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Position: Revaloriser le Parlement

juin 2012

#Divers

La campagne des législatives permettra-t-elle de remettre au premier plan la nécessité institutionnelle du débat politique, qui passe notamment par la revalorisation du rôle du Parlement en France comme en Europe ? Alors que l’élection présidentielle a centré l’attention sur le volontarisme présidentiel, il est nécessaire de revenir sur les forces de contrôle de l’action gouvernementale, sans lesquelles il n’existe pas de séparation des pouvoirs.

Le régime présidentiel à la française et le double parti unique

Le parti socialiste a inscrit la séparation et l’équilibre des pouvoirs dans son projet, adopté en 2011 et accepté par tous les candidats aux primaires, dans son chapitre « Pour une République nouvelle » sur les institutions :

Refaire de la séparation des pouvoirs la matrice de notre République – le Parlement redeviendra ce qu’il n’aurait dû cesser d’être : son pouvoir d’initiative et de contrôle sera renforcé ; les droits de l’opposition rehaussés.

Pourtant, parmi les nombreuses mesures avancées dans ce projet, destinées à responsabiliser l’exécutif et à dynamiser l’activité parlementaire, aucune n’est de nature à établir un véritable équilibre des pouvoirs. En particulier, il n’est prévu ni d’enlever au gouvernement le quasi-monopole dont il jouit dans la fixation de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, ni de donner aux commissions d’enquête prévues les pouvoirs judiciaires qui en feraient autre chose que des pondeuses de rapports, ni d’enlever du règlement intérieur des groupes parlementaires le dernier mot, lequel revient au bureau exécutif du parti en cas de désaccord au sein du groupe1.

Dans l’organisation du travail parlementaire, c’est le parti qui a la prééminence (et par lui le président, s’il est majoritaire, ou le Premier ministre en cas de cohabitation) sur la représentation nationale – alors qu’en théorie chaque député est détenteur d’une parcelle de la souveraineté nationale (les partis ne font que « concourir à l’élection »). Le projet socialiste développe d’ailleurs longuement, pour des raisons d’efficacité et de stabilité de l’exécutif, la théorie justificatrice du fait majoritaire : on explique qu’on est désormais passé d’une séparation des pouvoirs « à la Montesquieu » (exécutif/législatif) à une séparation des pouvoirs au sein de l’Assemblée (majorité/opposition).

Or, ce rôle prétendument accru laissé à l’opposition (déjà inauguré sous la présidence de Nicolas Sarkozy par la réforme constitutionnelle et par le choix de donner la présidence de la commission des Finances au parti de l’opposition) laisse l’Assemblée sans véritable pouvoir supplémentaire face au gouvernement – ni, d’ailleurs, aux membres du parti face à ses dirigeants, président ou présidentiables. Car si le parti minoritaire est dominé au Parlement par son adversaire, il est en outre dans la nature du parti majoritaire d’être lui-même l’objet d’un verrouillage attentif, qui évite tout débat en son sein. Le financement de la campagne électorale de chaque candidat à la députation passe, d’ailleurs, en principe par le parti qui le présente, de même que les programmes électoraux sont fabriqués par des « experts », sans débat militant ni contribution des candidats, ce qui explique sans doute l’impression de « vide » qu’ils laissent à beaucoup…

La résistible ascension du pouvoir solitaire au sein du parti socialiste

Comment le parti socialiste (re)fondé à Épinay en 1971 sous l’égide de François Mitterrand – auteur en 1964 de cette lucide et pertinente critique de la Ve République qu’a été le Coup d’État permanent – en est-il arrivé à adhérer si pleinement à ce régime, jusqu’à en devenir une pièce maîtresse, parfois dans ses pires défauts ?

Le parti du président et de ceux qui le soutiennent détient pratiquement le monopole du pouvoir. Un monopole qui va forcer la gauche à jouer le jeu de la concentration du pouvoir, par antagonisme d’abord, par anticipation ensuite, autour de la candidature de François Mitterrand (unique en 1965 et 1974, soutenue par le PC au second tour de 1981). Durant cette période, les négociations politiques (sur la ou les candidatures, à l’intérieur du PS comme entre les différents partis) ne se fondent pas sur de véritables débats d’idées, d’expériences et de programmes : ce sont des confrontations de dirigeants, fondées sur une évaluation des rapports de force et qui n’utilisent leurs « experts en programmes » que comme éléments de propagande et de marketing.

Si bien que, loin de revenir à une plus saine séparation des pouvoirs et à un rééquilibrage entre eux, les deux septennats de François Mitterrand auront encore renforcé la concentration des pouvoirs. La cohabitation a très bien pu être « gérée » par les deux monopoles concurrents sur le pouvoir. Et le parti socialiste, pour sa part, qui se réfère volontiers à Pierre Mendès France, lui qui voulait lier l’autorité de l’exécutif à la représentativité et au débat du législatif, n’y a vu en rien, bien au contraire, une occasion de desserrer son étau idéologique et disciplinaire sur ses propres membres dirigeants ou militants, comme sur la gauche en général, sans parler de l’ouverture d’un débat contradictoire avec des centristes.

Ce refus de réintroduire le débat, la négociation et la politique de coalition, c’est-à-dire l’esprit du système parlementaire et d’une certaine séparation des pouvoirs dans le jeu politique, plus simplement ce refus d’accroître les pouvoirs de l’Assemblée nationale, va se manifester avec éclat lors de la troisième cohabitation, celle de 1997 entre le Premier ministre Lionel Jospin et le président Jacques Chirac, où le PS se serait pourtant trouvé en position, s’il en avait eu la volonté politique, de redonner du poids et de l’autonomie à l’Assemblée nationale et à ses débats, en lui laissant prendre une autonomie de procédure vis-à-vis du gouvernement. Malgré l’accord de majorité plurielle signé pour les législatives, aucun débat suivi de vote sur des propositions des Verts n’a eu lieu, ni à l’Assemblée ni, d’ailleurs, au gouvernement : les décisions ont été prises quelque part entre le cabinet du Premier ministre et le bureau exécutif du PS. L’expérience se termine par la trahison des engagements pris et de l’esprit d’Assemblée (aucune « dose de proportionnelle » n’est, en particulier, introduite pour les élections de 2002), probablement parce qu’il n’y a eu, au sein même du PS, aucun débat pour tirer « le bilan des années Mitterrand2 ». Corrélativement, l’inversion des dates entre élection présidentielle et élection législative3 a confirmé « le rôle de la première dans le fonctionnement des institutions de la Cinquième République », selon les termes du jugement du 10 mai 2001 du Conseil constitutionnel4.

Mais Lionel Jospin a subi les conséquences de sa décision le 21 avril 2002, sans en avoir vraiment, semble-t-il, pris conscience. Car si c’est bien la pléthore de « petits » candidats de gauche qui l’a empêché de figurer au second tour, c’est que ceux-ci avaient compris son comportement « socialiste » de parti unique : une fois au second tour, il les forçait à se rallier sans condition (c’est encore ce qu’a dit François Hollande au cours de la récente campagne) ; et puisque, corrélativement, le mode de scrutin uninominal de circonscription les élimine pratiquement tous (sauf les communistes, encore épargnés…), et puisque l’Assemblée n’est donc pas plus représentative qu’elle n’est souveraine (quant à ses pouvoirs de législation et de contrôle), ils avaient décidé de faire du premier tour de l’élection présidentielle une simulation en temps réel d’une élection nationale à la proportionnelle.

Le fonctionnement de l’Europe intergouvernementale

Le régime de parti unique de la France l’amène évidemment à faire exception dans une Europe largement dominée par un esprit de séparation des pouvoirs et de régime parlementaire. Mais l’évolution actuelle de l’Union montre une tendance analogue au déséquilibre institutionnel dans la prépondérance prise par le Conseil des chefs de gouvernement et d’État sur les deux autres organes (Commission et Parlement).

Cette gestion strictement intergouvernementale de l’Europe, qui a suivi l’échec du projet de traité constitutionnel européen, se révèle inefficace et impuissante face aux déséquilibres profonds qui traversent notre continent et face aux crises : elle a laissé dans un face-à-face stérile les intérêts nationaux, tels qu’ils sont conçus sans vision d’ensemble, et ce que pourraient être des intérêts européens communs.

Bien que la France s’accommode de son déséquilibre institutionnel, elle ne se rend pas compte à quel point celui-ci limite sa capacité d’influence au niveau européen. Il n’est que de voir l’incompréhension de la presse et de l’opinion françaises devant la force de la position d’Angela Merkel dans le Conseil européen : car cette force lui vient de ce qu’elle a l’obligation constitutionnelle de débattre (avec vote) avec les députés du Bundestag (quel que soit le mérite de ses propositions) ; les délais que cela demande parfois ne traduisent nullement une faiblesse ou une indécision mais un respect de la délibération politique qui confère à la voix allemande une force avec laquelle le volontarisme présidentiel français ne peut, paradoxalement, pas rivaliser.

  • 1.

    Ces trois points clés du verrouillage de l’activité parlementaire par l’exécutif de la Ve République ont été très bien identifiés par Jean-Michel Belorgey, sur la base d’une expérience de deux législatures, dans le Parlement à refaire (Paris, Gallimard, 1991), qui fut pourtant accueilli dans un silence assourdissant par les socialistes.

  • 2.

    On peut juger par là du creux de ce « devoir d’inventaire » que Lionel Jospin s’était héroïquement attribué…

  • 3.

    En raison de la date de la dissolution de l’Assemblée en 1997, les législatives devaient précéder la présidentielle.

  • 4.

    Cette décision, si caractéristique d’une démarche de parti unique, avait été annoncée le 26 novembre 2000, sans possibilité de débat, au terme du congrès de Grenoble du PS et adoptée le 24 avril 2001 en forme de loi organique par l’Assemblée nationale, contre le vote des députés Rpr et de quelques députés socialistes, Verts et communistes, avec le soutien de 28 Udf.