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Le Havre, l'axe Paris-Seine et les routes maritimes mondiales

juin 2013

Le port du Havre est en perte de vitesse face à Anvers ou Rotterdam : pour des raisons économiques (dynamisme allemand) et géographiques difficiles à modifier à court terme, mais aussi du fait de choix stratégiques sur lesquels on peut influer, pour mieux insérer la France dans les échanges mondiaux en transformant le rapport entre les terres intérieures et l’ouverture au grand large.

Depuis sa fondation par François Ier en 1517, Le Havre, au débouché de la Seine et de son estuaire, a toujours été le port de Paris. Une grande agitation s’empare de la ville, plus largement de toute la Normandie, avec le Grand Paris. L’architecte Antoine Grumbach reprend l’idée de Napoléon : « Paris, Rouen, Le Havre, une seule ville dont la Seine est la grande rue1. » Et l’idée s’impose. La rue, source d’une immense richesse, doit être maritime, portuaire, industrielle, urbaine, fluide et rapide, mais aussi culturelle et écologique. Il en va de l’intérêt national.

Conforter cette porte maritime en rapprochant les ports du Havre, de Rouen et de Paris constitue un enjeu essentiel. Le Havre, port de tête d’estuaire, capable d’accueillir les plus grands navires, joue un rôle majeur par l’importance et la diversité de ses trafics. Mais, pour Paris et l’Île-de-France, Anvers ou Rotterdam feraient tout aussi bien l’affaire. Au détriment du Havre et de l’axe Seine, les ports rhénans ne cessent de prendre de l’avance.

Avec le port maritime et les échanges de marchandises, c’est notre rapport à la mondialisation qui est en question. Partons de l’hypo thèse simple que pour rester le port de Paris, s’affirmer comme une porte océane de l’Europe, Le Havre, port maritime, doit s’ouvrir sur le grand large et aux grands vents de la mondialisation afin de mieux maîtriser son propre destin. La mutation est en cours. Elle est loin d’être achevée, tant pèse le poids de l’histoire, marquée par une construction nationale de notre grande rue maritime. Les enjeux sont d’abord strictement portuaires, dans la capacité à s’insérer dans les grands courants maritimes, mais aussi territoriaux, pour favoriser le développement économique, notamment industriel, essentiel pour les échanges de marchandises.

D’un monde à l’autre

Le risque du décrochage

La réalité des statistiques est cruelle. Aussi bien sur le long que sur le court terme, le port du Havre décroche par rapport à ses principaux concurrents de la rangée maritime Nord-Europe, les ports du delta d’or, principalement Anvers et Rotterdam, et les ports allemands de Hambourg et Brême.

Pour son trafic total, la part de marché du Havre s’effrite régulièrement depuis les années 2000. En 2012, Le Havre ne pèse plus que 5, 3 % des trafics de la rangée Nord-Europe contre 7, 5 % en 2000. À chaque année son explication : en 2012, le recul des trafics de pétrole brut, conséquence de la fin de l’activité de la raffinerie Petroplus et plus globalement du ralentissement économique.

L’activité du port du Havre dépend du pétrole à plus de 55 %. Par Le Havre passent près de 40 % des importations nationales de pétrole brut, car la Basse-Seine concentre dans les mêmes proportions les capacités nationales de raffinage. Quand la demande française en pétrole brut diminue, le port du Havre en subit directement les conséquences. Or, le trafic total des autres ports de la rangée Nord-Europe n’a cessé d’augmenter en valeur absolue, soulignant un peu plus le risque d’une marginalisation du Havre.

Depuis les années 1970, les conteneurs sont le moteur de l’expansion portuaire avec des taux de croissance de 7 à 8% par an. Le trafic des conteneurs est moins captif que celui des vracs. Il dépend de chaînes intermodales de transport porte à porte qui permettent l’acheminement à bas coûts d’une infinie variété de marchandises, des biens intermédiaires intégrés dans les processus de production jusqu’aux produits de la consommation finale de nos rayons de supermarchés. Il renvoie directement au lego de la production et de la distribution à l’échelle mondiale2.

En 2006, Le Havre inaugure Port 2000, port nouveau entièrement dédié au trafic des conteneurs. Malgré cet investissement de plus d’un milliard d’euros destiné à faire augmenter les trafics, ceux-ci stagnent, alors que ceux des concurrents ne cessent d’augmenter. Si en 2012, la part de marché du Havre sur la rangée Nord-Europe avait été de 9%, comparable à celle du début des années 1990, 3, 6 millions d’équivalents vingt pieds (Evp) auraient été traités au Havre, contre seulement 2, 3 dans les faits.

La réalité de l’hinterland

Face au constat du décrochage, évitons les fantasmes : Le Havre ne peut prétendre aux trafics des ports allemands ou du delta d’or en raison de la géographie de l’Europe. Depuis la chute du mur de Berlin, les ports de Hambourg et de Brême ont enregistré une croissance spectaculaire grâce à un hinterland retrouvé. Éloignés du port du Havre, ils n’en sont pas les rivaux directs.

Rotterdam et Anvers, avec son appendice Zeebrugge, l’un sur le Rhin, l’autre sur l’Escaut, sont les portes naturelles de l’Europe rhénane et du cœur industriel allemand, ce qui explique l’ampleur de leurs trafics. En 2011, l’Allemagne est la troisième puissance commerciale mondiale et son excédent commercial est supérieur de 40 % à celui de la Chine selon l’Omc ! La France pèse 3, 3 % des exportations mondiales, contre 8, 1 % pour l’Allemagne. Le Havre n’est que le port naturel de Paris, ce qui est loin d’être négligeable, puisque l’Île-de-France représente 29 % du Pib français, et plus du tiers avec les deux régions normandes. Mais les hinterlands sont partagés. Rotterdam et Anvers étendent leur aire de marché sur la région parisienne, butte témoin de l’Europe rhénane, le nord et l’est de la France et même tout le sillon rhodanien. Ils occupent une place centrale dans la géographie européenne, ce qui explique que les navires porte-conteneurs y réalisent leurs plus gros volumes.

Le Havre est plus périphérique. Grâce à sa localisation à l’entrée de la Manche, il est, pour les marchandises les plus pressées, le premier port de la rangée Nord à l’importation à l’issue d’une traversée océanique. Dernier port à l’exportation, il fournit une escale utile pour compléter le chargement des navires qui terminent une tournée du nord. Avant même la conteneurisation et tout au long du xxe siècle, Le Havre a toujours été pour les armateurs un port dit de « cueillette », permettant de compléter utilement avec le marché français les chargements principaux réalisés à Anvers ou Rotterdam. De ce fait, les plus grands armements mondiaux sont présents au Havre, ce qui représente un potentiel de croissance considérable.

Retrouver, pour le trafic total, des parts de marché comparables à celles du début des années 1990 (de 7 à 8%) et pour les conteneurs des parts de 9% – ce qui correspond au poids estimé de la France dans les volumes internationaux européens de conteneurs3 – semble, malgré les difficultés, un objectif réaliste, porteur de développement économique et d’une meilleure insertion de la France en Europe et dans le monde.

Le poids de l’héritage national

Les faiblesses actuelles s’expliquent par les difficultés à sortir d’un système franco-français, puissant et cohérent en son temps mais désormais révolu. Les Trente Glorieuses marquent l’apogée du port industriel. Il s’agit en effet d’assurer l’indépendance nationale dans un contexte de concurrence européenne, par un volontarisme de l’État. Les ports constituent un instrument privilégié de modernisation de l’économie française des années 1960 par la maritimisation. Ils rendent techniquement possible le passage d’une économie du charbon à une économie du pétrole, qui concentre sur quelques sites industrialo-portuaires hautement compétitifs l’essentiel de la production pétrochimique et sidérurgique française. Au Havre, la zone industrialo-portuaire s’étend sur plus de dix mille hectares, grâce à un estuaire progressivement « domestiqué », selon la terminologie des ingénieurs. Le port pétrolier d’Antifer, inauguré en 1976, est capable d’accueillir les plus gros pétroliers. L’ensemble de la vallée de la Seine devient un lieu privilégié de l’industrialisation par déconcentration parisienne.

Au Havre, le système gaulliste atteint une forme d’optimum. À l’État et à ses hauts fonctionnaires du corps des ingénieurs des ponts le fonctionnement de l’outil portuaire et industriel. À la ville communiste l’encadrement des classes laborieuses. Issues de l’exode rural, elles sont regroupées sur le plateau, loin de la ville basse reconstruite et devenue bourgeoise, dans les deux grandes Zac de Caucriauville et de Mont-Gaillard. Quelques grèves qu’il faut savoir terminer et quelques « grands » combats perdus d’avance, comme le désarmement du paquebot France en 1974 ou, plus tard, la fermeture en 1997 des chantiers de construction navale Ach, assurent le statu quo social.

Les deux chocs pétroliers et le passage à une économie mondialisée brisent ce système très cohérent dont Le Havre peine à sortir. À partir des années 1980, la ville et le port se figent avec de lourdes conséquences économiques et sociales. Aucune activité nouvelle ne vient prendre le relais des industries existantes. Le taux de chômage (12, 9 % en 2012) est systématiquement supérieur d’environ trois points à la moyenne nationale. Depuis 1975, la ville perd de la population, car ses habitants la quittent alors même qu’ils font des enfants. Par son ampleur, la crise de reconversion est comparable à celle des villes minières du Nord.

Les enjeux portuaires : l’ouverture sur le grand large

Le renouveau passe par le port et le complexe industriel qui créent plus de 40 % de la richesse produite et 22, 5 % des emplois de la zone. L’exemple des concurrents du Nord montre que la croissance des trafics est possible. Inversement, la baisse des parts de marché n’a rien d’inéluctable et laisse paradoxalement ouvertes des marges de croissance. Quelles sont les conditions à mettre en œuvre pour inverser la tendance ?

Conteneurisation, organisation sociale et concurrence

Pour le trafic des conteneurs, l’adaptation du Havre aux standards internationaux de l’organisation portuaire a été longue et en décalage par rapport à ses concurrents. Elle est pourtant essentielle à la fidélisation des opérateurs mondiaux du transport maritime, armateurs, manutentionnaires, transitaires et chargeurs qui mettent en concurrence les ports les uns avec les autres.

Le modèle mondial dominant est celui du landlord port. L’administration publique portuaire détient les pouvoirs régaliens et la maîtrise foncière. Elle est propriétaire des infrastructures : chenaux d’accès, bassins et quais. Mais les terminaux à conteneurs font l’objet de concessions à long terme à des opérateurs de manutention qui assurent l’exploitation, la gestion du personnel et les investissements. Depuis la fin des années 1990, la manutention des conteneurs est dominée à Anvers par une société de Singapour, Psa (Port of Singapour Authority) et à Rotterdam par une société de Hong Kong (Hutchison).

Au Havre, la transition vers un tel système a été longue, ponctuée de conflits sociaux qui ont profondément entaché la fiabilité du port, essentielle pour les flux de marchandises et de navires. La faute n’est pas que celle des dockers et portiqueurs, alibis faciles et évidents, jetés en pâture à l’opinion publique afin de justifier l’impossibilité de toute restructuration par peur du désordre social.

Le système national hérité permettait aux intérêts locaux havrais de bénéficier de la rente du marché français sans affronter directement la concurrence internationale. Les sociétés de manutention étaient locales, sans aucune capacité d’investissement, ce qui justifiait l’importance du port autonome pour compenser leur faiblesse. Comme dans tous les autres ports du monde, les dockers, à même de bloquer les trafics à tout moment, sont en position de force.

Selon le directeur général du port autonome des années 1990, André Graillot, Port 2000, dont il est le concepteur, est un projet tellement considérable que les intérêts locaux ne pourront pas y faire face et que la rente devra nécessairement éclater au profit de nouveaux investisseurs. Dans une logique bien française d’ingénieurs des ponts, l’infrastructure doit permettre la mutation organisationnelle.

Malgré une adhésion forte de la population à un projet vécu un peu comme celui de la dernière chance, le chemin fut bien plus long que prévu. Deux processus doivent être distingués. Le premier concerne les personnels de la manutention, qui deviennent des salariés sous la responsabilité directe des sociétés de manutention, et se réalise en deux étapes : réforme de 1992 des dockers puis en 2008 des grands ports maritimes concernant les portiqueurs. Les négociations, longues, coûteuses et conflictuelles, témoignent de la difficulté du dialogue social, par un choc de cultures et de classes, entre l’élite dirigeante de hauts fonctionnaires et les ouvriers du port. La croissance des trafics conteneurisés en 2012 marquerait enfin une fiabilité retrouvée, concrétisée par l’annonce récente par l’armateur Msc de faire passer par Le Havre de nouvelles lignes maritimes.

Le second processus concerne l’attribution des concessions portuaires pour l’exploitation des terminaux. Moins médiatisé que le premier, il est plus important. Depuis 2006, il se traduit par la domination des trois plus grands armements mondiaux, le danois Maersk Line, l’italo-suisse Msc et le français Cma-Cgm sur la manutention havraise. Ils disposent chacun de leur propre terminal sur Port 2000. Pour Le Havre, leur présence est une chance, à condition qu’elle ne se transforme pas en un oligopole de fait, d’autant plus qu’ils dominent aussi l’activité conteneurs des ports de Marseille et Dunkerque. Certes, leurs terminaux sont ouverts à la clientèle des autres armements. Mais le choix n’a pas été fait d’accueillir, en plus des trois précédents, un grand manutentionnaire international et généraliste à même de garantir une totale indépendance vis-à-vis de la clientèle et d’intensifier ainsi la concurrence. Le marché français en a la potentialité. De leur côté, les autorités portuaires d’Anvers et de Rotterdam sont parvenues à cet équilibre entre des clients armateurs privilégiés du port et disposant de terminaux dédiés et de puissants manutentionnaires généralistes à même d’accueillir les autres armements. Le marché français ne doit en aucun cas faire l’objet d’une rente, hier captée par des intérêts locaux trop faibles pour investir, aujourd’hui monopolisée par de grands groupes.

Logique de corridors : l’axe Seine et au-delà

La desserte d’un hinterland élargi constitue un autre enjeu crucial pour Le Havre. Un effet boule de neige – le trafic appelle le trafic – se produit en faveur des ports principaux. L’interaction est forte entre l’offre de lignes maritimes, la croissance des volumes en provenance ou à destination de l’hinterland et l’organisation d’une offre terrestre massifiée ferroviaire ou fluviale. Cette dernière peut être plus compétitive par rapport à la route parce qu’elle prolonge à terre les économies d’échelle réalisées sur mer. Les ports du Nord ont encore une fois une longueur d’avance sur Le Havre grâce aux très gros volumes qu’ils manutentionnent. Un tiers de l’acheminement terrestre des conteneurs se fait par la voie fluviale à Rotterdam et à Anvers et par le rail à Hambourg.

Au Havre, la faiblesse des trafics se traduit par une domination de la route à plus de 80 %. Celle-ci est fiable, flexible, peu coûteuse et à même de répondre à la très grande diversité de la demande. Point positif : le trafic fluvial des conteneurs ne cesse de se développer sur la Seine depuis le milieu des années 1990. Il assure près de 10 % des pré- et post-acheminements terrestres de conteneurs du port du Havre. Il permet une desserte de l’Île-de-France, notamment via la plate-forme intérieure de Gennevilliers. Cette croissance s’explique par une conjonction d’intérêts convergents : implication des trois plus grands armements, motivés par la baisse des coûts terrestres du transport, adhésion des chargeurs de la grande distribution qui réalisent des économies de trésorerie grâce à des processus différés de dédouanement et de paiement de la Tva, soutien financier des pouvoirs publics soucieux de promouvoir le report modal. Ce développement d’une desserte massifiée sur l’axe Seine est essentiel pour conforter l’hinterland de proximité du port du Havre, c’est-à-dire la desserte de l’Île-de-France.

Le transport ferroviaire est à la traîne, « plombé » par une image négative d’absence de fiabilité. Il est complémentaire à la voie d’eau, limitée à la desserte de l’Île-de-France, pour aller vers un hinterland plus lointain. Cela suppose de fiabiliser quelques itinéraires fret, notamment vers l’est de la France, reliés aux corridors européens, non seulement grâce à une infrastructure à niveau mais surtout et plus encore par une offre de service porte à porte qui répond à la demande des chargeurs. La massification suppose un nombre limité de plates-formes ferroviaires au plus près des plus grandes aires urbaines (Paris, Lyon, Bordeaux).

L’axe Seine constitue donc le cœur du corridor dont les ramifications doivent s’étendre au-delà de l’Île-de-France. De ce point de vue, la coordination portuaire initiée en 2012 avec le Gie Haropa, qui réunit les ports du Havre, Rouen et Paris, est essentielle afin de massifier les trafics, planifier les implantations de terminaux intérieurs et assurer le développement commercial.

L’effet boule de neige n’a pas encore eu lieu au Havre. Mais tous les ingrédients se mettent très progressivement en place pour sa réalisation. Et aucune situation n’est irréversible, y compris par rapport aux ports du Nord.

Les enjeux du développement territorial

Le port vit de la richesse de son hinterland. Mais le développement des territoires nécessite de prendre en compte toute la diversité des activités, ce qui peut entraîner des conflits d’usage. C’est bien à l’échelle de l’axe Seine qu’une gestion coordonnée de l’espace peut prendre toute sa pertinence.

L’axe Seine : développement économique et gestion de l’espace

L’avenir est industriel. Il passe d’abord par la pérennisation des activités existantes. La vallée de la Seine concentre principalement au Havre, à Rouen et en aval de Paris des industries du raffinage et de la chimie, de l’automobile et de l’aéronautique, des constructions mécaniques et de la pharmacie4. Elles sont aujourd’hui des industries de pointe. Elles n’ont survécu à la concurrence internationale que par des gains de productivité très importants, soutenus par de lourds investissements, ce qui s’est traduit par des baisses drastiques d’effectifs. Leur valeur ajoutée par salarié est très élevée. Elles contribuent très fortement à l’activité portuaire.

Malgré ces restructurations, le déclin du tissu industriel est préoccupant, avec certaines filières durement touchées comme l’industrie automobile. L’Île-de-France importe beaucoup plus qu’elle n’exporte. Or, l’activité portuaire se fait à l’importation mais aussi à l’exportation. Le renouveau passe donc par l’émergence de nouvelles activités industrielles en lien avec l’activité maritime. Les ports sont des lieux primordiaux de la transition énergétique, avec de nouvelles techniques de raffinage, la captation du CO2 et le développement des énergies renouvelables. Areva devrait construire au Havre une usine pour la construction des éoliennes qui seront ensuite implantées puis exploitées au large sur des sites dédiés à partir de la zone portuaire. L’industrie du recyclage, pour tous les types de produits, des plus lourds (Btp) aux plus légers (électronique), a intérêt à s’appuyer sur des chaînes de transport performantes et peu coûteuses utilisant la voie d’eau avec d’éventuels prolongements maritimes.

Le développement de la logistique est un support essentiel de l’activité conteneurisée. Il se traduit par la construction d’entrepôts où peuvent s’effectuer de multiples opérations sur la marchandise. Le Havre dispose déjà de plus de 1, 2 million de mètres carrés de surface d’entrepôts logistiques en service et 600 000 mètres carrés en projet (bilan annuel du Gpmh 2011), ce qui traduit un intérêt grandissant des opérateurs de la logistique pour la place havraise. Afin de favoriser les transports massifiés ferroviaires ou fluviaux, ces implantations doivent être concentrées sur quelques points précis, non seulement au Havre mais aussi à l’échelle de l’axe Seine. Le corridor logistique nécessite une planification et un fort volontarisme en matière d’implantation d’entrepôts, qui s’opposent à la logique diffuse et d’étalement du transport routier de marchandises.

Le port, l’industrie et la logistique doivent compter avec les autres activités, pêche et tourisme essentiellement, qui sont des moteurs essentiels du développement économique. L’estuaire de la Seine, la vallée de la Seine, les côtes Fleurie et d’Albâtre, plus largement la Normandie sont des ressources précieuses pour le tourisme qui expliquent le développement soutenu de l’activité de croisière au Havre. Mais, comme tous les autres ports du monde, Le Havre est concerné par la montée de la pression environnementale, notamment en ce qui concerne la gestion des zones humides ou la limitation des rejets de particules par les navires.

L’une des clés de la compétitivité portuaire réside à l’avenir dans la capacité à parvenir à cette gestion fine de l’espace, qui doit permettre d’insérer le port dans les réseaux internationaux des opérateurs de marchandises tout en assurant l’épanouissement d’autres activités et la préservation de la ressource environnementale pour le plus grand profit des populations locales5. Les ports innovants – Los Angeles, les ports scandinaves, Rotterdam – empruntent déjà cette voie d’une approche globale de leurs enjeux. L’axe Seine fournit là un laboratoire exemplaire. Afin de ne pas accumuler un nouveau handicap, il est encore temps de faire de l’aménagement un des leviers majeurs de la compétitivité, à même de créer un avantage comparatif en faveur du complexe portuaire français à l’échelle internationale.

La ville du Havre en Normandie

Autre pilier du développement et du renouveau territorial : la ville du Havre elle-même. En 1995, ses habitants mettent fin au long règne communiste. Ils élisent comme maire Antoine Rufenacht, homme politique de droite d’envergure nationale. Sous son impulsion, la ville se transforme. La ville prolétaire de gauche apprécie ce maire, grand bourgeois qui s’est bonifié avec l’âge car agissant pour sa ville au-delà de toute ambition personnelle, capable de créer du « buzz » sur Le Havre tout en menant avec constance une politique de renouveau.

Cela s’est fait par de nombreux projets immobiliers, la naissance d’un nouveau quartier des docks, à l’interface du port et de la ville, soutenu par de superbes réalisations architecturales comme la piscine de Jean Nouvel (malgré sa fermeture actuelle pour réfection), la réorganisation de l’entrée de ville ou la réalisation récente d’un tramway et d’un grand stade. Le Havre se hisse peu à peu aux standards internationaux des grandes villes moyennes. Elle y ajoute une originalité très forte qui fonde son identité : la mer, le port, l’ouverture sur le large, un centre-ville reconstruit par Auguste Perret, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui a profondément changé le regard porté sur la ville. En positif ou en négatif, Le Havre ne laisse jamais indifférent.

Le Havre se tourne vers l’extérieur. L’ouverture du pont de Normandie en 1995 ouvre le territoire de l’estuaire. La création prochaine du pôle métropolitain de l’estuaire est le résultat d’un long processus politique de rapprochement entre les communes des deux rives initié à partir de 1998, toujours sous l’impulsion d’Antoine Rufenacht. Il devrait réunir vingt-cinq communautés de communes situées en marge des influences de Rouen et de Caen. Des initiatives communes en matière de transports, de développement économique et culturel, d’enseignement et de recherche sont projetées. C’est à l’échelle de l’estuaire que s’organise désormais la vie quotidienne, avec des opportunités élargies pour tous ceux qui y vivent6.

Le Havre vit de la relation avec Paris. Mais cette relation passe désormais aussi par Rouen et Caen, non pour se construire en opposition avec Paris mais en complémentarité, par des offres spécialisées de services ou de production. C’est à l’échelle du Bassin parisien que se met en place ce véritable système métropolitain avec en son centre Paris, la ville monde, afin que l’ensemble puisse peser aux niveaux européen et mondial. De ce point de vue, le projet d’une nouvelle ligne ferroviaire Paris-Normandie s’inscrit dans cette ambition globale d’aménagement métropolitain7. Comme dans les autres régions françaises, les obstacles sont multiples. Le réseau Caen-Rouen-Le Havre se heurte aux rivalités historiques (mon voisin immédiat est mon pire concurrent), au manque d’audace des barons politiques locaux et plus simplement à la très grande difficulté de l’entreprise.

L’impulsion de l’État peut être décisive. La nouvelle délégation interministérielle au développement de la vallée de la Seine, qui prend le relais du commissariat général à l’axe Seine, ne peut limiter son action à la seule vallée de la Seine car le développement de cette dernière implique des relations étroites entre Caen-Rouen-Le Havre, en complémentarité avec Paris.

* * *

La ville du Havre ne se comprend que par l’ouverture sur la mer, les ciels au-dessus du port, les navires sans cesse à l’horizon du boulevard maritime8.

Ouverture sur le monde ou repli sur soi : c’est le choix qui s’offre au Havre, comme à la France, face au grand défi de la mondialisation. Port maritime, la Porte océane ne peut soutenir la concurrence des ports nord-européens que si elle s’insère dans les réseaux des opérateurs internationaux de marchandises. Le passage d’un système national, cohérent en son temps mais qui s’est progressivement transformé en une mauvaise assurance-vie de quelques intérêts particuliers, à l’ouverture à la concurrence internationale se réalise lentement et dans la douleur.

Second pilier de cette ouverture sur le monde : le territoire lui-même, à plusieurs échelles, de la ville et du port dans leur estuaire aux relations entre les trois villes normandes dans le Bassin parisien. Le Havre confronté à la mondialisation, c’est aussi la capacité à fixer sur le territoire des activités industrielles, logistiques, de services tout en préservant la ressource environnementale. L’aménagement des territoires, estuaire, axe Seine, Le Havre en Normandie, est désormais une des clés de leur compétitivité à l’échelle mondiale.

  • *.

    Agrégé de géographie et directeur de recherche.

  • 1.

    Antoine Grumbach, Seine métropole. Paris Rouen Le Havre. Le diagnostic prospectif de l’agglomération parisienne, Paris, Antoine Grumbach & associés, 2009.

  • 2.

    Antoine Frémont, le Monde en boîtes. Conteneurisation et mondialisation, Inrets, coll. « Les Collections de l’Inrets », synthèse no 53, 2007.

  • 3.

    À partir de données du World Shipping Council.

  • 4.

    Coopération des agences d’urbanisme (Apur, Aucame, Audas, Aurbse, Aurh, Iau), Paris, Rouen, Le Havre. Axe Seine. Les données essentielles, 2011 (http://www.aurbse.org/sites/default/files/AUR345.pdf).

  • 5.

    A. Frémont, « L’avenir des ports maritimes », Futuribles, no 358, décembre 2009, p. 49-69.

  • 6.

    Aurh (Agence d’urbanisme de la région du Havre et de l’estuaire de la Seine), l’Estuaire en Seine. Les raisons d’agir, 2012 (http://www.aurh.asso.fr/IMAGES/Livre-Estuaire-en-Seine/EstuaireEnSeine-Complet.pdf).

  • 7.

    Celle-ci nécessite de revisiter les vieilles frontières administratives, comme le soutient vigoureusement un groupe de douze géographes normands dans la Normandie en débat, ouvrage collectif, Bayeux, Orep Éditions, 2012.

  • 8.

    Armand Frémont, Portrait de la France, Paris, Flammarion, 2001. Voir aussi, du même auteur, la Mémoire d’un port, Le Havre, Paris, Arléa, 2009 (1re éd. 1997).