Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Tous les portraits

Jean Lacroix


(1900-1986)


Issu de la bourgeoisie catholique lyonnaise, Jean Lacroix est étudiant en droit et en lettres aux Facultés catholiques, puis en philosophie à Grenoble avec Jacques Chevalier et à la Sorbonne avec Brunschvicg. Agrégé en 1927, il enseigne en divers lycées, dont celui de Dijon, puis à Lyon en khâgne au lycée du Parc de 1937 à 1968.


Formé dans un catholicisme conservateur, Lacroix a été initié à la démarche blondélienne par le théologien jésuite Albert Valensin, a connu Laberthonnière ; il a fréquenté la Chronique sociale à Lyon, le « groupe de travail en commun » de Jacques Chevalier et la Société lyonnaise de philosophie de Victor Carlhian. La rencontre de Mounier en 1928 lui fait découvrir un style d’engagement à la fois spirituel, intellectuel et politique. Il est désormais l’ami et le compagnon constamment fi dèle de son cadet, dans la vie de la revue et celle du mouvement. Il a créé à Dijon un groupe Esprit vivant, avec des étudiants et de jeunes socialistes, puis a repris et développé celui de Lyon. Sa solidarité avec Mounier ne l’empêche pas de conserver de bons rapports avec ses amis démocrates chrétiens (il écrit dans leur revue Politique), tout en critiquant vertement certaines de leurs positions, et avec les catholiques sociaux de la Chronique sociale, aînés (Joseph Vialatoux, le colonel André Roullet) ou plus jeunes (Joseph Folliet). Aux Semaines sociales, il connaît en 1936, 1937 et 1939 un vrai succès.


Le personnalisme n’est pas pour lui une philosophie, encore moins une idéologie, mais une inspiration qui guide son travail de philosophe : « transformer l’événement en expérience », en partant du vécu avec ses accidents pour l’analyser, comprendre l’homme et éclairer sa conduite. Le thème péguyste de l’incarnation, lien vital du spirituel et du charnel, est un axe de cette pensée, sévère pour les spiritualismes d’évasion et attentive aux médiations. Il réfléchit sur le droit auquel il donne un grand rôle, sur l’économie – en dialogue avec François Perroux, ami très proche dont il sait supporter les foucades et les engagements hasardeux – et sur la politique, en joignant le recul de la réflexion et le contact avec l’expérience des militants. Avec son goût des formules à l’emporte-pièce et des paradoxes, maniés souvent avec un humour pédagogique pour provoquer le débat, c’est un interlocuteur pittoresque autant qu’un homme ouvert et disponible. Il consacre alors le meilleur de son temps à son enseignement, qu’il mène avec effi cacité ; avec Hours, il contribue à faire de la khâgne de Lyon la meilleure en province et un foyer de rayonnement pour le courant personnaliste.


Il a exposé dans un premier livre ce qu’il a appris de ses trois mentors, Alain, Péguy et Proudhon : refuser le confort intellectuel du « spiritualisme exsangue », se défendre des pouvoirs en combattant tout comportement de puissance, y compris sur le plan religieux. Lacroix, fi dèle pratiquant du catholicisme, dénonce l’appétit pervers de puissance que le prosélytisme greffe sur la mystique, ce qui fausse les relations de trop de chrétiens avec les incroyants justement attachés au respect de leur autonomie. Mounier présente cette analyse d’un itinéraire « de l’individualisme au personnalisme » comme un « livre capital pour permettre à toute la lignée proudhonienne et démocrate du personnalisme de se trouver ».


Face à Munich, il est de ceux qui réagissent avec indignation et vigueur. À Lyon, il propose, avec Victor Carlhian, à l’aile gauche de la Chronique sociale (Roullet, Vialatoux) une protestation contre l’attitude du journal conservateur catholique Le Nouvelliste. Il est un des collaborateurs les plus réguliers du Voltigeur dont il écrit l’éditorial ou un article de fond dans un numéro sur deux pour définir la position de l’équipe  face aux développements de la situation intérieure et extérieure. Il résume alors l’état de sa réflexion politique dans un livre-programme écrit avec plusieurs démocrates chrétiens. La tâche préalable, pour faire face au péril, est pour lui de « refaire la communauté nationale » fondée sur le lien civique de l’« amitié », en combattant les « réalistes » qui ne connaissent que l’intérêt national comme les « idéologues » en butte au vertige totalitaire. L’unité de la communauté implique une mystique commune. Elle ne peut être chrétienne, notre histoire l’interdit, mais ce peut être une mystique de la liberté, liberté des personnes qui s’incarnerait dans la « démocratie personnaliste » inspirée par un « humanisme ouvert », seule réponse valable aux totalitarismes.


La mobilisation de 1939, dans la troupe dont Lacroix partage « la misère », est pour cet intellectuel quadragénaire, inapte aux travaux manuels les plus modestes, une rude épreuve qui lui donne à penser. Après l’armistice, il est spontanément en accord avec Mounier, contre ses amis démocrates chrétiens, pour tenter de faire valoir leurs positions sous le nouveau régime. Les rapports entre les deux amis sont éclairés par le récit que fera Lacroix de leur première invitation à l’École d’Uriage en novembre. Recevant la dépêche de l’abbé de Naurois qui lui demandait de venir aux journées d’étude, il a eu d’abord une réaction de refus, et s’est précipité chez Mounier : « Il avait reçu la même qu’il me montra en me disant simplement : “On y va !” Comme je protestais, il ajouta : “C’est pourtant bien simple. En arrivant nous demanderons la liberté complète de parole. Si on nous la refuse, nous partirons ; si on nous l’accorde, nous dirons tout ce que nous avons à dire.” On y alla et nous dîmes tout ce que nous avions à dire. »
Et d’ajouter :
« C’est dans ces mois douloureux que je crois avoir le mieux compris et admiré Emmanuel Mounier. Ce que j’ai achevé de découvrir en lui, c’est une étonnante légèreté, si l’on entend par là le refus de toute pesanteur, le signe de l’entier détachement de soi. Si Mounier pouvait ainsi s’engager partout sans se compromettre nulle part, c’est qu’il ne portait guère le souci de sa propre personne. Il avait la certitude intime qu’il témoignerait de ce qui l’habitait, quelles que fussent les circonstances et à quelque péril que cela pût l’exposer. [...] Sa présence ne pouvait jamais servir de caution parce qu’elle conserverait toujours l’absolue pureté du témoignage. »


Le livre de Lacroix, Vocation personnelle ou tradition nationale (tentative pour dépasser l’opposition entre le traditionalisme et les philosophies de la conscience), est alors terminé, Mounier l’a remis à Gallimard pour la nouvelle collection Esprit. Sans nouvelles de l’éditeur, Lacroix le fera publier par Bloud et Gay en 1942, en même temps qu’un autre par Fumet à Lyon. Restant après l’éviction de Mounier un conférencier régulier d’Uriage, il y parle entre autres de la Personne, de Péguy et de Marx.


À Lyon il continuera à animer, le plus souvent chez lui, jusqu’au moment où il devra se cacher au printemps 1944, les réunions d’échanges entre philosophes et autres intellectuels. Joseph Hours en est régulièrement et plus tard Henri Marrou et André Mandouze, parfois Stanislas Fumet, Gabriel Madinier ou Joseph Folliet, ainsi que le pasteur Roland de Pury et les jésuites Lucien Fraisse, André Desqueyrat et François Russo. Comme Hours, il aura été un penseur de la résistance, un conseil et un guide pour ceux qui s’y engageaient, surtout les jeunes, en même temps qu’un homme public répandu, dans l’Université comme dans les milieux chrétiens et dans des lieux plus officiels comme les Chantiers de la Jeunesse.


Bernard Comte

 

Des mêmes auteurs

Jean Lacroix

Le démocrate c'est l'homme du droit

Jean Lacroix

« Esprit » selon Pierre de Senarclens

Jean Lacroix

Jean-Jacques Lentz : De l'Amérique et de la Russie

Jean Lacroix

Personnalisme, marxisme, anarchisme

Jean Lacroix

Joseph Vialatoux

Jean Lacroix

Destin du catholicisme français

Jean Lacroix

Critiques nécessaires et tâches positives

Jean Lacroix

Un défi total

Jean Lacroix

Éloge du positivisme

Jean Lacroix

Traditionalisme et Nationalisme

Jean Lacroix

La mission de France

Jean Lacroix

Le droit

Jean Lacroix

Sens et valeur de l'athéisme actuel

Jean Lacroix

L'Eglise et la Mission

Jean Lacroix

Nonciature et diplomatie

Jean Lacroix

Joseph Vialatoux : Signification humaine du Travail

Jean Lacroix

Intégrisme et Liberté

Jean Lacroix

La promotion des masses

Jean Lacroix

Conscience religieuse et conscience politique

Jean Lacroix

Paul-Louis Landsberg

Jean Lacroix

Vers une Civilisation du Travail : l'adulte des milieux ouvriers

Jean Lacroix

Le mythe Pétain (suite)

Vialatoux Joseph, Jean Lacroix

Le mythe Pétain

Jean Lacroix

Georges Friedmann : Où va le travail humain ?

Jean Lacroix

Prolétariat et philosophie

Jean Lacroix

Maxime Leroy : Histoire des Idées sociales en France, t. II, De Babeuf à Tocqueville

Jean Lacroix

Faire la paix

Jean Lacroix

Le réformisme actuel dans l''Église catholique

Jean Lacroix

Mounier éducateur

Jean Lacroix

Emmanuel Mounier : Feu la Chrétienté

Jean Lacroix

Francis Jeanson : Signification Humaine du Rire

Jean Lacroix

Labourdette, Nicolas, Bruckberger : Dialogue Théologique

Jacques-René Rabier, Jean Lacroix

Henri Bartoli. La Doctrine économique et sociale de Karl Marx

Jean Lacroix

L'Église et l'État en Pologne

Jean Lacroix

L'armée et la politique

Jean Lacroix

Politique et religion

Jean Lacroix

A Beigbeder, sur le théatre de Gabriel Marcel

Jean Lacroix

Blondel et nous

Jean Lacroix

Refaire la République

Jean Lacroix

Marx et Proudhon

Jean Lacroix

La troisième force

Jean Lacroix

L'homme engagé : délivrance de l'homme

Jean Lacroix

Plaidoyer pour la colère

Jean Lacroix

Pierre Klossowski : Sade, mon prochain

Jean Lacroix

Paternité et démocratie

Jean Lacroix

L'homme engagé. Emmanuel Mounier: Traité du Caractère

Jean Lacroix

La Crise de l'Université

Jean Lacroix

La Cité : Déclaration des droits individuels et sociaux

Jean Lacroix

De la Démocratie libérale à la Démocratie massive

Jean Lacroix

L'homme engagé: les livres

Jean Lacroix

Témoignage et efficacité

Jean Lacroix

La Cité: Union ou Unité ?

Jean Lacroix

Les Catholiques et la Politique

Jean Lacroix

Leur réalisme et le nôtre

Jean Lacroix

Socialisme humaniste ?

Jean Lacroix

La pensée engagée: dictature des intellectuels ? Gabriel Marcel: Homo Viator

Jean Lacroix

La pensée engagée: Dictature des intellectuels ? Henri De Lubac : Le drame de l'Humanisme Athée

Jean Lacroix

Charité chrétienne et justice politique

Jean Lacroix

La Cité : l'esprit du mois : Le discours de Maurice Thorez. Intention et plan en politique

Jean Lacroix

La politique et la nation

Jean Lacroix

Les livres : Maurice Nedoncelle : La Réciprocité des Consciences. La Personne humaine et la Nature

Jean Lacroix

Dépassement du Communisme

Jean Lacroix

La Cité. Journal des Témoins : la voix des prisonniers (1)

Jean Lacroix

Note sur la duplicité

Jean Lacroix

Cléricalisme et anticléricalisme

Jean Lacroix

La Pensée engagée : Ch. Baudouin : Découverte de la personne

Jean Lacroix

La Pensée engagée : Henri Bergson

Jean Lacroix

Nation et Révolution

Jean Lacroix

L'intellectuel aux armées

Jean Lacroix

FORCE, DROIT, CHARITÉ

Jean Lacroix

Le droit. Umberto Campagnolo : Nations et Droit

Jean Lacroix

La pensée engagée. Maurice Blondel : Lutte pour la civilisation et philosophie de la paix

Jean Lacroix

LA CITÉ. ÉCHOS DE MUNICH. Bernard Lavergne : MUNICH, DÉFAITE DES DÉMOCRATIES

Jean Lacroix

La Cité. R. P. Fessard : épreuve de force

Jean Lacroix

Partis et confessions

Jean Lacroix

La pensée engagée. R. P. Fessard : La Méthode de réflexion de Maire de Biran Cahiers de la Nouvelle

Jean Lacroix

Chroniques d'une méthode de penser

Jean Lacroix

La Cité. Journal des Témoins : L'inaccetable dilemme

Jean Lacroix

Situation de la France

Jean Lacroix, Paul-Louis Landsberg

Dialogue sur le mythe

Jean Lacroix

Les lettres : Henri Poulaille : « Pain de Soldat »

Jean Lacroix

Pour l'unité ouvrière par le pluralisme syndical

Jean Lacroix

La pensée engagée. Maurice Blondel : L'Être et les Êtres

Jean Lacroix

La Cité. Chronique syndicale: La question de la C. G. T.

Jean Lacroix

La Cité. Maxime Leroy : Introduction à l'Art de Gouverner

Jean Lacroix

La Cité : Gaston Fessard, S. J. : Pax Nostra

Jean Lacroix

La Cité : de la justice internationale

Jean Lacroix

Une réponse de M. Daniel-Rops

Jean Lacroix

La pensée engagée: Daniel-Rops : La misère et Nous

Jean Lacroix

Les livres. Gaëtan Pirou : Nouveaux aspects du corporatisme. Robert Aron: Dictature de la Liberté

Jean Lacroix

La pensée engagée: P. Etcheverry : L'idéalisme français contemporain

Jean Lacroix

Les arts : XXVIIe session des semaines sociales de France: l'organisation corporative

Jean Lacroix

La Cité : A-J. Faidherbe : La justice distributive

Jean Lacroix

La souveraineté du droit et la démocratie

Jean Lacroix

La Cité : Georges Gurvitch : L'expérience juridique et la philosophie pluraliste du droit

Jean Lacroix

Postface. L'art, instrument de communion

Jean Lacroix

La pensée. Jalons d'un renouveau philosophique

Jean Lacroix

Autour du Plan Henri de Man : De la Révolution nécessaire au Plan d'Henri de Man

Jean Lacroix

Chronique de la Cité. Situation du socialisme: révision du socialisme

Jean Lacroix

Le sens de l'évolution juridique moderne