Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Dans le même numéro

Comment agir en citoyen ?

entretien avec

Vincent Descombes

mars/avril 2011

De quoi parle-t-on quand on évoque une « démocratie participative » ? À quoi s’agit-il de participer, au-delà des dispositifs classiques de la citoyenneté ? Souvent à une décision d’un type particulier, qui se distingue tant de la négociation que de la délibération. Le philosophe souligne ici l’importance de la dimension pratique qui échappe souvent aux éthiques de la discussion : la délibération doit déboucher pour le citoyen sur une action. S’il veut avoir son mot à dire, c’est pour être partie prenante d’une décision qui aura des conséquences pratiques pour lui.

La démocratie est souvent considérée comme un type de gouvernement à vocation « universelle », organisé par les dispositifs du suffrage et des urnes. Cette conception du politique néglige souvent les pratiques quotidiennes de l’exercice démocratique, les investissements nationaux et locaux des citoyens… Or, ces pratiques font ressortir des tensions entre cet universalisme et les modes pluriels de gouvernements démocratiques. Trois éléments de registres différents transforment aujourd’hui le processus démocratique : la multiplicité des acteurs qui participent à produire le politique aujourd’hui ; le tournant pragmatique que le politique invite à opérer pour lui redonner sens ; son inscription dans le local et les structures relationnelles (relations professionnelles, de voisinage, familiales, etc.), son caractère environnemental et localisé. Tous ces éléments invitent à repenser l’exercice démocratique, offrant une nouvelle occasion de réfléchir aux modèles alternatifs de démocratie et de participation des citoyens à la politique. Mais cela suppose d’abord de dépasser les oppositions construites entre profanes et experts, savants et politiques, militants et professionnels, responsabilité et conviction.

Avec la notion de « raison pratique », Vincent Descombes met en exergue la capacité des hommes à déterminer l’action à accomplir par le truchement d’une « délibération pondérée », située dans un contexte précis. En démocratie, il ne s’agit pas de délibérer pour promouvoir ses valeurs ni pour défendre ses intérêts. La raison même de la délibération est de créer une action collective en tranchant des décisions concrètes qui affecteront ceux qui les prennent. La délibération n’est donc jamais séparable de la perspective de l’action et du lien politique qu’elle rend possible. Une conception qui renouvelle les réflexions politiques en cours sur la démocratie et la délibération.

Odile Piriou

Odile Piriou et Pierre Lénel – Dans votre travail, la raison pratique désigne la capacité à déterminer l’action à accomplir par le moyen d’une délibération pondérée dont le résultat affectera ceux qui s’y engagent. Le point de départ est donc une action qui est à faire. Le raisonnement pratique est construit par le sujet lui-même qui décide et agit. Il relève d’une structure intentionnelle. Il n’est pas guidé seulement par des valeurs ou des préférences mais aussi par une fin à atteindre. Le titre de votre livre, le Raisonnement de l’ours, fait référence à une fable de La Fontaine (« L’ours et l’amateur des jardins »), dans laquelle un ours, pour se débarrasser d’une mouche qui risque de troubler le sommeil de son ami, décide de la chasser avec une pierre, et écrase finalement le crâne de son malheureux ami. Un tel sujet monomaniaque ne peut que manquer son action. Par opposition, un acteur raisonnable doit non seulement se demander comment accorder sa conduite aux fins qu’il veut atteindre, mais encore comment atteindre les différentes fins qui sont les siennes, afin de parvenir à un véritable jugement pratique. Comme vous l’écrivez, « le concept de raison pratique échapp[e] à l’alternative ruineuse d’une raison instrumentale, simple puissance de calcul au service de nos volontés arbitraires et d’une raison pure qui n’aurait pas à tenir compte des fins humaines ». Ce concept de raison pratique nous permet ainsi de se détacher de l’opposition établie par Max Weber (dans ses conférences sur le Savant et le politique) entre « éthique de la responsabilité et éthique de conviction », opposition qui constitue, selon vous, un « déchirement » de l’action et de la conscience. En quoi la raison pratique peut-elle aussi nous aider à penser la participation démocratique ? En quoi nous permet-elle de discuter de la place et du rôle du public dans la vie politique et de son implication dans les dispositifs de délibération ?

Vincent Descombes – Mon point de départ initial est dans la philosophie, et non dans les emplois que font aujourd’hui les sociologues du mot « rationalité ». C’est à l’occasion d’une réflexion sur la philosophie du raisonnement pratique que je rencontre les sociologues, en particulier Max Weber. Peut-être pourrait-on partir de l’observation suivante : quand on s’initie à la sociologie à l’aide de manuels et de dictionnaires encyclopédiques, on apprend qu’il faut opposer deux rationalités (celle de l’action instrumentale et celle de l’action au service d’une valeur), ou qu’il y a deux éthiques possibles pour l’homme d’action (celle de la responsabilité et celle de la conviction), comme si ces oppositions tombaient sous le sens, comme si, une fois posées, elles étaient irrécusables. Pourtant, chez Weber, il en allait autrement. Lorsqu’il oppose les deux rationalités, il fait certainement une distinction conceptuelle, mais il fait surtout une distinction tragique. Cette opposition est en même temps un déchirement… S’il pouvait dépasser la distinction qu’il introduit, il le ferait aussitôt. Cependant, il affirme que cette opposition est insurmontable. Sa position est donc : si nous voulons être lucides sur nous-mêmes, si nous voulons ne pas nous raconter d’histoires, nous devons avouer que ces deux rationalités sont inconciliables, ou bien encore qu’on ne peut pas plus suivre les deux éthiques qu’on ne peut servir deux maîtres. Il ne s’agit donc pas d’une distinction neutre et paisible.

Et mon problème de philosophe est que ces deux éthiques apparaissent l’une et l’autre irrationnelles. En effet, il manque à chacune d’elles quelque chose qu’on ne peut trouver que si l’on adopte l’autre. Dans les deux cas, il nous manque un élément décisif de ce qui peut passer pour un comportement rationnel. Car enfin, il est étrange d’avoir à dire : « Puisque j’ai choisi la conviction, je dois me désintéresser des conséquences. » Et il est tout aussi insatisfaisant d’avoir à accepter que, justement parce que je me tiens moi-même pour responsable des conséquences de mes actes, je ne peux pas avoir de convictions fermes et exigeantes. Ces deux positions sont donc paradoxales. Sans méconnaître les dimensions tragiques de la vie ou de la modernité (ce qui n’est pas forcément la même chose), il me semblait donc important de comprendre si ce déchirement doit être considéré comme notre dernier mot sur la raison pratique.

Une distinction tragique

Mon texte précisément intitulé le Raisonnement de l’ours porte sur ce point : Max Weber a-t-il saisi une distinction qu’on aurait sans doute préféré ne pas avoir à faire, mais qui constitue une vérité indépassable une fois qu’elle a été reconnue ? À savoir, cette incompatibilité des rationalités pratiques qui nous amène à dire : « Quoi que nous fassions, nous serons forcément irrationnels par un biais ou par un autre. » Ou bien Weber a-t-il travaillé avec un concept philosophiquement insuffisant de la rationalité pratique ? Voilà ma question initiale. Mais c’est la présentation que Raymond Aron en fait dans sa préface aux textes réunis sous le titre le Savant et le politique1 que j’ai choisi de discuter parce qu’Aron est un penseur mesuré et patient, peu porté à des surenchères ou des propos inconsidérés. Or il reprend à son compte le diagnostic profondément tragique de Weber.

Notez bien que si Weber avait raison, il faudrait créditer la pensée proprement moderne d’avoir reconnu une limite anthropologique de toute humanité. En effet, si la distinction de Weber est valide, elle s’applique partout, aussi bien dans le monde des dynasties chinoises que chez les Zoulous. Pourtant, en philosophie, cette distinction est récente. Il y aurait donc une lucidité propre à l’âge moderne, puisque, si cette distinction est valide, elle l’est universellement, alors que pourtant elle n’a été posée que par les modernes. Le tragique moderne serait donc simplement le tragique humain reconnu pour la première fois par les modernes.

En disant tout cela, je porte un diagnostic, non pas sur la modernité ou la condition humaine, mais sur le point de départ philosophique de Weber. Je le fais notamment en m’appuyant sur la version que donne Aron du problème de la rationalité pratique, puisqu’il souligne très clairement la nécessité pour nous de renoncer à la responsabilité si l’on veut la conviction, et réciproquement. Il en est ainsi, explique-t-il, parce que la science ne peut pas prouver qu’on a raison de faire tel choix politique radical plutôt que tel autre : par principe, aucune valeur ne peut être prouvée. Pour dépasser l’antinomie, il faudrait que la science puisse fonder les jugements en valeur, et c’est là justement ce qu’elle ne peut pas faire. Soit ! Mais de quelle impossibilité s’agit-il ? Nous parlons de choix, de décisions pratiques. Qui a jamais prétendu prouver la vérité d’une décision pratique ? Une décision pratique peut être bonne, elle peut être mauvaise, elle peut être regrettable, mais par définition elle ne peut pas être vraie. Dire qu’elle ne peut pas être vraie est tout autre chose que de dire qu’elle ne peut pas être prouvée par l’application des méthodes de la science, comme s’il s’agissait d’une insuffisance de notre part, alors qu’il s’agit d’une différence de catégorie entre dire ce qui existe et décider de ce qu’on fera.

Il y a donc une erreur à éviter, une erreur proprement philosophique sur la nature même du raisonnement pratique. Cette erreur consiste à nous représenter le raisonnement pratique comme un raisonnement théorique, c’est-à-dire une déduction, que l’on ferait dans des conditions d’incapacité à conclure. Maintenant, en quoi consiste le tragique wébérien ? On nous dit : en ceci que nous pouvons prouver les théorèmes mathématiques ou les lois de la mécanique, mais non la vérité de nos jugements politiques et moraux. À cela, je réponds que s’il existe un tragique humain (ce dont je ne doute pas), ce n’est pas ici qu’il faut le chercher. La distinction de Weber repose en réalité sur une confusion : il en vient à tenir toute rationalité pratique pour entachée d’irrationalité parce qu’il n’a pas bien déterminé la différence entre le théorique et le pratique. Face à ces distinctions wébériennes, nous devons nous efforcer de rétablir le caractère pratique de la raison pratique.

Ce qui fait la grandeur de Weber à mes yeux, c’est que son distinguo ne soit pas une pure distinction conceptuelle, qu’il soit un déchirement. Il est important que ce soit un déchirement. Cela revient de la part de Weber, et aussi de la part d’Aron, à concéder que le rationalisme bute sur cet obstacle. Chez Weber, c’est un peu le même déchirement que celui d’être embarqué dans le processus de la « rationalisation du monde » et de se retrouver prisonnier d’une cage de fer plutôt que de voir aboutir le projet moderne tel qu’il avait été conçu initialement. C’est de part et d’autre le même désarroi sur ce que peut la raison. Il s’agit d’une situation existentielle. Les gens se sont laissés coincer dans ce déchirement et sont incapables de tenir une position satisfaisante. Quelle que soit votre décision, vous serez coupables, soit parce que vous vous conduisez de manière irresponsable, soit parce que vous vous moquez des grands principes. Aron a raison de dire que Weber a dressé là le portrait existentiel de l’intellectuel moderne, coupable de ne pas faire ce qu’il faudrait, à ses propres yeux, qu’il fasse, et cela non par négligence, mais parce qu’il est placé dans l’impossibilité de le faire.

Une importante question se pose donc à nous « modernes » : sommes-nous foncièrement wébériens, c’est-à-dire contemporains de la découverte d’une irrationalité inhérente à l’action humaine, ou sentons-nous le besoin de sortir de cette division wébérienne ? En un sens, nous sommes certainement wébériens, car cette distinction wébérienne est présente dans notre sens commun, elle va de soi, nous la comprenons sans peine. Par conséquent, c’est la marque de notre appartenance à l’époque, nous sommes spontanément wébériens. Le problème philosophique est alors : allons-nous le rester ? Comme l’a très bien expliqué Aron dans son texte de présentation des conférences sur le Savant et le politique, Max Weber exprime le déchirement de l’intellectuel moderne. Aron avait surtout en tête l’engagement politique : les gens qui prennent des partis extrêmes, qui renoncent donc à leur responsabilité en ce qui concerne les conséquences de leurs décisions, et cela au nom d’une cause ou d’une ligne à suivre dictée de manière inconditionnelle par un principe, se sentent justifiés par leurs convictions. Personne ne peut prouver scientifiquement qu’ils ont tort de faire des choix irresponsables.

Mais en quoi consisterait la démonstration scientifique que leur position pratique est erronée ? Il ne s’agit pas d’astronomie ou de chimie, mais d’un jugement pratique. Une position pratique est une prise de position sur ce qu’il faut faire, ce n’est pas une prise de position sur ce qui existe. Je peux essayer de prouver que votre choix politique est mauvais (parce que dangereux, parce qu’injuste, parce qu’à courte vue, parce que ruineux, parce que déshonorant, etc.), mais je ne peux pas prouver « scientifiquement » qu’il est faux ! Sauf à faire une erreur de catégorie. On ne voit pas ce que veut dire : « votre décision est fausse », à moins que « faux » veuille dire « mauvais », ce qui nous fait sortir de la perspective théorique du savant. En revanche, on peut entreprendre de prouver que votre décision est déplorable, parce qu’elle est malavisée, par exemple parce qu’elle va produire le contraire de ce que vous annoncez, ou alors parce qu’elle va vous ruiner matériellement ou moralement sous prétexte de nous apporter tel ou tel avantage.

Par conséquent, vouloir prouver la fausseté du pacifisme, ou du communisme, ou de je ne sais quelle utopie, c’est confondre ce qui relève du raisonnement théorique avec ce qui relève du raisonnement pratique. Si l’on veut sortir du déchirement wébérien, il faut s’entendre sur ce qui définit la rationalité pratique comme rationalité pratique. Oublions donc toutes ces distinctions et revenons à la question pratique comme telle. Cette question pratique consiste à demander : qu’est-ce qui est à faire ici et maintenant ? Pourquoi faire ceci plutôt que cela ? Quelles raisons donnez-vous pour expliquer que vous avez pris les bonnes décisions ? Ce type de raisons – les raisons d’agir – définit le domaine de la rationalité pratique. En effet, on donnera parfois des raisons qui seront de type instrumental : j’expliquerai par exemple que j’ai suivi la meilleure recette. Il arrivera aussi qu’on invoque des valeurs ou des idéaux. Mais il s’agit là de modes de justification à l’intérieur de la considération de quelque chose qui est l’action que je vais faire, ou celle que j’ai faite et qu’il s’agit de justifier. Ces raisons ne sont pas destinées à prouver qu’une chose existe (perspective théorique), elles sont destinées à montrer le bien que je compte produire par mon intervention dans le monde.

Le moment grammatical

Thomas Béraud – Votre travail commence par une approche grammaticale, de sorte que, par exemple en ce qui concerne le traitement de l’action du sujet, plus précisément encore de la rationalité de l’action du sujet, vous vous tenez à l’écart des débats reprenant les termes de la philosophie de la conscience et de la question de l’être pour vous orienter dans la direction, peut-être moins spectaculaire et attractive à première vue, d’une analyse grammaticale des phrases d’action. Votre souci n’est pas de poser la question du « comment le savez-vous ? » mais plutôt du « comment le dites-vous ? » (voir notamment le Complément de sujet, votre précédente publication parue en 2004). Les sociologues cherchent, eux aussi, à clarifier les idées que les hommes se font en ce qui concerne les conflits moraux et sociaux et les discours qu’ils tiennent à leur propos. En permettant aux gens de reconnaître qu’il existe d’autres descriptions utiles de ce qu’ils ont fait, que les descriptions auxquelles ils sont habitués, en adoptant un raisonnement se déclarant résolument pratique nous aurions la possibilité, selon vous, de dénouer ces imbroglios sophistiques, ces mystifications qui conduisent parfois à raisonner aussi inopportunément que ce personnage de l’ours dans la fable. Le philosophe, dès lors, n’est pas un prescripteur de ce qu’on doit faire. Son intérêt se porte sur la distinction opérée entre les propositions dites empiriques et celles que l’on qualifie de propositions charnières, en l’occurrence celles qui font tourner la porte du raisonnement et de la rationalité de l’action correctement.

Vincent Descombes – C’est bien par le côté grammatical qu’il convient souvent d’aborder toutes ces distinctions, tous ces systèmes intimidants dont nous héritons. Certainement, nous devons d’abord reconnaître la complexité des problèmes posés et la puissance de ces pensées classiques. Mais cela ne doit pas nous retenir de poser des petites questions, en apparence minuscules, des questions élémentaires de débutant, ou plutôt de faux débutant. Un peu comme des élèves qui suivent la leçon magistrale du maître, et qui posent des questions qui ne sont pas encore des questions sur le fond (demandant à pousser plus loin la sophistication), mais bel et bien des demandes d’explication. Il se peut que le professeur s’aperçoive qu’il n’arrive pas à répondre à une question élémentaire. Car la question élémentaire était dans le cas qui nous occupe : « Pouvez-vous expliquer où est le caractère pratique de votre raison pratique ? Pouvez-vous m’expliquer comment utiliser les distinctions que vous enseignez de façon à ce qu’elles soient des distinctions entre des formes de raisonnement pratique ? » C’est alors qu’il apparaît éclairant de poser ce qui devrait être un truisme : le raisonnement pratique ne prétend pas déboucher sur une vérité, il doit se conclure par une action, que ce soit par l’adoption pratique d’une ligne de conduite ou par notre intervention ici et maintenant dans le cours des choses.

En quoi un raisonnement quelconque est-il pratique plutôt que théorique ? Le seul raisonnement méritant le qualificatif de « pratique » est celui dont la conclusion consiste à passer à l’action, parce qu’on a trouvé ce qu’on cherchait, à savoir le moyen à employer pour atteindre son but. On avait un problème pratique, on l’a posé, on a raisonné, et maintenant on sait se tirer d’affaire, en faisant au mieux dans la situation telle qu’on la connaît. On a examiné les données, et l’on est arrivé à conclure, ce qui veut dire qu’on passe à l’action. Cela n’est pas toujours possible dans tous les cas, il arrive aussi que le raisonnement ne parvienne pas à conclure. Dans de telles occasions, on constate que la raison n’a pas prise sur la situation, par exemple faute de données et d’informations sur notre situation ou faute de clarté sur nos propres buts.

Ce sont là des considérations très élémentaires, mais elles nous permettent de revenir à ces différentes rationalités dont on parle dans la littérature sociologique et nous demander si elles sont bien des rationalités pratiques dignes de ce nom.

Soit d’abord la rationalité instrumentale… Si j’apprends qu’il y a une bonne recette pour préparer le pot-au-feu, ou qu’il existe un moyen efficace d’arriver à tel ou tel but, cela suffit-il pour que je l’applique, moi qui dois préparer un pot-au-feu ou arriver au but en question ? Certainement pas, il y a beaucoup d’autres éléments qui devraient intervenir pour que ma décision soit effectivement justifiée par de bonnes raisons.

Soit maintenant la rationalité de type « impératif catégorique », c’est-à-dire celle qui se fonde sur des principes ou des convictions. Supposons donc que je veuille me conduire selon une rationalité en valeur, une conviction au sens de Max Weber. Par hypothèse, il y a un principe que je devrai toujours respecter en toutes circonstances… Mais que vais-je faire dans tel cas particulier ? Comment respecter le principe dans telle situation particulière où je me trouve maintenant ? Il me reste évidemment à trouver le moyen d’appliquer le principe, ce qui veut dire que je me pose la question : que faire ? Que dois-je faire dans cette circonstance, pour agir au mieux tout en respectant le principe ? Cela veut dire que le raisonnement pratique n’a pas encore commencé ! Ce qu’on appelle dans la littérature savante « rationalités pratiques » consiste seulement dans des éléments de réflexion, des éléments de raisonnement en rapport avec l’action, mais qui ne suffisent nullement à déterminer ce qu’il faut faire, en entendant non pas à nouveau une consigne générale, mais une action particulière que je peux faire dans cette circonstance particulière. Seule mérite le titre de raisonnement pratique la suite de pensées qui a la forme logique d’un enchaînement de raisons, d’inférences et de considérations, lesquelles, assemblées de la bonne façon, suffisent au raisonneur pour qu’il passe à l’action.

Pourquoi l’ours, me direz-vous ? La Fontaine lui-même dit que l’ours est un excellent lanceur de pavés, mais un mauvais raisonneur. L’ours est donc un raisonneur. La Fontaine avait donc reconnu avant nous ce que les logiciens appellent aujourd’hui le caractère « non monotone » du raisonnement pratique. L’ours raisonne ainsi : comment se débarrasser de la mouche ? En jetant sur elle le pavé ! Comme déduction théorique c’est un raisonnement excellent, le pavé est bien ajusté et il tue la mouche. S’il s’agissait ici de faire un raisonnement théorique – un raisonnement visant à savoir ce qu’il en est, ce qui se passe ou va se passer –, il n’y aurait rien à lui reprocher : si l’on jette adroitement un pavé sur une mouche, cette mouche sera normalement écrasée. Mais nous ne cherchons pas ici à connaître, mais à nous comporter du mieux possible : c’est pourquoi notre raisonnement est pratique, pas théorique. Pour avoir bien raisonné en matière pratique, il aurait fallu tenir compte de bien d’autres éléments de la situation, or l’ours n’en a pas tenu compte. C’est en cela qu’il est mauvais raisonneur.

Quelle(s) place(s) pour l’expert, le savant, le militant et le citoyen ?

Odile Piriou et Pierre Lénel – L’intérêt de votre travail est aussi dans l’apport de la raison pratique à la réflexion sur la démocratie, en particulier pour celle dite participative. Ainsi, de la question du dépassement, ou non, de l’opposition entre conviction et responsabilité, il en découle deux autres. La première est celle de la place de la raison pratique dans la délibération, la seconde celle des dispositifs techniques, scientifiques et citoyens de la démocratie. Autrement dit, comment une délibération fondée sur la raison pratique, ce que vous appelez « la délibération pondérée », bouleverse la place de l’expertise, celle des scientifiques, des militants et des citoyens non spécifiquement militants dans les nouveaux espaces démocratiques ? Tous les sociologues, politistes ou philosophes qui s’intéressent à la démocratie participative s’emparent de ces questions. Mais ils les traitent, de notre point de vue, sans doute de manière un peu tronquée, de même que l’ours raisonne de manière un peu tronquée. Parce que ces interrogations classiques n’offrent comme seul fondement à la rationalité citoyenne que l’alternative de la raison instrumentale ou celle de l’hypersubjectivité du raisonnement. La conséquence en est bien souvent de dénier un statut aux acteurs qui la portent et de les priver de la capacité à délibérer. Les citoyens ne sont ni vraiment convaincus, ni vraiment responsables. D’ailleurs, bien souvent, ils ne sont pas grand-chose. Le concept de raison pratique ne permet-il pas de réintégrer les profanes dans la politique en mettant en évidence l’existence d’une rationalité spécifique ?

Mais il faut alors approfondir le concept d’action, si polysémique. En effet, si l’on entend « action » dans l’acception commune, on peut penser que le raisonnement pratique est uniquement réservé aux profanes ou à la raison ordinaire et à l’homme d’action ou à la raison politique. Un troisième acteur important de la délibération est alors oublié : l’expert ou le savant. Dans cette configuration la définition que vous donnez de l’action et de la délibération pondérée ne pose-t-elle pas problème ? N’exclut-elle pas la raison des savants et, plus largement, des experts de ce type de raisonnement ? Une telle césure ne pourrait-elle être interprétée comme un rapprochement de votre définition de la raison pratique avec le fameux principe de neutralité axiologique posé par Max Weber et ses indexations (savant contre politique, éthique de responsabilité contre éthique de conviction) avec laquelle pourtant le raisonnement pratique rompt ?

Vincent Descombes – Vous me demandez comment une analyse philosophique de la rationalité pratique peut éclairer la part respective que doivent avoir, dans une démocratie participative, d’un côté les experts et les spécialistes, de l’autre les simples citoyens qui sont aussi les intéressés au regard de la décision à prendre. Je vais essayer de vous répondre en partant de nouveau de ce qui spécifie un raisonnement comme étant une inférence pratique. Ici, il faut savoir comment procède un tel raisonnement.

Le raisonnement pratique est-il une espèce de machine logique permettant de transformer un ensemble de préférences en choix ? On ferait entrer dans la machine les préférences des gens, et, à partir de là, cette machine calculerait le bon choix. Il resterait alors à chacun, ayant pris connaissance de cette réponse, de décider s’il donnera suite ou non. Dans ce cas, le rôle des uns et des autres semble clair : les simples citoyens font connaître leurs préférences, et les experts mettent en place un dispositif fait de modèles, de simulations et de données variées, qui leur permet de déterminer quelle est l’option donnant le plus de satisfaction aux intéressés. Ou bien, selon une tout autre conception d’un raisonnement pratique, est-ce que l’exercice délibératif peut réagir sur les options initiales et éventuellement imposer une réorganisation des préférences telles qu’énoncées naïvement avant d’avoir pris connaissance plus largement des données de la situation ?

Le défaut de beaucoup de théories philosophiques de l’inférence pratique, à mes yeux, c’est qu’elles nous parlent, sous le nom d’inférences pratiques, de calculs qui n’aboutissent pas à une action, mais seulement à une recommandation. Une recommandation, ce n’est pas encore une décision, puisqu’il reste justement à savoir si l’on décidera de la suivre, ou bien alors de consulter d’autres experts.

C’est d’ailleurs ainsi qu’on représente souvent le raisonnement instrumental. Pour autant qu’il est une tentative de répondre à la question « comment vais-je faire ? », c’est une délibération. Mais beaucoup de théories du raisonnement pratique nous font un portrait caricatural du raisonnement instrumental parce qu’elles tiennent les préférences des gens concernés comme une donnée initiale extérieure au raisonnement. Dans cette conception, il y a l’état du monde et il y a les préférences des individus. C’est la formule que vous trouvez souvent dans la philosophie de l’action, par exemple celle de Donald Davidson. Il y a les croyances, il y a les désirs, qui sont comme des vecteurs dont la résultante est l’action intentionnelle. Mais il manque alors, même phénoménologiquement, la possibilité pour l’agent de reconsidérer ses deux prémisses, celle qui énonce sa visée pratique et celle qui énonce sa perception d’une occasion présente d’intervenir. Ici, on devrait citer une autre fable de La Fontaine : celle du renard qui conclut « ces raisins sont trop verts et bons pour les goujats », ce qui revient à dire qu’on peut en venir à changer son désir de manger des raisins ou son idée qu’ils ont l’air bon pour la raison qu’ils sont trop hauts et qu’on ne peut pas les attraper.

On retrouve ce même défaut dans la conception que se font du raisonnement pratique certains économistes. Ils tiennent les préférences des gens pour une donnée, tout comme l’état présent du monde. La meilleure façon de présenter un tel raisonnement est d’y voir le travail d’un conseiller ou d’un expert : « Dites-moi vos préférences et je vous dirai ce que vous devez choisir pour les satisfaire au mieux. » Dites-moi par exemple quels sont vos desiderata en matière d’achat d’un logement ou d’un voyage d’agrément, et nous vous dirons quel est le produit qui répond le mieux à vos attentes.

Ce ne sont pas là encore des calculs et des inférences qu’on puisse appeler pratiques, mais seulement des préparatifs. En effet, une fois que j’ai obtenu cette information sur le produit optimal au regard des préférences indiquées, il me reste encore à savoir ce que je vais faire : l’appliquer ou bien aller voir un autre expert ! Il est tout de même étrange qu’un raisonnement qu’on appelle pratique parce qu’il devrait me permettre de décider, se termine en fin de compte par une conclusion qui n’est pas du tout la décision, mais seulement ce sur quoi je dois maintenant me décider : acheter ou pas ce logement, aller ou non à Venise.

Conséquence d’une telle vue : toute décision est au fond arbitraire (voire « irrationnelle ») ! Que je suive la recommandation de l’expert ou que je ne la suive pas, je le fais sans avoir pour cela de raison, puisque toutes les raisons sont censées avoir été déjà prises en compte pour justifier la recommandation. Le conseiller peut me donner des raisons de prendre telle décision, mais non une raison de décider de suivre son conseil plutôt que d’aller consulter d’autres conseillers. Mais cela veut dire qu’au bout du compte, toute action est, à certains égards, irrationnelle. Si je décide de ne pas passer à l’action, je suis irrationnel puisque le raisonnement avait dit d’agir ainsi, alors que je reste inactif. Et si je décide de passer à l’action, d’une certaine façon, je fais quelque chose d’irrationnel, car, à strictement parler, il n’y a pas de raison de passer à l’action puisque cette décision d’exécuter la recommandation doit être prise alors que le raisonnement est terminé, puisque cette décision reste en réalité extérieure au raisonnement… Paradoxe déconcertant, puisque nous sommes en train de dire que le raisonnement pratique n’arrive jamais à décider de ce qu’il convient de faire, et cela quand bien même ce raisonnement est parfaitement concluant. Il est dont très important de ne tenir pour un raisonnement pratique que celui dont la conclusion est une action, pas celui dont la conclusion est une recommandation du genre « ce serait une bonne idée d’agir ainsi ».

Ce même défaut dans la conception d’un raisonnement pratique qui, en fait, ne permet pas de se déterminer, on le trouve dans l’autre modèle de rationalité, là où la rationalité tient dans l’invocation des principes universels. Dans chaque cas particulier, je suis censé appliquer le principe grâce à deux prémisses, l’une qui me dit « La règle R est en vigueur » et l’autre qui me dit « Tu es à présent dans le cas prévu pour l’application de la règle R ». Supposons donc que je sache tout cela. Pourtant, même si je sais quelle est la règle et ce qu’elle dit de faire dans tel cas, il me reste à décider de le faire, d’avoir une bonne raison de le faire. En effet, par hypothèse, je suis à présent dans le cas prévu pour appliquer la règle R, mais il est vraisemblable que je suis aussi dans le cas prévu pour l’application d’autres règles R’, R’’, etc. Si elles prescrivent des conduites incompatibles, laquelle suivre ? On ne peut pas s’en tirer seulement en consultant un théoricien du normatif pour fixer la hiérarchie des règles, car tout dépend principalement de la manière dont je choisis de décrire la situation : plutôt comme constituant un cas d’application de R, ou plutôt un cas d’application de R’ ou alors de R’’. De nouveau, le raisonnement pratique ne parvient à être pratique qu’en vertu d’un élément qui lui manque, et qui est une intervention du libre arbitre qui décide de façon irrationnelle de faire effectivement ce qui a été décidé dans le cadre du raisonnement.

Par conséquent, les préférences ne doivent pas être tenues pour une donnée indépendante du raisonnement, sinon ce raisonnement ne sera jamais décisif. Il faut donc comprendre comment le raisonnement peut, en réalité, affecter les préférences du sujet. Il faut que dans le cours du raisonnement, le sujet délibérant puisse s’apercevoir que l’objectif qu’il s’était fixé ne mérite pas d’être atteint, ou bien encore qu’il y a mieux à faire, ou qu’il y a de graves inconvénients. Dans ce cas, à la fin du raisonnement, on se trouvera avoir changé de projets…

Il s’ensuit qu’une délibération se fait toujours en première personne. Je voudrais souligner l’importance de ce point. Quand nous cherchons à faire œuvre de science, nous faisons des raisonnements théoriques, qu’il s’agisse d’une démonstration mathématique, physique, ou même historique. Ce type de raisonnement a un caractère impersonnel : peu importe qui le dit… Le raisonnement pratique, lui, implique une « intentionalité » de ce qui est à déterminer. Autrement dit, mon raisonnement se termine par une action qui est la mienne en tant qu’elle exécute mon intention, en tant que je la fais sur la base de mes raisons, les raisons de mon raisonnement pratique. On retrouve le contraste dont on parlait tout à l’heure. Le conseiller ne peut que simuler le raisonnement de l’agent (« si j’étais vous… »). Le conseiller me donne un conseil. Qu’est-ce que je fais si je ne suis pas content du conseil ? Je vais voir un autre conseiller, jusqu’à ce que j’arrive à cet autre conseiller qui me dira de faire quelque chose qui m’apparaisse comme ce que je veux réellement faire.

De tout cela découle une conséquence forte, et c’est à mon tour de vous poser une question : quand vous parlez de démocratie délibérative ou participative, le problème que vous voulez poser se rattache à tout ce dont on a parlé jusqu’à présent parce qu’il fait intervenir le concept de délibération. « Délibération », ce n’est pas là un concept nouveau, ce n’est pas un concept pour des situations exceptionnelles. Sans doute, il y a bien des décisions que nous prenons sans passer d’abord par de longues réflexions. La plupart du temps, nous faisons des actions qui sont rationnelles sans avoir eu à réfléchir pour décider de ce qu’il fallait faire. Si pourtant elles sont rationnelles, c’est parce qu’on peut les justifier. Et justifier ce que j’ai décidé de faire, que je l’aie fait sans hésiter ou alors après avoir pesé le pour et le contre, c’est toujours produire des raisons dont il résulte un jugement pratique : « J’ai fait ça parce que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire dans cette circonstance. » Comment transposer ce concept de délibération du cas d’un individu à celui d’une délibération collective ? Vous me demandez et vous vous demandez quelle est la place des acteurs, leurs rationalités et rôles respectifs, au moment de ces discussions, des décisions et des actions. Il y a les savants, il y a ceux que vous appelez les profanes, mais qui pour moi sont plutôt les gens concernés, quel que soit leur degré d’information ou d’expertise…

Odile Piriou – Ces gens concernés sont ceux que les sociologues appellent les profanes, évidemment il y a aussi « citoyens », « riverains », « habitants ». Cependant le plus fréquemment, l’utilisation de ces termes confirme la hiérarchie morale et sociale établie entre le sacré et le profane, c’est-à-dire entre ceux qui détiennent le savoir (de type scientifique notamment) et les « non-sachants » (techniquement et/ou scientifiquement parlant). Cette division est bien consacrée. Justement, dans votre Philosophie du jugement politique (2008), vous ouvrez des pistes pour se saisir et donner un sens à l’engagement des savants (et, en miroir, des « profanes ») dans la délibération. Vous ne fondez pas l’engagement « en valeur », pour savoir s’il est bien, s’il est mal, s’il dit le bien ou s’il dit le mal, ni pour arguer de la possibilité de l’objectiver. Entre « décisionisme » et « rationalisme classique », que vous réfutez, vous proposez la notion « d’erreur de jugement », au moment où le jugement est prononcé en mobilisant la notion de raison pratique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette notion « d’erreur de jugement » par rapport à celles plus classiques de valeurs ou de normes ? Comment la notion « d’erreur de jugement » règle-t-elle ou permet-elle de mieux comprendre la question de la raison et de l’engagement savants ? Comment aide-t-elle à les distinguer de la raison et de l’engagement profanes ?

Vincent Descombes – Je suis un peu mal à l’aise devant cette répartition et devant l’attribution d’une aura aux experts, comme si leur savoir relevait d’une initiation à des mystères sacrés (à moins qu’il n’y ait une nuance de moquerie)… Je préfère parler de caractère impersonnel de la raison théorique, par opposition au caractère personnel de la raison pratique. Prenons l’exemple de ma capacité de me mettre en mouvement, par exemple de me lever. Si c’est moi, assis dans une pièce, qui vois que tout à coup il me faut sortir, que c’est la chose à faire, par exemple parce qu’il y a le feu, c’est moi qui vais me lever, et je le ferai sur la base d’une raison de sortir que je viens d’acquérir et de faire mienne. En revanche, le raisonnement théorique a un côté impersonnel, peu importe qui avance les raisons.

La première opposition, celle dont on doit partir, c’est donc celle du raisonnement impersonnel et du raisonnement personnel, plutôt que celle de l’individuel et du collectif. Le raisonnement pratique est personnel, personne ne peut faire mon raisonnement à ma place, puisque personne ne peut prendre ma décision de me lever à ma place, et cela parce que personne ne peut se lever à ma place. Bien sûr, on peut avoir tellement confiance dans la personne à qui l’on demande des conseils qu’on accepte d’avance de suivre son avis, et cela parce que c’est elle et qu’en cette matière nous trouvons en elle un alter ego. Normalement, on a une différence d’implication dans la décision entre la personne qui oriente la décision par ses conseils et celle qui agit, celle qui a la responsabilité de l’action. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. J’y reviendrai.

Maintenant, je suis tout à fait d’accord, la plupart des actions qu’on fait, c’est avec d’autres qu’on les fait. Comment passer de l’agent individuel à l’agent collectif ? Revenons à notre question de la rationalité pratique. Ce qui est en cause est le sens, rationnel ou pas, de ce que fait quelqu’un. Lorsqu’on parle de rationalité et de signification pratique, tous ces termes abstraits, voire intimidants, nous renvoient à ce que les gens pourraient dire de ce qu’ils font si on les interrogeait. Supposez que je demande à quelqu’un : « Qu’es-tu en train de faire ? » Bien des réponses sont possibles. Elles forment un éventail qui va de la description très locale, très précise, d’une opération ponctuelle jusqu’à une description beaucoup plus ample. Par exemple : « je coupe un oignon », « je prépare une soupe », « je fais le dîner ». Que se passe-t-il lorsque mon action personnelle s’insère dans une action collective ? Ici, de nouveau, deux possibilités opposées. Je peux essayer de cerner, dans ma description, la part exacte que je prends à l’entreprise collective, la contribution individuelle que j’y apporte. Ou bien, à l’inverse, je peux englober dans ma propre puissance d’agir la contribution d’autres agents – les tenir pour mes auxiliaires ou mes subordonnés – et m’attribuer à moi-même le résultat de l’action collective. C’est ce qu’illustre l’exemple bien connu de la grammaire latine : Caesar pontem fecit. César raconte dans ses mémoires : « César a fait un pont. » Personne n’en conclut que César s’est fait maçon, a transporté des briques ou des pavés. En fait, lorsque César fait un pont, ce sont d’autres que lui qui se sont fatigués. Mais il n’en reste pas moins qu’à certains égards, c’est bien lui qui a fait un pont. En effet, si c’était une erreur de faire un pont à cet endroit-là, alors c’est César qui a commis cette erreur, pas les légionnaires qui ont empilé les briques.

La considération de l’action collective a le plus grand intérêt pour les philosophes de l’action, car elle peut les amener à corriger une tendance à penser l’action humaine selon une opposition purement dichotomique : ou bien je suis agent (sujet), ou bien je ne le suis pas. Mais si l’on prend des actions collectives du côté de leur résultat, comme dans l’exemple de construire le pont, c’est une seule action qui se fait, et dont aucun individu n’est à lui seul l’agent, car un individu n’est pas capable de construire un pont tout seul. On dira : il peut se faire une passerelle. Mais si l’on prend l’exemple de l’action qui consiste à « danser le tango », on voit bien qu’elle ne consiste pas en une juxtaposition d’actions individuelles. Les danseurs ne font pas chacun une action indépendante en présence de l’autre, ils font des mouvements coordonnés, chacun se déplace en fonction de l’autre… Bref, l’action collective pose au sociologue des problèmes descriptifs en ce qui concerne la division du travail, donc les formes que prennent la coopération et la subordination des agents, mais elle soulève aussi un problème philosophique qui est celui de la relativité de l’agir. Il y a des degrés dans l’agir : le légionnaire individuel Caïus ne peut pas s’attribuer à lui-même la construction du pont ou la victoire sur l’ennemi, ce sont des résultats intrinsèquement collectifs.

Y a-t-il maintenant une rationalité collective ? Nous allons retrouver ici les distinctions de Max Weber. Il convient d’abord de rappeler que, lorsque nous parlons du raisonnement pratique, nous ne faisons pas une description psychologique. Il ne s’agit pas de reconstituer ce qui s’est passé dans la tête de l’agent. On parle de raisonnement parce qu’on reconnaît dans l’agent une personne capable de se justifier, de donner ses raisons. L’important n’est pas que l’agent ait effectivement pensé à telle et telle chose, qu’il ait effectivement réfléchi. L’important est qu’il ait eu ces raisons d’agir. Ce que nous appelons « raisonnement pratique de l’agent », ce sont en fin de compte les raisons qu’il peut donner, ou pourrait donner s’il avait le talent verbal d’expliciter le sens de son action – et c’est bien sûr un talent que tout le monde n’a pas développé au même degré.

Qu’en est-il maintenant de l’opposition entre l’éthique de la responsabilité et l’éthique de la conviction du point de vue d’une rationalité collective ? Les convictions dont parle Weber sont les héritières de l’impératif catégorique de Kant. Il s’agit au fond d’une position héritée de la théologie, car elle nous renvoie à une loi suprême et donc à un législateur moral suprême. Mais si nous nous adressions à de véritables théologiens, nous verrions qu’ils nous invitent à faire jouer dans l’histoire universelle une rationalité collective. Quelle est en effet l’action dont je suis, moi simple individu, responsable ? Si je suis un simple soldat, ce n’est pas à moi de gagner la bataille et encore moins la guerre. Si je suis un simple fidèle, ce n’est pas à moi de sauver le monde. Le principe que cite Kant, fiat justitia pereat mundus, « périsse le monde plutôt qu’un principe », signifie que c’est à la providence d’arranger les conséquences de nos actes à l’échelle de l’histoire universelle, et non à nous. Ce n’est pas au simple fidèle de sauver le monde, il se confie pour cela à la providence. Ce n’est pas lui seul qui peut le sauver, ce n’est donc pas non plus lui qui peut le perdre par ses injustices. C’est pourquoi il peut s’en tenir à l’impératif catégorique. Faute de la prémisse théologique, le principe invoqué est totalement irrationnel, et par conséquent la rationalité en valeurs du pacifiste ou autres figures que Weber donne en exemple d’une éthique de la conviction suppose une foi dans une puissance providentielle qui fera tourner la bonne action dans le sens que sa sagesse toute-puissante a décidé, en dehors de nous.

En termes purement humains, on dira que le simple fantassin, dans une action collective, peut se passer d’une éthique de la responsabilité en ce qui concerne les buts ultimes d’une stratégie et se borner à exécuter les ordres donnés à condition de faire confiance à l’instance supérieure qui est censée, elle, avoir mesuré la portée des actions entreprises. Jusqu’à quel point est-il rationnel de faire confiance à l’état-major ou au gouvernement ou au comité central, cela est évidemment une affaire de circonstances.

Délibérer n’est pas négocier ni discuter

Odile Piriou et Pierre Lénel – Un troisième ordre d’interrogation porte sur le caractère plus autonome, spécifique de la délibération elle-même dans ce type de dispositif semblant favoriser une démocratie locale. Effectivement, dans certains dispositifs de délibération, nous sommes dans un espace relativement autonome où sont liés le raisonnement et l’action avec la multiplicité des acteurs qui sont censés finalement délibérer ensemble pour aboutir à un objectif. Cela peut être pour des citoyens d’être reconnus comme un acteur ès qualités dans des débats nationaux sur la question des risques industriels, des Ogm, etc.

Mais prolongeons cette réflexion par d’autres questions : y a-t-il des moyens de garantir la délibération ? Est-elle garantie par le contenu de ce qui est discuté ? Est-elle une affaire de design, c’est-à-dire attestée par l’architecture des dispositifs concertatifs ? La délibération dépend-elle de la qualité des débatteurs ? Du caractère raisonné de leur argument ? Ou encore est-elle fondée par les normes et les actions de régulation des débats ? Bref, par une espèce de forme et de connaissance communicationnelle ? Des observations indiquent aussi que la garantie de l’autonomie, du pouvoir, de la responsabilité et de l’implication en tant qu’acteur dans le processus délibératif se construit dans le processus même de jugement correctif des uns et des autres, engagés dans la concertation. C’est la possibilité de se corriger mutuellement qui garantit le processus délibératif, un processus qui se construit pas à pas. Par exemple, l’engagement des citoyens dans une délibération sur le risque industriel a des conséquences très fortes pour eux2. Cela peut être l’expropriation ou le départ, avec l’obligation de vendre leur maison à des prix extrêmement réduits. Les citoyens délibèrent parce qu’ils se sentent concernés. Ils sont dans une raison pratique car cela affecte leur vie et pas seulement d’un point de vue économique. La délibération d’un point de vue pratique ne doit-elle pas être réinscrite dans une trajectoire familiale, une histoire personnelle, un écheveau relationnel ?

Vincent Descombes – Vous dites : « démocratie participative ». Mais à quoi s’agit-il de participer ? D’abord, je me garderai pour ma part de confondre négociation et délibération. La négociation, ce n’est pas de la délibération. La négociation, telle que je la comprends, suppose une situation dans laquelle nous trouvons plusieurs parties intéressées, plusieurs agents qui ont chacun des intérêts propres. Ces agents sont indépendants les uns des autres. Entre leurs intérêts, il y a des disparités, voire des conflits. Maintenant, le contexte fait qu’il faut un accord entre ces agents indépendants, et l’accord de type négocié veut dire que plusieurs décideurs décident conjointement de définir une position commune. Ce qui définit la négociation lorsqu’elle aboutit à un résultat (toujours un compromis), c’est donc qu’il y a conjonction de plusieurs décisions… Si une négociation n’est pas une délibération, c’est parce que nous délibérerons en vue d’arriver à une décision qui sera notre décision. Pour qu’on puisse parler d’une délibération qui aboutit à un résultat, il faut qu’il y ait, au final, une seule décision.

Plaçons-nous, pour préciser les choses, sur le terrain politique. Supposons que deux partis politiques désirent s’allier à l’occasion des prochaines élections. Pour ce faire, ils vont négocier les termes de leur alliance, ce qui veut dire qu’ils restent indépendants. Si les deux partis font finalement cette alliance électorale, il faut que chaque parti l’ait décidé conjointement à l’autre. En revanche, chacun de ces partis a dû délibérer pour prendre sa décision de s’allier avec l’autre parti.

La question devient alors celle d’un pouvoir de décision collective. Vous demandez : comment garantir que la délibération soit à la fois collective et capable de former des jugements correctifs ? Autrement dit, comment concevoir une démocratie délibérative ? Il n’y a pas, bien sûr, de formule garantissant le caractère démocratique ou le caractère responsable de la délibération, mais on peut répondre que, d’une manière ou d’une autre, il faut que les gens qui prennent les décisions soient ceux-là mêmes qui en subissent les conséquences, bonnes ou mauvaises. La meilleure façon qu’on ait trouvé d’assurer au mieux cette coïncidence est de s’assurer que ce soit bien les gens concernés qui soient intéressés à prendre une bonne décision, et qu’ils soient bien conscients qu’ils ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils ont pris une mauvaise décision.

Par conséquent, la notion d’une démocratie délibérative ne doit pas être étendue de manière à inclure n’importe quel processus de discussion ou de négociation. Il ne peut y avoir de démocratie délibérative qu’entre les gens qui ont conscience d’avoir un destin commun : et s’ils ont le pouvoir d’en décider, alors ils savent qu’ils ne peuvent se décharger sur d’autres, y compris sur des experts, de leur responsabilité.

Odile Piriou et Pierre Lénel – Dans quelle mesure peut-on se passer d’intégrer la question du pouvoir et de l’asymétrie des acteurs qui s’engagent dans un raisonnement pratique et qui serait au cœur de la délibération telle que vous la définissez ? L’espace d’une délibération pratique, « pondérée » selon vos propres termes, n’est pas un espace de délibération utopique, à la Habermas, qui ne relèverait que de la discussion.

Vincent Descombes – J’en viens donc à Habermas. Aujourd’hui, bien des philosophes parlent de restaurer une raison pratique. Habermas lui aussi cherche à dépasser la division wébérienne et à réunir nos conceptions partielles du rationnel en matière pratique. Il fait appel pour cela à l’idée d’un espace public dans lequel peut se tenir une libre discussion sur les enjeux du jour. Mais si nous disons délibération, nous visons une argumentation qui peut être collective, mais qui n’est ni une négociation, comme nous venons de le voir, ni non plus une discussion. Il est facile de dire pourquoi en considérant ce qu’on appelle « l’éthique de la discussion ». Ce terme nous renvoie à une théorie bien connue aujourd’hui, théorie empruntée explicitement à la philosophie pragmatiste américaine, et qu’on présente comme un moyen de dépasser les philosophies monologiques de la conscience. Karl-Otto Apel a fourni aux philosophes allemands le moyen de faire du kantisme au-delà des limites monologiques du kantisme. Il a montré comment poser, à la manière kantienne, la question des conditions de possibilité de la science et du jugement moral, non plus à l’échelle d’un individu raisonnant pour lui-même, comme s’il pouvait être rationnel tout seul, mais à l’échelle d’une communauté. Le modèle de cette communauté est la « communauté des enquêteurs », la communauté scientifique qui devient donc le sujet de la science. Ce sont ces enquêteurs qui discutent ensemble, échangent entre eux des résultats, des conjectures et des réfutations. Il s’ensuit que l’espace d’une telle rationalité de la discussion est celui d’une rationalité théorique. Plusieurs conséquences en découlent. J’en mentionne deux.

Première conséquence : nous avons tout notre temps, nous n’avons pas à saisir le kairos, nous n’avons pas à craindre de manquer l’occasion d’intervenir. Sans doute, on peut imaginer que des scientifiques soient très désireux d’arriver à des conclusions ou très pressés de publier leurs résultats. Mais, même s’ils sont pressés, c’est pourtant à une enquête indéfinie qu’ils participent. D’ailleurs, on connaît le grand principe pragmatiste qui gouverne cette communauté : il est interdit de déclarer que l’enquête est terminée, ce serait le dogmatisme, au sens péjoratif. Ainsi, cette éthique est en réalité celle de la recherche théorique. Elle est fondée sur l’idée que le monde est infini. L’enquête, puisqu’elle dit être empirique, est illimitée. Il s’agit ici de faire preuve d’une sorte de respect à l’égard de ce qui existe. On n’en finira jamais d’explorer le monde et d’en découvrir de nouveaux aspects, toute une richesse que nous n’aurions jamais pu imaginer par une spéculation a priori. Comme on voit, l’éthique de la discussion est une belle idée, mais c’est l’idée d’une communauté d’esprits qui n’ont pas à faire face à des urgences ou à déplorer des occasions manquées.

Seconde conséquence : la discussion entre savants s’organise d’elle-même. Le but ultime est le consensus universel, car la seule version définitive d’une science des choses serait celle qui mettrait d’accord tous les savants. Mais qui est un savant ? En fait, cela se juge au cours de la discussion elle-même. Par conséquent, tout le monde a la parole, quiconque a une objection intéressante est le bienvenu, c’est-à-dire que tous ceux qui jugent avoir quelque chose à dire ont le droit de le dire, à charge pour eux de se soumettre à la critique rationnelle des autres. Soit une discussion. Il peut y avoir un président de séance, mais en fait les participants à la discussion se jugent les uns les autres, de telle sorte que les farfelus, les obscurantistes sont rapidement éliminés. On ne les écoute pas, on ne s’intéresse pas à ce qu’ils disent… L’éthique exige que chacun réponde aux objections ou qu’il corrige sa thèse, mais encore faut-il que les objections soient constructives. Plus les choses fonctionnent ainsi, plus nous sommes dans un processus collectif d’échange de raisons qui correspond à cet idéal de la discussion. La délibération collective ou personnelle ne peut se dérouler de cette façon. Elle suit une temporalité différente. Il peut se révéler urgent de prendre une décision. Celle-ci ne peut pas attendre la fin du monde. C’est maintenant qu’une décision doit être prise, car demain il sera trop tard. Dans un tel cas, si l’on ne prend pas maintenant cette décision, c’est qu’on décide de ne pas décider, ce qui est encore une décision pratique dont on portera la responsabilité, car on est tout autant responsable de ses inactions que de ses actions.

On dira peut-être : si les choses se passaient idéalement dans une assemblée délibérante, les participants pourraient s’organiser selon l’éthique de la discussion, parce qu’ils l’auraient complètement intériorisée. Les participants s’exprimeraient sous le contrôle rationnel les uns des autres. On peut en effet rêver d’une telle autogestion. Mais, d’abord, dans la réalité, les choses ne se passent pas ainsi. Les meilleures procédures peuvent être détournées, comme dans les assemblées générales de l’Unef de ma jeunesse, avec les sectes trotskistes qui contrôlaient en coulisse les ordres du jour, les prises de parole, l’heure des votes… Ensuite, à l’inverse des comités spontanés de mai 1968, tout le monde n’est pas le bienvenu dans la délibération. Dans le cas d’une délibération individuelle, c’est pour agir lui-même que l’individu raisonne : il s’agit de son action, de ses buts, de lui-même. Il en va de même dans le cas de la délibération collective : pour qu’on puisse parler d’une telle délibération, il faut qu’il y ait un groupe capable d’avoir des raisons d’agir et de se déterminer en fonction de ces raisons. Tous ceux qui sont concernés par ce qui résultera de la décision à prendre devraient pouvoir avoir un moyen de se faire entendre, mais par définition, ceux qui ne sont pas concernés n’ont pas à participer à la discussion, à moins d’être invités à le faire au titre de leur autorité d’experts ou de sages et dans les limites de cette autorité.

J’en conclus qu’il vient vite un moment où la démocratie locale dont vous parlez rencontre sa limite. Qui est concerné et qui ne l’est pas ? Peut-on définir le territoire local des personnes concernées par les décisions comme celles que vous évoquez, construction d’un barrage ou d’une centrale nucléaire, introduction d’une culture d’Ogm ? Et qui va le définir ? Peut-on fixer cela localement ? Si ce n’est pas possible, ce qu’on appelle « démocratie locale » sera tout autre chose qu’une délibération menant à une décision, ce sera le nom donné à une simple consultation, en fait à une campagne d’opinion ou de sensibilisation des populations, la décision se prenant ailleurs. Les citoyens consultés auront pu faire connaître leurs préférences, mais ils n’auront pas délibéré, ils n’auront pas eu à assumer leur propre décision, ils n’auront pas agi en citoyens.

  • *.

    Vincent Descombes est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Centre de recherches politiques Raymond Aron, auteur du Raisonnement de l’ours. Et autres essais de philosophie pratique, Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2007 et Philosophie du jugement politique, Paris, Le Seuil, coll. « Points essais », 2008. Une première version de ce texte a fait l’objet d’une présentation dans un séminaire de recherche du laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise), du Cnrs-Cnam, organisé par Odile Piriou (maître de conférences à l’université de Reims, Iut Châlons-en-Champagne, membre du laboratoire d’étude et de recherche sur les professionnalisations, membre associée au Lise-Cnrs-Cnam) et Pierre Lénel (chercheur au Lise) avec la participation de Thomas Béraud (doctorant au centre d’études sociologiques de la Sorbonne). Odile Piriou et Pierre Lénel font paraître les États de la démocratie. La démocratie au-delà de son utopie, Paris, Hermann, mars 2011.

  • 1.

    Max Weber, le Savant et le politique, trad. J. Freund, Paris, Plon, 1959, rééd. 10/18, 2002.

  • 2.

    O. Piriou et P. Lénel, « La concertation. La conférence riveraine de Feyzin : conception et mise en place », Cahiers de la sécurité industrielle, Icsi, 2010-04 ; id., « La concertation. La conférence riveraine de Feyzin : un modèle pratique de démocratie participative », Cahiers de la sécurité industrielle, Icsi, 2010-11.

Vincent Descombes

Agrégé et docteur en philosophie, directeur d'études à l'EHESS et membre associé de l'Institut Jean-Nicod, il est spécialiste de philosophie de l'esprit, de philosophie du langage et de philosophie de l'action. Il a reçu en 2005 le Grand prix de philosophie de l'Académie française. Il a publié de nombreux ouvrages dont Le Même et l'Autre. Quarante-cinq ans de philosophie française (Editions de…

Dans le même numéro

Avancées et reculs démocratiques

L'onde de choc du monde arabe

La France dans l'attente de l'échéance présidentielle

Le chantier de la citoyenneté urbaine et la dynamique métropolitaine

Le long terme, les choix du présent et les droits de l'avenir

Expertise et décision politique