Jean Bastaire
Chamalières 1927-Meylan 2013
Né en 1927, Jean Bastaire a grandi dans l’odeur d’encre et de papier de l’atelier de ses parents, artisans imprimeurs à Chamalières (Puy-de-Dôme). Collectionneur, anthologiste, critique, essayiste, poète, son œuvre publiée (et régulièrement traduite) compte plus de cinquante titres. L’engagement du chrétien sur le terrain d’une critique politique et morale de la modernité capitaliste y est mené de front avec l’introspection, le recueillement, prière ou psaume, puisés parfois dans la nuit de l’âme. Volontairement à l’écart, presque isolé à Meylan (Isère) où il meurt à l’âge de 86 ans, il a construit un corpus à plusieurs voix, fruit de nombreuses collaborations et amitiés. Il y apparaît fidèle à ses lectures d’enfant, d’adolescent mystique et d’adulte converti. Guidé par ses "maîtres", Péguy et Claudel, inspiré par son épouse, il a formalisé les principes théologiques d’une écologie chrétienne.
Issu d’un milieu populaire, laïc et républicain, Jean Bastaire a connu une enfance heureuse nourrie par l’affection de ses parents, la richesse de ses lectures (Les lectures englouties, 2008) et les vacances d’été passées à la ferme au cœur des Combrailles. Dès l’adolescence, il se met en quête de sens et de spiritualité en explorant les philosophies orientales ; il est alors fortement influencé par les écrits de Romain Rolland. Atteint par la tuberculose pendant son service militaire en 1948, c’est dans le sanatorium où il est soigné qu’il rencontre les deux médiateurs de sa conversion au catholicisme : l’Abbé Ducretet, qui lui fait découvrir le visage d’une religion incarnée, et son médecin, Hélène Périchon, avec laquelle il se marie en 1950. Au travers des lectures qu’ils lui proposent, Jean Bastaire s’initie à un catholicisme de l’action ; il découvre la revue Témoignage chrétien, les écrits du père Henri De Lubac et l’œuvre de Charles Péguy : "le dieu de Péguy m’a introduit à une nouvelle vie".
A la suite de ses études universitaires (il choisit de devenir professeur d’italien), Jean Bastaire prolonge sa formation intellectuelle et spirituelle. Cette période est ponctuée par plusieurs rencontres qui influencent durablement sa vie et son œuvre : proche de Pierre Ganne et de Henri de Lubac (avec lequel il publiera Claudel et Péguy, 1974), il est fortement marqué par l’immense culture de ces deux jésuites qui allient l’exigence spirituelle à la liberté d’action. Le début de sa collaboration avec Esprit (Hommage à E. Mounier, 1950) concrétise son engagement chrétien par l’écriture et l’intervention dans le débat littéraire, religieux et politique.
Dans le sillage d’Emmanuel Mounier, dont il dira qu’il a été pour lui un "éducateur, un conseiller politique et un conseiller spirituel", accueilli par Albert Béguin avec lequel il correspond régulièrement et dans lequel il reconnaît son parcours de converti issu d’un milieu socialiste et laïc, le jeune professeur et publiciste se forme au contact des collaborateurs de la revue. Jean-Marie Domenach, nouveau directeur, l’associe au travail de modernisation de la revue et du mouvement Esprit. A ce titre, il participe à la rencontre de Draveil, puis au comité d’orientation de la revue. La collaboration de Jean Bastaire prendra principalement la forme d’interventions dans le journal à plusieurs voix et de compte-rendus critiques. Il s’implique particulièrement au moment de la guerre d’Algérie (Du bon usage de la honte, 1957). Au fil des ses contributions se révèle aussi sa fascination pour le cinéma et son attachement à la culture populaire. Cette expérience au sein de la revue sera fondatrice pour son travail d’essayiste et chroniqueur puis de directeur de publication du Bulletin de l’Amitié Charles Péguy (1978-1997). Par ailleurs, Jean Bastaire publie des études littéraires remarquées (Alain-Fournier ou la tentation de l’enfance, 1964) et collabore régulièrement à la Nouvelle Revue Française. En 1975, il est un spécialiste reconnu de Charles Péguy (Péguy tel qu’on l’ignore, 1973 ; Péguy l’insurgé, couronné par l’Académie française en 1975) dont il produit une relecture inédite du point de vue historique et spirituel.
Il réduit peu à peu son activité de journaliste et chroniqueur pour écrire plusieurs textes dramatiques (Madame de Clèves, 1980) et publier les apophtegmes qu’il extrait de ses carnets (Court traité d’innocence, 1951-1976 ; Le matin de l’éternité, 1977-1983).
Au milieu des années 1980, il connaît une grave dépression pendant laquelle il rédige les notes à partir desquelles il construira ses futurs recueils de poèmes et aphorismes (Psaumes de la nuit et de l’aurore, 1996 ; Passage par l’abîme, 1998). En 1992, après le décès de son épouse, militante de la protection animale, il publie sous la double signature d’Hélène et Jean Bastaire de nombreux essais théologiques affirmant le lien de charité qui unit la création et les créatures (Pour une écologie chrétienne, 2004 ; La terre de gloire : essai d’écologie parousiaque, 2010 ; Apologie des noces, 2011).
"En toutes choses, croire au printemps"
D’Alain-Fournier et de Péguy, des exégèses bibliques de Claudel, de l’étude des Pères de l’Eglise et des poètes chrétiens du XVIIe siècle, Jean Bastaire a extrait la matière d’une œuvre multiple, cohérente par ses thèmes : la fidélité, la chair, la résurrection. Il est l’auteur sensible d’un chant pascal célébrant le salut de toutes choses.
Ses archives, riche de nombreuses correspondances (R. Bresson, A. Cuny, J.-M. Domenach, H. de Lubac, …) sont conservées, avec la collection de littérature populaire donnée en 2008, à la bibliothèque universitaire de Clermont-Ferrand.
Hélène Veilhan
Frédéric Lazuech