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Une année érable ? Leçons de la contestation québécoise

juillet 2012

#Divers

Pour avoir débuté en février dernier, le « printemps érable » a d’abord été un « hiver » et il sera bientôt un « été ». Les causes initiales de son déclenchement tiennent à l’intention du gouvernement provincial d’augmenter les droits de scolarité d’environ 75 % sur cinq ans. Les trois principaux regroupements étudiants, la Fédération étudiante collégiale du Québec (Fecq), la Fédération étudiante universitaire du Québec (Feuq) et la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (Classe) – le dernier étant situé le plus à gauche sur l’échiquier politique – se sont vigoureusement opposés à cette hausse subite. On ne peut guère parler ici d’un front commun en tant que tel, puisque les trois regroupements ne partagent ni la même plateforme de revendications ni le même mode de fonctionnement. Ainsi, par exemple, au contraire des autres associations, la Classe revendique la gratuité scolaire, elle soutient la désobéissance civile et n’a aucun président mais bien plutôt des porte-parole. Toujours est-il qu’un grand mouvement de mobilisation réunit à la fois, en ce moment même, une vaste part des étudiants et de la population québécoise.

L’accès à l’université : quelles barrières ?

Il est vrai de dire que la lutte fut motivée d’abord par le désir d’assurer l’accessibilité aux études supérieures. Mais la durée de cette lutte démontre bien qu’elle a des racines plus profondes. Dans ce mouvement de contestation générale, le plus long de l’histoire du Québec et, semble-t-il, de l’Amérique du Nord, s’expriment un appel à la solidarité, la volonté de tenir en échec la marchandisation de l’éducation et le souci de réformer le système de gestion des universités (le financement imparti étant souvent mal utilisé). Par extension, si j’ose dire, le mouvement cherche à insuffler une nouvelle culture de l’éducation au Québec.

Dans un article paru dans Le Devoir, Denise Bombardier faisait remarquer que l’accessibilité aux études ne relève pas tant de la hauteur des droits de scolarité que de la curiosité intellectuelle propre à chaque communauté1. Elle en veut pour preuve une étude de Ross Finnie, chercheur à l’université d’Ottawa. Cette étude révèle que l’université est plus fréquentée en Ontario qu’au Québec, en dépit du fait que les droits de scolarité y sont plus élevés. Denise Bombardier en conclut que les étudiants québécois ne défendent pas les bons idéaux lorsqu’ils réclament le gel des droits de scolarité ; pour elle, afin de régler le problème de l’éducation, il importerait avant tout d’attiser l’intérêt des Québécois pour cette éducation même. Là où elle fait erreur, à mon avis, c’est lorsqu’elle suggère que la mobilisation étudiante actuelle « ne contribue pas précisément à attiser cet intérêt ». Loin de dévaloriser l’éducation, cette mobilisation cherche à ériger les études supérieures en droit fondamental ; elle veut montrer aux citoyens, défavorisés ou non, à quel point il importe de s’éduquer, et combien il est primordial de pouvoir le faire sans tracas financiers.

Une surdité prolongée

Parmi les faits marquants du conflit, il faut souligner, entre autres, les arrestations massives et les nombreux épisodes de brutalité policière (plusieurs étudiants ont été matraqués, l’un a sombré dans le coma et a perdu un œil…), de même que la désinformation assurée par certains médias. À titre d’exemple : le 23 avril dernier, au lendemain de la manifestation du Jour de la Terre où s’étaient invités de nombreux étudiants, Le Journal de Montréal plaçait en couverture une nouvelle sans aucune importance publique, occultant par le fait même l’une des plus grandes manifestations de l’histoire du Canada2.

Cette stratégie de détournement semble employée par le gouvernement lui-même. D’une part, Jean Charest s’est lancé dans une véritable querelle sémantique en obligeant les leaders étudiants, présidents ou porte-parole des principaux regroupements, à condamner la violence et l’intimidation lors des manifestations et activités de « piquetage » (piquets de grève). Pendant de nombreuses semaines, il a refusé de négocier avec eux sous prétexte que le conflit versait dans la violence. Encore récemment, la ministre de la Culture, Christine Saint-Pierre, a associé le symbole de la lutte étudiante, le « carré rouge » (qui signifie que les étudiants sont « carrément dans le rouge »), à la violence et à l’intimidation – comme si aucun des protagonistes étudiants n’était pacifique et comme si la prétendue violence dont parle la ministre n’était pas une réponse directe, rendue légitime par la force du nombre et l’argumentation rationnelle, à celle du gouvernement en place.

D’autre part, certains avancent que le conflit actuel sert les intérêts de ce gouvernement. En un certain sens, en effet, il permet à Jean Charest de faire oublier son bilan ou encore d’occulter certains projets de loi douteux qu’il tente d’imposer en douce au grand nombre. Qu’il me suffise de mentionner le plan Nord. Le Premier ministre en fait présentement la promotion aux quatre coins du monde : censé permettre un développement économique du Nord du Québec, ce plan devrait profiter en bonne partie aux investisseurs étrangers et menace à la fois l’environnement et les territoires ancestraux des Amérindiens.

On ne saurait passer sous silence, par ailleurs, le fait que les tribunaux se sont mis de la partie en émettant des injonctions qui accordent le droit à tout étudiant de recevoir l’enseignement qu’il souhaite, même en temps de grève. La conséquence en est que les lignes de piquetage sont devenues illégales, du moins sur le papier, dans plusieurs endroits du Québec. Dans cette foulée, le gouvernement a adopté la désormais célèbre loi 78 qui prévoit des amendes pour quiconque empêcherait les étudiants non grévistes d’avoir accès à leurs cours. Même si seule une minorité de membres d’une association étudiante vote contre la grève, cette minorité peut donc en principe avoir raison de la majorité ; elle peut franchir en toute légalité les lignes de piquetage. La ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, a démissionné le 14 mai 2012, et la loi 78 fait maintenant en sorte que la session d’hiver est suspendue jusqu’à la fin de l’été. Plusieurs voient dans cette loi une entrave au droit de manifester et de s’associer démocratiquement. En ce moment, les négociations sont rompues.

Des formes nouvelles de mobilisation ?

Comment les étudiants réagissent-ils ? Ils continuent de manifester au quotidien et d’organiser des activités de perturbation économique (comme lors du Grand Prix de Montréal). Encore récemment, la Classe a appelé à une mobilisation générale afin d’interpeller tous les acteurs sociaux. Les mois qui viennent nous feront connaître la réponse de la population et des syndicats. Pour l’instant, certains groupes donnent leur appui aux étudiants, parmi lesquels la Convergence des luttes anti-capitalistes (Clac-Montréal), souvent présente lors des manifestations.

Il n’est pas indifférent de souligner que les deux mouvements de grève étudiante les plus importants de l’histoire du Québec sont nés en réaction au gouvernement libéral mené par Jean Charest (en 2005 et en 2012). J’ai eu l’occasion de participer à ces deux mouvements, d’abord en tant qu’étudiant de collège d’enseignement général et professionnel (Cégep), ensuite en tant qu’étudiant en maîtrise affilié à la Classe. Ce que je peux en dire, c’est que la durée de la seconde mobilisation me semble être une arme à double tranchant : en même temps qu’elle permet aux étudiants et à la population en général de s’informer davantage et de se pencher sur les enjeux étudiants, ce qui est tout à fait souhaitable, elle s’éternise à un point tel qu’une partie de plus en plus large de la population se dit lassée et presque indifférente à la manière dont le conflit pourra se régler, ce qui laisse présager le pire.

D’un point de vue sociologique, la lutte montre bien que le Québec est culturellement plus près de la France, du moins en ce qui concerne la capacité de se mobiliser, que les autres provinces canadiennes ou États américains. Quelques nuances s’imposent tout de même, puisque le mouvement de contestation s’exprime surtout à Montréal et que de tous les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale du Québec, seul Québec solidaire se prononce clairement en faveur du gel des droits de scolarité et de la gratuité scolaire. Formant l’actuelle opposition officielle, le Parti québécois a beau appuyer au grand jour les étudiants, ses positions à long terme demeurent nébuleuses et floues. Autre formation politique représentée à l’Assemblée, la Coalition avenir Québec est en faveur d’une bonification de l’aide financière aux études (Afe), mais appuie l’intention du gouvernement d’augmenter les droits de scolarité. Quant aux autorités universitaires et collégiales, elles semblent pour la plupart abonder dans le sens du gouvernement : non seulement certains recteurs se sont prononcés en faveur de la hausse (dans l’espoir de rendre leur institution plus « compétitive », dans le sillage des grandes institutions nord-américaines), mais encore les autorités universitaires, du moins celles de l’université de Montréal, mènent une campagne d’intimidation en faisant parvenir aux étudiants des courriels dans lesquels elles évoquent la difficulté qu’ils auront à terminer leur session s’ils reconduisent la grève.

La crise économique a épargné davantage le Québec que d’autres nations à travers le monde. Vu la durée du mouvement actuel de mobilisation étudiante, toutefois, on peut repérer plus que l’embryon d’une crise au Québec. Aussi constate-t-on qu’un certain capitalisme, ici comme ailleurs, du moins tel qu’il est pratiqué en ce moment, n’est pas en crise, mais bien plutôt une crise en soi.

  • 1.

    http://www.ledevoir.com/societe/education/48758/faire-accroire

  • 2.

    http://mediatv.divertissement.sympatico.ca/2012/04/gros-titres-média-tv-une-marche-pour-le-jour-de-la-terre-plus-ou-moins-invisible.html