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Dans le même numéro

Besoin d'Allemagne

mai 2008

#Divers

La relation franco-allemande est aujourd’hui au plus mal. Les hésitations de début de mandat et la nécessité pour le nouveau président français de découvrir nos partenaires et de mieux s’initier à la diplomatie n’expliquent pas tout. Les divergences vont en effet sans doute au-delà de cette inexpérience et concernent plus profondément l’histoire de notre pays et, plus largement, de l’Europe tout entière.

Le président de la République ou certains de ses conseillers, en premier lieu Henri Guaino d’après certaines sources autorisées, martèlent à l’envi, tout à leur tropisme anglo-saxon partagé peu ou prou par une large fraction de nos élites, que l’Europe a besoin d’un rééquilibrage, que l’Union européenne ne saurait fonctionner sur le seul couple franco-allemand. Et d’aucuns trouvent dans la récente visite officielle en Grande-Bretagne (26-27 mars 2008) l’occasion de célébrer « l’Entente cordiale » et la relation spéciale qui a toujours uni la Grande-Bretagne et la France. Et l’Associated Press de citer, dans une dépêche datée du 25 mars, les propos d’un proche du chef de l’État : « En Europe, vous trouverez difficilement une relation plus forte et plus longue. » Voire !

Une alternative outre-Manche ?

Les deux guerres mondiales et le halo de mémoire qui les entourent ont singulièrement embelli le souvenir de relations qui ne furent rien moins que simples entre des alliés de circonstances qui ne s’aimaient guère. Les Britanniques n’entrèrent pas en guerre en 1914 pour venir au secours de la France agressée mais plus prosaïquement pour empêcher l’Allemagne impériale de s’emparer d’Anvers et du potentiel industriel belge.

De même, l’entre-deux-guerres fut marquée par une constante rivalité, tant en Europe qu’au Proche-Orient, entre la France et la Grande-Bretagne. Et encore pendant la Seconde Guerre mondiale, même si sans le soutien de Churchill et le courage admirable des Britanniques la France libre n’aurait jamais pu imposer sa voix, il n’en demeure pas moins que les rapports entre De Gaulle et le Premier ministre britannique furent toujours ombrageux, à tel point que le chef du gouvernement provisoire ne fut pas mis au courant de la date du débarquement. Et après-guerre, la Grande-Bretagne s’employa à faire cavalier seul avant de forcer, par l’intermédiaire d’Edward Heath, qui fut sans doute le seul dirigeant britannique réellement européen, la porte de la Cee en 1973.

Et depuis me direz-vous ? Mme Thatcher martelait à longueur de sommets européens I want my money back. Et Tony Blair, dont l’intelligence et la remarquable habileté à se faire passer pour ce qu’il n’était pas – en l’espèce un fervent Européen – ont pu laisser croire qu’il aurait un rôle inspirateur en Europe jusqu’à cette fameuse guerre d’Irak où il n’a pas craint de s’appuyer sur Berlusconi, Aznar ou les frères Kaczynski afin de mieux isoler les positions de la France et de l’Allemagne… au risque de faire voler en éclats tout l’édifice européen. Mais qu’importe, ne vante-t-on pas d’ordinaire le pragmatisme anglo-saxon ?

Enfin, ceux qui se laissent aller aux mirages de la City comme d’autres s’abandonnent à la tentation de Venise, devraient songer que la Grande-Bretagne est pour nous un partenaire économique important certes, mais secondaire, très loin derrière l’Allemagne, notre premier partenaire économique depuis un demi-siècle.

Un cavalier seul français ?

Les motifs de fâcheries pour Berlin ne manquent pas. Outre les attaques contre la Bce, qui ne sont pas sans faire penser aux bonnes vieilles recettes du laxisme monétaire qu’on pratiquait à l’envi sous la IVe République, outre le style de M. Sarkozy, le projet euro-Méditerranée ne laisse pas d’inquiéter outre-Rhin.

Dans l’esprit de ses concepteurs, il s’agit sans doute de trouver un pis-aller au supposé déclin de l’influence française dans le monde ! En d’autres temps, Bismarck avait su également encourager Ferry à se lancer dans « l’aventure » coloniale… avec les brillants résultats que l’on sait ! Quid de l’héritage européen des devanciers de M. Sarkozy à l’Élysée ? On ne sait.

De même, la façon dont a été célébré le décès de Lazare Ponticelli a surtout été l’occasion d’une commémoration franco-française, évoquant à raison l’abnégation de ses fils et la force intégratrice de la République. Néanmoins, et fort curieusement, pas un mot sur les dernières déclarations de Lazare Ponticelli lui-même, tant à la presse que dans un documentaire. Ces mots si forts sur l’absurdité de cette guerre, sur ses frères de misère, les soldats allemands, qui avaient vécu les mêmes souffrances que leurs adversaires français… Cette souffrance qui explique, loin des évidences toutes faites, des idées reçues, des mythes et des mensonges de la propagande, fabriqués pour galvaniser « l’Arrière », que des anciens combattants français et allemands, ramenés sur le champ de bataille de Verdun cinquante ans après, aient fini par tomber dans les bras les uns des autres…

Rien de tout cela, rien sur cette haine absurde entre deux peuples qui a rendu possible le massacre, rien, si ce n’est une captation aveugle du passé au nom de je ne sais trop quelle gloriole mal placée.

Des hommes qui avaient connu la guerre, le général De Gaulle et Konrad Adenauer, François Mitterrand et Helmut Kohl avaient su tirer les leçons de celle-ci en laissant aux générations actuelles ce bien merveilleux qu’est l’entente franco-allemande.

M. Sarkozy, lui, semble vouloir tourner le dos au Rhin ! L’Allemagne n’est pas au cœur de ses préoccupations et sa vision de l’histoire de France, ou celle de ses conseillers, n’a, semble-t-il, aucune leçon à tirer du passé !

Mais qu’on y songe bien, si notre pays peut encore croire en son avenir, cet avenir sera européen. Et de la même façon que tout ce qui s’est fait de positif en Europe depuis 1945 a souvent été le fait de la coopération et de la volonté franco-allemandes – la Communauté économique du charbon et de l’acier dès 1951, la Cee en 1957, l’Eurocorps ou encore la création de l’euro – eh bien, si l’Europe doit à nouveau avancer, le partenariat franco-allemand reste plus indispensable que jamais.

  • 1.

    Agrégé d’histoire.