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Enseignement supérieur, recherche, innovation. Quels acteurs?

décembre 2007

#Divers

Si la France soutient sa recherche de manière assez analogue à ses principaux partenaires, elle se distingue par le maigre profit qu’elle en retire. Pour lutter contre la relative dégradation de sa capacité d’innovation, il ne suffit pas d’en appeler à un surcroît de financement public. En effet, la particularité française réside dans la faiblesse de sa recherche privée. C’est donc sur l’organisation générale de la recherche et sur les liens entre le public et le privé qu’il faut s’interroger.

L’importance démocratique et économique de l’enseignement supérieur et de la recherche est aujourd’hui pleinement reconnue. En effet, si l’on attend toujours du monde académique qu’il forme les esprits et qu’il nourrisse le progrès des connaissances, il reçoit désormais un surcroît d’attention en raison de la prise de conscience du rôle du capital humain et de l’innovation technologique comme facteurs clés de la réussite d’une économie dans le monde contemporain.

Or, les déboires de notre commerce extérieur ainsi que la difficulté à tirer parti de la forte croissance mondiale ont remis au premier plan les interrogations sur la compétitivité de l’économie française, et notamment de son industrie. Il serait bien entendu réducteur de limiter à un seul facteur les causes de ces contre-performances. Mais toutes les comparaisons internationales suggèrent que l’une des principales faiblesses de notre économie réside dans un système d’innovation et de recherche moins dynamique que celui de nos principaux concurrents, ce qui pèse sur notre potentiel de croissance à moyen terme.

L’ambition de ces quelques pages est de montrer que les difficultés françaises en matière de recherche et d’innovation ne doivent pas conduire à des solutions trop simplistes se bornant à appeler plus de dépenses publiques. Il est avant tout important de distinguer recherche et innovation. Afin de faire face à la compétition internationale, il importe de repenser les politiques publiques dans ce domaine selon trois axes forts : redéployer les aides et incitations à la recherche privée en particulier vers les petites et moyennes entreprises (Pme), améliorer et accroître les liens entre recherche publique et acteurs privés, enfin et surtout réorganiser la recherche publique et l’enseignement supérieur afin d’accroître l’autonomie, les incitations et l’évaluation des acteurs.

La politique de l’innovation ne se réduit pas au soutien public à la recherche

En France, le débat sur la recherche et l’innovation est souvent confus car il identifie trop facilement ces deux notions. En schématisant, on peut considérer que le processus d’innovation technologique compte quatre étapes1 : la recherche fondamentale, la recherche technologique de base, le développement préindustriel, le lancement industriel et commercial. La recherche technologique constitue le maillon indispensable entre la recherche académique dont elle utilise les résultats et le développement industriel. Elle vise à montrer qu’une nouvelle idée peut faire l’objet d’un développement technologique et à déclencher des applications. Sa faiblesse relative en France est très pénalisante pour la valorisation de la recherche publique.

La référence à ces quatre étapes ne signifie pas pour autant que le déroulement du processus d’innovation est parfaitement linéaire. De nombreux exemples montrent que le développement technologique précède son explication scientifique ou que les progrès technologiques, notamment dans le domaine de l’instrumentation, sont la condition de l’avancement de la recherche fondamentale. De plus, d’un secteur économique à l’autre, l’utilité directe des résultats scientifiques est très variable ; elle est évidemment déterminante dans les biotechnologies ou les technologies de l’information.

L’innovation est l’un des moteurs les plus puissants du dynamisme de l’économie de marché, qu’il s’agisse des innovations de procédés (qui, par la mise au point de nouvelles méthodes de production, améliorent de façon significative la productivité des entreprises) ou des innovations de produits (qui, par la mise sur le marché de produits ou de services nouveaux, permettent aux entreprises d’accélérer le développement de leur chiffre d’affaires et de se procurer un avantage concurrentiel). L’innovation est donc avant tout un mécanisme économique et non scientifique. Comme pour tout investissement, sa raison d’être demeure la rentabilité et la conquête d’un marché solvable.

De même, elle ne s’identifie pas toujours à une rupture technologique, fruit d’une politique active de recherche-développement de l’entreprise. Il est possible d’innover simplement par transfert de technologies, par amélioration du savoir-faire, par adaptation de produits ou de procédés techniques. Ces méthodes sont parfois plus efficaces qu’une rupture technologique prématurée. C’est le cas pour beaucoup de Pme et dans certains secteurs industriels traditionnels.

L’innovation ne se réduit pas non plus à la seule dimension technique. Les innovations commerciales qui visent à faciliter ou à transformer l’utilisation de produits existants, les innovations organisationnelles ou sociales revêtent une importante croissance. Compte tenu de leur place dans l’économie contemporaine, les services sont aussi un domaine majeur de l’innovation.

Enfin, les dépenses d’innovation sont loin de se limiter aux seuls investissements de recherche-développement. On inclut ainsi dans ces dépenses l’acquisition d’équipements de haute technologie, les achats de brevets, les frais de licence, les coûts d’acquisition de savoirs extérieurs, la formation et l’essai de produits2. Dans une conception plus extensive, il serait concevable de leur ajouter les dépenses d’industrialisation et de commercialisation des nouveaux produits qui sont souvent d’un ordre de grandeur dix fois plus élevé que les seules dépenses de recherche-développement. Les seuls crédits d’intervention de l’État sont donc loin d’assurer le financement de l’innovation qui repose sur la mobilisation de capitaux privés importants, notamment en fonds propres.

C’est pour toutes ces raisons qu’au niveau de l’entreprise, l’innovation ne se réduit pas à la seule activité de recherche-développement. De même, en termes de politiques publiques, une stratégie de soutien à l’innovation ne s’identifie pas aux seules incitations financières à la recherche.

Néanmoins au plan macroéconomique, l’intensité de la recherche privée par rapport au produit intérieur brut (Pib) est généralement considérée comme un indicateur pertinent de la capacité d’innovation d’un pays. Même si leurs résultats sont variables par pays, par secteur et par taille d’entreprise, et même si les ordres de grandeur auxquels ils conduisent doivent être maniés avec précaution, les travaux économétriques concluent que l’intensité de la recherche-développement privée explique une proportion très significative de l’augmentation de la productivité du travail et de la productivité totale des facteurs, et donc de la croissance économique. À titre d’exemple, une étude récente de l’Ocde estime qu’un accroissement durable de 0, 1% du Pib de l’intensité de recherche-développement privée se traduirait à long terme, en moyenne pour la zone, par une hausse d’environ 1, 2% du Pib par tête.

Les études mettent aussi en évidence des taux de rendement plus élevés pour la recherche de base que pour la recherche appliquée et le développement, pour la recherche visant de nouveaux procédés comparée à celle sur de nouveaux produits, pour la recherche financée sur fonds propres que pour celle financée sur fonds publics.

En revanche, aucun lien robuste ne peut être mis en évidence de façon incontestable entre l’effort de recherche-développement spécifique des organismes publics et des universités et la croissance économique. Les études disponibles à ce jour reposent sur des statistiques fragiles, la recherche publique de base créant des externalités diffuses et de long terme mal prises en compte par ces travaux. À l’exception des revenus de licence et des créations d’entreprises dont les retombées directes sur l’activité économique et l’emploi sont en principe mesurables (mais marginales au plan macroéconomique), la contribution à la croissance s’exerce de façon indirecte par l’effet de levier qu’elle a sur la recherche privée et sur les processus d’innovation des entreprises.

La mondialisation de l’économie a renforcé l’importance stratégique de cet effet de levier. L’externalisation de la recherche vers les laboratoires académiques est parfois décisive pour les Pme qui ne disposent pas de capacités suffisantes en interne. Les ruptures technologiques sont de plus en plus issues de la recherche fondamentale menée dans les laboratoires publics, alors que les travaux de développement des entreprises visent surtout l’amélioration des technologies existantes. Il est donc vital pour ces dernières d’accéder dans les meilleures conditions à ces connaissances fondamentales.

Nul ne conteste que le progrès des connaissances issues de la recherche publique et de l’enseignement supérieur soit un investissement fondamental pour l’avenir de notre économie et de notre société. Mais il serait simpliste d’accréditer dans l’opinion l’idée qu’un accroissement massif de ses crédits entraînerait automatiquement des retombées importantes pour la croissance et l’emploi à moyen terme. Comme le montrent les meilleures pratiques étrangères, c’est l’organisation de la recherche et de l’enseignement supérieur ainsi que la qualité du couplage entre les entreprises et la recherche publique qui sont déterminantes pour l’innovation à cet horizon.

En définitive, c’est autant l’efficacité de la recherche privée ou publique que son volume qui est important pour l’innovation.

Innovation et recherche : le recul français

Périodiquement, l’Ocde établit un classement des performances nationales en matière d’innovation. Il situe la France à un niveau intermédiaire, assez loin derrière les pays scandinaves, le Japon, les États-Unis, l’Allemagne et la Suisse. Ce résultat est confirmé par le tableau de bord européen de l’innovation 20063. La France y occupe une médiocre 10e place au sein de l’Europe (8e dans l’Union européenne et derrière la Suisse et l’Islande). Tendance plus inquiétante encore : cette performance globale se dégrade depuis cinq ans par rapport à la moyenne de l’Union européenne et de façon plus marquée par rapport à l’Allemagne.

Le nombre de brevets déposés par les acteurs publics et privés constitue, malgré ses limites, un indicateur de référence pour évaluer la position technologique d’un pays. À cette aune, la France perd aussi du terrain. Les parts mondiales de demandes de brevets américains et européens d’origine française sont en baisse constante depuis 1988. Rapporté non plus à l’ensemble des demandes mondiales, mais seulement aux demandes des pays européens, le nombre de brevets d’origine française décline également depuis 1992. Il est vrai que cette évolution frappe les principaux pays industrialisés en raison de la montée de nouveaux acteurs comme la Chine, la Corée du Sud et Israël. Mais sur la même période, aucun pays n’a connu une baisse aussi importante que la France. Selon l’Observatoire des sciences et techniques (Ost), elle touche la quasi-totalité des domaines et sous-domaines technologiques ; l’industrie spatiale et d’armement, les transports et les techniques nucléaires demeurant des points forts.

Ce constat est confirmé par les données de l’Ocde centrées pour leur part sur les brevets triadiques. La France se place toujours au 4e rang derrière les États-Unis, le Japon et l’Allemagne. Cependant, de 1996 à 2002, sa part a baissé de 13%, tandis que celle de l’Allemagne restait stable et celle des États-Unis augmentait de 7 %. Un faisceau convergent d’indices témoigne donc du retard technologique croissant de la France par rapport à ses principaux concurrents. Ce diagnostic n’est pas nouveau et s’applique, il est vrai, à d’autres pays européens. Dès le milieu des années 1990, la Commission attribuait l’érosion de la position technologique de l’Europe par rapport aux États-Unis et aux pays émergents d’Asie à la faible capacité de transfert vers l’industrie des résultats de sa recherche fondamentale, pourtant au même niveau de qualité que celle des États-Unis.

Ce paradoxe européen d’une recherche puissante mais dont les retombées économiques sont faibles a été le catalyseur des politiques visant à resserrer les liens entre la recherche publique et le monde économique, non sans succès si l’on considère les résultats de pays comme l’Allemagne, la Suisse, la Suède et la Finlande.

Plus récemment, le Conseil européen de mars 2000 a assigné à l’Union européenne l’objectif de combler son retard en matière d’innovation par rapport aux États-Unis et au Japon, en devenant en 2010 l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. L’agenda de Lisbonne a défini à cet effet un ensemble de mesures ciblées formant une stratégie de stimulation à moyen terme de l’innovation.

La cible quantitative la plus emblématique était de porter à cette échéance l’effort d’investissement consacré à la recherche-développement à 3% du Pib ; le Conseil européen de Barcelone précisant par la suite que la priorité devait être donnée aux investissements privés (2% du Pib).

L’analyse comparative des systèmes nationaux d’innovation permet de mettre en évidence les conditions du succès : un investissement important des entreprises dans la recherche-développement, notamment dans les ressources humaines, une liaison étroite des entreprises avec les établissements d’enseignement supérieur, la mobilité des chercheurs et les échanges de compétences, une recherche de base de qualité, des centres d’excellence qui font de la valorisation de la recherche un axe stratégique.

Malheureusement, ces conditions cadres ne sont pas réunies aujourd’hui en France. La perte de compétitivité du système national d’innovation est liée à l’existence d’handicaps structurels déjà anciens, mais que notre pays n’a toujours pas réussi à surmonter. Le diagnostic sur deux d’entre eux méritent d’être approfondi : l’insuffisance de la recherche des entreprises, les liens trop faibles entre la recherche académique et le secteur privé.

La recherche des entreprises demeure largement insuffisante en France

La dépense intérieure de recherche-développement (Dird) financée par les entreprises se situe en 2005 au même niveau qu’en 1995, soit de l’ordre de 1, 2% du Pib. L’effort des entreprises françaises stagne sur longue période, alors que dans le même temps son intensité augmente dans les autres pays. La part de la Dird financée par les entreprises est ainsi passée de 1, 31% à 1, 66% en Allemagne, de 1, 95% à 2, 53% au Japon, de 1, 51% à 1, 67% aux États-Unis, de 1, 34% à 2, 39% en Finlande et de 2, 20% à 2, 56% en Suède sur la période 1995-2005. Parmi les pays industrialisés, seuls deux pays (le Royaume-Uni4, qui est passé de 0, 94% à 0, 75 %, et l’Italie) connaissent une évolution aussi défavorable que la France.

La recherche-développement privée est concentrée principalement sur quatre secteurs qui représentaient, en 2005, 53% de la dépense intérieure de recherche-développement des entreprises implantées sur le territoire national, contre 47% en 1992 : l’industrie automobile (15, 5 %), la pharmacie (13, 6 %), la fabrication d’équipements de radio, de télévision et de communication (12, 7%), la construction aéronautique et spatiale (11, 5 %). L’aéronautique, première branche de recherche jusqu’en 1997, est aujourd’hui en quatrième position.

La spécialisation de la France est cependant moins marquée qu’en Allemagne, où près d’un tiers de la recherche-développement privée est réalisé dans l’industrie automobile, qu’au Japon (industrie d’équipement électronique et de télécommunication) ou qu’au Royaume-Uni (pharmacie et services). Les dépenses de recherche-développement sont en France très concentrées dans les grandes entreprises : 6% des entreprises (les plus de 1 000 salariés) représentent 65% de la Dird.

Le tableau de bord de l’Ocde 2005, fondé sur des statistiques 2002, montre que la part de la recherche-développement dans les entreprises de plus de 250 salariés en France est analogue à celle des États-Unis et inférieure à celle de l’Allemagne et du Japon, alors que la part des entreprises de moins de cinquante salariés chez nous est supérieure à celle de l’Allemagne, du Japon et des États-Unis.

Malheureusement, la ventilation adoptée par l’Ocde ne permet pas d’étudier la répartition par taille des entreprises de plus de 250 salariés. Le faible poids des entreprises moyennes dans le tissu industriel, et donc de leurs dépenses de recherche-développement, semble néanmoins constituer un trait caractéristique de l’économie nationale, notamment par rapport à l’Allemagne et aux États-Unis.

À côté de l’intensité de recherche-développement, la part des chercheurs et des personnels de recherche dans l’emploi est le deuxième indicateur utilisé traditionnellement pour caractériser l’effort de recherche d’un pays.

Avec 7, 7 chercheurs et 13, 9 personnels de recherche-développement pour 1 000 emplois, la France se situe dans la moyenne de l’Union européenne, au-dessus de l’Allemagne, mais loin derrière les pays scandinaves et les États-Unis. Au cours des dix dernières années, la part des chercheurs dans l’emploi total a augmenté au même rythme que la moyenne de l’Union européenne et des États-Unis (+ 16% de chercheurs pour mille emplois), mais plus rapidement qu’en Allemagne ou au Japon. Les effectifs de l’ensemble du personnel de recherche-développement sont restés stables.

La France se différencie surtout des pays dans lesquels la recherche-développement privée est la plus élevée par la part plus faible des chercheurs en entreprises (52% en 2003 contre 86% aux États-Unis, 68% au Japon, 60% en Allemagne). Cette caractéristique est une limite importante à la capacité d’absorption par l’économie des flux de connaissances produits en France et à l’étranger. Les analyses de l’Ocde montrent en effet que si le niveau de la Dird est fortement influencé par le stock de connaissances accumulées à l’extérieur, il est indispensable de disposer des compétences pour les absorber et pour les exploiter avec profit.

Alors que l’emploi de doctorants, de docteurs ou de chercheurs en cours d’activité est considéré à l’étranger comme le mode principal de transfert de technologie, le recours par les entreprises françaises aux docteurs et aux chercheurs issus de la filière universitaire demeure faible et a même tendance à décroître sur la période 2001-2004.

Les retombées socio-économiques de la recherche publique demeurent insuffisantes5

La valorisation de la recherche, terme spécifiquement français, entendue comme l’ensemble des relations entre la recherche publique et le monde économique, recouvre : la recherche en partenariat entre laboratoires publics et entreprises ; la valorisation de la propriété intellectuelle ; la création d’entreprises issues de laboratoires publics ; la mobilité des chercheurs entre les secteurs public et privé.

Malgré les mesures prises depuis la loi sur l’innovation et la recherche de 1999, la valorisation de la recherche n’a pas progressé significativement en France et n’a pas su combler l’écart par rapport aux pays les plus performants. Certes, le tableau d’ensemble ne doit pas être noirci à l’extrême. Depuis 1998, la situation a évolué : d’un côté, des progrès ont été accomplis, dans le sens d’une meilleure sensibilisation des organismes et des chercheurs aux opportunités offertes par le développement de collaborations plus étroites avec les entreprises. Une dynamique s’est mise en place, comme l’attestent l’accroissement continu du nombre de brevets déposés par les personnes publiques ou l’augmentation des créations d’entreprises issues des laboratoires publics. La valorisation, longtemps considérée comme suspecte dans le monde scientifique français, devient progressivement un élément favorable dans l’évaluation individuelle des chercheurs. Enfin, des laboratoires associant des équipes de chercheurs publics et privés voient le jour, en particulier dans les grands organismes de recherche comme le Cnrs, le Cea ou l’Inria et dans certaines écoles d’ingénieurs.

Ces évolutions pourraient porter leurs fruits dans les années à venir, car il est vrai que les effets des politiques suivies en la matière ne sont véritablement mesurables qu’à l’échelle de plusieurs années, voire de décennies, si l’on se réfère à l’exemple des pays qui se sont lancés les premiers dans des politiques actives de valorisation. Mais à l’aune des comparaisons internationales, la position française reste médiocre, voire tend à se dégrader dans certains domaines. Ce rapport montre que des pans importants de la recherche publique restent à l’écart de la valorisation, en particulier parmi les universités et au Cnrs. On constate également un retard en matière de stratégie, de moyens et d’organisation de la majorité des établissements par rapport à leurs équivalents étrangers les plus avancés non seulement aux États-Unis, mais européens (par exemple, Louvain, l’École polytechnique fédérale de Lausanne, Cambridge …).

Quelques exemples illustrent concrètement ce constat. Le volume des contrats effectués pour le compte des entreprises par la recherche publique n’a pas connu d’augmentation depuis 1992 et tend même à diminuer en valeur réelle. Cette faiblesse est particulièrement marquée pour la recherche académique (enseignement supérieur et Cnrs). La part des contrats des entreprises dans son financement stagne depuis 1995 au niveau de 2, 7 %, alors qu’elle est passée de 8% à 13% en Allemagne sur la même période. Sur vingt et un pays répertoriés par l’Ocde en 2003, seuls trois d’entre eux (le Portugal, la République tchèque et la République slovaque) obtiennent des résultats inférieurs à la France.

De plus, le Cea et les écoles d’ingénieurs perçoivent près de 70% des recettes, et un petit nombre de laboratoires concentre les revenus puisque les trois quarts de l’activité contractuelle sont le fait de moins de 3% des laboratoires.

La recherche partenariale avec les entreprises peut prendre d’autres formes que des contrats de recherche : laboratoires communs, participation aux programmes cadres de recherche-développement (Pcrd) de la Communauté européenne, aux projets Eureka ou aux réseaux de recherche et d’innovation technologiques (Rrit). Il est plus difficile de porter un jugement sur ces dispositifs dont les évaluations sont rares. Une perte progressive de compétitivité de la recherche française se dessine toutefois dans le cadre européen : sur les trois premières années du sixième programme cadre de recherche-développement, les laboratoires français ont perçu annuellement 180 millions d’euros de moins que les laboratoires publics allemands et 78 millions d’euros de moins que les laboratoires britanniques. En revanche, les laboratoires communs, qui sont un mode privilégié de transfert de technologie avec les entreprises, sont plus nombreux depuis deux ans. Malheureusement, leur évaluation n’est pas réalisable, car ils ne font l’objet d’aucun suivi spécifique, ni de la part du ministère de la Recherche, ni des organismes concernés.

En matière de valorisation de la propriété industrielle, le phénomène marquant est l’augmentation significative de dépôts de brevets de la recherche publique au cours des dix dernières années. Néanmoins, cet effort de protection de la propriété intellectuelle ne s’est pas accompagné d’une amélioration comparable de la valorisation proprement dite, qui se traduit par la conclusion de licences d’exploitation avec des entreprises. Ainsi, les revenus de propriété intellectuelle sont en baisse sur les dernières années, autour de 1% de la dépense de recherche, phénomène révélateur d’une stagnation du transfert de technologie de la recherche publique vers le tissu socioéconomique. Le ratio est proche de 3% pour les universités américaines et de 5% pour les institutions européennes les plus performantes. Ces revenus sont également très concentrés : le Cnrs, le Cea et l’institut Pasteur représentent près de 90% des revenus nationaux. Cette situation révèle des degrés divers de maturité des stratégies de propriété intellectuelle. En particulier, le Cea a su mettre en œuvre une stratégie élaborée en lien étroit avec sa politique de recherche, tout en privilégiant la proximité des services d’aide au transfert avec des laboratoires, ce qui se traduit par un portefeuille de brevets diversifié et dynamique.

Ces facteurs de succès ne sont pas réunis dans la plupart des autres établissements, y compris au Cnrs, où la gestion de la propriété intellectuelle est peu pilotée et repose sur des intervenants nombreux et éloignés des laboratoires de recherche. Les revenus élevés cachent dans ce dernier cas une forte dépendance à l’égard d’une découverte unique, le « Taxotère », qui engendre 90% des revenus pour 0, 2% des licences. La concentration des redevances sur un petit nombre de brevets n’est pas anormale en soi, mais elle n’est pas observée au même degré dans les autres établissements visités en France et à l’étranger, d’autant que le Cnrs couvre tous les champs disciplinaires. Les universités et les écoles n’ont, quant à elles, pas réussi à dépasser le problème de leur trop petite taille en matière de recherche et de brevets, qui se traduit en règle générale par des stratégies quasi inexistantes en matière de propriété intellectuelle.

Le système des unités mixtes de recherche donne en outre lieu à une augmentation continue depuis quinze ans de la copropriété des brevets entre établissements, ce qui entraîne des lourdeurs de gestion qui se traduisent au bout du compte par la moindre valorisation de la propriété intellectuelle auprès des entreprises.

Les échanges humains constituent l’un des modes les plus efficaces de la valorisation de la recherche. Plusieurs études étrangères menées auprès des entreprises montrent que l’emploi de doctorants, de docteurs ou de chercheurs en activité est considéré comme le canal le plus important du transfert de technologie, ainsi que les publications, conférences et contacts déterminants que les contrats, la recherche en consortium ou l’exploitation de brevets. De ce point de vue, la situation de la France est particulièrement inquiétante. Malgré les mesures favorables dérogatoires au statut général de la fonction publique, la mobilité des chercheurs publics vers les entreprises est demeurée symbolique. Elle est passée de 122 personnes par an en 1997 à 196 en 2005, soit 0, 2% des effectifs de chercheurs et d’enseignants-chercheurs. Le nombre de chercheurs en entreprises recrutés après une formation universitaire a décru de 2000 à 2004, alors que le recrutement d’ingénieurs a, pour sa part, augmenté. L’emploi des docteurs demeure faible. Sur la même période, on constate que la proportion des chercheurs publics embauchés dans les entreprises de plus de 500 salariés demeure néanmoins faible et baisse de 2000 à 2004 (de 1% à 0, 5 %). Ce phénomène est moins marqué pour les petites entreprises. La France paie dans ce domaine le dualisme de son système d’enseignement supérieur entre universités et écoles.

Dans la grisaille de ce constat général, la création d’entreprises issues de la recherche publique fait exception, et s’est révélée particulièrement dynamique depuis 1999, puisque le rythme annuel de créations a été multiplié par plus de trois entre le milieu des années 1990 et la période 1999-2002. Le ratio du nombre d’entreprises créées par million d’euros de dépenses de recherche se situe au meilleur niveau international. Mais les résultats sont moins spectaculaires si l’on regarde la croissance de ces entreprises. Moins d’une entreprise en activité sur dix a atteint après quatre ans un niveau de chiffre d’affaires d’un million d’euros ou de vingt salariés, et les grands succès restent rares. Comme pour les revenus de licence, les réussites ne concernent qu’un petit nombre d’organismes. Les startup issues du Cea et de l’Inria croissent plus que les autres en raison de l’effort de sélectivité de ces établissements et de l’efficacité de leur dispositif d’accompagnement.

Le diagnostic porté sur la faiblesse de la recherche privée et sur les progrès à accomplir en matière de valorisation de la recherche devrait conduire à un débat public argumenté sur les mesures structurelles visant à dynamiser le potentiel d’innovation. À ce stade, il a surtout porté sur les crédits budgétaires nouveaux à dégager.

L’augmentation des crédits publics pour la recherche, une solution de facilité

Face à cette situation, la recommandation de Lisbonne de porter à 3% du Pib européen l’effort global de recherche-développement a une vertu mobilisatrice. Mais elle débouche souvent en France sur la conclusion, présentée comme allant de soi, que l’écart par rapport à cet objectif devrait être comblé par une augmentation des dépenses publiques – sans changer l’organisation de la recherche.

La France investit aujourd’hui 2, 14% de son Pib dans la recherche publique et privée. Mais son retard résulte avant tout de la faiblesse de la recherche privée qui représente aujourd’hui 1, 11% du Pib, alors que l’objectif de Lisbonne est de 2 %. Cette intensité n’a pas varié, rappelons-le, depuis 1995, alors qu’elle croissait sur la même période en Allemagne, au Japon et aux États-Unis.

Pour sa part, l’État a fait son devoir budgétaire puisque, depuis plus de vingt ans, les dépenses publiques consacrées à la recherche font figurer la France en tête du peloton des principaux pays développés, qu’il s’agisse du soutien public à la recherche privée ou du financement public de la recherche académique. En 2004, la France a consacré à la recherche, à travers ses crédits budgétaires, 0, 96% de sa richesse. Elle se situe derrière les États-Unis (1, 08 %), mais devant l’Allemagne (0, 76 %), le Japon et le Royaume-Uni (0, 7%). Même si on se limite aux crédits civils, la France garde un niveau budgétaire élevé (0, 75 %) supérieur à celui de l’Allemagne (0, 72 %) et du Japon (0, 68 %).

Dans cet ensemble, le financement consacré à la recherche publique en France se compare avantageusement à celui de ses principaux partenaires. La recherche académique6 représente en 2004 environ 0, 4% du Pib des principaux pays de l’Ocde (0, 45% au Japon et au Royaume-Uni, 0, 4% en France, 0, 41% en Allemagne et 0, 37% aux États-Unis). C’est en France que le taux de financement par l’État de la recherche académique est le plus élevé (90 %).

Le panorama est le même pour la recherche menée au sein des organismes publics et des laboratoires gouvernementaux. La France se classe au premier rang (0, 37 %) devant l’Allemagne (0, 34%) et la Finlande (0, 33 %). Il est donc légitime de s’interroger sur l’efficacité économique de ces crédits.

Le soutien important de l’État aux entreprises, par exemple, n’a pas empêché le décrochage de l’effort national de recherche-développement privée par rapport à nos principaux concurrents. Ce dispositif se caractérise par la juxtaposition et la sédimentation de mesures qui, au fil du temps, ont rendu le système de plus en plus complexe sans évaluation de son impact final.

Le constat de l’importance du financement budgétaire de la recherche publique se heurte quant à lui au sentiment justifié de paupérisation éprouvé par les chercheurs. Toutefois, cette situation ne s’explique pas par la faiblesse des ressources globales mais par le grand nombre de chercheurs français7, la rigidité de la masse salariale et la dispersion des crédits sur un trop grand nombre de laboratoires dont la qualité scientifique est variable. L’accroissement des effectifs et le saupoudrage des crédits ont donc mobilisé l’essentiel des dépenses publiques, empêchant ainsi d’équiper ou de donner des moyens de fonctionnement satisfaisants aux laboratoires et de rémunérer décemment des chercheurs qui pour certains appartiennent à l’élite scientifique de leur discipline.

Dans un tel contexte, toute augmentation globale ou indifférenciée des dépenses publiques serait inutile. La solution ne peut passer que par des transformations profondes dans l’organisation et la gestion de la recherche. En fait, si un effort budgétaire important devait être consenti, la véritable priorité serait de renforcer les ressources de l’enseignement supérieur qui sont notablement inférieures à celles des principaux pays de l’Ocde. Un tel rattrapage exercerait d’ailleurs automatiquement un effet stimulant sur la recherche académique. Ainsi, une étude récente met en évidence la corrélation forte qui existe entre la dépense par étudiant et les performances des universités tant en termes de recherche que de formation des étudiants8. En définitive, la focalisation excessive sur l’objectif quantitatif de 3% a d’une certaine manière détourné et affaibli le débat national sur la stratégie d’innovation.

Que faire?

L’innovation et la recherche ne peuvent voir leur situation s’améliorer qu’à la condition de développer trois grands axes d’actions : mieux inciter la recherche privée ; développer les liens public-privé ; avoir une politique de recherche et d’enseignement supérieur plus efficace afin d’améliorer la recherche de base qui est indissociable de l’enseignement.

Simplifier et redéployer les aides de l’État à la recherche privée plutôt que les augmenter

La stagnation de l’intensité de recherche privée a été soulignée précédemment. Malgré l’ancienneté de ce phénomène, l’administration ne dispose pas d’évaluations comparatives permettant d’asseoir un diagnostic solide des causes de la faiblesse de la recherche privée.

Le rapport remis par Jean-Louis Beffa9 considère que la faiblesse de la recherche privée n’est pas liée à une trop faible intensité de la recherche au sein des entreprises existantes, mais à la spécialisation industrielle de la France dans les secteurs de faible technologie. L’industrie française possède des leaders mondiaux dans le ciment ou le verre, les secteurs de l’aéronautique, de l’agroalimentaire, du luxe, des équipements ferroviaires, mais peu d’entreprises au premier rang international dans les secteurs de haute technologie.

Le rapport conclut sur la nécessité de réorienter la spécialisation industrielle de la France afin d’améliorer son positionnement sur les marchés de haute technologie. Cela passe par la transformation d’entreprises de taille moyenne vers des entreprises de plus grande taille ou par une stratégie de différenciation technologique au sein des grandes entreprises. Il conviendrait ainsi de réorienter la politique industrielle de la France en faveur de ces processus par une action ciblée. Toutefois, les propositions du rapport privilégiaient seulement la seconde orientation.

La Direction générale du trésor et de la politique économique (Dgtpe) a mené, à la demande de la mission valorisation de la recherche, une analyse comparative à partir des données de l’Ocde. Elle conclut que l’écart d’intensité de recherche privée entre l’Europe et les États-Unis n’est pas imputable à la structure d’ensemble de l’économie, mais au poids d’un petit nombre de secteurs. Le retard de la France et de l’Europe par rapport aux États-Unis ne serait pas dû à une trop faible spécialisation dans les secteurs technologiques, mais à une intensité moindre de recherche-développement concentrée essentiellement dans l’industrie des technologies de l’information et de la communication (Tic), dans les secteurs des services commerciaux et des prestations de services aux entreprises. L’industrie des Tic est le secteur le plus intense en recherche-développement aux États-Unis, avec 20% de la valeur ajoutée consacrée à la recherche-développement10.

Ces éléments généraux de diagnostic doivent être complétés par les conclusions d’une étude de l’Ocde11, qui avance que le niveau de recherche-développement privée obéit à deux séries de déterminants : l’une tient aux « conditions cadre » de l’économie (niveau de concurrence sur les marchés de produits, conditions macroéconomiques stables et faibles taux d’intérêt réels, existence de systèmes de financement efficaces, etc.), l’autre aux « politiques scientifiques » (accès au stock de connaissances étrangères, collaborations entre recherche publique et recherche privée, offre de ressources humaines pour la recherche, mesures fiscales en faveur de la recherche privée, etc.).

Pour la France, trois facteurs limitent le niveau de recherche-développement privée :

les faibles liens entre recherche publique et recherche privée. Toutes choses égales par ailleurs, ils font baisser l’intensité de recherche-développement privée en France de 13% par rapport à la moyenne de l’Ocde. Les collaborations public-privé jouent en revanche positivement pour le taux de recherche-développement privée du Royaume-Uni ;

la faible part des personnels de recherche-développement dans les entreprises par rapport à l’emploi total. Alors que le nombre de chercheurs dans les entreprises contribue positivement au taux de recherche-développement privée de l’Allemagne et des États-Unis, il fait baisser de 7% le taux français par rapport à la moyenne de l’Ocde, toutes choses égales par ailleurs ;

les réglementations qui limitent la concurrence sur les marchés de produits. Les faibles réglementations sur les marchés de produits contribuent positivement au taux de recherche privée en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. En France, l’indice de réglementation serait responsable d’un écart à la baisse de 6% du taux de recherche-développement privée par rapport à la moyenne de l’Ocde.

En conclusion, toutes ces analyses mériteraient d’être approfondies, car elles ne permettent pas de hiérarchiser les différents éléments d’explication possibles de la faiblesse de la recherche-développement privée. Or, face à ce constat, sur longue période (1990-2003), les comparaisons internationales de l’Ocde révèlent que la France est, avec les États-Unis, le pays qui a apporté le soutien financier le plus important à la recherche-développement de ses entreprises, que ce soit par financement direct (subventions, commandes publiques) ou par le biais d’incitations fiscales. Ce financement présente plusieurs spécificités.

La distribution des financements publics directs ne reflète pas la contribution des différents secteurs à l’effort national de recherche-développement. En 2005, quatre branches se partagent ainsi 87% du financement public total alors qu’elles ne réalisent que 35% de la Dird (l’aéronautique et le spatial 47, 4%; les instruments médicaux de précision et d’optique 15, 9%; les équipements radio, télé et communication 14%; la fabrication de machine et d’équipement 14, 4 %). Les industries automobile et pharmaceutique, les deux branches les plus intensives en recherche-développement, ne percevaient pour leur part que respectivement 0, 6% et 1, 4% du financement public.

Cette asymétrie s’accompagne d’une concentration très forte des financements sur un nombre limité de groupes qui travaillent pour le ministère de la Défense. Les financements massifs aux entreprises apportés par le ministère de la Défense américain ont souvent été présentés comme un outil central de leur politique industrielle et un moyen efficace de renforcer la compétitivité par la diffusion de nouvelles technologies adaptables au marché civil. Si l’argumentation est fondée, les pays comme la France, qui accordent des financements élevés à leur industrie de défense, devraient renforcer l’efficacité de leur recherche duale et procéder à des redéploiements permettant de favoriser l’absorption de ces technologies dans les autres secteurs.

La répartition par taille des financements publics illustre la prédominance des grandes entreprises (plus de 1 000 salariés) qui bénéficient de 81% des aides alors qu’elles réalisent 65% de la recherche-développement. A contrario, celles de moins de 1 000 salariés perçoivent 20 %, alors qu’elles regroupent 41% des effectifs de recherche-développement, ce phénomène touchant surtout les entreprises de 500 à 1 000 salariés (4% des financements pour 10% de l’effort de recherche). Selon le dernier tableau de bord de la science, de la technologie et de l’industrie de l’Ocde (2007), la France est avec les États-Unis et le Royaume-Uni, le pays qui finance le plus les grandes entreprises.

La réforme du crédit impôt recherche (Cir, qui consiste en la détermination du crédit en fonction du volume de la recherche et en un déplafonnement) renforcera massivement le financement par l’État de la recherche privée. Au total (mesures fiscales et aides directes), l’État prendra en charge, à terme, près de 25% de la dépense privée, soit environ le double de la moyenne de l’Ocde. Cette réforme présente l’avantage de rééquilibrer le soutien public entre secteurs en tenant compte de leur contribution effective à l’effort de recherche-développement. Mais dans le même temps, elle profitera surtout aux grandes entreprises et renforcera la concentration des crédits en leur faveur.

Même si l’on peut penser qu’elle contribuera également à renforcer l’attractivité du territoire pour le maintien ou l’implantation de centres de recherche, son coût important pour les finances publiques, plus de 3 milliards d’euros en régime permanent, conduit néanmoins à s’interroger sur le dimensionnement de cette mesure et sur son articulation avec le volume des aides directes. Elle semble plutôt s’intégrer dans une politique globale de baisse de la pression fiscale des entreprises. Au total, les aides publiques à la recherche privée exercent un effet de levier positif mais leur efficacité est variable selon les pays et les secteurs. Les résultats quantitatifs sont néanmoins à manier avec prudence, d’autant que les études portent généralement sur la période allant du début des années 1980 au milieu des années 1990.

On peut en retenir néanmoins quelques enseignements généraux : le financement direct et les incitations fiscales sont substituables. Une intensité plus élevée de l’un réduit l’impact de l’autre levier ; les subventions directes ont un effet légèrement positif, surtout lorsque le taux des bénéfices des entreprises est faible ; les incitations fiscales ont un effet faible à court terme, mais plus sensible à long terme ; l’effet stimulant de l’aide publique totale varie selon l’intensité de l’aide. Selon une étude de l’Ocde, l’élasticité de la recherche privée par rapport à l’aide publique augmentait en 1996 jusqu’à un seuil maximum de 13 %, puis décroissait. À cette même date, la France dépassait ce seuil puisque la part de la Dird financée par l’État s’élevait à 13, 1% hors crédit impôt recherche ; les programmes ciblés sont efficaces pour accélérer la diffusion des résultats de la recherche publique et encourager le transfert de technologie ; les régimes d’aide sont plus efficaces lorsqu’ils sont stables dans le temps. Une approche parcellisée du soutien public est à proscrire, car les leviers de cette politique sont interdépendants et doivent être gérés de façon coordonnée.

Ces conclusions, si elles apportent un éclairage intéressant, ne suffisent pas à expliquer le paradoxe français : la stagnation depuis près de vingt ans de l’intensité de la recherche privée alors que le financement public s’est constamment situé parmi les plus élevés au monde. Ce paradoxe mériterait une analyse plus approfondie qui n’a pas été effectuée à ce jour et un examen sans concession des dispositifs mis en place au fil du temps, qui se caractérisent par la juxtaposition et la sédimentation de mesures, sans remise en cause périodique ni évaluation de leur impact global. Il paraît toutefois évident que ce n’est pas le montant global du soutien de l’État qui est en cause, mais son efficacité. La véritable priorité serait de se fixer des objectifs réalistes, de redéployer les financements publics entre secteurs et types d’entreprises, de simplifier radicalement le dispositif administratif.

Au risque de paraître iconoclaste, il est légitime tout d’abord de se demander si l’objectif de Lisbonne (3% pour l’intensité globale de recherche-développement dont 2% du Pib pour les entreprises) constitue une référence commune réaliste pour des pays européens dont la taille, les spécificités et la spécialisation industrielle sont très diverses12.

Pour des pays comme la France, le Royaume-Uni et l’Italie, il est évident que, même à dix ans, cet objectif est hors de portée. Un calcul simple montre que pour porter à cet horizon l’intensité de recherche-développement privée en France à 2 %, il faudrait un rythme de croissance de la recherche-développement financée par les entreprises de plus de 10% – soit un quasi-triplement du rythme observé sur la période 1992-2005.

La première marge de manœuvre pour réorienter la politique publique de soutien à la recherche privée réside dans la réaffectation sectorielle des crédits. Elle découle à l’évidence des options stratégiques que le gouvernement veut impulser en matière de politique industrielle. Convient-il de conforter les points forts de la spécialisation de notre économie, ce qui conduirait par exemple à opérer un redéploiement significatif vers l’industrie automobile ou privilégier le développement du secteur de haute technologie (Tic, biotechnologies) ? Dans cette dernière option, comme l’a souligné le rapport Beffa, le problème majeur réside dans la faible densité du tissu d’opérateurs compétitifs au niveau mondial. Cette faiblesse ne pourrait être comblée que par la diversification technologique des grands groupes, par le développement d’entreprises moyennes déjà existantes, par l’intensification de la création d’un tissu de start-up technologiques à forte croissance, ce qui implique de mobiliser tous les leviers d’action aux mains de la puissance publique. En tout état de cause, le secteur des services devrait constituer une véritable priorité comme l’ont montré les analyses précédentes.

La seconde question concerne la stratégie à adopter vis-à-vis des grands groupes qui bénéficient déjà d’une part substantielle de l’aide publique. Le déplafonnement du Cir accentuera fortement cette concentration dans les prochaines années si le dispositif n’est pas modifié ultérieurement. L’interrogation est d’autant plus légitime que les grandes entreprises françaises ne semblent pas consentir un effort de recherche inférieur à celui de leurs concurrents étrangers. À l’exception des groupes travaillant pour la défense et pour les grands programmes technologiques, elles en assurent le financement sur leurs ressources propres dans des proportions voisines des entreprises étrangères. Le risque qu’un financement public trop généreux ne fasse que renforcer les effets d’aubaine n’est pas négligeable.

En raison de l’internationalisation de leur activité, beaucoup d’entreprises n’envisagent au mieux qu’un maintien au niveau actuel de leur capacité de recherche en France, le développement s’effectuant au plus près des marchés en forte croissance. L’externalisation croissante de leurs activités de recherche les amène à nouer des liens de long terme avec les meilleurs centres de recherche au niveau mondial. La qualité de la recherche publique et sa disponibilité sont des atouts essentiels qu’il est indispensable de valoriser.

La priorité est donc de faciliter cette recherche coopérative entre les grandes entreprises et les laboratoires publics mais, comme dans de nombreux pays, l’État ne doit financer que la contribution de la recherche publique au projet commun et réserver ses financements directs aux petites et moyennes entreprises. Ces dernières représentent, on l’a vu, une cible privilégiée.

Cette politique en faveur des entreprises moyennes devrait au premier chef concerner les secteurs pour lesquels la France dispose d’une offre de qualité et pour lesquels il existe des sociétés de taille moyenne performante qui ont un potentiel de croissance significatif. Plusieurs domaines répondent à ces conditions : composants électroniques, conception électronique assistée par ordinateur, gestion et tests de réseaux de communication, équipements et composants pour équipements d’extrémité de réseaux, matériaux avancés, sécurité informatique.

Dans bien des cas, ces entreprises sont des filiales de groupes français ou étrangers. Le critère déterminant de l’intervention publique serait la capacité de leurs centres de recherche à mener une politique autonome, évitant ainsi les perspectives de délocalisation ou au contraire renforçant l’attractivité du site France. La simplification du dispositif d’intervention de l’État, dont la complexité est dénoncée par les entreprises et les experts étrangers, s’impose désormais malgré les réticences des administrations concernées. L’enchevêtrement des procédures de financement des collaborations de recherche entre laboratoire et entreprises est à cet égard excessif.

Chacun des acteurs du financement intervient sur des segments particuliers et en fonction de procédures qui lui sont propres. Le fonds de compétitivité des entreprises (Fce), distribué par la Direction générale des entreprises, concerne normalement des projets de taille intermédiaire, précompétitifs levant des verrous technologiques. L’Agence de l’innovation industrielle (Aii), avant sa disparition, finançait en principe des programmes menés par un grand groupe chef de file. Les interventions d’Oseo sont clairement ciblées sur les projets d’innovation des Pme. L’Anr finance enfin les réseaux de recherche et d’innovation technologique (Rrit) ainsi que des appels d’offres spécifiques visant à développer la recherche coopérative.

Les collaborations de recherche ont été structurées dans un passé récent autour des Rrit lancés en 1998 et des pôles de compétitivité. Les réseaux, au nombre de quinze, fédéraient l’ensemble des acteurs d’un domaine technologique ou d’une industrie pour favoriser le partenariat avec la recherche publique et développer en commun des produits nouveaux ou contribuer à la création d’entreprises innovantes.

Les pôles de compétitivité, lancés fin novembre 2004, ont été conçus pour leur part afin de renforcer la compétitivité en développant des dynamiques régionales d’innovation autour de clusters à la française. Chaque pôle a créé un support unique pour regrouper les crédits de soutien à la recherche-développement, des différents financeurs, mais chaque financement est instruit selon chaque procédure spécifique.

De nombreuses structures d’interface visant à améliorer le transfert de technologie mis en place depuis une vingtaine d’années viennent compléter ce paysage : les centres régionaux d’innovation et de transfert technologiques (Critt), dont 131 sont financés dans le cadre des contrats de plan État-régions, les centres nationaux de recherche technologique au nombre de dix-huit. L’efficacité de ces structures est loin d’être évidente et un désengagement de l’État dans leur financement n’affecterait pas en réalité la compétitivité de notre économie.

À l’image de l’organisation adoptée par beaucoup de pays, le dispositif de financement gagnerait à s’organiser autour de deux pôles : l’Anr, qui financerait la recherche fondamentale des laboratoires, et une agence de l’innovation technologique en charge du financement des entreprises et de la recherche collaborative. La fusion d’Oseo et de l’Aii pourrait fournir l’ossature de cette nouvelle agence. Le champ de l’agence ne devrait d’ailleurs pas se limiter au seul financement de la recherche privée, surtout si son axe prioritaire est le développement des entreprises moyennes. L’efficacité de cette politique commanderait de mettre à la disposition de l’agence les leviers essentiels de l’innovation que sont : les aides publiques à la recherche et à l’innovation, les garanties, les synergies avec les dispositifs de soutien au capital-risque qui ont été développés par la Caisse des dépôts et consignations (Cdc Entreprises). L’autre avantage de ce schéma serait d’instituer une séparation claire entre les instances de décision sur les politiques publiques et les structures en charge de leur exécution.

Améliorer les liens entre recherche publique et recherche privée pour de meilleures retombées économiques

Dans les années 1990, l’accent a été mis, on l’a vu, sur les mesures visant à améliorer l’efficacité de l’interface entre la recherche publique et les entreprises. Des progrès en ce sens demeurent indispensables, comme l’a montré le récent rapport de l’Igf et de l’Igaenr, qui propose des actions ciblées sur la rationalisation et la professionnalisation des structures de valorisation, sur les modalités de financement entre les laboratoires publics et les firmes …

Plusieurs dispositions permettraient d’améliorer les liens entre la recherche publique et la recherche privée afin de faciliter les retombées socio-économiques de la recherche. À cet égard, la mobilité entre ces deux sphères doit être favorisée. Les politiques indemnitaires des établissements pourraient constituer un levier pour inciter les chercheurs et enseignants-chercheurs à mener des activités de valorisation, en particulier en modulant pour ces derniers les obligations de service. De plus, les projets communs entre laboratoires publics et entreprises doivent être facilités, en particulier en faisant émerger de nouveaux centres d’excellence en fédérant et en renforçant les laboratoires de recherche technologique existants. Enfin, il est proposé de faire émerger des sites leader en matière de propriété intellectuelle et de création d’entreprises, et dans chacun de ces sites de mettre en place des offices mutualisés
de transfert de technologie professionnalisés et ayant atteint la taille critique nécessaire13.

Mais ces mesures n’auront qu’un impact limité, si l’organisation et le financement de la recherche publique ne sont pas transformés en profondeur. Car c’est la recherche de qualité qui fait la bonne valorisation. La réalité de la thèse du paradoxe européen (recherche forte, traduction économique faible) est aujourd’hui contestée14. Selon ses détracteurs, la principale faiblesse européenne résiderait dans les handicaps structurels qui affectent aussi bien l’offreur de connaissances que le récepteur – les entreprises. Il est clair en effet que la faiblesse de l’effort français de recherche privée représente un facteur défavorable au dynamisme de la valorisation de la recherche car elle affecte directement l’intensité des liens avec les entreprises et limite l’accès de la recherche publique aux sources de financement privé. De plus, la répartition sectorielle de la recherche-développement privée pose la question de l’articulation des points forts de la recherche publique et la spécialisation du tissu industriel français.

Si cette influence négative est incontestable, le diagnostic porté sur la performance scientifique française donne lieu à des jugements plus contrastés. C’est ainsi que P. Llerena et M. Sylos-Labini soutiennent que la recherche fondamentale décroche en qualité dans certains secteurs par rapport à son homologue américain
et affiche une productivité apparente plus faible que celles de l’Allemagne et du Royaume-Uni. D’après ces auteurs, la réponse européenne et française en matière de valorisation devrait passer prioritairement par l’amélioration de la qualité de la recherche de base, fondée sur le modèle d’open-science. Même si ces analyses peuvent être contestées, elles ont le mérite de rappeler que la bonne recherche fait la bonne valorisation.

Ce lien est reconnu de longue date dans beaucoup d’établissements étrangers parmi la promotion de l’excellence scientifique et la valorisation des connaissances constituent les deux facettes d’une même politique. Nombre de directeurs d’offices universitaires de transfert de technologie mettent ainsi en exergue, comme au Mit, leur rattachement au vice-président chargé de la recherche. Les études économétriques, toutes de source américaine, confirment cette relation. C’est ainsi que la qualité, mesurée par le classement du National Research Council américain des départements universitaires délivrant des thèses, est un élément significatif d’explication des montants des redevances de brevets perçus par ces établissements.

Ces résultats méritent d’être versés au débat, car les mesures destinées à développer la valorisation de la recherche ne sont pas sans susciter certaines critiques, parfois vives. Parmi celles-ci figurent la crainte d’une dépendance accrue de la recherche publique aux intérêts des entreprises, la recherche appliquée pouvant progressivement prendre le pas sur la recherche de base. Les systèmes de protection de la propriété intellectuelle pourraient par ailleurs remettre en question le modèle d’une science fondamentale ouverte, dont les résultats sont exploitables par tous. Leur efficacité même serait sujette à caution d’après certains auteurs, le transfert de technologie pouvant s’effectuer, à moindres frais, par le biais de publications.

Bien que ces questions fassent toujours l’objet de discussions au sein de la communauté scientifique, les études économiques tendent à infirmer la plupart des craintes exprimées. Les collaborations de recherche entre les entreprises et les laboratoires publics ne poussent pas nécessairement ces derniers vers davantage de recherche appliquée. Au contraire, des laboratoires engagés dans la valorisation sont à l’origine de plus de publications dans les revues orientées vers la recherche de base. En outre, la protection de la propriété intellectuelle des inventions de la recherche publique permet aux entreprises d’investir dans des développements coûteux et risqués, dont certains n’auraient pas lieu en l’absence de protection.

La conciliation des objectifs scientifiques, éthiques et économiques est affaire d’espèce et doit être adaptée en fonction des caractéristiques de chaque projet. L’affirmation politique de la priorité accordée à la valorisation de la recherche et le pilotage de cette politique sont les clefs du succès. Force est de constater qu’à l’exception de la période ayant conduit à la loi de 1999, la priorité politique accordée à la valorisation est surtout restée verbale.

Plus grave, le pilotage de cette politique n’est pas assuré dans des conditions satisfaisantes par le ministère de la Recherche. Il est symptomatique, constat déjà effectué voici dix ans, que ce ministère ne tienne pas de tableau de bord de la valorisation.

Réorganiser la recherche et l’enseignement supérieur pour accroître les performances académiques

L’organisation atypique de la recherche française et de son mode de financement, la séparation entre établissements d’enseignement supérieur, organismes de recherche et grandes écoles, entre enseignants-chercheurs et chercheurs constituent un handicap de plus en plus apparent. Il est difficile aujourd’hui de soutenir que la spécificité du modèle français n’est pas un obstacle à son rayonnement international. De plus, la France connaît une érosion de ses positions scientifiques. Celle-ci, mesurée à travers le nombre de publications comme le nombre de citations, se vérifie dans la plupart des domaines aussi bien à l’échelle mondiale qu’à l’échelle européenne15.

La priorité est donc aujourd’hui de s’organiser afin de mettre en place un système d’enseignement supérieur et de recherche performant permettant de remédier à cette situation. Cette politique passe par deux priorités : faire émerger des universités aptes à affronter la compétition internationale, financées de manière significative et fonctionnant en s’appuyant sur un dispositif adapté alliant autonomie et évaluation ; redonner de la souplesse à l’organisation et au financement de la recherche publique en s’attachant à définir des priorités et à articuler l’appareil de recherche autour de projets plutôt que des structures.

Une dizaine d’universités autonomes, bien financées, bien évaluées

Les exemples étrangers témoignent du rôle fondamental que joue l’enseignement supérieur dans les performances de recherche et la valorisation. Les grandes universités européennes qui ont réussi dans ce domaine présentent des caractéristiques communes : une masse critique en matière de recherche et un champ scientifique pluridisciplinaire ; des règles de gouvernance qui leur donnent la capacité de définir leur propre stratégie, notamment leur politique scientifique ; l’autonomie dans la définition et l’exécution de leur politique de recrutement ; ce qui leur permet d’attirer les meilleurs enseignants ; le libre choix de leurs étudiants ; un cadre de gestion souple et des instruments de pilotage efficaces.

Des choix courageux doivent donc être effectués pour faire évoluer rapidement le système français et susciter l’émergence d’une dizaine d’universités de recherche compétitives au niveau mondial dotées de l’autonomie et d’un mode de gouvernance analogue à ceux de leurs concurrentes étrangères. Prenant conscience de son retard, l’Allemagne a affiché clairement une politique de sélectivité et d’excellence. Un rapport remis en 2003 au gouvernement britannique16 soulignait que les progrès accomplis par les universités du Royaume-Uni en matière de gestion et de gouvernance ont constitué un élément majeur de leur renommée scientifique et de leur ouverture sur le monde économique.

Le travail récent mené dans le cadre du centre Bruegel17 ne montre pas autre chose, qui met en évidence que les universités européennes souffrent d’une faible gouvernance et d’une autonomie insuffisante. Plus encore, les corrélations établies par cette même étude soulignent que la performance en matière de recherche d’une université est améliorée par une autonomie accrue. Enfin, confortant les constats précédemment établis, cette même étude montre l’existence d’un lien positif entre le budget par étudiant et la performance en matière de recherche. En effet, les trois facteurs déterminants sur les performances (tant en termes de recherche que de formation pour une université) sont l’âge, la taille et le budget. Viennent ensuite d’autres facteurs liés à la gouvernance au premier rang desquels l’autonomie budgétaire. Au total, l’accroissement de la dépense en matière d’enseignement supérieur et la mise en œuvre d’une véritable autonomie des universités sont deux facteurs clés pour accroître les performances de l’enseignement supérieur mais aussi de la recherche de base.

L’autonomie est un levier – d’incitation déterminant aussi – dans la mesure où elle responsabilise les acteurs locaux en leur octroyant un budget et en les intéressant aux performances obtenues. Aussi l’autonomie doit-elle à terme aller plus loin que la loi du 10 août ne l’a prévu. En effet, il importe que l’embauche, la gestion des personnels et des carrières comme la sélection des étudiants puissent être faites par les universités. Une plus grande autonomie n’a de sens que si elle s’accompagne d’une évaluation plus exigeante et conduite au niveau national voire international. C’est la condition pour éviter le clientélisme. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aéres), dont le fonctionnement est régi par le décret 2006-1334 du 3 novembre 2006, est chargée de procéder à l’évaluation des établissements, des unités de recherche et des formations supérieures. C’est cette agence qui devrait être le principal outil de l’évaluation des universités.

Il importe ainsi que dans son application la loi du 10 août 2007 mette en œuvre et fasse vivre un système d’évaluation pertinent. Les universités doivent être jugées tout à la fois sur leurs performances en matière de recherche (publications et impact), de valorisation (brevets, contrats, créations d’entreprises) et de formation. Sur ce dernier point, il importe qu’une évaluation des structures, des formations comme des enseignants puisse être mise en place, qui sanctionne les performances de chacun. Cette évaluation devrait pouvoir prendre en compte la réussite des étudiants mais aussi leur capacité à entrer sur le marché du travail, leur employabilité.

Les principaux pays de l’Ocde ont introduit depuis de nombreuses années des mécanismes de concurrence pour promouvoir l’excellence des laboratoires. L’émulation entre les établissements a été renforcée par les règles qui lient l’attribution des ressources à l’évaluation des performances scientifiques. Ces procédures ont entraîné un classement explicite des établissements18 et une concentration des moyens sur les équipes les plus reconnues. Aussi l’évaluation des universités selon des critères de recherche, de réussite aux examens, d’employabilité aurait, elle, vocation à être rendue publique afin de susciter une compétition entre établissements. Outre cette publicité, il importera aussi que l’allocation des moyens dédiés aux universités prenne en compte ces évaluations dans le cadre d’une dotation à la performance.

Si le caractère élitiste des grandes écoles fait l’objet d’un large consensus, l’idée de différencier les universités suscite plus de remous. La logique d’aménagement du territoire, qui a parfois prévalu, a conduit à une dispersion des moyens qu’on retrouve également dans le trop grand nombre de pôles de compétitivité labellisés. Il faut réaffirmer avec force que l’enseignement supérieur et la recherche n’ont pas vocation à être le levier d’une politique d’aménagement du territoire, même si un maillage territorial au niveau de la licence demeure indispensable.

Il est impératif de susciter l’émergence d’une dizaine de centres d’excellence visibles au niveau international19. Cela ne signifie pas pour autant que les autres établissements n’aient pas de rôle à jouer pour la valorisation de proximité en faveur des Pme ou pour l’exploitation des résultats de laboratoires de haut niveau appartenant à des universités de taille moyenne.

La constitution de pôles d’enseignement, de pôles de recherche et d’enseignement supérieur comme des réseaux thématiques de recherche avancée peut faciliter l’émergence de ces grands pôles universitaires à condition qu’elle représente l’étape préalable à une fusion des établissements qui la composent et non à un échelon administratif supplémentaire dans un paysage où l’enchevêtrement des structures est déjà la règle.

Au-delà, une telle réforme implique de repenser les liens entre université, recherche et grandes écoles. En effet, l’enseignement supérieur, la recherche, la valorisation sont indissociables. Le fonctionnement même des universités américaines comme de la plupart des universités européennes met bien en évidence l’importance du lien continu qui existe entre recherche et enseignement supérieur. Les enseignants sont d’autant plus dynamiques et formateurs qu’ils ont une activité de recherche et les étudiants constituent une incitation forte à la performance et à la circulation d’idées.

Ceci conduit à revoir deux coupures profondes qui structurent le système français et contrarient cet enrichissement mutuel. D’abord, la coupure entre universités et grandes écoles prive aujourd’hui les universités des meilleurs étudiants. Il importe sur ce point, comme cela est évoqué depuis de trop nombreuses années, de rapprocher universités et grandes écoles. Un premier pas pourrait être franchi en regroupant les écoles de premier rang dans un Mit à la française qui leur donnerait une véritable visibilité internationale et une taille suffisante pour développer des collaborations de recherche avec les universités et la mobilité des étudiants et des enseignants.

Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur ont été également l’occasion de rapprochements (comme à Paris-Est) entre grandes écoles et universités. Il importe d’aller plus loin en rapprochant par exemple les classes préparatoires de l’université. Ce rapprochement est décisif afin de conforter la place des universités dans le dispositif de formation.

La coupure entre enseignement supérieur et recherche est elle aussi problématique. La différence de statut entre chercheurs et enseignants-chercheurs comme le cloisonnement entre organismes de recherche et universités ne fait plus vraiment sens. Ainsi, le lien entre recherche et enseignement supérieur est-il déterminant car il assure le statut même des unités mixtes de recherche, composées de personnels enseignants-chercheurs relevant des universités et de personnels chercheurs relevant des organismes. Si la logique de l’autonomie est conduite à son terme, les unités mixtes de recherche devraient relever entièrement de l’université. Ceci devrait progressivement conduire à revoir le statut des personnels travaillant dans ces unités, plus rien ne justifiant la dualité d’aujourd’hui.

En d’autres termes, des laboratoires propres à chaque organisme de recherche demeurent parfaitement légitimes mais les unités mixtes de recherche devraient avoir vocation à intégrer l’université tandis que les chercheurs qui y travaillent seraient associés aux charges d’enseignement de l’établissement.

Enfin, il importe de souligner que les universités, quand bien même elles seraient autonomes et évaluées, n’ont pas vocation à piloter la recherche française. Les axes stratégiques doivent être définis au niveau du ministère voire de l’Union européenne et les grandes actions structurées par les organismes de recherche. Toutefois, les principaux campus (associant universités, grandes écoles, laboratoires, Iut, etc.) devraient progressivement pouvoir jouer un rôle décisif en matière de recherche.

Organiser la recherche autour des projets et non pas des structures

Le deuxième axe de la politique proposée s’appuie sur une transformation significative du mode de financement de la recherche fondamentale. La recherche française est déjà largement financée sur fonds publics récurrents tandis que le financement par projet demeure limité. Le système actuel de financement des structures restreint les marges de manœuvre du ministère de la Recherche pour redéployer les moyens entre champs disciplinaires et entre équipes.

Tout d’abord, la recherche française a l’ambition de couvrir tout le champ disciplinaire (certains observateurs parlent d’un modèle américain à échelle réduite). L’affectation des moyens budgétaires n’échappe pas à une dispersion sur un grand nombre de laboratoires, parfois de taille insuffisante, et le redéploiement des crédits entre unité et secteurs scientifiques reste très limité. C’est ainsi que la Cour des comptes et l’Igf ont mis en évidence que les effectifs des départements scientifiques du Cnrs étaient restés constants au pourcentage près depuis dix ans. La faiblesse du financement sur projets ne permettait pas jusqu’à présent de différencier de façon significative les équipes en fonction de leur performance scientifique. Enfin, la masse salariale représente une part de plus en plus importante du budget des organismes au détriment du fonctionnement et de l’investissement.

Rigidités, absence de choix stratégique de la tutelle, financement des structures plutôt que des projets : autant de freins au dynamisme de la recherche publique française. Il importe donc que la recherche soit davantage financée par projet à l’image de ce qui ce pratique partout à l’étranger. Même si dans certains domaines le temps long est requis, la recherche ne peut être organisée tout entière sur le modèle de la recherche libre. La vie de la recherche est une vie de projets même si les organismes de recherche doivent conserver des unités propres qui poursuivent une recherche fondamentale orientée sur des axes stratégiques de long terme. Mais il faut permettre à des enseignants-chercheurs, une fois leurs projets retenus, d’obtenir des financements importants, des moyens humains supplémentaires et éventuellement la capacité de racheter des heures d’enseignement.

La création de l’Anr en 2005 et le financement de projets de recherche sélectionnés après appel à candidature constituent un premier pas en ce sens pour aligner la France sur ces bonnes pratiques. Mais les dépenses de personnel et leur affectation, qui représentent l’essentiel des moyens attribués à la recherche publique, ne sont pas concernées et la part des crédits distribués est très loin d’atteindre les 30% du Royaume-Uni.

La montée en puissance de l’Anr ne doit cependant pas conduire à promouvoir un modèle uniforme. Il importe de conserver des unités de chercheurs à temps plein, de mettre en place des statuts de chercheurs pour des durées données de quatre à douze ans par exemple et avec des postes permanents pour les directeurs, sur le modèle de ce que fait le Max Planck en Allemagne. Toutefois il est indispensable, pour développer les incitations et la performance dans le système de recherche français, de promouvoir une organisation de la recherche davantage pilotée sur la base d’un financement par projet.

Il importe pour ce faire que la gouvernance de l’agence ou des agences de moyens soit irréprochable. Pour l’Anr comme pour les organismes thématiques, l’évaluation et l’attribution des projets doivent ainsi associer les meilleurs chercheurs de la discipline et en particulier les chercheurs étrangers.

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La compétitivité française d’aujourd’hui et plus encore de demain passe donc par une réforme en profondeur des politiques d’innovation et de recherche. Le défi présent est de concevoir à nouveau le système de recherche qui s’est structuré autour d’organismes ad hoc au cours duxxe siècle et qui, après avoir fait notre réussite, est en passe de devenir un handicap.

Plus encore, le véritable enjeu est de repenser la place de l’université. La mondialisation en fait le seul acteur reconnu de la formation comme de la recherche, alors même qu’en France l’excellence s’est toujours organisée hors de l’université, qu’il s’agisse des grandes écoles ou des organismes de recherche. Nécessité de revenir aux sources de l’université donc, de lui retrouver une place éminente, de la restaurer comme un espace central de la recherche et de l’enseignement.

  • *.

    Les auteurs tiennent à remercier leurs collègues et amis Jean-Richard Cytermann, Maxence Langlois-Berthelot, Pierre-Alain de Malleray avec lesquels, entre autres, ils ont écrit un rapport de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, Rapport sur la valorisation de la recherche, 2007 www.igf.minefi.gouv.fr/sections/les_rapports_par_the/education_recherch/valorisation_de_la_r

  • 1.

    En ce qui concerne la recherche-développement, le manuel de Frascati de l’Ocde distingue trois activités : la recherche fondamentale qui vise à acquérir de nouvelles connaissances sans envisager d’application particulière, la recherche appliquée dirigée vers un but ou un objectif pratique, le développement expérimental en vue de lancer la fabrication de nouveaux matériaux, produits ou procédés ou d’améliorer ceux existant. Cette définition suggère un schéma linéaire de la connaissance fondamentale vers la mise sur le marché des produits.

  • 2.

    Manuel d’Oslo, Paris, Ocde, 1997.

  • 3.

    Un indicateur synthétique d’innovation est calculé à partir de 25 indicateurs détaillés portant sur les conditions cadres de l’innovation (éducation, formation), les investissements dans la recherche et l’innovation de l’État et des entreprises, les résultats en matière de produits innovants et de propriété industrielle.

  • 4.

    Cependant, le Royaume-Uni retire plus du quart du financement de sa recherche privée de l’étranger (les financements en provenance de l’étranger ont été multipliés par cinq en vingt ans) alors qu’il est majoritairement d’origine intérieure dans la plupart des pays (90% en France). Cette tendance reflète sans doute l’attractivité des sites britanniques de recherche-développement, notamment pour la qualité de la recherche, le coût des chercheurs ou l’accès au marché de capitaux.

  • 5.

    Pour un constat détaillé, nous renvoyons le lecteur au rapport précité de l’Igf et de l’Igaenr sur la valorisation de la recherche.

  • 6.

    En France, cette rubrique inclut également les dépenses du Cnrs. Aux États-Unis, les sciences humaines ne sont pas incluses.

  • 7.

    Le nombre de chercheurs du secteur public pour 1 000 emplois en 2003 est de 3, 70 pour la France contre 2, 94 pour l’Union européenne, 2, 76 pour l’Allemagne et 1, 94 pour les États-Unis.

  • 8.

    P. Aghion, M. Dewatripont, C. Hoxby, A. Mas-Colell, A. Sapir, “Why reform Europe Universities?”, Bruegel Policy Brief, septembre 2007.

  • 9.

    Jean-Louis Beffa, Pour une nouvelle politique industrielle, Paris, La Documentation française, 2005.

  • 10.

    Soit une intensité de 60% plus importante qu’en Europe.

  • 11.

    Politiques d’innovation : innovation dans le secteur des entreprises, Paris, Ocde, 2005.

  • 12.

    En 2005, seuls quatre pays au monde ont dépassé la barre des 3%: la Suède (3, 89 %), la Finlande (3, 48 %), le Japon (3, 33 %), la Corée. Cette performance a été atteinte grâce à l’intensité élevée de la recherche-développement financée par leurs entreprises, soit respectivement 2, 56 %, 2, 33 %, 2, 53 %, 2, 24 %. La Suisse approche la limite avec 2, 93%; les États-Unis et l’Allemagne suivent avec respectivement 2, 62% et 2, 46 %.

  • 13.

    Pour plus de détails, voir le rapport de l’Igf et de l’Igaenr déjà cité.

  • 14.

    Giovanni Dosi, Patrick Llerena, Mauro Sylos-Labini, “Science, Technology, Industry links and the ‘European Paradox’: some notes on the Dynamics of Scientific and Technological Research in Europe”, dans E. Lorentz, B.A. Lundvall (eds), How Europe’s Economics Learn. Coordinating Competing Models, Oxford University Press, 2006.

  • 15.

    La part des publications françaises en Europe se dégrade ainsi davantage que celle de l’Allemagne ( – 0, 5 point entre 1993 et 2004 contre – 0, 3 point), en outre la France (13, 6% des publications de l’Union européenne à 25) reste en retrait par rapport au Royaume-Uni (19, 5% de ces publications).

  • 16.

    Lambert Review of Business-University Collaboration. Final Report, décembre 2003.

  • 17.

    P. Aghion, M. Dewatripont, C. Hoxby, A. Mas-Colell, A. Sapir, “Why reform Europe Universities?”, art. cité.

  • 18.

    Comme aux États-Unis où une distinction claire est opérée entre les universités de recherche et les autres établissements.

  • 19.

    Les quinze premières universités françaises concentrent la moitié des moyens de la recherche universitaire (personnels des Umr compris) alors qu’au Royaume-Uni par exemple 60% de la dotation globale et 70% des financements sur projet.

Henri Guillaume

Emmanuel Macron

Assistant de Paul Ricoeur à la fin des années 1990, il a notamment contribué au dossier d'Esprit sur l'histoire et la mémoire ("Les historiens et le travail de mémoire", août 2000) à partir de ses travaux sur La mémoire, l'histoire, l'oubli, ainsi qu'au dossier "Universités, vers quelle autonomie?" (décembre 2007). Emmanuel Macron est actuellement président de la République française.…

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