La circoncision, un débat impossible ?
En 2012, un jugement du tribunal de Cologne assimilant la circoncision à une atteinte à l’intégrité corporelle a suscité une vaste controverse en Allemagne, qui ne s’est que peu répercutée en France, par crainte de stigmatiser les populations juive et musulmane. Comment cette pratique s’inscrit-elle dans le cadre religieux, juridique, médical et social français ? Comment s’accorde-t-elle avec la laïcité ?
Le jugement du tribunal de Cologne de mai 20121 assimilant la circoncision à une atteinte à l’intégrité corporelle a été répercuté dans la presse française, mais sans avoir le même impact qu’outre-Rhin. Très rapidement, on a considéré qu’il s’agissait là avant tout d’une « question typiquement allemande » : « L’Allemagne redoute toujours le moindre parallèle avec son passé nazi », écrit par exemple le journal Le Monde2 en écho au diagnostic cité de Marlène Rupprecht : « Nous avons tendance à nous figer dès que nous entendons le terme “Holocauste” et à cesser de réfléchir. »
Au pays où la laïcité demeure toujours à fleur de peau, cette mise en relation du débat avec l’histoire allemande permet de tempérer et de ne pas réveiller d’animosité supplémentaire à l’encontre du judaïsme et de l’islam. Néanmoins, nombre d’articles plus spécialisés et de contributions de sociétés savantes, dont la 106e édition du congrès de l’Association française d’urologie (Afu), qui s’est tenue à Paris du 21 au 24 novembre 2012, font mention de cette décision allemande.
Pour le moment, les « autorités » (religieuses, sanitaires, juridiques, politiques) tentent d’éviter tout débat3 sur ce sujet pouvant remettre en cause une pratique juridiquement non autorisée mais tolérée. Ce silence éloquent relègue pourtant celle-ci dans un non-dit que l’on espère salutaire mais qui n’éteint pas des questions auxquelles on ne peut répondre que par le dialogue. Les répercussions du débat allemand en France ont été l’occasion d’en évoquer certaines. Nous en ferons une synthèse, en particulier sur le plan médical et assurantiel, juridique et religieux.
La mise à distance du débat sur la circoncision
En vue de documenter cet article, j’ai écrit aux instances religieuses et sanitaires compétentes en la matière en France. Je m’attendais à des réponses claires, rapides, imaginant une publication régulière des données chiffrées à partir de registres bien tenus… À tort, car malgré ma double compétence médicale et théologique, malgré la répétition de mes demandes aux instances officielles nationales et locales (alsaciennes) du judaïsme et de l’islam, malgré des recommandations de collègues universitaires, je dois me rendre à l’évidence : il s’agit là d’un sujet sur lequel, au minimum, on ne veut pas s’exprimer clairement et que l’on ne souhaite pas éclairer, de peur, sans doute, de remettre en cause cette pratique. Après l’affaire allemande, le bref débat suscité par une possible interdiction de l’abattage rituel en France en 2012-2013 a peut-être échaudé un peu plus encore les responsables communautaires.
Pour les instances de santé qui, en France, auraient pu être saisies à l’occasion de l’affaire allemande, il faut citer le Comité consultatif national d’éthique (Ccne) et l’Agence de la biomédecine ; on peut éventuellement penser aussi à une « question au gouvernement » ; les plaintes sont quasi inexistantes mais il y eut néanmoins celle qui a conduit au procès de Lille en 2010 (un bébé de quinze jours sauvé de justesse après une circoncision rituelle pratiquée par un médecin syrien dont les diplômes ne sont pas reconnus en France). J’ai contacté ces deux instances et elles m’ont affirmé chacune avoir explicitement refusé de s’engager dans ce débat parce que, précisèrent-elles, la circoncision n’implique pas de questions nouvelles liées aux innovations technologiques. Pourtant quand le Ccne traite de « La vie affective et sexuelle des personnes handicapées » (avis 118), ces questions sont-elles plus informées par les mutations technologiques ? Outre le comité allemand, d’autres comités d’éthique ont traité de ce sujet : le Comité national de bioéthique italien par exemple, assez proche de son homologue français, a accepté cette thématique qui a donné lieu à un avis circonstancié dès le 25 septembre 1998 (« La circoncisione : profili bioetici »).
Quant à l’Agence de la biomédecine, selon ses missions4,
elle met tout en œuvre pour que chaque malade reçoive les soins dont il a besoin, dans le respect des règles de sécurité sanitaire, d’éthique et d’équité. Par son expertise, elle est l’autorité de référence sur les aspects médicaux, scientifiques et éthiques relatifs à ces questions.
Certes, avec la circoncision, il ne s’agit pas à proprement parler de « malade » ; néanmoins, ce sont des personnes qui passent très souvent par le système de santé ou des professionnels de santé, comme le rappelle d’ailleurs l’avis italien. Et si elles n’y recourent pas immédiatement, il demeure encore des risques d’hémorragie et d’infection qui peuvent conduire secondairement à des actes médicaux qu’aucun professionnel ni institution ne sauraient refuser. Il y a là un réel enjeu de santé publique.
En fait, ces réponses sont une manière de balayer les questionnements sur une pratique qui, il faut le reconnaître, ne manque pas d’ambiguïté et fonctionne à grande échelle mais essentiellement dans l’ombre, voire comme tabou. Notre réflexion dans cette contribution n’a pas comme objectif d’interpeller ces instances ni de se prononcer sur la légitimité ou non de la circoncision, mais uniquement d’éclairer ce débat à partir de la perspective française. De plus, nous limiterons notre recherche au cas de la circoncision masculine, dans ses procédures les plus habituelles, celle qui a été en cause dans le procès de Cologne. Car la circoncision peut aussi concerner des filles5 que l’on prive ainsi par des mutilations plus ou moins radicales, de l’épanouissement sexuel et du bien-être psychique. L’Organisation mondiale de la santé l’évoque depuis 1995 en termes de « mutilation sexuelle féminine », mais toute circoncision, même masculine, a fortiori si elle va au-delà de l’ablation du prépuce, est une excision et donc une mutilation. La question éthique tient à l’ampleur de l’ablation, aux méthodes employées, aux conditions de réalisation, à la signification effective mise en œuvre, à son acceptabilité personnelle et sociale, au consentement qui ne peut être que celui des parents quand le rite concerne un enfant… et finalement à la légitimité d’intervenir sur un corps humain sain.
Combien de circoncisions en France ?
L’islam est, après le christianisme, la deuxième religion en France et réunit quelque cinq à six millions d’adeptes, mais si la plupart des musulmans sont circoncis, tous ne le sont pas nécessairement. Où se pratique cet acte ? Un aumônier d’hôpital me précise que « la majorité des musulmans de Strasbourg organisent le rituel de la circoncision dans leurs pays d’origine ». Et pour les autres, continue-t-il, ils s’adressent aux hôpitaux publics ou privés ou encore à quelques médecins reconnus pour cette pratique.
Pour le judaïsme, il se concentre surtout dans cinq métropoles (Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, Nice) et le nombre d’adeptes en France se situe en 2012 autour de 480 000. À Strasbourg, cela représente environ 10 000 hommes qui sont, sauf exception en particulier médicale, tous circoncis car, comme le rappelle par exemple Patrick Banon, il s’agit là, depuis la crise maccabéenne en 167-164 av. J.-C., d’un rite d’alliance avec Dieu engageant l’identité juive6. Il se pratique normalement le huitième jour après la naissance de l’enfant (un report de quelques jours est possible si l’enfant le nécessite, par exemple pour des questions de santé), en général à la synagogue ou dans un lieu dédié, éventuellement à la maison de l’enfant, mais en règle générale pas dans un service hospitalier. Les conditions d’hygiène sont très surveillées (instruments stériles et à usage unique) et en Alsace-Moselle plus qu’ailleurs : les mohels (ceux qui pratiquent le rite dans le culte israélite) sont à Strasbourg tous médecins, et une fois le rite pratiqué, ainsi que me le note une collègue de la communauté juive locale, celui qui l’a mis en œuvre rend visite une fois par jour (voire deux au début) à l’enfant à domicile pour vérifier le pansement, jusqu’à la guérison complète. Par ailleurs, au moment du geste, et parce que le bien-être reste la clé de voûte, on fait sucer au bébé quelque chose de sucré et il s’endort.
Islam et judaïsme pratiquent ainsi tous deux la circoncision mais avec des singularités de part et d’autre. Là où le judaïsme encadre un maximum, l’islam laisse le geste à l’appréciation de ses adeptes. Assez souvent, les enfants musulmans sont circoncis autour de sept ans, mais notons-le encore une fois, tous ne le sont pas ou le sont à d’autres moments. Le lien entre islam et circoncision est plus lâche, mais le nombre de musulmans s’accroît et avec lui le nombre de circoncisions ; par-delà une pratique régulière, cette pratique est souvent une marque identitaire de ralliement. Et pour ce faire, le système de santé est largement sollicité, mais de façon variable selon les régions de France.
Les hôpitaux universitaires de Strasbourg (Hus) ont, en 2012, pratiqué 350 circoncisions : 43 en service d’urologie, et les autres essentiellement en chirurgie pédiatrique. Mais ces circoncisions ont-elles été mises en œuvre pour remédier à un phimosis7 ou s’agissait-il d’une pratique rituelle ? Jeune interne en chirurgie, j’avais eu l’occasion en effet d’intervenir sur des « phimosis » dont certains étaient en fait des circoncisions rituelles masquées. Cette situation reste inchangée à ce jour et il est impossible de faire la part des deux. Est-ce éthiquement légitime et justifié ? La question est complexe.
Dans certains pays, la Belgique par exemple, toutes les circoncisions pour raisons médicales, personnelles ou rituelles sont remboursées par l’assurance-maladie. On a ainsi une idée assez claire du nombre d’interventions remboursées par l’Institut national d’assurance-maladie-invalidité (Inami) qui, dans ce pays, est passé de 19 853 en 2006 à 25 286 en 2011, soit une hausse de 21 % en cinq ans8.
En France, une circoncision rituelle non dictée par une considération médicale n’est pas prise en charge par l’assurance-maladie et coûte en moyenne entre 500 et 1 000 euros. En septembre 2008, Valérie Boyer, députée Ump des Bouches-du-Rhône, s’est saisie de ce problème et a posé une question écrite au gouvernement : « Compte tenu de cet état de fait, explique-t-elle, nombre de circoncisions rituelles sont effectuées sous couvert d’indications médicales9. » On peut se faire une idée de cette « fraude » en comparant les chiffres de différentes régions françaises :
40 % des posthectomies10 sont pratiquées en Île-de-France. Et les deux tiers sur trois régions : Île-de-France, Paca et Languedoc-Roussillon. Comme il n’y a aucune raison que les phimosis y soient plus nombreux qu’ailleurs, seule la fraude explique ces disparités géographiques. Les chiffres montrent encore que 65 % des posthectomies sont effectuées sur des enfants de moins de 7 ans et 2% sur des enfants de moins de 1 an11.
Et selon le Dr Serge Larue-Charlus, les posthectomies pratiquées chaque année et remboursées par la Sécurité sociale représentent un montant de 9 millions d’euros.
Il s’agit là d’une somme probable mais néanmoins approximative car il est impossible de savoir exactement combien il y a de circoncisions en France. D’ailleurs au niveau mondial, on ne fait pas mieux ! Abu-Sahlieh reconnaît qu’il « n’existe pas de statistiques certaines sur l’étendue de la circoncision dans le monde12 » ; en 1998, la pratique pourrait toucher, écrit-il, environ « 23% de la population mondiale, ce qui fait un total de 650 millions d’hommes ». L’Organisation mondiale de la santé (Oms) estime dans un rapport de 2007 qu’environ 30 % des hommes sont circoncis, et que les deux tiers d’entre eux sont musulmans13.
Pour la France, un article publié par Le Huffington Post14 en juillet 2011 s’en réfère à un sondage Tns (2008) pour Mannix et à des statistiques officielles pour cette même année. Les « circoncisions masculines » concerneraient environ 14 % de la population française masculine globale actuelle mais atteindraient 22 % chez les très jeunes. En 2008, quelque 87 500 circoncisions ont été pratiquées dans les institutions hospitalières et cliniques.
Est-il finalement préférable, en matière de santé publique, de fermer les yeux sur cette fraude ou de prôner un remboursement afin de veiller en particulier à la sécurité médicale des pratiques et au confort des patients ? Mais une telle prise en charge même partielle et essentiellement pour les musulmans – les juifs s’organisent entre eux et ne reconnaissent pas une circoncision en dehors de la présence d’un rabbin – ne susciterait-elle pas en France une nouvelle forme de « guerre des religions » ?
Éclairage médical et assurantiel
Outre les aspects médicaux et d’assurance-maladie déjà évoqués, se rajoute à ce débat le fait que la circoncision peut avoir des bénéfices thérapeutiques et donc relativiser en partie la question de la prise en charge assurantielle.
L’Oms, en 2007, rappelle clairement que la circoncision peut protéger de certaines maladies (infections urinaires, syphilis, Vih…). Mais, continue le rapport, comme pour toute intervention chirurgicale, il y a des risques dont le nombre est d’autant plus bas et le caractère d’autant plus bénin que l’enfant est petit (0, 2 à 0, 4 %). Pour l’adolescent et le jeune adulte, la circoncision peut être associée à un risque hémorragique ou septique, mais en général sans séquelles à long terme, à condition toutefois que le geste soit accompli par un praticien averti. Sans quoi, les risques peuvent être potentiellement très graves.
Dans les données récentes, les conclusions de l’étude à grande échelle menée à Orange Farm en Afrique du Sud depuis 2002 par une équipe de l’Agence nationale de recherches sur le sida (Ansr)-Inserm15 montrent à l’évidence une association significative entre la circoncision masculine volontaire et des niveaux très réduits d’infection au Vih, sur le long terme et pour une population conséquente.
Faudrait-il alors prôner, par-delà le rite religieux, une circoncision masculine pour ses effets préventif et thérapeutique à l’égard d’infections telles que le sida, les Ist (infections sexuellement transmissibles)… sur la base du volontariat ? Sur le plan du coût, il ne serait probablement pas plus élevé qu’actuellement dans la mesure où la cotation de l’acte serait renégociée et qu’il faudrait inclure dans cette évaluation les affections évitées dans une perspective de santé publique. Mais faut-il accepter « officiellement » un tel coût ? De plus, cela rendrait encore plus floue la ligne de démarcation entre le médical et le rituel.
Symboliquement, une telle perspective aurait sans doute en France toutes les chances d’échouer… Néanmoins, des politiques cherchent des « solutions » pour sortir de cette situation confuse. En septembre 2008, Valérie Boyer fait suite, écrit-elle, à une « large concertation avec des chirurgiens urologues confrontés chaque jour à ce problème » et conscients de « cette fraude inacceptable à l’assurance-maladie et au principe de laïcité16 ». Pour essayer d’y mettre fin, elle propose d’« élaborer un protocole clair et applicable à tous, qui préserve la neutralité et l’égalité républicaines », une sorte de solution intermédiaire qu’elle explicite ainsi :
Entre la prise en charge complète par l’assurance-maladie ou par les familles de cet acte, une troisième voie serait envisageable impliquant la création d’un contrat d’assurance circoncision proposé à la naissance des enfants mâles et destiné à prendre en charge les frais de réalisation de l’acte chirurgical. Il pourrait être, en outre, envisagé, sous certaines conditions et en préservant le principe de laïcité, une participation limitée de l’assurance-maladie.
Cette proposition « d’un contrat d’assurance à charge des personnes concernées » auquel pourrait éventuellement contribuer le système assurantiel a parfois été mal comprise et surtout n’a pas eu de lendemain jusqu’ici. Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, écarte alors l’idée d’intervenir dans le débat, laissant aux médecins la responsabilité de leurs actes.
Concernant la création d’une « assurance » sur ce sujet, l’absence d’aléa rend inapplicable le principe même de l’assurance. Il ne peut être envisagé, en tout état de cause, la participation de l’assurance-maladie à un dispositif de cette nature17.
La députée n’a pas pour autant mis un terme à son combat : elle propose aujourd’hui
que des experts se réunissent pour réfléchir au problème en mettant en place un groupe de réflexion intégrant les différents partenaires (assurance-maladie, professionnels de santé, associations d’usagers) afin d’élaborer un protocole clair et applicable à tous qui préserve la neutralité et l’égalité républicaine18.
Le double attachement français à un système de protection sociale de qualité, incluant les plus précaires, et au principe de laïcité, ne simplifie pas la donne.
Néanmoins, l’argumentation des politiques dépend aussi du fait d’être ou non en situation de responsabilité et de décision. En tant que commissaire du gouvernement, Valérie Pécresse retenait en 1997 l’intérêt sanitaire et médical de la circoncision, qualifiée d’« acte chirurgical bénin » visant avant tout « un motif d’hygiène publique19 ».
Faudrait-il insister sur le caractère préventif de la circoncision ? Ou la circoncision est-elle d’abord une faute médicale ? L’argumentaire du Landgericht de Cologne ne manque pas d’alimenter ce débat : il considère que le médecin incriminé n’a pas commis de faute médicale ni enfreint une loi qui n’existe pas en Allemagne ; mais il n’approuve pas pour autant cette pratique très ancienne et surtout, il estime qu’il n’existe pas, en Europe, une nécessité de procéder à des circoncisions à titre préventif, c’est-à-dire pour des raisons autres que médicales, qu’il y a là du « disproportionné » (unangemessen).
Éclairage juridique
La circoncision est-elle une atteinte à l’intégrité et à l’inviolabilité du corps, tel qu’en a discuté ce jugement allemand ? Qu’en est-il au regard du droit français ?
Juridiquement, chacun a droit au respect de son corps (article 16-1 CC/Code civil) et y contrevenir entraîne des sanctions tant au civil qu’au pénal. L’article 222-1 du Code pénal punit les actes entraînant des mutilations ; la condamnation de l’excision repose sur ce fondement. Enfin, il faut aussi citer l’article 24 de la Convention des droits de l’enfant : elle appelle à reconnaître « le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. » ; elle demande en outre que
les États parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants.
Cet article proscrit en somme des interventions sur le corps de l’enfant qui n’aient pas de finalité thérapeutique.
Au regard de ces trois dispositions qui encadrent en France la circoncision rituelle, celle-ci pourrait paraître problématique. En fait, elle est tolérée tant qu’elle repose sur un consensus parental. Car comme le rappelle Isabelle Corpart, « une circoncision ne pose véritablement de difficulté que dans des situations extrêmes20 ».
Et le Conseil d’État ne dit pas autre chose dans son Rapport public 2004 :
Pratique religieuse admise, la circoncision rituelle ne fait l’objet d’aucun texte si ce n’est en Alsace-Moselle, l’article 10 du décret impérial du 29 août 1862 disposant que : « le mohel doit être pourvu d’un certificat délivré par un docteur en médecine ou chirurgie, désigné par le préfet, et constatant que l’impétrant offre au point de vue de la santé publique toutes les garanties nécessaires ». Dans la pratique, la circoncision est très largement médicalisée, c’est-à-dire effectuée par des médecins et le plus souvent en milieu hospitalier. Aux termes de la jurisprudence du Conseil d’État, le principe de la responsabilité sans faute du service public hospitalier s’étend à une circoncision rituelle, alors même que l’acte médical a été pratiqué lors d’une intervention dépourvue de fin thérapeutique. La circoncision ne fait pas l’objet d’un remboursement par la sécurité sociale, sauf motivation thérapeutique21.
Comme son homologue allemand, le droit français fait ainsi preuve d’une tolérance à la fois permissive et ambiguë, à moins qu’il ne s’agisse de prudence à l’égard d’une pratique ancestrale – actuellement au moins partiellement tabou – qu’il vaut mieux encadrer qu’affronter directement. Nombre d’interventions sont effectuées avec l’accord des parents dans le secret des cabinets médicaux ou dans des services hospitaliers. Effectuées selon les règles de l’art, elles ne posent de questions de responsabilité que dans deux situations « tantôt liées à la place de chacun des parents auprès de l’enfant, tantôt à la mise en jeu des responsabilités encourues en cas d’insuccès de l’opération22 ». Néanmoins, un enfant devenu adulte pourrait reprocher à ses parents de ne pas avoir respecté son libre arbitre et demander réparation. De telles plaintes ont obtenu gain de cause aux États-Unis mais aucun cas n’a été recensé jusqu’ici en France.
La loi no 2002-305 du 4 mars 2002 dite « loi Kouchner » a consacré un grand principe de coparentalité qui met à égalité tous les parents (mariés, concubins, séparés, divorcés) et une requête de circoncision n’émanant que d’un seul parent suscitera d’emblée des interrogations. Les deux parents ont conjointement le devoir de protéger leur enfant mineur non émancipé dans sa santé (article 371-1 al 2 CC) et si une atteinte à son intégrité physique s’impose pour un impératif médical, celle-ci doit s’accorder avec l’article 16-3 CC23, et les deux parents doivent y consentir, en y associant éventuellement l’enfant s’il est en capacité de comprendre (article 371-1, alinéa 3 CC). L’article 42 du code de déontologie médicale (article R.4127-42 du Code de la santé publique) prévoit de même :
Un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement. En cas d’urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, le médecin doit donner les soins nécessaires. Si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible.
Pour faciliter les actes de la vie ordinaire, l’article 372-2 CC24 distingue l’« acte usuel » de l’acte grave et instaure une présomption de pouvoir entre les parents de l’enfant, mariés ou non. En conséquence, chaque parent est réputé agir avec l’accord de l’autre pour tous les actes du quotidien. Pour une intervention chirurgicale sur phimosis, elle peut être effectuée valablement à la demande d’un parent agissant seul, mais une circoncision rituelle n’est pas considérée comme un « acte usuel » : elle nécessite un double consentement parental, à moins qu’une décision judiciaire n’ait confié l’exercice de l’autorité parentale à un seul parent. S’il y a un différend des parents dans le choix de la religion, il devra être réglé par le juge aux affaires familiales, conformément à l’intérêt de l’enfant. Les dépassements de pouvoir dans l’exercice de l’autorité parentale seront éventuellement sanctionnés par le juge. La responsabilité médicale est avant tout engagée en cas de faute. Le médecin est tenu par une obligation de moyens et doit s’entourer des autorisations nécessaires. Il est responsable en cas de négligence et doit informer les parents clairement sur toutes les suites, et en particulier sur l’irréversibilité de ce marquage dans la chair de l’enfant.
Réactions des religions aux faits d’actualité
À l’occasion des faits d’actualité, qu’ils soient nationaux ou internationaux, événementiels ou institutionnels, qui tendent peu ou prou à remettre en cause la circoncision au nom d’une atteinte au corps sain de l’enfant incapable de consentir, les instances religieuses réfutent en général l’argumentation mise en avant, dénoncent une volonté de remettre en cause une pratique rituelle ancestrale et en appellent au politique.
Le dernier fait d’actualité dont la presse française s’est fait l’écho, et qui a suscité des réactions des communautés juives et musulmanes, concerne la résolution 1952 (201325) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adoptée le 1er octobre 2013 à une large majorité (78 voix pour, 13 contre et 15 abstentions). L’Assemblée parlementaire situe la circoncision dans un ensemble plus vaste de sujets de préoccupation résumé dans son point 2 :
L’Assemblée parlementaire est particulièrement préoccupée par une catégorie particulière de violations de l’intégrité physique des enfants, que les tenants de ces pratiques présentent souvent comme un bienfait pour les enfants, en dépit d’éléments présentant manifestement la preuve du contraire. Ces pratiques comprennent notamment les mutilations génitales féminines, la circoncision de jeunes garçons pour des motifs religieux, les interventions médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués, et les piercings, les tatouages ou les opérations de chirurgie plastique qui sont pratiqués sur les enfants, parfois sous la contrainte.
Le Conseil de l’Europe invite ainsi les États membres (avec la résolution) et le Comité des ministres (avec la recommandation) à contrer « les violations médicalement non justifiées de l’intégrité physique des enfants, qui peuvent avoir une incidence durable sur leur vie », tant que l’enfant ne peut les comprendre et y consentir (point 7.7) et à prendre les mesures médicales et sanitaires (point 7.5.2) qui s’imposent. Si les mutilations génitales féminines doivent être publiquement condamnées (point 7.5.1), les autres pratiques – et « la circoncision médicalement non justifiée des jeunes garçons » est explicitement mentionnée – doivent être évaluées dans le cadre suivant :
[un] dialogue interdisciplinaire entre représentants de différents milieux professionnels, y compris des médecins et des représentants religieux, de façon à combattre certaines méthodes traditionnelles dominantes qui ne tiennent pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ni des techniques médicales les plus modernes.
La réaction des communautés juive et musulmane ne s’est pas fait attendre. Du côté juif, on dénonce une atteinte à leur pratique religieuse et à une coutume millénaire dont la remise en cause a « toujours » coïncidé avec des périodes de grave antisémitisme. Le ministère israélien des Affaires étrangères condamne cette résolution, le 4 octobre 2013, et appelle le Conseil de l’Europe à revenir immédiatement sur cette résolution :
Toute comparaison de cette tradition avec la pratique barbare et condamnable de la mutilation génitale féminine relève au mieux d’une ignorance profonde et au pire de la diffamation et de la haine antireligieuse26.
Dans un communiqué de presse du 7 octobre 2013, le grand rabbin de Paris, Michel Gugenheim, met en cause les études sur les conséquences en particulier psychologiques de la circoncision chez l’enfant et écrit qu’« un grand nombre d’études, à l’image de celle rapportée par le gouvernement israélien et réalisée par l’American Academy of Pediatrics, démentent catégoriquement les allégations mensongères et pseudo-scientifiques avancées par les opposants à la circoncision ». Précédemment Joël Mergui, président du Consistoire de France, a même déclaré « à plusieurs reprises » que « si la circoncision venait à être interdite, cela signifierait la fin d’une présence religieuse juive en Europe » ; il évoque un rite « non négociable27 » qui symbolise « l’alliance avec Dieu » et signe l’entrée dans « une histoire, un peuple, une communauté ».
Du côté musulman, le président de l’Observatoire national contre l’islamophobie a fustigé le 5 octobre 2013 la comparaison avec l’excision des petites filles et dénoncé une « décision scandaleuse » de l’Assemblée parlementaire. Néanmoins, le spécialiste de l’islam Malek Chebel28 rappelle que ce rite n’est pas, pour les musulmans, une « obligation d’ordre théologique ». Mais, le Prophète étant né circoncis, la pratique s’impose en France et ailleurs comme « condition d’islamité » : elle est une condition de reconnaissance (à l’instar du voile pour les femmes), un marqueur culturel et identitaire qui n’est pas nécessairement lié au degré de pratique religieuse, mais qui est d’autant plus prégnant qu’il faut « retourner au pays » ou se faire inventif pour « en être29 ». Pour l’essayiste de « l’islam des lumières », s’il serait naïf de penser enrayer la circoncision, une telle pensée est néanmoins dans l’air du temps, correspondant « à une évolution logique du rapport à l’intégrité physique des personnes et à une séparation accrue entre le temporel et le spirituel30 ».
En réponse aux critiques, la rapporteure de la résolution, Marlene Rupprecht, rappelle dans un communiqué qu’elle ne cherche « à stigmatiser aucune communauté religieuse ou ses pratiques », au contraire : il est de la mission du Conseil de l’Europe
de promouvoir le respect des droits humains, y compris les droits des enfants, sur un pied d’égalité avec la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.
Et d’appeler au débat public,
au dialogue interculturel et interreligieux, pour dégager un consensus le plus large possible sur le droit des enfants à la protection contre les violations de leur intégrité physique.
Il est cependant difficile de dire si ce courant, qui prône la fin de la circoncision au nom de l’intégrité physique de l’enfant, est véritablement représentatif, quand bien même l’on constate que la société française, comme d’autres, est traversée par un certain rejet de pratiques et coutumes liées ou inspirées par les religions. En témoignent la cristallisation sur le voile, l’abattage rituel, le manger casher, la circoncision…, autant d’usages qui sont qualifiés d’obscurantistes, faisant craindre aux communautés concernées des remises en cause de leurs pratiques.
C’est en réponse à une telle inquiétude, aiguisée à l’occasion de la tuerie de Mohammed Merah dans une école juive de Toulouse en 2012, que le ministre français de l’Intérieur Manuel Valls a déclaré au magazine Information juive :
L’inquiétude des Juifs de France est celle de toute la France. […] La France, république laïque, s’est dotée d’un cadre juridique clair, qui garantit le libre exercice des pratiques religieuses. Il est donc hors de question de revenir sur l’abattage rituel et les pratiques traditionnelles31.
Le président François Hollande adopte une posture à la fois semblable et légèrement décalée en répondant32 le 30 octobre 2013 au courrier du président du Consistoire Joël Mergui33 l’interpellant sur les recommandations européennes. « La France, écrit-il, a une position constante fondée sur le libre exercice des cultes qui est, avec la liberté de conscience, au cœur du principe de laïcité. » Et d’évoquer « le cadre légal déjà existant en France, concernant le consentement des deux parents et – le cas échéant – de l’enfant, leur responsabilité et celle du praticien ». La « clarté » de cette double prise de position est toute relative : les notions de consentement et de responsabilité ne renvoient-elles pas dos à dos les différents acteurs tout en faisant également un pas vers les recommandations européennes ?
Pour l’heure, le jugement de Cologne ajouté au contexte de la laïcité française et le silence des deux communautés religieuses témoignent d’une certaine insécurité juridique et d’une recherche de « paix des religions » qui reste fragile.
L’Observatoire de la laïcité, installé en avril 2013 par François Hollande et présidé par Jean-Louis Bianco, a adopté le 15 octobre 2013 deux avis sur la laïcité, dont l’un est justement un « Rappel à la loi à propos de la laïcité et du fait religieux34 ». On y rappelle l’article premier de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État :
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions […] édictées dans l’intérêt de l’ordre public.
Suivent ensuite différents points sur la « responsabilité de la puissance publique », et ce que garantit et interdit cette laïcité. Pour notre propos, les aspects suivants sont à noter :
1.b. La puissance publique doit garantir à tous et sur l’ensemble du territoire la possibilité d’accéder à des services publics, où s’impose le respect du principe de neutralité, à côté d’autres services d’intérêt général.
2.d. Au titre de la laïcité, la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte, ce qui implique qu’aucune religion ou conviction puisse être ni privilégiée ni discriminée.
2.e. La laïcité repose sur la séparation des Églises et de l’État, ce qui implique que les religions ne s’immiscent pas dans le fonctionnement des pouvoirs publics et que les pouvoirs publics ne s’ingèrent pas dans le fonctionnement des institutions religieuses.
3.a. Aucune religion ne peut imposer ses prescriptions à la République. Aucun principe religieux ne peut conduire à ne pas respecter la loi.
En d’autres termes : les services hospitaliers, par exemple, sont garantis à tous en cas de nécessité médicale, mais la République ne subventionne pas le rite et donc la Sécurité sociale ne devrait pas financer la circoncision. En même temps, si l’État peut inviter à un débat public, il ne peut s’immiscer dans le débat interne des communautés religieuses en prise avec des courants théologiques eux-mêmes divers.
La circoncision, une pratique impossible ?
La circoncision masculine n’est-elle pas en définitive une impossible pratique qui oppose au moins trois principes fondamentaux : la préservation de l’intégrité physique, le respect de la liberté religieuse et le devoir de protection avec éventuellement des soins à l’égard des enfants mineurs ? La sécularisation des sociétés occidentales et l’attachement très fort des Français à une laïcité qui est cependant elle-même difficile à cerner dans ses contours, la difficulté pour le droit privé basé sur une conception de droits individuels à prendre en compte sérieusement les appartenances communautaires, tout cela complique encore la tâche. Il est clair qu’en tant que telle, la circoncision fait partie des « coutumes » (voir le Conseil constitutionnel), qu’elle a une histoire et que l’on ne saurait du jour au lendemain la proclamer hors la loi.
Néanmoins, ce faisant, prend-on vraiment en compte l’intérêt de l’enfant ? La réponse est à la fois oui et non, ou peut-être : pas suffisamment. Tout parent veut en général le bien de l’enfant et donc son « rattachement » à la communauté d’appartenance. Pas de fausse naïveté : on impose à l’enfant tous les référents culturels, alors pourquoi ne lui proposerait-on pas les données religieuses ? Le baptême chrétien est aussi une manière d’inscrire un enfant dans une religion par un acte public. Il y a cependant une différence de taille et le problème éthique se situe là : avec la circoncision, la religion passe par un marquage douloureux dans la chair, comme si seul le sang versé pouvait séparer du non-sens, de l’incroyance, de la sécularité, et relier à la transcendance, à la communauté des marqués. Est-ce réellement une marque de liberté quand une telle coupure concerne avant tout le petit enfant qui n’a pas la possibilité de consentir ? Ne faudrait-il pas inviter les communautés à manifester l’intégration de l’enfant par un geste avant tout spirituel, qui ne viole pas dans la douleur l’intégrité physique, que l’enfant par suite peut (ou non) reprendre à son compte (confirmation, Bar Mitzvah…) laissant ce marquage pour le moment où l’enfant devenu adulte (majeur) pourra y consentir et se l’approprier en connaissance de cause ?
Pour les juifs et les musulmans, la circoncision est signe d’appartenance communautaire. La pratique pourrait-elle alors évoluer ? Pour les musulmans, le rite ne figure pas dans le Coran et n’a rien d’uniforme. Il symbolise la descendance d’Abraham et il est encouragé pour des raisons d’hygiène. Pour les juifs, certains d’entre eux sont devenus chrétiens et sont ainsi passés de la circoncision juive à celle du cœur. Plus encore, il est intéressant d’observer que si Jésus avait été circoncis le huitième jour (Luc 2, 21), Paul abandonne cette pratique faisant obstacle à l’évangélisation, mais non sans passer par un débat animé et une décision commune dans l’Esprit Saint, qu’on appellera le « concile de Jérusalem » (Actes des Apôtres, 15). Il rappelle que la circoncision, sujet de fierté pour les juifs, n’est pas pour autant synonyme de respect de la loi et prône cette circoncision invisible « du cœur, celle qui relève de l’Esprit et non de la lettre » (Romains 2, 17-29) et qu’évoquait déjà le Deutéronome (et donc la Torah !) : « Vous circoncirez donc votre cœur » (Dt 10, 16) ; « Le Seigneur ton Dieu te circoncira le cœur, à toi et à ta descendance, pour que tu aimes le Seigneur ton Dieu de tout cœur, de tout ton être, afin que tu vives » (Dt 30, 6). Des évolutions rituelles sont-elles alors possibles ? Il appartient d’abord aux communautés elles-mêmes d’y réfléchir.
Doit-on pousser au nom de la laïcité à des vérifications draconiennes des pratiques hospitalières de phimosis ? Ou faire payer les familles ? Il est évident qu’une prise en charge systématique d’un geste rituel n’est pas recevable en contexte de laïcité. Néanmoins, la question n’est pas épuisée pour autant, d’abord parce qu’une telle vérification, qui met aussi en cause des médecins et le secret de la relation médecin-patient, n’est pour ainsi dire pas possible en pratique en l’absence de solution plus pérenne. Ensuite, un tel climat inquisitorial aboutirait paradoxalement à des conduites de renforcement identitaire. Et la France n’a sans doute jamais connu autant de « signes religieux » (voile, burqa, etc.) que depuis qu’elle s’est dotée d’une législation en la matière ; cela doit donner à penser. Enfin, faut-il alors proposer un système assurantiel pour les familles qui le souhaitent, une sorte de pot commun auquel les personnes concernées cotisent et qui permettrait d’avoir un certain regard sur les tarifs médicaux pratiqués ? Une telle « solution » pourrait convenir aux musulmans mais sans doute pas aux juifs, pour qui un rite en service hospitalier sans la présence du rabbin n’est pas valable. Surtout, la question de l’atteinte corporelle imposée à des enfants qui non seulement n’ont pas la possibilité de consentir, mais sont conditionnés, n’est nullement résolue. Or c’est bien cet aspect qui est le plus crucial.
Le cœur du jugement de Cologne ou de la Résolution de l’Assemblée parlementaire porte sur ce point. En venir tout de go à un interdit légal – comme semblent vouloir y arriver différents pays européens, dont la Suède – ne réglerait probablement pas pour autant la question et ce serait passer à côté des vrais enjeux, car ce n’est pas le social qui fabrique le symbolique, c’est ce dernier qui institue le social. La solution est forcément multifactorielle. Elle ne peut être réductible au seul aspect juridique ni aux différentes stratégies à court terme, politiciennes et électoralistes, ni à son aspect médico-sanitaire. Elle ne doit pas oublier non plus que tout est culture, que le rite est un construit, élaboré dans un contexte plus large qui est celui de la société elle-même (groupe religieux/groupe social) et qu’il veut indiquer un type d’humain et de vivre-ensemble. Encore faut-il que les communautés religieuses acceptent aussi d’en parler dans la transparence, de creuser leurs références théologiques afin de répondre aux déplacements contemporains de la pensée et des pratiques. Qui dit démocratie dit pluralisme, mais pas un pluralisme au détriment des plus vulnérables, ni un pluralisme d’apposition ignorant ou reniant le symbolique. Or derrière le corps propre que l’on marque ou non, se faufile le corps social, le corps des institutions (religieuses et autres), le corps du monde globalisé. Et réciproquement… Il n’est donc pas étonnant que l’opportunité du geste de circoncision masculine se pose aujourd’hui.
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Professeur d’éthique à l’université de Strasbourg.
- 1.
Tribunal de grande instance (Landgericht), Cologne, 7 mai 2012, Wa. 151 Ns 169/11 : téléchargeable en allemand sur http://adam1cor.files.wordpress.com/2012/06/151-ns-169-11-beschneidung.pdf (consulté le 4 octobre 2013).
- 2.
« La controverse sur la circoncision s’étend en Allemagne », Le Monde, 25 juillet 2012.
- 3.
Stéphanie Le Bars, « Pourquoi le débat sur la circoncision qui a agité l’Allemagne ne s’est pas propagé en France », Le Monde, 16-17 septembre 2012.
- 4.
Voir http://www.agence-biomedecine.fr/L-Agence (consulté le 30 septembre 2013).
- 5.
Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh, Circoncision masculine et féminine. Débat religieux, médical, social et juridique, Saint-Sulpice, Éditions du Centre de droit arabe et musulman, 2e édition, 2012, p. 11 sq.
- 6.
Patrick Banon, la Circoncision. Enquête sur un rite fondateur, Gollion, Éditions Infolio, 2009, p. 209-210.
- 7.
Congénital ou acquis, le phimosis est une étroitesse du prépuce qui empêche le gland de se décalotter et peut susciter gêne, inflammation, trouble de l’érection, surtout quand il est très serré.
- 8.
« La circoncision rituelle en hausse en Belgique », La Libre Belgique, 10 août 2012.
- 9.
Cité dans la « Revue de presse », Article 222. Journal pour les droits de l’enfant, 2e trimestre 2009, no 38, p. 3.
- 10.
Terme technique qui signifie l’ablation du prépuce (aussi bien pour le phimosis que la circoncision).
- 11.
« Revue de presse », art. cité, p. 5.
- 12.
S. Abu-Sahlieh, Circoncision masculine et féminine, op. cit., p. 17.
- 13.
Who & Unaids, Male Circumcision : Global Trends and Determinants of Prevalence, Safety and Acceptability, Genève, Éditions Who & Unaids, 2007, p. 1.
- 14.
« Taux de circoncisions en France : 14 % pour l’instant mais 22 % chez les très jeunes », 2 juillet 2011, http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2011/07/02/2539177_letaux-de-circoncision-en-france.html (consulté le 16 septembre 2013).
- 15.
Bertran Auvert et al., “Association of the Anrs-12126 Male Circumcision Project with Hiv Levels among Men in a South African Township : Evaluation of Effectiveness using Cross-sectional Surveys”, PLoS Med, 2013 ; téléchargeable sur http://www.plosmedicine.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pmed.1001509 (consulté le 30 septembre 2013).
- 16.
Échange de courriels du 2 octobre 2013 entre Mme Boyer et moi-même.
- 17.
Question écrite no 30856 (Assemblée nationale) de Valérie Boyer, publiée au JO le 16 septembre 2008, p. 7951. Réponse publiée au JO le 30 juin 2009, p. 6716 ; téléchargeable sur http://recherche.assemblee-nationale.fr/questions/out/S40/K639FGJQDV2PV1Z4CH8.pdf (consulté le 3 septembre 2013).
- 18.
Échange de courriels du 2 octobre 2013 entre Mme Boyer et moi-même.
- 19.
Voir ses conclusions sous l’arrêt « Hôpital Joseph-Imbert d’Arles », Revue française de droit administratif (Rfda), 1998, p. 90 sqq.
- 20.
Isabelle Corpart, « La circoncision au regard du droit », Médecine & Enfance, septembre 2004, p. 417. Notre réflexion juridique s’inspire de cette contribution.
- 21.
Conseil d’État, Rapport public 2004 : jurisprudence et avis de 2003. Un siècle de laïcité, Paris, La Documentation française, 2004, p. 331-332 ; téléchargeable sur http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/044000121/0000.pdf (consulté le 4 octobre 2013).
- 22.
I. Corpart, « La circoncision au regard du droit », art. cité.
- 23.
« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir » (art. 16-3 CC).
- 24.
« À l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant » (art. 372-2 CC).
- 25.
Assemblée parlementaire, « Le droit des enfants à l’intégrité physique », Résolution 1952 (2013) ; téléchargeable sur http://www.assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-fr.asp?fileid=20174&lang=fr (consulté 14 octobre 2013). Texte discuté et adopté par l’Assemblée le 1er octobre 2013 (31e séance).
- 26.
Marine de Sauto, « Juifs et musulmans dénoncent une résolution du Conseil de l’Europe sur la circoncision », La Croix, 7 octobre 2013.
- 27.
S. Le Bars, « Pourquoi le débat sur la circoncision… », art. cité.
- 28.
Malek Chebel est l’auteur d’une Histoire de la circoncision des origines à nos jours, Paris, Balland, 1992.
- 29.
Cité par S. Le Bars, « Pourquoi le débat sur la circoncision… », art. cité.
- 30.
Ibid.
- 31.
« Manuel Valls : la France a une part juive incontestable », Information juive, octobre 2012, no 326, p. 8.
- 32.
Courrier téléchargeable sur http://www.consistoiredefrance.fr/Pdf/reponse_du_president_de_la_republique_brit_mila.pdf (consulté le 2 décembre 2013).
- 33.
http://www.consistoire.org/communiques/191.circoncision--le-president-de-la-republique-repond-au-president-du-consistoire (consulté le 2 décembre 2013).
- 34.
http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/avis_rappel_a_la_loi.pdf (consulté le 17 octobre 2013).