Introduction
Il y a un an, dans un contexte d’incertitude électorale, cette revue s’interrogeait sur l’avenir de la gauche. Depuis, le paysage politique français a été totalement bouleversé par une campagne riche en rebondissements, comme en enseignements. Cette séquence politique a été conclue par une série d’élections qui ont refermé un cycle politique en France. Les élections françaises ont surpris, en mettant un coup d’arrêt à une série de signaux profondément inquiétants parmi nos alliés historiques : le Brexit notamment, l’élection de Trump et la montée présentée comme inexorable des populismes en Europe. Mais ce signe positif s’inscrit dans un tournant politique marqué par le pessimisme, qui ne croit plus que la technologie va tout résoudre ni que la mondialisation est la destination finale et inéluctable pour tous. C’est pourquoi ce début de quinquennat laisse beaucoup de questions en suspens, dans un contexte de divisions internes profondes dont on ne voit pas encore quelles forces sauront les porter politiquement, et un paysage international très instable, où les préoccupations sécuritaires l’emportent nettement sur les dynamiques d’intégration ou de coopération. Le nouvel exécutif au pouvoir annonce beaucoup mais il n’a pour l’instant encore rien construit. On ne saurait le lui reprocher, tant la politique réclame du temps ; sans céder au présentisme auquel poussent sondages et médias, on peut néanmoins réaffirmer un certain nombre d’attentes et d’interrogations.
Notre moment politique se caractérise par sa grande indétermination, qui fait redouter des régressions autant qu’elle laisse espérer des transformations. Notre rôle est d’accompagner politiquement cette transition pour qu’elle ne retombe pas dans de vieux errements et n’aboutisse pas à une régression démocratique qui n’est malheureusement pas exclue. La réflexion sur la démocratie a toujours été au cœur du travail de cette revue mais elle s’est interdit d’en faire un mot magique. Exprimer notre confiance dans le politique au moment où il est confronté à de tels défis ne doit pas rester une incantation stérile, ni un vœu pieux. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de formuler des paris. Nos paris politiques à l’aube de ce nouveau quinquennat. C’est le fil rouge des articles de ce dossier.
Quel peuple voulons-nous être ? demande Patrick Viveret. Il faut refaire peuple, mais un peuple responsable qui rompt avec une attitude ambivalente et adolescente – être dirigé tout en se réservant le confort de la critique, tentation bien française. La réponse à cette question est indissociable d’une modernisation des formes et des pratiques de la représentation, qui ne se limite pas aux procédures institutionnelles comme le rappelle Bernard Manin. Il faut aménager une place à la société civile, mais laquelle ? C’est la question que pose Anne Dujin, qui fait la généalogie de ce terme. Au-delà du renouvellement des personnes, ce sont aussi les processus de consultation et de décision politique qu’il faudra changer, souligne Lucile Schmid. Parier sur la démocratie, c’est aussi croire au langage, que Ricœur qualifiait d’« institution des institutions », et qui ne doit pas être réduit à sa dimension opératoire, nous dit ici Pierre Judet de La Combe ; il faut au contraire le placer au centre de l’école dans toute sa richesse, comme lieu de constitution d’un sujet véritablement libre. Enfin, l’État de droit doit rester le cadre de l’action individuelle et collective, y compris lorsqu’il s’agit de mener la lutte contre la menace terroriste, ce dont débattent ici Michel Debacq, Antoine Garapon, François Saint-Bonnet et Bertrand Warusfel.
Ces différents paris sur la transformation politique nécessaire dans notre pays ne sont pas liés seulement à la qualité de nos institutions, ils dépendent également, voire surtout, d’un réveil de ce que Montesquieu appelle les principes démocratiques, c’est-à-dire d’un esprit civique, d’une volonté de vivre politiquement. Il nous faut retrouver l’énergie civique (Antoine Garapon) pour nous attaquer avec détermination à ce qu’il y a d’inédit dans cette « grande transition » économique, écologique et sociale (Patrick Viveret). L’espace de la politique s’est agrandi à des dimensions qui lui étaient inconnues jusqu’alors : celle du monde qui génère un tissu d’interdépendances et s’est dématérialisé de surcroît. La technique nous offre de nouvelles possibilités d’expression et d’organisation multiples et omniprésentes, dont nous peinons à comprendre encore les conséquences politiques (Bernard Manin). Le grand défi de notre pays est de se proposer comme un laboratoire démocratique – une ambition qu’il avait perdue depuis un certain temps. Un lieu qui se bat pour la démocratie sur plusieurs fronts ou, plus exactement, dans différents espaces : celui du cadre national qui demeure l’espace de référence mais aussi celui de l’Europe qui est plus que jamais l’échelon pertinent pour trouver des solutions. La géopolitique non seulement n’a pas disparu mais revient en force (la situation de l’Europe n’est pas pensable hors de la pression de Poutine, d’Erdogan, de la puissance chinoise).
En somme, il nous faut à la fois stimuler la confiance dans la politique nationale et politiser des relations mondialisées, trop souvent limitées à leur dimension économique. Tous ces plans s’imbriquent. Espérons que notre pays saura relever ces défis, qu’il trouvera en lui et dans un dialogue relancé avec ses partenaires en Europe les ressources pour que la confiance l’emporte sur la violence.