
SURVIVANCE DES LUCIOLES
Dans l’œuvre, reconnue mais discrète, de Georges Didi-Huberman, cet ouvrage, rendu possible par la lecture rétrospective de textes percutants de Pasolini, est l’occasion de bien saisir son mode de pensée et son appréciation d’un monde contemporain marqué par les flux d’informations et d’images. Tout d’abord, il décrit et analyse une « inversion » grâce à la notion de luciole qu’il emprunte à Dante : alors que l’unique Lumière est chez l’auteur de la Divine Comédie celle du Paradis, les lucioles sont des lumières plutôt mauvaises qui sont instrumentalisées par des « conseillers perfides ». Mais aujourd’hui, alors que la Grande Lumière est celle du Spectacle qui suit son cours télévisuel, il faut respecter les lucioles et considérer que les princes non perfides que nous devrions être doivent s’en préoccuper. De cela, il ressort que nous n’avons pas à céder à la grande rhétorique du déclin au nom de la critique de la Grande Lumière devenue Transparence obscure et immédiate (ce qui vaut pour Pasolini mais aussi pour Agamben… et peut-être pour Fellini). Il en ressort également une préférence avouée pour des pratiques artistiques comme la photographie qui sont les meilleurs moyens de créer des lucioles dans un monde qui a besoin de lumières discrètes pour renouer avec une expérience historique significative. Fort bien noué conceptuellement, cet ouvrage est très éclairant : « Nous ne vivons pas dans un monde, mais entre deux mondes au moins. Le premier est inondé de lumière, le second traversé de lueurs. Au centre de la lumière s’agitent ceux que l’on appelle aujourd’hui les quelques people sur lesquels nous regorgeons d’informations le plus souvent inutiles. Mais aux marges […] cheminent d’innombrables peuples-lucioles qui cherchent comme ils peuvent leur liberté de mouvement. » Et de donner l’exemple des images-lucioles de Laura Waddington dans les zones environnantes de Sangate où elle filmait des réfugiés.
O. M.