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Dans le même numéro

L'écriture et la comparaison des cultures (entretien)

août/sept. 2011

#Divers

Dans l’Adieu au voyage, Vincent Debaene se demande pourquoi les ethnologues français comptent souvent dans leur bibliographie, à côté d’un ouvrage savant, un ouvrage littéraire. Cette particularité française témoigne- t-elle d’une conception spécifique des sciences humaines, notamment vis-à-vis de la tradition anglo-saxonne ? Et ce type de questionnement offre-t-il de nouvelles pistes pour la réception de Claude Lévi-Strauss aujourd’hui ?

Vincent Debaene a publié récemment l’Adieu au voyage. L’ethnologie française entre science et littérature1, dont l’originalité est de se pencher sur la place de l’écriture et sur le statut de l’écrivain dans un univers marqué par les sciences humaines et sociales. Dans cette optique, il évoque ce qu’il appelle « la tradition française des deux livres » : dans de nombreux cas, les anthropologues, de retour de « leur » terrain, « écrivent » un livre de voyage qui précède les travaux scientifiques. C’est le cas d’Alfred Métraux avec l’Île de Pâques, de Michel Leiris avec l’Afrique fantôme, de Marcel Griaule avec les Flambeurs d’hommes, et bien sûr de Claude Lévi-Strauss avec ses Tristes tropiques. Si la célèbre collection « Terre humaine » imaginée par Jean Malaurie, lui-même ethnologue et auteur des Rois de Thulé, va donner d’emblée toute sa force à cette « tradition » avec Tristes tropiques, Vincent Debaene s’interroge sur les chassés-croisés entre l’homme de science et le littéraire, entre le savant et l’écrivain. Ce qui le conduit, au-delà de cette tradition française, à une réflexion sur « l’adieu au voyage » dans un monde où l’Occident n’est plus le seul centre et l’unique découvreur. Un monde où s’invente, selon Claude Lévi-Strauss lui-même, un troisième humanisme. Ce livre original fournit ainsi l’occasion de réfléchir sur le devenir de la littérature (voir le récent ouvrage de Jean-Marie Shaeffer présenté dans les brèves de ce numéro) et des sciences humaines mais aussi de comprendre pourquoi les relectures contemporaines de Claude Lévi-Strauss, qui ne vont pas sans susciter des critiques chez les anthropologues, engagent une interprétation où l’esthétique le dispute, voire l’emporte sur le formalisme, ce qu’avait déjà bien anticipé Marcel Hénaff. Comme quoi l’histoire intellectuelle n’est pas diachronique mais marquée par des tournants favorisant des relations, plus ou moins inattendues, avec des auteurs déjà reconnus.

O. M.

Esprit – Dans l’Adieu au voyage, votre enquête porte sur les rapports entre littérature et ethnologie. Dans les années 1980, une controverse s’est développée aux États-Unis sur les sciences sociales autour de l’idée postmoderne d’une prééminence des jeux d’écriture et de leurs effets. Pour l’ethnologie, c’est le recueil intitulé Writing Culture qui a cristallisé ces réflexions. Pourquoi ce débat était-il impossible en France à l’époque ? Le structuralisme n’a-t-il pas renforcé une coupure bien installée dans le monde académique français entre volonté scientifique et écriture littéraire ? Pourtant, des œuvres comme celle de Michel de Certeau, contestée par le milieu historien au nom de son relativisme présumé, ou de Paul Veyne se penchaient sur « l’écriture de l’histoire » au risque de laisser croire que le réel était toujours manqué…

Vincent Debaene – Mon questionnement est très différent des réflexions sur l’écriture de l’ethnologie inspirées par le recueil Writing Culture de 1986, pour plusieurs raisons, à la fois théoriques, historiques et culturelles. Dans ce recueil, les travaux portaient sur l’écriture de l’ethnographie et sur ses implications politiques (le sous-titre l’indique d’ailleurs bien : Poetics and Politics of Ethnography). Il s’agissait de montrer, comme l’explique James Clifford dans son introduction, que l’activité essentielle de l’ethnographe n’est ni l’observation de la société, ni l’interprétation de la culture, mais tout simplement l’écriture. Et que cette écriture suppose des procédés (des tropes, de la mise en scène, etc.), une construction (depuis la note de terrain jusqu’au travail final), une distribution de la parole – ceux qui parlent, ceux dont on parle.

Ces questions n’étaient pas tout à fait les miennes. D’abord, faute de corpus. La tradition ethnographique anglo-américaine est celle de l’ethnographic account, c’est-à-dire de l’enquête mise en récit, à l’exemple canonique des Argonautes du Pacifique occidental de Malinowski. Moi qui m’intéressais surtout aux débuts de l’ethnologie française, entre 1925 et 1960, je ne disposais pas d’un tel ensemble de textes puisque le modèle longtemps dominant fut la monographie non narrative (qui traite successivement des conditions géographiques, puis des technologies, puis de la vie familiale et sociale, avant de décrire l’art et la religion d’une société donnée), quand il ne s’agissait pas, tout simplement, du recueil de documents. Réciproquement, lorsque les tenants de l’anthropologie « textualiste » américaine voulaient s’attaquer à l’anthropologie française, ils n’avaient que Tristes tropiques à se « mettre sous la dent » – et on conviendra qu’on ne peut pas vraiment faire de ce livre un échantillon représentatif de l’œuvre de Lévi-Strauss, et encore moins de l’ensemble de la discipline.

Un second aspect, lié à cette différence initiale entre les corpus, m’éloigne des questionnements de Writing Culture. Ce qui frappe dans le cas français, c’est la variété générique des écrits des ethnographes, capables de donner des textes à des collections spécialisées (les « Travaux et mémoires » de l’Institut d’ethnologie, par exemple), à des revues d’avant-garde (en tout cas dans les années 1930), à des périodiques littéraires, à des quotidiens d’information ou à des maisons d’édition généralistes et prestigieuses comme Gallimard ou Plon. Un tel éclatement requérait un questionnement non plus généalogique et « vertical », en quelque sorte (comment construit-on la connaissance ethnologique ? par quels processus transforme-t-on un sujet de parole en un objet de savoir ?), mais un questionnement latéral et « horizontal » : comment rendre compte de ce partage entre les types d’information, les formes d’écriture, les publics ? Mon projet était moins de montrer que l’ethnographie est « écrite » que de saisir l’articulation entre les différents écrits issus de l’expérience ethnographique et, en particulier, entre des textes conçus comme « scientifiques » et d’autres conçus (et parfois reçus) comme « littéraires ». Or cette articulation est historiquement mouvante car les définitions dominantes de la littérature et de la science ont varié au cours du xxe siècle. C’est cette histoire que j’ai essayé de retracer, en tenant autant que possible les deux bouts de la chaîne : l’histoire de l’anthropologie, de ses théories et de ses institutions, et l’histoire de la littérature, c’est-à-dire en particulier l’histoire de « l’idée de littérature », selon la formule de Roland Barthes. À présent, Writing Culture m’apparaît comme un moment dans cette histoire – et un moment qui, en l’occurrence, n’est pas tout à fait français.

Décalages transatlantiques

D’ailleurs, pour revenir à votre question concernant cette impossibilité du débat en France, je pense d’abord qu’il faut relativiser la supposée « surdité française » touchant ces questions d’écriture des sciences sociales, non seulement à cause des exemples de Certeau ou de Veyne que vous relevez à juste titre, mais aussi parce qu’il y a eu une réflexion française sur l’écriture de l’ethnologie dans les années 1980 et 1990, souvent liée à des travaux en histoire de l’ethnologie2. Et même si Writing Culture n’a pas été traduit, les ethnologues français – qui sont presque toujours anglophones et souvent assez au fait de ce qui se passe aux États-Unis – en ont eu connaissance assez tôt.

La difficulté, c’est que les questionnements de ce recueil n’étaient pas exportables comme tels en France, non pas en raison d’une supposée crispation scientiste française mais, comme je l’ai dit, parce que les traditions et les corpus étaient très différents. Il s’agissait essentiellement, pour le groupe de Writing Culture, de contester le modèle herméneutique de « la culture comme texte » de Clifford Geertz, modèle dominant aux États-Unis dans les années 1970 mais très étranger à l’ethnologie française. Les termes mêmes du débat (true fictions, partial truths, poetics and politics) étaient difficilement traduisibles ou apparaissaient comme de mauvais jeux de mots, pour ne rien dire de la situation politique des campus, très différente aux États-Unis. De là, les réactions d’incompréhension que vous évoquez.

Si certains ont dénoncé un relativisme corrosif et dangereux, une « réduction » des sciences sociales à un travail d’écriture (esthète, narcissique, sceptique, etc.), la plupart des ethnologues n’ont tout simplement pas vraiment compris le retentissement engendré par ce recueil outre-Atlantique. Que l’ethnographie soit une « construction » (selon l’étymologie du terme « fiction » que Clifford et ses coauteurs ne cessent de rappeler) leur paraissait un truisme, car il était évident pour une tradition durkheimienne que les objets scientifiques doivent être théoriquement construits et, en apparence au moins, il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat3. De sorte que, à peine reçus en France, les travaux de la mouvance de Writing Culture paraissaient ou naïfs (lorsqu’ils prétendaient « révéler » que la science est écrite) ou contradictoires (s’ils déniaient à l’ethnographie toute prétention à la vérité), quand, du point de vue américain, l’anthropologie française apparaissait recroquevillée sur une forme d’universalisme dogmatique, naïf lui aussi puisqu’il reposait sur la (prétendue) illusion qu’on peut étudier les faits sociaux « comme des choses ». Le malentendu s’est encore accru avec la réappropriation (et la contestation) de Writing Culture par les critiques postcoloniales et féministes qui ont transformé cette réflexion collective menée, pour l’essentiel, par des anthropologues professionnels en une sorte de révélation de l’inanité du projet anthropologique lui-même.

L’une des conséquences de ce malentendu est la place qu’on accorde, de part et d’autre de l’Atlantique, aux rapports entre savoir et pouvoir. Je me livre peut-être à des généralisations hâtives, mais il me semble que, pour une partie de l’anthropologie américaine (celle qui fut la plus influencée par les études postcoloniales), le fait qu’il y ait une « violence épistémique » selon l’expression de Gayatri Spivak, c’est-à-dire une violence symbolique inhérente à la construction d’un objet de savoir, est un fait acquis et cela constitue même très souvent un point de départ. Une telle perspective – qui trouve tout de même sa source chez Foucault et qui est encore centrale dans les travaux de Bourdieu des années 1970 – n’a pas eu la même postérité en France, tandis qu’aux États-Unis, s’y aggloméraient l’héritage de Derrida et toutes sortes de réflexions politiques sur la « différence » (transformant au passage Lévi-Strauss en un représentant de la violence universaliste et du scientisme logocentrique). Aujourd’hui, on ne dénie nullement, en France, qu’il y ait un rapport entre structures de pouvoir et formes du savoir, mais cela ne constitue pas un préalable à toute réflexion historique et épistémologique.

La spécificité française doit-elle alors être observée du côté des gens de lettres ? Ceux-ci en effet ont longtemps valorisé l’esprit littéraire comme celui de l’honnête homme attaché à la culture « générale ». Mais l’anthropologie se préoccupe elle aussi de l’homme « en général ». Pourtant, Claude Lévi-Strauss, qui en appelait à un humanisme global, fut qualifié d’anti-humaniste…

Il est évident qu’il y a une singularité française dans le rapport à la littérature, aussi bien que dans la conception des liens entre science sociale et littérature. C’est une des leçons de la comparaison internationale, mais elle n’a rien pour surprendre : puisque les traditions savantes en sciences sociales sont locales et puisque les champs littéraires se sont construits sur des bases nationales, il est normal que les partages entre disciplines ou entre les formes de discours ne soient pas conçus exactement de la même façon en France, en Allemagne, aux États-Unis ou en Angleterre… Il faut donc faire du structuralisme : non seulement étudier les différences, mais surtout les différences entre les différences…

Plus sérieusement, la conception française de la littérature est fondamentalement généraliste (« tout ce qui concerne l’exercice de la pensée dans les écrits », disait à peu près Madame de Staël) et va de pair avec un très grand prestige : pour les savants eux-mêmes (pour ne rien dire des philosophes ou des littéraires), la littérature est bien souvent conçue comme la forme accomplie de la pensée, l’horizon idéal de tout discours. De sorte que, en effet, l’ambition généraliste de l’anthropologie (et, avant elle, de la sociologie) ne pouvait que se heurter à celle de la littérature.

Mais il faut distinguer deux niveaux. Il y a d’un côté une concurrence qui concerne les objets : en somme, il s’agit de savoir à qui revient en dernier lieu la connaissance de l’homme (ou la connaissance des mœurs) – au romancier ou au sociologue, au poète ou à l’anthropologue. C’est une question de prérogative, et c’est la forme traditionnelle de la querelle entre le savant et l’homme de lettres, depuis les pamphlets antidurkheimiens du début du xxe siècle jusqu’aux critiques réactionnaires des travaux de Bourdieu dans les années 1980 et 1990. Mais il y a une seconde difficulté qui tient non aux objets mais aux conceptions de la littérature et du discours scientifique. La littérature est en effet une forme de discours en droit accessible à tous les hommes de bonne volonté, à tous les « honnêtes hommes », pour reprendre votre expression, alors que la science est par essence un domaine d’experts, excluant le public non initié – l’opinion n’a pas voix au chapitre dans une controverse scientifique.

C’est ce qui fait en grande partie la difficulté « statutaire » du discours anthropologique : il y a une sorte de scandale dans l’idée de science de l’homme qui tient non pas à la soumission de la chaude et vibrante humanité aux rigueurs froides de la science, mais à l’idée qu’un savoir sur l’homme comme être social, c’est-à-dire comme être moral, puisse être une affaire d’initiés.

Il est vrai que l’anthropologie se veut globale, et Mauss parlait de l’exigence d’envisager « l’homme total », c’est-à-dire de la nécessité régulatrice de considérer l’homme dans sa totalité comme être toujours à la fois biologique, psychologique et social – mais que l’homme soit envisagé dans sa globalité ne signifie pas que le discours qui prend en charge cette globalité soit lui-même accessible à tous.

Dans les faits pourtant, les anthropologues se situent rarement sur ce terrain philosophique et ils ne prennent pas directement pour objet un « homme » – dont ils ne cessent d’observer qu’on ne sait pas l’isoler – mais autre chose : les structures de l’esprit humain, la fabrication sociale des corps, les rapports entre humains et non-humains, les relations entre modes de production et structures politiques, etc. C’est d’ailleurs un constat semblable qui a conduit Lévi-Strauss à parler d’humanisme généralisé : l’impossibilité de circonscrire a priori l’objet de l’anthropologie (qui est peut-être, au fond, l’impossibilité de définir toute science par son objet) ; « l’esprit humain » n’est pas un objet dont une conscience peut se saisir avant de le décrire, mais l’horizon de la recherche anthropologique qui, au mieux, se révèle dans la transformation d’une pensée dans une autre4. « Généraliser » l’humanisme, c’est donc le sortir de la question du critère de l’humanité pour en conserver le mouvement d’ouverture vers l’hétérogène. De sorte que si l’anti-humanisme se définit d’abord comme refus de l’enfermement de l’humanité « dans un tête-à-tête avec elle-même », selon l’expression de Lévi-Strauss, alors l’humanisme généralisé ne contredit pas l’anti-humanisme ; il en est le corollaire.

Votre livre s’intéresse au dédoublement de la production chez une série d’auteurs, Marcel Griaule, Alfred Métraux, Michel Leiris et Claude Lévi-Strauss, qui ont écrit chacun leur livre savant et leur livre littéraire. Pouvez-vous préciser ce qui les distingue dans chaque cas et éclairer la spécificité française de ce milieu où philosophes, littéraires et savants cohabitaient, comme en témoigne le Collège de sociologie ?

La spécificité française est au moins double ; elle concerne à la fois la littérature et le rapport à la littérature – je n’y reviens pas – mais aussi l’anthropologie à au moins deux titres. D’abord, en raison de la généalogie philosophique de la discipline : les anthropologues se considèrent comme les héritiers des divers projets spéculatifs des Lumières, voire des Essais de Montaigne (bien loin de la tradition britannique, par exemple). Ensuite, en raison du milieu particulier constitué à ses débuts par le musée de l’Homme, monde de savants et de mondains, de marchands d’art et d’aventuriers, d’artistes d’avant-garde et de professeurs au Muséum. Mais ce brassage ne suffit pas à expliquer l’identité particulière de l’ethnologie française dans l’entre-deux-guerres. Le véritable « liant » tient à la passion du document, c’est-à-dire au refus de l’ornement – c’est cela qui, en dernière analyse, a fait de l’ethnologie française des années 1930 un lieu de convergence entre le positivisme et le surréalisme : la haine de la figure.

Et c’est cela qui, souvent, explique la rédaction par les ethnographes d’un « deuxième livre » : Métraux dans l’Île de Pâques, Griaule dans les Flambeurs d’hommes tâchent de compenser la sécheresse du document par un récit « littéraire » qui complète ou supplémente leurs travaux scientifiques – Métraux, avec un ouvrage magnifique, écrit à la première personne du singulier, qui relate le quotidien de l’île de Pâques en multipliant les dispositifs rhétoriques interdits dans les travaux savants ; Griaule, avec un livre provocateur et curieux, écrit à la troisième personne, est censé restituer la vision du monde des Éthiopiens. Le cas de Leiris est différent, même s’il s’enracine dans la même configuration idéologique et épistémologique ; avec l’Afrique fantôme, il s’agit de donner un document brut de son séjour en Afrique, en dehors de toute catégorisation générique : un ouvrage qui ne soit ni science, ni littérature, mais une sorte de livre total, un « document vivant » selon sa propre expression – et plus que l’inexistence de l’Afrique rêvée, c’est l’échec de ce projet que sanctionne le titre l’Afrique fantôme.

Lévi-Strauss, enfin, déplace le problème. Pour lui, la question n’est pas d’échapper à la sécheresse des travaux scientifiques, mais de sortir radicalement du paradigme documentaire, dans une rupture à la fois avec le positivisme muséal et avec la naïveté phénoménologique qui fait de l’expérience d’un corps sur le terrain la source vive du savoir. Dans cette perspective, Tristes tropiques constitue moins un deuxième livre complétant la monographie ethnographique sur « la vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara » qu’une expérience d’écriture qui prépare et annonce la suite de l’œuvre. Pour la première fois, Lévi-Strauss s’y livre à la recherche de correspondances, de différences et d’articulations entre plusieurs ensembles qui se donnent comme des énigmes à déchiffrer, avec pour principe que l’intelligibilité n’est pas projetée ou construite, mais immanente à ces ensembles, et qu’elle est révélée par la variation entre eux – la différence avec la Pensée sauvage ou les Mythologiques est qu’au lieu de s’appliquer à des variantes de mythes ou des systèmes de classification, il opère, « sauvagement » si j’ose dire, sur des morceaux de son propre passé.

La rupture de Tristes tropiques

Tristes tropiques est pour vous un livre décisif car il permet de rompre avec la littérature de voyage et de ne pas s’illusionner sur le pouvoir du récit ; mais surtout, sur le plan intellectuel, il conduit Claude Lévi-Strauss à distinguer une politique (une réflexion en termes de civilisation) et une anthropologie, qui est une logique des qualités sensibles, et à organiser autrement le récit (qui ne se présente plus selon une chronologie, mais selon un assemblage de « correspondances »). Tristes tropiques va rendre possible la disjonction entre ces deux options. Plutôt que la littérature, n’est-ce pas l’art, la peinture (en écho au cubisme, à Klee) qui permet le mieux de saisir l’écrit et le projet de Lévi-Strauss ?

J’imagine que Lévi-Strauss vous aurait répondu que c’est plutôt la musique qui lui sert de modèle. La question du statut de Tristes tropiques dans l’œuvre de Lévi-Strauss est, à mon sens, essentielle : est-ce une simple digression hors de la science, une coquetterie ponctuelle, le centre caché de l’œuvre, une autobiographie de savant comme il en existe tant, un démenti à l’austérité du travail scientifique, ou encore autre chose ?

Je dois en grande partie à l’excellent ouvrage de Wiktor Stoczkowski, intitulé Anthropologies rédemptrices. Le monde selon Lévi-Strauss5, la réflexion que je propose sur cette question dans mon livre. Le projet général de Stoczkowski consiste à proposer une anthropologie de l’anthropologie au sens fort, en considérant que la production savante occidentale est sous-tendue par des « représentations cosmologiques » tout autant que les productions culturelles des sociétés traditionnelles que l’ethnologue étudie. À partir d’une enquête passionnante sur le passé socialiste de Lévi-Strauss, puis sur son activité à l’Unesco, il se donne pour tâche de révéler ce qu’il appelle la « cosmologie lévi-straussienne », cette « vision du monde » implicite qui fonctionne comme une « infrastructure axiomatique » sous-jacente à sa réflexion sur le progrès, l’humanité, la race et la culture.

Cette approche est très novatrice et globalement convaincante – c’est sans doute un des livres les plus originaux écrits sur Lévi-Strauss depuis longtemps –, mais j’ai été un peu gêné par le sort qu’elle fait au travail anthropologique proprement dit. Stoczkowski explique que, pour comprendre Lévi-Strauss, il ne faut surtout pas se plonger dans les principes théoriques du structuralisme, et moins encore dans la « littérature exégétique » qu’ils ont suscitée. Mais dans ce cas, il me semble qu’on risque de perdre l’articulation entre la « cosmologie » et la réflexion savante effectivement produite, comme si l’analyse structurale des mythes ou les réflexions sur le symbolisme étaient, finalement, contingentes par rapport à cette vision du monde.

Or si l’on veut bien reconnaître deux « veines » dans la pensée de Lévi-Strauss – d’un côté, la critique de la civilisation occidentale, les réflexions sur la notion de progrès, sur le rapport de l’homme à l’espace, etc. ; de l’autre, le travail sur les mythes et la logique des transformations –, il faut aussi pouvoir rendre compte de leur séparation et de leur articulation. On risque sinon de reconduire une coupure de principe entre le plan politique de la « vision du monde » et le travail théorique de la science (peu importe qu’on considère ensuite le plan politique comme accessoire ou au contraire déterminant). Cette articulation, il faut la mettre au jour dans les textes scientifiques eux-mêmes, et c’est en particulier possible pour les Mythologiques dont les deux derniers tomes (l’Origine des manières de table, l’Homme nu) montrent la congruence entre la logique des mythes et le « savoir-vivre » indien.

Mais historiquement, il me semble que c’est l’écriture de Tristes tropiques qui a été la condition de la disjonction de ces deux veines (c’est dire aussi qu’elle est postérieure aux Structures élémentaires de la parenté). Il a fallu pour Lévi-Strauss passer par cette expérience de réorganisation de son propre passé – celui d’un homme qui a dû fuir les persécutions nazies après avoir incarné la pointe avancée de la civilisation occidentale au cœur de la sauvagerie brésilienne – pour isoler un plan où la « quête d’intelligibilité » est possible, hors des assauts de l’histoire en quelque sorte, à partir des vestiges qu’elle laisse surnager.

Les références littéraires, de Conrad à Proust, sont importantes chez Claude Lévi-Strauss, ce qui permet de saisir le rôle de la remémoration, le refus de la chronologie, la critique de l’histoire et l’idée de « palimpseste ». Mais au-delà de cet art de la bifurcation temporelle, n’y a-t-il pas chez Claude Lévi-Strauss une volonté d’arrêter le temps dont témoigne le chapitre « littéraire » sur le coucher de soleil (chapitre VII de Tristes tropiques) ?

Sans aucun doute. Mais il faut s’entendre sur ce qu’on veut dire par là (qui ne voudrait pas parfois « arrêter le temps » ?). Il est évident que pour Lévi-Strauss, qui adorait lire des ouvrages historiques, l’histoire est conçue comme un facteur venu du dehors et producteur de désordre. Cela correspond d’ailleurs moins à un postulat idéologique qu’à un choix méthodologique, en accord avec son tempérament et son histoire personnelle : il s’agit de trouver un angle par lequel la réalité se laisse attaquer, comme il le disait à peu près.

Quoi qu’il en soit, l’originalité de sa pensée n’est pas là, et moins encore dans un quelconque « refus de l’histoire », comme ses détracteurs s’obstinent à le répéter contre l’élémentaire évidence des textes, mais dans la façon dont il a pu ensuite penser, sur de tels principes et à propos d’objets très variés, les rapports (et la variété des rapports) entre synchronie et diachronie.

Lire Claude Lévi-Strauss aujourd’hui

Que pensez-vous des réactions du milieu des anthropologues français à votre édition collective de La Pléiade qui a le mérite de montrer un autre Claude Lévi-Strauss (ce qu’avait déjà entamé le travail plus ancien d’un Marcel Hénaff) – je pense au livre d’Alban Bensa (Après Lévi-Strauss. Pour une anthropologie à taille humaine6), ou à votre réponse dans la revue L’Homme à Emmanuel Désveaux ? Cela n’est-il pas la conséquence d’un pouvoir lévi-straussien sans concessions dans le domaine de la recherche (voir la polémique des Temps modernes au début des années 1970, au cours de laquelle Jean Pouillon est chargé de répondre à Jean Monod et Pierre Clastres) ?

Je ne crois pas que la Pléiade ait suscité une réaction homogène de la part des anthropologues français, qui ne constituent d’ailleurs pas vraiment un milieu, mais plutôt un réseau assez éclaté avec plusieurs centres locaux (c’est du reste peut-être une différence avec les années 1960 et 1970). Mais il est vrai que l’entrée du plus prestigieux représentant de la discipline dans une collection comme la « Bibliothèque de la Pléiade » ne pouvait qu’appeler commentaires et réflexions, et j’ai essayé, d’abord dans ma préface, puis dans ma réponse à Emmanuel Désveaux, de cerner ce qui, dans un tel événement, pouvait susciter des interrogations.

Cela dit, je pense que vous avez raison de relever un effet générationnel. Sans revenir sur la polémique avec Emmanuel Désveaux, le point commun de cette « jeune génération » participant à ce qu’Eduardo Viveiros de Castro appelle « le “deuxième printemps” de la littérature sur Lévi-Strauss7 » est que, n’ayant pas connu cette période de domination à la fois intellectuelle et institutionnelle, elle n’est pas dans un rapport « œdipien » à l’auteur de la Pensée sauvage, de sorte qu’elle a parfois du mal à se reconnaître dans les débats que son œuvre a pu susciter, n’étant ni du côté des fidèles qui s’estiment toujours trahis, ni du côté des hérétiques qui ont construit leur identité intellectuelle sur un « meurtre du père » sans cesse recommencé. Elle aimerait simplement pouvoir inventer un rapport à Lévi-Strauss et des usages de Lévi-Strauss qui ne soient pas taxés a priori de conservatisme politique ou de patrimonialisation intéressée.

Vous faites partie de la jeune équipe ayant mené l’édition de la Pléiade (Frédéric Keck, Marie Mauzé, Martin Rueff) qui retient davantage (Claude Lévi-Strauss n’est pas absent du choix) les textes esthétiques que les textes scientifiques (Les Mythologiques). N’y a-t-il pas un changement du regard porté sur l’œuvre de Claude Lévi-Strauss, qui correspond à une inflexion aussi avancée par Lévi-Strauss lui-même (voir les films où il se décrit comme un « marcheur des villes ») ?

Je n’exclus pas, effectivement, que Lévi-Strauss ait lui-même infléchi la lecture de son œuvre. Qu’il ait décidé de la composition du recueil d’Œuvres pour la « Bibliothèque de la Pléiade » est un argument qui va dans ce sens. Mais dire qu’il a privilégié les ouvrages « esthétiques » et qu’il aurait donc délaissé les rigueurs de la science pour les valeurs sûres de la haute culture est inexact – c’est un point sur lequel je me suis attardé dans la préface du volume. Certes, on ne trouve pas les Structures élémentaires de la parenté, ni les quatre tomes des Mythologiques dans « la Pléiade », mais on ne trouve pas davantage les textes les plus accessibles (Race et histoire, certains articles des Anthropologies structurales, etc. – ce qui aurait été un choix possible). Et le moins qu’on puisse dire est que, à l’exception de Tristes tropiques (qui n’est d’ailleurs pas un livre toujours facile), les ouvrages retenus par Claude Lévi-Strauss8 ne se lisent pas comme des romans, en particulier parce qu’ils accordent tous une place majeure aux données ethnographiques, c’est-à-dire à l’organisation sociale, aux contraintes environnementales, aux systèmes de parenté, aux variantes des mythes, etc.

On présente d’ailleurs toujours Lévi-Strauss comme un auteur difficile en raison de la complexité de l’édifice théorique ou en raison des emprunts aux sciences « dures » (cybernétique, topologie, théorie des jeux, etc.). Mais à mon sens, une telle description révèle d’abord que les lecteurs ont négligé les développements pour se concentrer sur les paragraphes conclusifs. La plus grande difficulté pour celui qui lit Lévi-Strauss n’est pas théorique ; elle réside dans l’assimilation d’une énorme masse de faits, de noms imprononçables, de tribus, de langues, d’usages, de variétés de plantes ou de poissons, tout à fait étrangers au lecteur occidental.

Lévi-Strauss a été contemporain du gigantesque développement des médias et il a appris au cours de sa carrière à les apprivoiser ; je ne nie pas qu’il en ait quelquefois joué avec un peu de coquetterie. Mais faire de lui un flâneur vaguement écologiste, adepte d’un « retour au sensible », sous prétexte qu’on le voit cueillir des girolles dans l’émission « Archives du xxe siècle9 », c’est tracer un portrait plus infidèle encore que les caricatures qui le présentaient en « pape du structuralisme » suivi des évêques Foucault, Lacan et Barthes.

Cela conduit à observer autrement l’époque structuraliste. N’a-t-on pas opposé un peu durement la phénoménologie et la structure au nom d’une critique de la conscience et du sujet (voir les critiques d’un Jean-Marie Domenach dans Esprit qui adopte ce clivage : la personne contre le système, ou l’inverse) ? Si nous reconnaissons que le travail de Claude Lévi-Strauss a consisté en une science du concret, en une logique du sensible, n’a-t-on pas inversé les modes d’approche : plus d’intérêt pour le sensible, le concret, la pensée sauvage, le bricolage, moins d’obsession du scientifique ? Plus encore, cette opposition n’était-elle pas trompeuse ? Resté phénoménologue, Jean-Toussaint Desanti, un philosophe des sciences, n’oppose pas la phénoménologie et la structure (voir ses réflexions sur la topologie et son appréhension des écarts différentiels comme constitutifs de l’espace et de la parole10), il ne distingue pas espace abstrait et espace concret. Certes une certaine phénoménologie opposait le vécu à l’abstrait mais ce n’était peut-être qu’une vision pauvre de la phénoménologie.

Oui, certainement. La polarisation et le durcissement excessif des positions sont inévitables, en particulier quand le rapport de force intellectuel et institutionnel est déséquilibré, comme vous le releviez avec raison ; les débats que vous évoquez font partie de ces querelles qui, peu à peu, nous deviennent inintelligibles ou nous paraissent à présent fondées sur des malentendus. En même temps, il est important de ne pas « dépassionner les problèmes », comme Lévi-Strauss le disait lui-même. Et même si son œuvre est suffisamment riche, variée, quelquefois ambivalente, pour justifier toutes sortes de réappropriations, je persiste à penser que toutes les lectures qu’on en fait ne sont pas également légitimes ou fécondes, certaines étant parfois tout à fait contraires à l’esprit de son travail. Et je résiste en particulier à une récupération bien-pensante qu’on a pu observer ici ou là au moment des célébrations de son centenaire, qui transforme son relativisme radical en une invitation moraliste à « l’ouverture à l’autre », son humanisme généralisé en un humanisme occidental traditionnel à peine rhabillé de préoccupations environnementales, et ses réflexions sur l’identité en une justification du repli sur soi.

Il me semble à la fois plus fidèle, plus intéressant et plus fructueux de conserver, de Lévi-Strauss, la radicalité de la pensée, radicalité qui n’est nullement idéologique, mais qui tient à une très grande exigence intellectuelle, à la masse des matériaux empiriques qu’elle mobilise, et à une extrême conséquence quand bien même elle se déploie hors du domaine des faits ethnographiques d’où elle était partie. Observer autrement la période structuraliste, cela peut aussi vouloir dire ceci : non seulement défaire les oppositions factices, mais aussi, pour les sciences sociales, renouer avec une ambition théorique délaissée, oser à nouveau envisager de « grands » problèmes comme la comparaison interculturelle et, plus généralement, « retrouver l’originalité et la radicalité intellectuelles de la pensée française des années 1960, que la réaction conservatrice des décennies suivantes a éclipsées11 ».

La question des écarts différentiels est aujourd’hui au centre de bon nombre de réflexions sur l’humanisme global, le rôle des différences : en quoi la pensée de Claude Lévi-Strauss peut-elle être porteuse dans ce nouveau contexte (où la question de la démocratie n’est pas absente) ? Voir la reprise de la notion d’écart différentiel à propos du travail comparatiste (Chine/Europe) de François Jullien par exemple dans un récent numéro de la revue Critique (mars 2011) qui comporte un article de Martin Rueff sur ce thème.

Sans aucun doute. Je connais mal le travail de François Jullien, mais Martin Rueff montre de façon convaincante la communauté de problèmes que celui-ci partage avec Lévi-Strauss. La notion d’écarts différentiels (dont Lévi-Strauss disait qu’ils « constituent l’objet propre de l’ethnologie ») est certainement féconde pour penser la comparaison interculturelle, pour autant qu’on se souvienne de ce que Lévi-Strauss entendait par là. D’une part, qu’il est possible de comparer des sociétés en se fondant non sur leurs ressemblances mais sur la façon dont elles diffèrent les unes des autres (sans nécessairement que ces sociétés soient elles-mêmes intégralement connues). D’autre part, que le plan de comparaison ainsi dégagé ne constitue nullement un « repère » ou un référentiel dans lequel on pourrait situer les traits culturels ou sociaux que l’on compare, mais justement un espace différentiel construit de façon immanente par un jeu d’écarts.

Ce qui est véritablement révolutionnaire dans le structuralisme lévi-straussien, comme Gildas Salmon l’a récemment montré, ce n’est pas simplement que la comparaison se fonde sur un relevé systématique des différences au lieu d’un inventaire des ressemblances ; mais que les systèmes de différences ainsi définis sont eux-mêmes dans un rapport de transformation (par exemple entre le système de prohibitions d’une société donnée et l’organisation clanique d’une autre société). Autrement dit, les variations que l’on compare ne sont pas des possibilités qui viennent remplir a posteriori les cases d’une combinatoire dont les critères étaient définis a priori par la rationalité de l’anthropologue ; les critères pertinents pour la comparaison « se dégagent progressivement à partir des rapports de corrélation et d’opposition que [chaque variante] entretient avec d’autres variantes ». Il ne s’agit donc pas d’« abstraire une forme commune de contenus [ethnographiques] divers, mais au contraire [de] s’enfoncer le plus loin possible dans la variation des contenus12 ».

C’est peut-être un point commun de cette nouvelle littérature consacrée à l’œuvre de Lévi-Strauss ; contre toutes les lectures hâtives (venues parfois de certains « structuralistes » eux-mêmes), elle soutient que le structuralisme n’est ni un déterminisme mécaniste, ni une sémiologie, ni (surtout) un formalisme, mais une exploration systématique des contenus et de leurs variations – c’est-à-dire qu’il est d’abord fondé sur une attention presque maniaque aux données ethnographiques. À mon sens, plus que l’ambition de savoir ou le souci d’objectivité, c’est cela qui est perdu – ou à tout le moins négligé – par les relectures textualistes ou postcoloniales de l’anthropologie du xxe siècle : la richesse et l’immense variété des matériaux empiriques collectés par les ethnographes – richesse et variété que les grandes notions de « colonialisme », de « domination » ou d’« altérité » ne permettent nullement de penser.

Pour en revenir aux questions de l’écriture, où en est-on aujourd’hui des rapports de la littérature et de l’enquête (prédominance de l’autofiction), entre science et littérature ?

Il est difficile de donner une réponse générale à cette question mais il est évident que, pour toute une partie de la littérature française récente, le rapport à la fois aux méthodes des sciences sociales (l’enquête ethnographique ou archivistique), à leurs objets (la « fin du néolithique » ou les enjeux de la mémoire) et aux savoirs qu’elles produisent est central, la question de la mise en fiction de l’histoire et les débats qu’elle a suscités ne constituant qu’un aspect de cette nouvelle donne. Du côté des sciences sociales aussi, l’intérêt renouvelé pour la littérature est une tendance très repérable, dont témoigne par exemple une récente livraison des Annales intitulée « Savoirs de la littérature » ou, parmi d’autres choses, plusieurs réflexions autour du travail de Carlo Ginzburg. Les rapports entre littérature et savoirs sont aujourd’hui très différents de ce qu’ils étaient dans les années 1960, pour ne rien dire des années 1930 ; ils sont sans doute aussi moins immédiatement déchiffrables, mais ils dessinent indéniablement une configuration nouvelle, et tout à fait passionnante.

Propos recueillis par Olivier Mongin

  • *.

    Enseigne la littérature à l’université de Columbia (New York, États-Unis). Il a coordonné et préfacé l’édition des Œuvres de Claude Lévi-Strauss, dans la « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 2008.

  • 1.

    Vincent Debaene, l’Adieu au voyage. L’ethnologie française entre science et littérature, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2010.

  • 2.

    Voir en particulier le numéro spécial de la revue Études rurales dirigé par Jean Jamin et Françoise Zonabend consacré au « Texte ethnographique » (janvier-juin 1985) ou, treize ans plus tard, l’important numéro de la revue Enquête consacré à l’œuvre de Clifford Geertz (1998, no 6).

  • 3.

    Il est tout à fait caractéristique que l’unique article de Writing Culture traduit en français ait été celui de Paul Rabinow, qui est précisément le seul à se décaler par rapport à la problématique telle qu’elle est tracée par Clifford et Marcus. Plutôt que de reprendre leur réflexion à son compte, Rabinow la situe dans une histoire qui n’est pas celle de l’anthropologie mais celle du champ universitaire américain. De sorte que, pour un lecteur français, les réflexions de Writing Culture étaient d’un même mouvement reconnues comme importantes et d’emblée présentées comme devant être dépassées, sans que les effets véritables puissent en être mesurés. Voir « Fantasia dans la bibliothèque. Les représentations sont des faits sociaux : modernité et postmodernité en anthropologie », Études rurales, « Le texte ethnographique », janvier-juin 1985, no 97-98, p. 91-114.

  • 4.

    Voir sur ce point l’article fondamental de Patrice Maniglier, « L’humanisme interminable de Claude Lévi-Strauss », Les Temps modernes, juin-août 2000, no 609, p. 216-241.

  • 5.

    Wiktor Stoczkowski, Anthropologies rédemptrices. Le monde selon Lévi-Strauss, Paris, Hermann, coll. « Société et pensées », 2008.

  • 6.

    Alban Bensa, Après Lévi-Strauss. Pour une anthropologie à taille humaine, Paris, Textuel, 2010.

  • 7.

    Eduardo Viveiros de Castro, « Claude Lévi-Strauss, Œuvres », Gradhiva, 2008, no 8, p. 131.

  • 8.

    Le Totémisme aujourd’hui, la Pensée sauvage, la Voie des masques, la Potière jalouse, Histoire de lynx, Regarder écouter lire.

  • 9.

    Voir le Dvd Claude Lévi-Strauss, de Pierre Beuchot, à partir des entretiens donnés à Jean-José Marchand en 1972 pour les « Archives du xxe siècle » (éditions Montparnasse, 2006).

  • 10.

    Jean-Toussaint Desanti, « Qu’est-ce qu’un espace abstrait ? », Esprit, juin 2008.

  • 11.

    E. Viveiros de Castro, « Claude Lévi-Strauss, Œuvres », art. cité, p. 133.

  • 12.

    Gildas Salmon, « Du système à la structure : la redéfinition de la méthode comparative dans “Les systèmes de transformations” (la Pensée sauvage) », dans Patrice Maniglier (sous la dir. de), le Moment philosophique des années 1960 en France, Paris, Puf, 2011, p. 159-176.