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Tous les portraits

Marcel Reggui


Personnalité hors du commun, cet animateur culturel et politique exceptionnel a laissé peu d’écrits, à part quelques entretiens. La publication posthume de ses carnets de 1945-1946, où il décrit les massacres commis par les milices coloniales à Guelma à l’encontre des populations musulmanes en mai-juin 1945, permettra à ses lecteurs de découvrir une pensée attachante. Dans ces pages (voir les références en fin de texte), il analyse avec une grande hauteur de vue toute la société coloniale algérienne et il évoque avec une émotion pleine de pudeur l’assassinat de deux de ses frères et de son unique sœur. Il avait réussi à harmoniser ses racines arabes avec les cultures chrétiennes et républicaines.


Marcel Reggui est né à Guelma (Constantinois, Algérie) en 1905 ; ses parents étaient venus de Tunisie. Son père, très pieux et très droit, avait voulu que ses enfants fassent des études. Celles-ci le conduisirent à l’école normale de Tunis où il fit la connaissance de Jean Amrouche, issu d’une famille kabyle déjà convertie au catholicisme et qui lui fit découvrir la culture occidentale, sa littérature (Gide, Mauriac, Claudel, Dostoïevski) et le christianisme. Ce fut une révélation. Pour un jeune arabe issu de l’école primaire, faire des études supérieures était très difficile, mais il put les poursuivre à Grenoble et à Paris. Il rencontra Louis Massignon, qui lui fit connaître la profondeur de la pensée de l’Islam et qui fut son parrain quand Mahmoud Reggui se convertit au catholicisme et devint Marcel (1927). En 1928, grâce à Jacques Chevalier, il fit la connaissance d’Emmanuel Mounier. En 1932 il assista au lancement du premier numéro de la revue Esprit. Par la suite Marcel Reggui resta profondément attaché à sa foi catholique, mais aussi au socialisme. Esprit fut pour lui un lieu qui permettait d’introduire une pensée progressiste dans les milieux catholiques enseignants restés trop souvent conservateurs : les milieux catholiques avaient peur de la laïcité et « percevaient Esprit comme la chose la plus dangereuse qui puisse exister ».


En militant de base, il n’écrivait guère dans la revue, mais à ses débuts il la diffusait chez les étudiants et les enseignants, et par la suite il devint son « correspondant à Sfax » quand il y fut nommé professeur. En Tunisie il fut membre du parti socialiste tunisien. En 1937-1938 il fit venir Mounier, qui rencontra des syndicalistes français et tunisiens de la C.G.T. et le secrétaire du S.N.I., ainsi que le leader nationaliste tunisien Hedi Chakir assassiné ensuite. Après les massacres du Constantinois de mai-juin 1945 qui avait cruellement frappé sa famille, Marcel Reggui fit une enquête approfondie sur place pendant l’été et rédigea deux cahiers qu’il confia à Jean Amrouche. Ce sont ces cahiers que Pierre Amrouche a découvert dans les archives de son père au début des années 2000. Voir la présentation du livre qui en a été tiré, ici.


Marcel Reggui quitta la Tunisie en 1947 pour enseigner en France, d’abord à Aire-sur-Adour, puis à Orléans où il fut professeur de lettres dans le grand lycée technique Benjamin Franklin. Marcel Reggui a toujours été un animateur culturel et politique très actif. Dès 1954, il participa (comme conférencier) à la lutte anticoloniale et il fut l’un des fondateurs du PSU en 1961 (il en fut dix fois le candidat aux élections législatives). A Orléans, il créa de nombreuses activités dans le domaine culturel et on ne saurait toutes les énumérer : une association culturelle, l’APAC (Association Populaire d’Art et Culture) avec son ciné-club très actif et des cycles de conférences (avec comme invités historiques : Jean-Marie Domenach, Hubert Beuve-Méry, Louis Massignon, Olivier Mongin). Il organisait aussi des concerts (cet ami de l’historien et musicologue Henri Marrou/Davenson créa en 1968 les « Semaines musicales d’Orléans » avec Jean-Etienne Marie, théologien, compositeur, élève d’Olivier Messiaen), des manifestions théâtrales et des expositions de peintures. Pour le militant socialiste et chrétien qu’était Marcel Reggui, le militantisme culturel était fondamental : seule une tête bien faite peut s’ouvrir à la vie, et il pensait surtout aux jeunes. Lui-même pratiquait pour son propre compte ce « recyclage » culturel, intellectuel et spirituel permanent : il organisait les rencontres intenses de son « Groupe d’Études Humaines » qui de 1947 à 1996 apportait des informations de haut niveau et de première main sur toutes sortes de sujets : économiques, politiques, scientifiques, philosophiques, théologiques. Marcel Reggui nous a quitté en 1996. Ses carnets posthumes sont parus en 2006.

Marcel Reggui, "Comment j'ai connu Mounier", entretien avec Jean-Marie Domenach, Esprit, avril 1970.
Marcel Reggui, Les Massacres de Guelma. Algérie, mai 1945 : une enquête inédite sur la furie des milices coloniales. Préface de Jean-Pierre Peyroulou suivie de Un testament retrouvé, par Pierre Amrouche. Paris, La Découverte, 2006, 190p. Esprit en a rendu compte (janvier 2006).
Bernard Cassat : Marcel (Mahmoud) Reggui. Du Sujet au Citoyen. (1995, L'Editeur Félix, 9 rue de l'Abbé Bibault, 45650 Saint-Jean-Le-Blanc). Esprit en a rendu compte (janvier-février 1996).

Jean-Paul Louis