La mixité sociale, victime collatérale de la crise immobilière
La crise immobilière met en danger les objectifs de mixité sociale de la politique de rénovation urbaine. En effet, si l’armature de cette politique est faite d’intervention publique (assurée par les bailleurs sociaux, les collectivités territoriales et les intercommunalités), elle doit pour parvenir à ses fins se conjuguer avec une action privée aujourd’hui remise en cause par la crise. Malgré de fortes ambitions initiales en matière de diversification et de remodelage urbains, le programme national de rénovation urbaine (Pnru) risque de se vider d’une partie de son sens.
Dès le début du programme, les objectifs de démolition/reconstruction ont été visés par des critiques portant sur leur opportunité mais aussi sur leur ampleur ; leur révision à la baisse était perçue comme une fragilisation de la volonté politique de diversification. Ce risque ressenti a été confirmé fin 2008 par le rapport du comité d’évaluation et de suivi de l’agence responsable du programme (l’Anru), rapport qui pointait le défaut de renseignement des indicateurs relatifs à la mixité sociale et urbaine dans la mise en œuvre du programme. Indépendamment de la bonne volonté des acteurs du Pnru, il est à craindre que les choses ne s’améliorent pas de ce côté dans les mois qui viennent.
La rénovation urbaine ne date pas du Pnru, et ses grands principes étaient déjà présents dans la loi d’orientation pour la ville qui introduisait un changement majeur (mais peu remarqué) en supprimant définitivement les zones d’urbanisation prioritaires emblématiques des banlieues françaises. C’est cette loi du 1er octobre 1991 qui amorçait le processus aujourd’hui à l’œuvre, en ramenant le foncier des grands ensembles dans le droit commun de l’urbanisme. À contretemps malheureusement, puisque la baisse des prix de l’immobilier des années 1990 rendait ces nouveaux produits, jusqu’alors ignorés, peu attractifs sur un marché en nette contraction.
À l’inverse, lorsque le Pnru a été lancé en 2003, la situation du marché était très favorable à une recomposition sociale et urbaine, au moins partielle, des banlieues défavorisées. Outre le levier de la démolition/reconstruction et le partenariat avec le 1 % logement (création de l’Association foncière logement), la libération du foncier Pru pour la promotion privée devait être le troisième pilier d’une politique visant à casser les concentrations urbaines tendant à la ghettoïsation. La stratégie paraissait imparable au regard du contexte et des enjeux, le faible coût du foncier dans ces zones peu attrayantes venant compenser l’inflation des prix et la raréfaction foncière.
Vertus et limites de la main invisible
Cela commençait plutôt bien ; en plein milieu de cette période qui a vu les prix de l’immobilier augmenter quatre fois plus que les revenus des ménages, il devenait rentable de détruire de l’habitat social dégradé en périphérie pour restructurer l’espace dans ces secteurs, vendre ou léguer le foncier à des promoteurs dynamiques et optimistes : ces derniers tablaient en effet sur la venue de classes moyennes chassées des centres-villes par le boom de la pierre, mais auquel le crédit facile permettait d’accéder à la propriété. Un mouvement de « gentryfication » était déjà perceptible dans certains quartiers bien situés (La Duchère à Lyon, Malakoff-Pré Gauchet à Nantes, le Bas-Montreuil à Paris, etc.).
Mais l’inversion de la courbe des prix change la donne ; et les difficultés actuelles que rencontre le programme montrent qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un bien à vendre pour souffrir de la crise immobilière, au moins par ricochet. Quelques chiffres parlant en 2008 : la chute de 30 % des transactions, due notamment au durcissement des conditions du crédit, s’est accompagnée d’une baisse de 16, 5 % des délivrances de permis de construire et de près de 10 % des mises en chantier. Chez les opérateurs principaux de ces programmes (Nexity, Kaufman & Broad, Bouygues, Eiffage et Vinci), près de la moitié des opérations sont suspendues, et cette mise en sommeil concerne prioritairement les programmes voués à la diversification. L’annulation ou le gel des ventes amplifient un mouvement de prudence voire de repli.
À la différence de la situation des années 1990 (ou des situations américaine ou espagnole d’aujourd’hui), marquée par une surabondance des stocks accompagnée par la chute des prix, les difficultés que connaît la politique de rénovation urbaine aujourd’hui ne sont pas liées à un excès d’invendus. C’est plutôt le manque de crédits accordés aux professionnels (d’abord) et aux acquéreurs (ensuite et surtout), qui fragilise le mécanisme de renouvellement social dans les quartiers prioritaires, dysfonctionnement amplifié par l’instabilité des situations professionnelles, la menace du chômage et la prudence des ménages dans un tel contexte.
Retour des logiques de concentration
Quid du fameux plan de relance ? L’État a bien précisé lors du comité interministériel des villes (Civ) du 20 janvier 2009 que la rénovation urbaine en constitue un vecteur stratégique. Traduction financière : l’augmentation des crédits de paiement (200 millions d’euros supplémentaires) afin d’accélérer les travaux en cours. Une enveloppe de 350 millions d’euros constitue une dotation complémentaire en autorisation d’engagement afin de débloquer des travaux, principalement pour cette année.
On se souvient que le gouvernement a prévu à l’automne de faire racheter 30 000 logements à prix décoté par des bailleurs sociaux, également sollicités pour les programmes « Robien » n’ayant pas trouvé preneur. Ainsi en Île-de-France le comité régional de l’habitat, instance de suivi de la mise en œuvre de la politique de l’habitat, s’est-il concerté avec les principaux financeurs (État, conseil régional, conseils généraux et 1 % logement) dans le but d’examiner chaque projet et programme en fonction de leur état d’avancement. Il s’agit pour cette seule région d’atteindre l’objectif de 6 000 à 9 000 logements sociaux ou en accession sociale supplémentaires.
Cette opération permettra d’amortir la crise pour les promoteurs, mais elle laisse le champ libre à des acteurs du logement social mus par des logiques patrimoniales plus que par des soucis d’équilibres urbains. Au risque, sur certains territoires, de renforcer les dynamiques de concentration et d’enclavement. Que va-t-il se passer ? À l’heure actuelle les promoteurs, groupes de Btp cotés au Cac 40, sont intéressés par les acheteurs institutionnels, mais n’acceptent pas la décote de 30 % (ni même de 20 %) proposée par les organismes Hlm. Ils privilégient une approche « par opération », en fonction du foncier de chaque territoire. Concrètement, la négociation au cas par cas risque d’avoir les conséquences suivantes : les bailleurs sociaux achèteront à prix bradés les programmes et le foncier à proximité des zones en difficulté, ce qui augmentera la concentration de logement social dans les territoires stigmatisés. La géographie des acquisitions sociales ne réserve que peu de surprises quant à l’espoir d’une diversification.
Le contexte de la décentralisation fait que l’État n’a plus de levier d’action sur la stratégie urbaine alors que l’élu local, garant de la vision stratégique de son territoire et de son équilibre, n’a de pouvoir d’influence que localement, avec des disparités d’une commune à l’autre. D’autant que les élus locaux sont actuellement préoccupés par l’amorce ou la mise en œuvre de leurs Pru principalement dans leurs volets démolition/reconstruction de logements sociaux, d’espaces et d’équipements publics. On comprend que la dynamique de diversification urbaine, qui devait se réaliser « naturellement » dans la transaction foncière, ne faisait pas l’objet d’un accompagnement spécifique ; aucune anticipation du retournement de tendance en cours n’a donc été possible. Et aujourd’hui, lorsqu’ils sont consultés (a posteriori) sur les transactions entre promoteurs et bailleurs, les maires ont une marge de manœuvre assez réduite, sauf à prendre le risque d’une absence de solution pour les invendus.
Avec le Pnru, la ville se refaisait par des projets urbains repensés (avec les limites signalées dans les rapports d’évaluation) mais l’économie générale était encore celle de la mixité sociale prévue par les plans d’aménagement et amorcée parfois. La crise financière touche un des fondements mêmes de ce programme. Il en interroge indirectement la philosophie. Cette intégration urbaine débutante signalait un changement important dans les politiques publiques en direction des banlieues populaires. Aujourd’hui, ces territoires qui peinent à changer voient l’horizon de la mixité s’éloigner une nouvelle fois ; ils sont menacés de relégation d’autant qu’un cycle de chômage et de précarité commence à poindre, qui aura inéluctablement ses effets d’enfermement et de tensions notamment sur l’espace urbain.
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Algoé.