. Le chorégraphe voulait ainsi rappeler le monde des grands mélodrames aux décors de carton-pâte, plein de glamour et de style, frissonnant de ferveur et de fausses blondeurs, où se dessinait un avenir plein de liberté, de volupté et d’espoir33.
Invité plusieurs fois à Montpellier Danse, Radhouane El Meddeb y présente en juillet prochain une nouvelle création, intitulée À mon père, une dernière danse et un premier baiser, pour dire « ce que nous sommes aujourd’hui, et ce que je suis ». Entre présence et mémoire, l’artiste souhaite raconter à son père disparu la révolution tunisienne de 2011, l’espoir de tout un peuple, puis le danger, le désarroi, le vide. Son solo s’invente sur les Variations Goldberg de Bach, qui laissent entrevoir l’hésitation d’une phrase qui commence et reprend ailleurs, selon des métamorphoses sans fin34.
Corps et traces
« L’art est-il par définition une forme d’engagement politique ? », se demande la jeune chorégraphe Oumaïma Manai, qui vit en Tunisie, entre modernisme et islamisme. Elle présente au festival une pièce intitulée Time Out/Temps mort. Comme elle l’a rappelé dans un entretien pour le festival,
le 11 Septembre reste un événement déterminant sur la manière dont le monde perçoit les Arabes. Préjugés, racisme, incompréhensions et amalgames ne cessent de bouleverser les esprits. Après les révolutions du monde arabe et tout ce que ces pays sont en train de vivre, je puise mon énergie et mon inspiration dans tous ces sentiments à la fois euphoriques et tragiques35.
Parmi les autres artistes invités et venus d’horizons différents, Hooman Sharifi, Danya Hammoud, Nacera Belaza, Sorour Darabi et Ali Moini montrent, sans cri, sans larme, mais avec lucidité, les traces que la politique laisse ainsi sur les corps. Avec Farci.e, la jeune iranienne Sorour Darabi se demande ce qui l’oblige à avoir un genre. Avec Les morts continuent à vivre, car ils apparaissent en rêve aux vivants, Hooman Sharifi, iranien lui aussi, propose d’explorer les manipulations de l’identité et les transformations du passé :
Ce sera une œuvre scénique avec des musiques, danses et récits persans qui tissent, à leur manière, un lien entre le passé, les origines, le folklore et mon parcours personnel.
Conscients de leur fragilité, tous ces artistes trouvent dans la danse, dans son caractère éphémère et insaisissable, le modèle de nouvelles formes de vie. Leurs pièces chorégraphiques d’une formidable diversité (danse documentaire, danse manifeste, solo autobiographique et danse autoréférentielle) grondent d’inquiétude et surprennent par la distance qu’elles instaurent avec les événements. Comme le précise Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellier Danse, que ces questions préoccupent passionnément :
Même si le festival est traversé par toutes ces questions, souvent difficiles et terribles, ce n’est qu’un festival. Mais s’il est un enjeu qui demeure essentiel, malgré notre désarroi devant la réalité du monde, c’est celui du soutien à la création et particulièrement du soutien aux artistes qui prennent les voies les plus escarpées et difficiles, car si on entend beaucoup parler de diffusion et de restriction de budgets, on entend moins parler de la nécessité absolue de produire des œuvres.
Ces pièces de danse soulignent ainsi qu’être humain – être artiste –, c’est être immergé dans le monde le plus concret et la vie la plus quotidienne. Ce ne sont pas tant des spectacles que la possibilité offerte au public d’une expérience authentique du réel.
Isabelle Danto
Livres
L’imaginaire chrétien de l’Occident
L’image de religion dans l’Occident chrétien, Alphonse Dupront, Préface de Mona Ozouf. Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 2016, 369 p., 35 €. Le voleur de paradis. Le Bon Larron dans l’art et la société (xive-xvie siècle), Christiane Klapisch-Zuber, Alma éditeur, 2016, 383 p., 29 €
Du xiie au xviie siècle, l’« image de religion » a proliféré en Europe, non seulement dans les églises et les chapelles, mais aussi sur les chemins et les places, dans les maisons et les chambres. Cet univers bariolé de représentations a en partie disparu, englouti par la sécularisation et de nouveaux régimes de l’image. Mais sa percée en Occident a rendu tout possible. L’interdit de la représentation a été non seulement levé, mais débordé de toute part. Sa quantité aussi anticipe quelque part nos sociétés de l’image. On a un aperçu de cette rupture des digues dans deux ouvrages récents.
Celui d’Alphonse Dupront, qu’il a tenté en vain d’achever avant de mourir il y a vingt ans, commence par le mot « innombrable ». Innombrable fut en effet l’effloraison d’images de religion, et la volubilité de l’auteur, dans une forme d’expression quelque peu baroque (bien connue des lecteurs de Dupront), est parfaitement accordée à cette profusion. Le livre, superbement illustré, chevauche les périodes et les « siècles chrétiens » pour explorer et expliciter, ou tout simplement expliquer, par des entrées diverses et variées, les niveaux de significations nombreux, la polysémie de cette « luxuriance », un mot qui revient souvent. L’horreur occidentale du « vide », ou l’incapacité de le regarder en face, appelle le remplissage par l’image, « la nécessité vitale de l’image » et la conquête permanente de nouveaux espaces de représentations, un désir d’images anthropomorphes jamais satisfait – comme celle de Dieu le Père, nonobstant le « Je suis qui je suis » qui envoie Moïse « sur les roses » lors de l’épisode du Buisson ardent. Un commentaire magnifique accompagne la célèbre Création d’Adam du plafond de la chapelle Sixtine, où l’index du Père à barbe blanche, sorti d’une « étrange nue », et l’index d’Adam ne se touchent pas : « un vide, en fait invisible plein, parce qu’en lui passe le flux de vie », « quelques centimètres de vide pour manifester le mystère de vivre ».
Inventorier les images, ausculter les thèmes, dévoiler le caractère « organique » de l’imagier occidental, marquer les constantes et les déplacements, interpréter après avoir vu et lu, marquer l’évolution des sujets, exhumer les sources de la créativité, découvrir comment a été façonnée l’iconographie des saints : c’est un feu d’artifice de pistes ouvertes, d’intuitions lumineuses – « L’imagier religieux se présente comme un livre ouvert de sociologie religieuse » –, de recherche empathique (et emphatique) sur ce « choix culturel fondamental d’avoir eu un besoin organique […] de donner figure à l’Être : soit une impuissance avouée à vivre l’Être sans figure ». L’homme chrétien « a osé représenter Dieu à l’image de l’homme », et le « besoin d’un Dieu proche » fera que « les simples » préféreront parler du « Bon Dieu ». Comme le suggère dans sa belle préface Mona Ozouf, dans ce besoin inassouvi de donner figure au plus invisible, Dupront, contrairement à tant d’autres, ne voit pas rapetissement de Dieu, mais croissance et agrandissement de l’homme, élan vers plus haut, plus loin.
Le livre sur le Bon Larron est très différent à première vue, sans contredire pourtant les analyses de Dupront. Ici, le même thème stimule l’imaginaire dans le sens d’une amplification qui semble n’avoir pas de limites, créant ainsi des variantes multiples. La représentation à satiété de l’histoire du Bon Larron répond d’abord à un désir – désir de salut et de rédemption en des siècles d’angoisse devant la vie éphémère et l’incertitude de l’après-mort (la Réforme est, après tout, née elle-même des tourments d’un Luther incapable de se rassurer avec les sacrements « automatiques » de l’Église catholique). Selon l’Évangile de Luc (ch. 23), l’un des brigands crucifiés avec Jésus aurait déclaré : « Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes, mais lui n’a rien fait de mal », et se serait ensuite adressé au Crucifié : « Jésus, souviens-toi de moi lorsque tu viendras avec ton Royaume. » Et Jésus lui aurait répondu : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. » L’autre brigand, au contraire, se moque : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et nous aussi ! »
La scène n’occupe que deux versets narratifs chez Matthieu et Marc, et seul Luc rapporte les paroles légendaires, mais elles mettront en branle la puissance imaginative d’abord d’auteurs d’apocryphes (qui augmenteront la légende, déjà en nommant ses héros : il y a le bon Dismas et le mauvais Gestas), puis de toute la tradition des représentations du Calvaire durant les siècles d’images de religion, surtout en Allemagne et en Italie. Dans son enquête impressionnante, qui tire et réunit de multiples fils iconographiques et historiques, Christiane Klapisch-Zuber retrouve l’inventivité imaginaire qui présida aux représentations du Bon Larron. Elles construisent, prolongent et enrichissent, autant sinon plus que l’écrit, le récit légendaire, en lien avec des évolutions culturelles et des soubassements sociopolitiques durant les siècles qui voient leur « triomphe », si l’on peut dire, dans la dévotion des foules. Par exemple, vers la fin du Moyen Âge, les images qui montrent les deux larrons soumis à des supplices effroyables (par contraste relatif avec ceux du Christ) sont à l’unisson avec la cruauté de la justice du temps. D’ailleurs, pour cette raison sans doute, le Bon Larron changera peu à peu de rôle : il se met à accompagner les suppliciés en leur offrant la chance de suivre, peut-être, son propre chemin de rédemption. En prononçant ses paroles célèbres, qui lui avaient valu le salut immédiat de la bouche même du Seigneur, ne s’est-il pas rendu lui-même conforme à l’« imitation de Jésus-Christ », dont la vogue est devenue puissante ? Mais puisqu’il sera « avec » le Christ en son paradis, ce salut immédiat pose la question de la destination de son âme : est-elle allée, privilège exorbitant, directement au Ciel ? Il pourra en tout cas devenir « saint Dismas », intercesseur pour les âmes encore en voie de rachat et assistant fidèle du Sauveur : quand, selon la légende, le Christ visite le Samedi saint les limbes (les enfers) pour en retirer les Justes de l’Ancien Testament, quand il rend selon une autre légende visite à sa mère le même jour, le Bon Larron l’accompagne en portant sa croix… Il est devenu un « double du Christ ».
Ce qui est fascinant dans ce thème du Bon Larron – qui n’est pourtant pas le plus populaire et le plus représenté des sujets bibliques et évangéliques –, c’est de voir comment ses représentations tissent, dans leurs écarts forts ou infinitésimaux qu’analyse avec une extrême perspicacité Christiane Klapisch-Zuber, une véritable tapisserie imaginaire, dont la créativité déborde même les légendes apocryphes écrites. Il n’y a pour ainsi dire plus de retenue dans l’invention proliférante de l’imaginaire occidental. Et là encore, n’est-ce pas devenu notre condition ordinaire : pourvue du moyen technique, l’imagination, débridée, sans retenue séculière d’aucune sorte, n’a-t-elle pas créé un monde virtuel qui redouble le monde réel36 ?
Jean-Louis Schlegel
Dynamique de la puissance
Comment Poutine change le monde, Jean-François Bouthors, Éditions François Bourin, 2016, 144 p., 20 €
Depuis que la péninsule de Crimée a été proclamée territoire russe en mars 2014, suite à un référendum mené dans les conditions que l’on sait, Vladimir Poutine et la Russie ont acquis dans les médias occidentaux une crédibilité nouvelle. On oublie presque le dirigeant un peu ridicule par ses prétentions, son goût égocentrique pour les mises en scène ostentatoires et son langage peu nuancé. Poutine incarne plutôt désormais une sorte de modèle de détermination politique sans faille, de force certes brutale mais efficace. La condescendance à l’égard de Poutine et de la Russie a laissé la place, dans l’opinion, à des attitudes plus contrastées : les uns le craignent et veulent le combattre ou éviter de le mécontenter, les autres l’admirent et tendent à s’inspirer de ses méthodes.
Considérant le cas de Poutine comme emblématique des évolutions globales d’un monde qui semble se résoudre à considérer le conflit armé comme une option envisageable, J.-F. Bouthors livre son analyse de l’évolution du personnage. Suggérant que la connaissance et la lucidité pourraient être des antidotes au conflit, il propose un aperçu de ses origines historiques et socioculturelles, en analysant les logiques internes à l’Union soviétique, puis à la Russie, qui ont fourni les conditions de son apparition. Ce faisant, Bouthors esquisse les lignes d’un dessein intelligent où le démiurge est identifié : il s’agit des services spéciaux, que l’auteur désigne par l’appellation générique russe, « les Organes ».
Contrairement à une idée assez répandue, l’avènement de Poutine n’est pas un simple concours de circonstances.
Lorsqu’il s’agit d’une grande puissance, les contes de fées sont rares, et lorsque les services de sécurité entrent dans la danse, la probabilité de leur survenue est infinitésimale.
Poutine est le produit d’un système, sa politique est le fruit longuement mûri d’un savoir-faire éprouvé sous le régime soviétique. En sa personne, les Organes ont accompli une évolution tout en continuité, sans rupture : en se délestant de l’idéologie communiste, ils n’ont fait que changer d’enveloppe, pas de nature. Si le prétexte idéologique de leur existence n’est plus le marxisme-léninisme, mais un mélange complexe de références nationalistes, slavophiles, souverainistes et anti-occidentales (comme le montre Michel Eltchaninoff dans son essai, Dans la tête de Vladimir Poutine37), leur véritable raison d’être reste d’une grande simplicité : la domination et la survie.
Sous Eltsine, les Organes ont connu un moment de flottement, mais celui-ci a été de courte durée : ils ont été l’âme du régime soviétique, ils sont redevenus celle du régime actuel. Leur action aujourd’hui s’incarne sous diverses formes : l’Église orthodoxe russe (dont l’apparence pittoresque fournit un bon support de soft power et dont le discours traditionaliste séduit les acteurs les plus variés de la vie politique), les internautes vigilants (qui interviennent sur les réseaux sociaux et dans les médias partout où les intérêts de la Russie sont concernés), l’armée avec ou sans insignes (on se souvient des hommes verts de Crimée en 2014), les « rebelles antifascistes » dans le Donbass, les hommes d’affaires russes ou étrangers, les diplomates.
Poutine peut, lui aussi, être considéré comme émanation des Organes. Le Kgb devenu Fsb a été l’objet de ses ambitions, son lieu de formation et celui de son ascension professionnelle. Le moment où il est question de l’homme Poutine, dans l’essai, est cet épisode mythique de sa biographie où il regarde la foule de Dresde prendre d’assaut les locaux de la Stasi alors que le mur de Berlin vient de tomber. « Moment darwinien », selon Bouthors, moment symbolique de défaite que Poutine et son système méditent et dont ils tirent efficacement les conclusions pratiques. Cette défaite se serait jouée sur le terrain de l’information, l’Urss n’ayant pas réussi à entretenir l’illusion de sa puissance ; c’est sur le même terrain de la communication que les Organes entendent rendre à la Russie son poids dans les destinées du monde afin de recouvrer leur capacité de domination.
Or l’habileté des services spéciaux et leur faculté d’adaptation ont bénéficié, depuis l’accession de Poutine au pouvoir, d’un impact d’autant plus grand que l’on a assisté, de la part de l’Occident et des démocrates et libéraux russes, à une passivité naïve, une foi irréfléchie en la capacité de la démocratie à s’imposer naturellement suite à la disparition de l’idéologie communiste, comme si la disparition d’un concurrent idéologique signifiait automatiquement la victoire du système de valeurs survivant. Face à la continuité des moyens et des buts poursuivis par Poutine et son système d’une part, à la capacité d’analyse et à l’intelligence pratique dont ils font preuve d’autre part, cet aveuglement des démocrates offre un contraste désolant.
« Tout est possible, en matière de désinformation, à condition d’y mettre l’énergie et les moyens », indique Bouthors. Si on conçoit que toute parole, tout acte posés par Poutine sont autant de coups destinés à désarmer l’adversaire (russe ou étranger) en le forçant à constater la détermination de la Russie ou de son président à agir dans son intérêt exclusif, sans s’embarrasser des scrupules de la diplomatie, alors l’annexion de la Crimée, les mouvements de troupe dans le Donbass ou l’intervention militaire officielle en Syrie deviennent des épisodes de cette campagne de communication dont le but, plus même que la victoire militaire, est la neutralisation, par la sidération ou la séduction, des arguments et des modes de fonctionnement démocratiques.
Il s’agit non seulement de discréditer l’Occident et les fonctionnements démocratiques, mais aussi, de manière plus ciblée, d’affaiblir l’Union européenne. Les moyens mis en œuvre à cet effet sont divers : arguments de séduction démagogiques adaptés aux divers interlocuteurs (groupes religieux conservateurs, partis populistes de gauche ou d’extrême droite, mouvements anticapitalistes et altermondialistes) ; campagnes médiatiques visant à l’éclatement des opinions sur des sujets brûlants d’actualité (afflux des réfugiés en Europe, attentats terroristes, avancées des droits Lgbt sont autant de prétextes de dénigrement du multiculturalisme, des droits de l’homme, de la tolérance) ; collaboration, y compris financière, à toute entreprise de remise en cause des modes de fonctionnements de l’Union européenne, voire de son existence ; promotion de la posture de gopnik (voyou) international qu’affectionne Poutine.
Pour J.-F. Bouthors, sous une apparente complexité, Poutine se révèle en définitive très simple dans ses modes de fonctionnement : attirer l’adversaire sur le terrain de la force, pour assurer sa propre survie. Certes, il semble capable de mettre ses menaces à exécution, mais l’Occident aurait tort de se penser impuissant. Simplement, la réponse occidentale ne peut se faire qu’aux antipodes de la conception manichéenne du monde qui lui est opposée. Face à une stratégie conçue avec le cynisme de la volonté de pouvoir, il faut pour refuser la logique de guerre de Poutine réaffirmer un attachement positif aux principes qui ont prévalu lors de la fondation de l’Union européenne.
Il s’agit de « ruiner la dynamique perverse de la puissance par le seul refus de s’y soumettre », et ici, ce n’est pas Poutine seul qui incarne la puissance : la compétition économique mondiale ou la consommation effrénée des ressources répondent aussi à des logiques de puissance dont il convient de sortir pour échapper au rapport de force. Au lieu de s’auto-dénigrer en endossant la rhétorique poutinienne et celle des populistes européens qui dénoncent la décadence de l’Europe, il conviendrait d’assumer son intrinsèque faiblesse. À l’envoûtement du discours de la force, Bouthors oppose, en s’appuyant sur les écrits du dissident tchèque Jan Patocka, la « solidarité des ébranlés ». L’« infinitude » de l’Union européenne devenant alors une force de rupture avec la logique guerrière, l’Ue pourrait redevenir un « espace de délibération », qui permet la « recherche de compromis sans cesse perfectibles et renouvelables » et laisse ouvert le champ des possibles.
Lydia Obolensky D’Aloisio
Le drame de la Défense
La Grande Arche, Laurence Cossé, Gallimard, coll. « Blanche », 2016, 368 p., 21 €
Ce livre est-il un roman, comme indiqué sur la couverture ? C’est plutôt un conte qui raconte l’histoire d’un prince qui ne se refuse rien et auquel on ne refuse rien, d’un prince qui tombe amoureux d’un projet architectural qui doit symboliser son règne, d’un prince toujours accompagné d’un grand vizir qui lui passe tous ses caprices. Et c’est encore l’histoire d’un poète de l’architecture qui ne veut pas changer une virgule à son texte et qui demande au prince de l’appuyer contre tous les techniciens et financiers qui se moquent de son art.
Ce conte évoque la genèse de l’Arche de la Défense, inaugurée en juillet 1989 à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française. Ce conte est en fait un drame : le drame d’un architecte danois dépossédé progressivement de son projet initial, sans que le prince puisse s’interposer, puisqu’on ne le tient pas au courant des détails, lui qui va se promener la nuit, incognito, sur le chantier de la Grande Arche. Le prince, c’est François Mitterrand. L’architecte s’appelle Johan Otto von Spreckelsen – il n’avait jamais construit de monument important mais son admirable dessin, un cube vide, a emporté l’adhésion des membres du jury. Le grand vizir est Robert Lion, un féru d’architecture qui dirige à l’époque la Caisse des dépôts et consignations. Ce dernier va tout faire, en bien ou en mal, pour sauver la réalisation de la Grande Arche. Et pour cause : l’architecte a vite renoncé à la réalisation de son cube puisqu’on lui demandait de céder sur trop d’aspects du projet. Il est mort peu de temps après être rentré au Danemark.
Ce livre admirable de précision et de rigueur peut être lu selon divers prismes : l’histoire d’un prince de la Renaissance italienne qui vit au xxe siècle ; l’histoire d’un concours à la française où l’on s’engage les yeux fermés sur un projet remarquable, mais irréalisable en tant que tel ; l’histoire d’une incompréhension entre un protestant du Nord pour qui une décision est une décision et des Français qui n’en finissent de discuter et sont vus comme des Siciliens bavards ; l’histoire d’une administration qui ne sait plus piloter des grands projets ; l’histoire politique où Chirac cherche à saborder le grand œuvre pendant la cohabitation ; l’histoire des conflits entre l’architecte maître d’œuvre et ses maîtres d’ouvrage confrontés aux aléas de la réalisation (ici, c’est Paul Andreu, le roi des aéroports, à commencer par Roissy-Cdg, et de l’opéra de Shanghai, qui a le rôle de Iago et le vit fort mal) ; l’histoire des entreprises de Btp dont on découvre dans le cas de Bouygues, l’ami des présidents, qu’elles pratiquent un harcèlement juridique inimaginable ; c’est aussi l’histoire d’un cube vide qu’il faut rendre habitable et vivable puisque des bureaux sont prévus dans les deux ailes ; c’est enfin l’histoire de la dérive d’un projet culturel qui devait symboliser l’univers des droits de l’homme et qui se retrouve progressivement récupéré par des requins. À se rendre aujourd’hui sous l’Arche, on la sent malmenée par son environnement, qui risque un jour de la cacher, et il est manifeste que son entretien fait problème. Quant au toit, qui devait accueillir un centre utopique des droits de l’homme, il n’est plus accessible.
Oscillant entre la prise en compte du travail artistique et une description des acteurs politiques, administratifs et entrepreneuriaux, Laurence Cossé conduit son enquête comme un polar malheureux en s’appuyant sur les propos souvent attristés de Robert Lion, Jean-Louis Subileau, Yves Dauge et Paul Andreu. Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas une enquête, mais un drame romanesque. Laurence Cossé ne doute pas une seconde que tous ces personnages sont des personnages de roman et qu’elle tient là une intrigue. Elle n’en écrit pas moins un précieux et subtil roman, un fragment de cette comédie humaine de la fin du xxe siècle dont Balzac se serait emparé. La fin de l’histoire, c’est l’Arche qui n’est pas ce qu’elle aurait dû devenir38 : Mitterrand aurait aimé qu’on l’appelle « l’Arche François Mitterrand » (c’est raté), nous aurions aimé qu’elle devienne l’Arche des droits de l’homme (encore raté), mais les Danois l’appellent l’Arche Spreckelsen… Aujourd’hui, les choses ne se passeraient plus de la même manière : un maître d’œuvre se plie d’emblée aux décisions des maîtres d’ouvrage. Ce n’est pas un progrès.
Olivier Mongin
« Qu’en advient-il des revenants ? »
Outre-Terre. Le voyage à Eylau, Jean-Paul Kauffmann, Équateurs Littérature, 2016, 332 p., 21, 90 €
Après s’être déplacé dans les îles Kerguelen en 199339, Jean-Paul Kauffmann devait arpenter en 2013 les bords de la Marne à la rencontre d’habitants vivant dans une précarité qui les rend invisibles40. Mais pourquoi donc se rendre Outre-Terre, dans des territoires qui ne suscitent guère le désir du voyageur ?
Il y a le souci, pour ne pas dire le plaisir, d’aller là où personne ne va, dans l’enclave géographique et politique de Kaliningrad, territoire annexé par Staline et séparé de la mère-patrie par la Lituanie. Pas loin de Kaliningrad (l’ancienne Königsberg, la patrie de Kant), l’auteur scrute le lieu-dit Eylau (alors un territoire prussien), où s’est déroulée une célèbre bataille napoléonienne le 8 février 1807. Cette bataille est connue pour sa férocité et ses morts, mais reste ambiguë puisque les vaincus, les Prussiens auxquels les Russes s’assimilent aujourd’hui, la revendiquent autant que les vainqueurs :
Le 9 février 1807 restera le jour le plus cauchemardesque de la Grande Armée avec le lendemain de la bataille de Borodino.
Si Kauffmann prend un malin plaisir à suivre les cérémonies du bicentenaire de la bataille, avec des Russes déguisés en Prussiens qui revendiquent la victoire (sous la direction d’Alexandre Pantchenko), c’est que cette victoire napoléonienne est pour lui « le début de la fin » de l’odyssée napoléonienne. Fin connaisseur de la stratégie militaire, il cherche à comprendre comment cette lutte à mort s’est déroulée et pourquoi cette victoire de Napoléon est ressentie par lui comme un échec.
Cette enquête s’accompagne d’une observation précise des tableaux peints à la demande de Napoléon, notamment Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau d’Antoine-Jean Gros qui, « s’il n’a jamais mis les pieds à Eylau, en a tout compris ». Échec transformé en « fausse » victoire grâce à la fameuse charge finale de Murat, Eylau anticipe Waterloo. Dans les tableaux, Napoléon, au visage sombre et fermé, est un « revenant » sur le champ de bataille. L’ouvrage aborde la place que l’on accorde aux revenants, à ceux qui ont disparu parce qu’ils ont été enlevés ou qu’ils sont tenus pour morts… et qui reviennent. Impossible de ne pas penser avec Kauffmann au colonel Chabert, personnage éponyme du roman de Balzac, un revenant laissé pour mort sur le champ de bataille, qui va être dépossédé de tout et finir à l’hospice de Charenton.
Mais l’ouvrage évoque aussi discrètement l’auteur lui-même : Kauffmann a été pris en otage en 1983 durant plusieurs années, dans un premier temps à Beyrouth en compagnie de Michel Seurat qui y a laissé sa peau. Si l’auteur d’Outre-Terre en est revenu, il sait corps et âme qu’on ne revient jamais vraiment d’une disparition. Il se rend Outre-Terre, accompagné de son épouse et de ses deux fils, pour s’interroger sur le sort de ceux qui ne reviennent jamais vraiment des défaites : on n’en finit pas de revenir d’Outre-Terre, là où on a été défait. Le livre s’aventure dans les arcanes d’une bataille impossible, celle d’être reconnu quand on est un survivant :
Cette période de trois années où j’ai été séparé des miens n’est pas taboue. Je suis au cœur d’une contradiction dans laquelle se meut ma vie depuis près de trente ans. Je fais grief aux gens de me voir comme l’ex-otage alors que cette épreuve a transformé mon être profond. Je ne suis pas devenu meilleur, simplement plus vivant. Comment reprocher ce regard des autres qui à la fois m’enferme et me constitue ? Ils ont raison de me considérer ainsi. Car je ne suis pas reconstruit à l’identique. La reconstruction, quelle horreur ! Ma conviction est qu’on ne peut ni réparer ni remettre à neuf une existence endommagée. On ne remet pas d’aplomb ce qui est tombé, voilà tout. Pas de quoi faire un drame.
Kauffmann n’a pas connu le sort de Chabert ; il n’en a pas moins appris qu’on ne revenait jamais vraiment d’un échec (Napoléon) ou d’un enlèvement (le sien)…
Olivier Mongin
Brèves
Les derniers jours de Muhammad, Hela Ouardi, Albin Michel, 2016, 364 p., 19, 50 €
Le prophète Muhammad meurt le lundi 8 juin 632, officiellement d’épuisement, sans laisser d’instructions sur sa succession. On savait que ses dernières années et ses derniers mois avaient été semés d’intrigues et de contrariétés diverses, mais, somme toute, le prophète s’était éteint normalement – de maladie. Le livre de Hela Ouardi, universitaire tunisienne, donne un tout autre son de cloche sur son décès et ses circonstances. Grâce à l’étude critique et comparative de multiples textes, elle remet fortement en cause les versions reçues, sans que son entreprise sorte de la vraisemblance ou paraisse animée d’une volonté de nuire à la légende du Prophète. Au centre de ce qu’il faut malgré tout appeler une démystification, il y a la question de la succession – politique (le califat) et religieuse (la transmission du message) – de Muhammad. Deux compagnons alliés – Abû Bakr et ‘Umar – sont à la lutte avec un troisième – ‘Alî, le gendre, mari de Fatima –, pour lequel semble pencher le prophète de l’islam. Sauf qu’il n’a désigné personne par un testament écrit. L’enjeu consiste donc pour les deux premiers – qui lui succéderont dans l’ordre – à éviter qu’il puisse en établir un au dernier moment. Avec le concours d’Aïcha, l’épouse préférée du prophète, mais qui est aussi la fille d’Abû Bakr, une série de manœuvres rocambolesques permet aux deux premiers de prendre l’avantage : Muhammad est empêché de consigner ses dernières volontés par écrit. Après sa mort, à l’encontre de toute la tradition, on attend quelque peu pour l’inhumer, c’est-à-dire pour que son cadavre en décomposition confirme qu’il n’était qu’un humain qui ne ressuscitera pas, que le temps de la prophétie est terminé et qu’il convient de remplacer Muhammad par un successeur capable de porter et de transmettre son message. Pour l’historienne, Abû Bakr et ‘Umar sont les vrais « fondateurs » de l’islam, de son texte et de sa doctrine, mais aussi d’un islam divisé au départ, puisque les chiites n’accepteront jamais la mise à l’écart d’‘Alî. Le livre, savant mais très lisible, fourmille de détails et de mises au point historiographiques : la description précise des jalousies et des intrigues entre épouses surprend toujours, et on note que le soupçon d’empoisonnement par une femme juive, présent dans des textes primitifs mais écarté ensuite, ne manque pas d’arguments.
J.-L. S.
Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman, Fethi Benslama, Seuil, 2016, 160 p., 15 €
L’interprétation psychologique ou psychanalytique des faits sociaux risque toujours le psychologisme de mauvais aloi, la lourdeur de concepts généraux qui ne sont guère accordés à la diversité des trajectoires. Ce n’est pas le cas de cet ouvrage, où Fethi Benslama, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique, fonde sa thèse du « surmusulman » djihadiste en s’appuyant à la fois sur son expérience de la clinique et sur une forte documentation sociologique et historique, sans oublier le matériel d’internet. Le « surmusulman » est celui qui, sous la contrainte (intérieure), « est amené à surenchérir sur le musulman qu’il est par la représentation d’un musulman qui doit être encore plus musulman ». Ce sont des musulmans « hantés par la culpabilité et le sacrifice ». Le livre contient d’excellentes réflexions critiques sur la radicalisation, l’invention de l’islamisme (selon l’auteur, il se met en marche avec l’expédition d’Égypte de Napoléon), la transformation de la femme désirable en mère interdite (entre autres par une fatwa à la fois triste et burlesque sur la tétée de la mère par les hommes adultes), répondant ainsi à l’angoisse de la dislocation de la grande communauté, la Oumma maternelle. Les printemps arabes – surtout le tunisien – dont la mémoire demeure vivace, contenaient aussi une promesse de dépassement du « surmusulman ».
J.-L. S.
La responsabilité et ses équivoques, Frédéric Rognon (sous la dir. de), Presses universitaires de Strasbourg, 2015, 148 p., 22 €
Analyser sous ses différentes incarnations ce lieu commun médiatique qu’est devenue la responsabilité, tel est l’objectif que s’est fixé le colloque intitulé « La responsabilité et ses équivoques », tenu à Strasbourg sous la direction de Frédéric Rognon. Structuré dans son contenu autour de deux pôles, l’opposition wébérienne entre éthique de conviction et éthique de responsabilité d’une part, le défi que le développement de la technique pose à la liberté humaine d’autre part, ce livre d’un haut niveau académique entend montrer qu’aucune théorie ne suffit à appréhender toute la complexité du concept de responsabilité. On appréciera en particulier l’analyse critique par Daniel Frey du Principe responsabilité de Hans Jonas qui, en faisant reposer sur les générations actuelles la charge redoutable de ne pas mettre en danger la vie des suivantes, dilate trop largement le champ de la responsabilité pour tracer un chemin de vie concret. Intéressante également est la démonstration par Frédéric Rognon du caractère artificiel de l’opposition responsabilité/conviction au travers de trois exemples : la désobéissance civile d’abord, qui associe le respect de principes supérieurs à un refus citoyen et responsable, l’impératif de croissance ensuite, qui veille à la pérennité durable des ressources par des pratiques environnementales concrètes, la justice « restaurative » enfin, qui rapproche, via un dialogue constructif entre coupable, victime et société, respect de la loi et responsabilisation des acteurs. Un livre profond qui se conclut sur l’expérience du pasteur Dietrich Bonhoeffer, dont le cheminement personnel peut être interprété comme la recherche d’une éthique de « situation », réconciliant conviction et responsabilité.
F. D.
En écho
Le sens du socialisme
Incidence, no 11, automne 2015
La dernière livraison de la revue Incidence montre que le projet socialiste trouve son principe dans la science sociale. Il s’appuie sur la connaissance de l’histoire des rapports sociaux, en particulier les formes de solidarité irréductibles aux rapports marchands et juridiques, et les conflits relatifs à l’organisation du travail. Le social émerge d’abord sous la forme d’une expérience : une souffrance éprouvée dans l’activité productive qui s’exprime par une exigence de justice. Le socialisme n’est donc rien d’autre que le travail de la société sur elle-même en vue de réaliser la justice. Il est ce régime de pensée et d’action qui, ayant pris conscience de l’autonomisation des rapports marchands, soumet « le fonctionnement encore inconscient de l’économie au contrôle réfléchi de la politique », selon Francesco Callegaro dans son article sur le cours de Durkheim (incidence-revue.fr).
Le courage
Vacarme, no 75, printemps 2016
Dans Vacarme, l’équipe de rédaction fait elle-même preuve de courage, avant de mettre à l’épreuve celui des uns et des autres, ici et là-bas. Un photoreportage suit la mobilisation des femmes turques pour l’égalité et le droit de manifester, tandis que Sophie Wahnich évoque la défiance face à la « dictature d’institution ». Au risque de l’épuisement, la revue explore ces lieux, proches ou lointains, où s’exprime le courage d’imaginer, de résister et de tenir bon (www.vacarme.org).
Avis
Montpellier Danse – La revue Esprit est partenaire de la 36e édition du festival Montpellier Danse, qui se tiendra du 23 juin au 9 juillet 2016. La revue y animera une table ronde, « Danser malgré tout. La création en résistance dans les pays du Sud méditerranéen », le mercredi 29 juin à 15 heures, salle Béjart à l’Agora, avec la participation de Jocelyne Dakhlia, Carole Desbarats et Mariem Guellouz, ainsi que des artistes Radhouane El Meddeb, Sorour Darabi et Danya Hammoud. Ce sera l’occasion de s’interroger sur les capacités de résistance de la création en danse contemporaine, en particulier dans les pays méditerranéens. Le jeudi 30 juin, à 19 heures, la revue sera présente à la librairie Sauramps pour une présentation publique (www.montpellierdanse.com ; www.sauramps.com).
- 1.
« Une heure avec Georges Bernanos », entretien avec Frédéric Lefèvre, dans G. Bernanos, Œuvres romanesques complètes I, p. 342.
- 2.
G. Bernanos, Journal d’un curé de campagne, dans Œuvres romanesques complètes II, p. 297.
- 3.
Id., Nouvelle Histoire de Mouchette, Œuvres romanesques complètes II, p. 445-533.
- 4.
Monique Gosselin, notice de Monsieur Ouine, dans G. Bernanos, Œuvres romanesques complètes II, p. 1121-1123.
- 5.
G. Bernanos, Monsieur Ouine, op. cit., p. 675-676.
- 6.
Ibid., p. 647-648.
- 7.
G. Bernanos, les Enfants humiliés, Essais et écrits de combat I, p. 804-805.
- 8.
Ibid., p. 837.
- 9.
Ibid., p. 851 et suiv.
- 10.
G. Bernanos, Nous autres Français, Essais et écrits de combat I, p. 680.
- 11.
G. Bernanos, Nous autres Français, op. cit., p. 695-702-703.
- 12.
Id., les Enfants humiliés, op. cit., p. 817.
- 13.
Id., Nous autres Français, op. cit., p. 706.
- 14.
Id., les Enfants humiliés, op. cit., p. 858.
- 15.
Par exemple dans Nous autres Français, op. cit., p. 735.
- 16.
Rassemblées et éditées par Albert Béguin en 1953 sous le titre La liberté pour quoi faire ? (Paris, Gallimard).
- 17.
G. Bernanos, Nous autres Français, op. cit., p. 632.
- 18.
Id., La liberté pour quoi faire ?, Essais et écrits de combat II, p. 1300.
- 19.
Ibid., p. 1304.
- 20.
Ibid., p. 1312.
- 21.
Ibid., p. 1321.
- 22.
Claire Daudin, « Bernanos altermondialiste », Nouvelle Revue théologique, t. 133, no 1, janvier-mars 2011.
- 23.
G. Bernanos, La liberté pour quoi faire ?, op. cit., p. 1302.
- 24.
Textes non rassemblés par Bernanos, Essais et écrits de combat II, p. 783.
- 25.
G. Bernanos, la Grande Peur des bien-pensants, Essais et écrits de combat I, p. 342-343.
- 26.
Id., la France contre les robots, Essais et écrits de combat II, p. 1052.
- 27.
1. Guy Goffette, « Les poètes » dans L’Adieu aux lisières, Paris, Gallimard, 2007.
- 28.
2. Id., Éloge pour une cuisine de province suivi de la Vie promise, Paris, Gallimard, 2000. On notera également le Pêcheur d’eau, Paris, Gallimard, 1995 ; Un manteau de fortune suivi de l’Adieu aux lisières et de Tombeau du Capricorne, Paris, Gallimard, 2001-2014.
- 29.
Jacques Mandelbaum, « Merci patron ! : la rencontre de Michaël Moore et de Luc Moullet en terre picarde », Le Monde, 22 mars 2016.
- 30.
Frédéric Lordon, « Un film d’action directe », Le Monde diplomatique, février 2016.
- 31.
Martha Graham, Mémoire de la danse, Arles, Actes Sud, coll. « Babel », 2003.
- 32.
Gilles Deleuze, « Qu’est-ce que l’acte de création ? », dans Deux régimes de fous, Paris, Minuit, 2003.
- 33.
Ce monde disparu est également décrit par l’auteure et illustratrice libanaise Lamia Ziadé dans son roman Ô nuit, ô mes yeux. Le Caire, Beyrouth, Damas, Jérusalem, Paris, P.O.L, 2015.
- 34.
Le jour où il a vu le chorégraphe américain Steve Paxton, l’un des fondateurs du fameux Judson Dance Theater de New York, improviser sur les Variations Goldberg, Radhouane El Meddeb a lâché le théâtre pour la danse.
- 35.
Propos recueillis par Marie-Christine Vernay.
- 36.
Voir aussi le travail de récollection considérable réalisé par Jean-Pie Lapierre avec le Musée chrétien, 3 tomes, Paris, Seuil, 2013, et son entretien dans Esprit, février 2015.
- 37.
Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Vladimir Poutine, Arles, Actes Sud, 2015.
- 38.
Sur les rêves de l’Arche, voir le très bel article de Paul Thibaud dans Esprit, juillet 1989.
- 39.
Jean-Paul Kauffmann, l’Arche des Kerguelen. Voyage aux îles de la Désolation, rééd. Paris, Gallimard, 2002.
- 40.
Id., Remonter la Marne, Paris, Fayard, 2013.