Le droit peut-il s’émanciper en terre d’islam ? À propos d’Ali Mezghani et de Yadh Ben Achour
Coup de sonde
Le droit peut-il s’émanciper en terre d’islam ?
À propos de…
•Ali Mezghani, l’État inachevé. La question du droit dans les pays arabes, préface d’Abdou Filali-Ansary et Abdelmajid Charfi, Paris, Gallimard, 2011.
•Yadh Ben Achour, la Deuxième Fâtiha. L’islam et les droits de l’homme, Paris, Puf, coll. « Proche-Orient », 2011.
Ces deux livres, sur le statut du droit dans les pays arabo-musulmans et son rapport aux droits de l’homme et à l’État de droit, paraissent au moment où la Tunisie élit une assemblée constituante qui ouvrira peut-être un nouveau chapitre du rapport entre droit et politique dans le monde arabe. Ali Mezghani traite de la « normativité » des pays arabo-musulmans, c’est-à-dire du rapport au droit, au texte et au sacré qui constitue la culture juridique commune à ces pays. Celle-ci est très marquée par une négation du temps, en se pensant de manière anhistorique. Le fiqh (jurisprudence islamique) est conçu sans passé, il se prétend insensible au temps et donc à l’évolution des mœurs, ce qui le rend « sans perspective puisqu’il est déjà advenu et que, descendu du ciel, il est valable en tout temps et en tout lieu » (p. 47). Son évolution est imperméable aux réalités sociales et − principale caractéristique − sa substance est « immuable puisqu’elle existe de toute éternité. Elle est éternelle et inaltérable puisque le Coran est incréé » (p. 67).
La seconde caractéristique concerne l’autonomie de ce droit. À la suite d’Abdelmajid Charfi1, l’auteur constate que le dogme musulman n’est pas parvenu à institutionnaliser la religion, ni à se constituer comme un authentique système juridique. C’est un droit entièrement « casuistique où les cas sont traités sans ordre, sans transition, sans méthode » (p. 52). La charia ne connaît pas l’ajustement des règles entre elles grâce à une hiérarchie des normes et un ordonnancement des instances, ce qui la rend inaccessible à une raison ordonnatrice (p. 147).
Dans les termes du positivisme de Hart2, la charia n’est constituée que de règles primaires, c’est-à-dire des prescriptions de comportement, qui ne sont complétées par aucune règle secondaire de reconnaissance, de changement ou de décision − celles qui ont précisément pour but de faire évoluer les premières, de les adapter à la société. La charia est une loi et n’est qu’une loi, une loi sans ordre juridique. C’est ce qui la distingue radicalement du droit canonique qui se donne pour fonction précisément de construire une institution, c’est-à-dire un organe rationnalisé de pouvoir. C’est pourquoi, dans l’islam, il ne peut y avoir de tension comme c’est le cas en Occident entre deux pouvoirs organisés et homothétiques : l’Église et l’État.
Ce défaut d’institution plonge la culture arabo-musulmane dans un face-à-face sans médiation possible avec le transcendant, qui ne laisse aucune distance entre la loi posée et l’idéal qu’elle poursuit. En utilisant l’expression de « positivisme divin » (p. 141), Ali Mezghani pointe un élément essentiel, à savoir que la normativité musulmane cumule deux qualités qui sont à nos yeux incompatibles : elle est à la fois positive et transcendante. Ces deux états du droit sont nécessairement séparés dans le droit occidental, mieux, c’est leur tension qui produit la dynamique démocratique du droit. Celui-ci doit être positif, de façon à rendre possible une construction logique et institutionnelle distincte de la morale, mais ne peut être légitime que s’il tend à se rapprocher de l’inatteignable du droit naturel, des droits de l’homme ou encore à se conformer à des principes, tout en sachant qu’il ne pourra jamais les atteindre, ni les satisfaire. Or, dans la charia, l’inatteignable est atteint, il l’a été une fois pour toutes dès sa naissance, dans le verbe incréé de Dieu.
Ali Mezghani met le doigt sur un autre travail symbolique qui, jusqu’ici, n’a pu se produire en terre d’islam. En même temps qu’elles concurrencent la loi religieuse par le droit civil, la république et la justice étatique ont aussi dédoublé les sacrements par des rituels civils dont le mariage civil est le meilleur exemple ou encore par des rites judiciaires qui, partis des symboles chrétiens, n’ont eu de cesse de les laïciser pour inventer un sacré judiciaire autonome. En revanche, le droit musulman n’a réservé au droit aucune autonomie symbolique : pas de symboles juridiques, pas d’espace judiciaire consacré ni de cérémonial particulier.
Le droit musulman se caractérise ainsi par une complétude qui a pour seul vis-à-vis la transcendance. Pas de séparation et donc de distance temporelle d’avec la fondation, ni de tension vers sa meilleure réalisation ; pas de raison ordonnatrice, pas d’espace de jeu pour l’interprétation, pas d’institutions qui permettent de consolider le changement ; pas d’autonomie symbolique pour se différencier du religieux. Comme une ancre trop courte, la loi coranique ramène au même et ne souffre aucune discussion.
Une loi sans fonction d’extériorité
Cette forme particulière du droit musulman entraîne une conséquence majeure qui rend problématique l’avènement de la démocratie. Alors que la fonction du droit est d’empêcher le pouvoir de sombrer dans une hégémonie destructrice ou de livrer un peuple à la tyrannie de la majorité, c’est l’inverse qui se produit dans l’islam : c’est la complétude de la loi − incontestable − qui empêche l’État de droit de s’imposer.
Dans les pays arabes, le droit coranique assure bien une extériorité par rapport au pouvoir et au droit positif, mais le Lieu de la loi, dirait Claude Lefort, n’est pas vide : au contraire, il est saturé d’un droit substantiel. Le droit ne peut remplir sa fonction critique d’extériorité, d’inatteignable, qui est indispensable à l’avènement d’un État de droit.
En démocratie, en effet, le sens de la loi s’inverse totalement par rapport à sa fonction dans la société traditionnelle : si, dans celle-ci, la loi apporte un sentiment de quiétude inspiré par la certitude que le passé sera reconduit − exactement ce qui se produit dans les pays arabes (p. 189) −, en démocratie, elle est au contraire un instrument d’insécurisation permanente puisqu’elle est le lieu de la discussion sur le légitime et l’illégitime.
Plutôt que de séparation des pouvoirs, Ali Mezghani estime qu’il serait plus juste de parler, dans le monde arabo-musulman, de « répartition des compétences » (p. 157), dans le sens où la régulation des mœurs est confiée à l’autorité religieuse, tandis que le pouvoir politique ne dispose que d’une compétence résiduelle sur les autres domaines (défense, politique étrangère, économie), tout en jouissant des attributs formels (mais trompeurs) de la pleine compétence législative. Bien sûr, l’auteur nuance immédiatement cette affirmation en expliquant que ces différents pays ont connu des évolutions différentes et qu’il serait injuste de mettre la Tunisie, qui a voté depuis plus de cinquante ans le Code du statut personnel, sur le même plan que l’Arabie Saoudite. Mais retenons que, pour qu’il puisse y avoir séparation des pouvoirs, il faut un pouvoir politique souverain, c’est-à-dire qu’aucune transcendance ne coiffe, et qui accepte d’être divisé entre plusieurs titulaires. Dans le contexte arabo-musulman, ce pouvoir législatif n’est pas souverain parce qu’il souffre d’une limitation a priori − voire d’une amputation.
La normativité musulmane est donc bien constitutive du politique, en instaurant une forme de répartition qui affecte l’ensemble des catégories à travers lesquelles se structure le rapport au monde : ce qui relève du droit, de la politique, de la religion, de la science, etc. Loin de jouir d’une autonomie, toutes ces catégories sont subsidiaires par rapport au Texte sacré. Dans l’islam, le droit ne peut se séparer de la religion parce que la religion ne peut se séparer du droit, puisqu’elle est droit avant d’être une théologie ; elle est pratique extérieure plutôt que conviction intime. Le droit ne peut être seulement une matière juridique pour des juristes techniciens car il est aussi en partie religion, et réciproquement le politique est toujours amputé d’une partie essentielle, à savoir de sa capacité législative.
Croyance et État de droit
Le livre peut se lire de deux manières : comme une réflexion sur le rapport au droit dans les pays arabo-musulmans − où l’on apprendra beaucoup − mais aussi comme l’histoire en creux de notre modernité juridique, qui met à nu les préalables anthropologiques qui sont indispensables pour que le droit y joue pleinement le rôle qui est attendu de lui. Nous nous sommes laissé aveugler par le formalisme juridique jusqu’à croire qu’il agit comme une prophétie autoréalisatrice. Mais ce que démontre Ali Mezghani, c’est qu’il ne suffit pas de décréter une loi pour qu’elle soit obéie. En effet, pour être respecté, le droit doit mobiliser une force sociale, toucher l’imaginaire d’un peuple, parler à sa sensibilité. S’il est facile d’écrire des lois et des constitutions, il est bien plus délicat de leur reconnaître une force qui suscite l’adhésion, surtout que cette force doit se porter en démocratie sur une forme abstraite : la Loi. Un tel investissement ne se décrète pas.
Ce que montre ce livre, c’est qu’on ne peut pas penser la démocratie de manière formelle et procédurale − comme s’il suffisait de construire des États, de faire des lois et d’instituer des juges pour s’assurer d’un État de droit. Les formes de la démocratie n’ont de réalité qu’adossées à des croyances collectives. La loi, le droit, les droits de l’homme réclament leur part d’utopie, préférable aux promesses de salut de la religion. Toutes les institutions internationales (Banque mondiale en tête) auraient intérêt à méditer cette leçon au lieu d’entretenir une sorte de pensée magique du droit pour laquelle il ferait automatiquement ce qu’il dit ; et les indicateurs de performance n’y changeront rien.
Une issue ?
Comment dépasser la pesanteur de cette normativité qui « plombe » toutes les sociétés arabes ? Réformer depuis la religion ? Rouvrir la porte de l’Ijtihad, c’est-à-dire de l’interprétation ? Non, répond Ali Mezghani, parce que c’est toujours chercher dans la religion une hypothétique sortie de la religion. Pour lui, la religion est le problème, pas la solution.
La médiation permanente de la tradition, même revisitée, estime-t-il, fait écran entre le législateur et le corps social. Elle limite sa liberté législatrice et retarde les progrès de la société.
Alors, est-ce la religion ou la politique qu’il faut réformer en priorité ? Ne faut-il pas orienter l’islam vers le statut de religion plus spirituelle et moins juridique, comme le propose la voie soufie ? Cela ne se fera pas en un jour. Faut-il cantonner la religion à la culture, comme le suggère Olivier Roy ? L’assigner à résidence dans une « maison mythologique » dont tous les peuples ont besoin, comme le propose Abdellah Hammoudi3 ? Mais − l’histoire européenne est là pour l’attester − ces séparations ne se font pas sans heurts… Un islam européen, ou mieux nord-américain parce que plus loin du centre névralgique de la culture arabe, montrera-t-il le chemin d’un accommodement avec la modernité, comme le suggèrent Abdennour Bidar et Yadh Ben Achour4 ?
La deuxième Fâtiha
Dans le second ouvrage, Yadh Ben Achour, qui a joué un rôle central dans la transition tunisienne puisqu’il a présidé jusqu’aux élections du 23 octobre l’assemblée chargée de les préparer, cherche à ancrer les droits de l’homme dans la deuxième Fâtiha. C’est le nom qu’il donne aux versets 23 à 37 de la sourate al-’isrâ, la sourate des fils d’Israël, qui lui semble contenir la part la plus universalisable des devoirs humains à partir desquels il est possible de fonder les droits de l’homme.
Yadh Ben Achour se garde néanmoins de tout « concordisme », c’est-à-dire de la volonté, si répandue parmi les intellectuels musulmans, de trouver coûte que coûte des convergences entre la loi islamique et les droits de l’homme. Parce que c’est éviter l’épreuve d’une confrontation inévitable en continuant de conférer à la loi religieuse la primauté sur l’autre. Cette suprématie prend selon l’auteur l’allure d’un « arc référentiel » immuable et qui est soustrait à toute discussion (p. 138). Et c’est pourtant bien lui qu’il faut remettre en cause. Yadh Ben Achour prétend briser cette complétude interprétative du droit coranique et préconise de faire comparaître les règles devant le tribunal de la raison. La religion n’est infaillible que pour ses adeptes. « En dehors d’eux, il n’existe aucune raison d’accorder à la religion un privilège de justification. »
Devant cette attitude qui lui semble vouée à l’échec, il choisit de regarder en face la difficulté du théologico-politique, c’est-à-dire des rapports entre deux domaines « trop frères pour se désunir, trop étrangers pour s’aimer ». L’affaire des caricatures, à laquelle il consacre un long développement, est le signe de cette incompatibilité des droits de l’homme et de l’islam.
Le droit doit puiser dans l’universel qui réunit des croyants et des non-croyants, des gens de diverses croyances. Une fois écarté le triple piège de l’historicisme, du naturalisme et du culturalisme, Yadh Ben Achour prône la primauté des droits de l’homme sur la charia en rejoignant Ali Mezghani sur les contradictions d’un principe général d’égalité et une charia inégalitaire.
Là où une interprétation se révèle contraire aux normes d’une moralité universelle minimum, il faut l’abandonner.
Mais sur quoi fonder cette moralité universelle ? Sur le refus de la souffrance, avance-t-il. Sous la torture, la souffrance d’un musulman ne se distingue pas de celle d’un autre homme : pourquoi ne bénéficierait-il pas des protections des engagements internationaux que son État a ratifiés ? Et Yadh Ben Achour de prendre pour point de départ non pas l’islam mais les coutumes préislamiques et notamment l’injuste coutume − jahiliya − qui autorisait à enterrer vivant des enfants pour le crime de féminité. C’est dans un élan de justice que l’islam a mis fin à ces pratiques barbares, et c’est dans ce même élan que l’auteur puise l’énergie de contester les pratiques barbares auxquelles conduit l’interprétation de l’islam.
L’enterrée signale qu’en Islam comme ailleurs, le sens du droit précède sa science. L’origine du droit est un cri de révolte, un refus de la douleur ou de l’humiliation.
Décorporalisation des peines et désincorporation des sociétés arabes
D’où une réflexion sur la signification de la « décorporalisation » du droit pénal dans les pays arabes, c’est-à-dire du nécessaire abandon − déjà réalisé dans nombre de pays − des peines corporelles. Il y voit un signe de déprise de la loi sur les hommes, un test pour une loi religieuse qui s’arrête devant l’intégrité du corps de l’homme. C’est en effet en partant du corps et de la souffrance qu’il sera possible pour lui d’amorcer cette désintrication, c’est-à-dire en cherchant un point d’appui extérieur au texte religieux. La source « d’où jaillit l’esprit de justice est en effet la perception que tout homme peut avoir directement de la douleur, de la misère et de l’humiliation » (p. 33). Le corps comme siège de réalité la plus sensible − et donc comme expérience de l’altérité − est ainsi opposé à la « preuve autoréférentielle », qui répond aux arguments « simples, sains et forts, articulés contre les excès de la pensée religieuse, de son culte ou de sa théologie, en agitant les diktats et les prescriptions du texte religieux lui-même » (p. 51). « La religion ne m’importe, dit-il, que dans la mesure où elle parle à tous » (p. 51), d’où l’intérêt porté à la deuxième Fâtiha.
Sans jamais citer Claude Lefort, Yadh Ben Achour le rejoint lorsqu’il présente la démocratisation comme un travail de désincorporation, en opposant au grand corps de la charia les corps souffrants des hommes. Il souligne, comme Ali Mezghani, la nécessité d’une désintrication du droit et de la religion. Mais, en fin connaisseur de l’histoire européenne, il sait bien que ce travail est chaotique et entrecoupé de ruptures. Qu’est-ce qui pourra opérer concrètement cette scission inévitable ? Cette bataille de la désintrication dépendra de « faits sociaux massifs qui nous dépassent », écrit-il à la fin du livre de façon prémonitoire.
Ces deux ouvrages ont été écrits avant le printemps arabe, et c’est ce qui fait toute leur force. C’est peut-être pour cela qu’ils sont tant imprégnés de l’esprit des Lumières européennes : ils fourbissent les instruments de la révolution avant même que la bataille ne s’engage. Du xviiie siècle, ils ont l’esprit, la liberté de la plume, l’impertinence aussi. Il y a des accents voltairiens dans la dénonciation par Yadh Ben Achour
des sordides puérilités sur les viandes et les boissons, la copulation, les menstrues, les excréments, l’urine, et de la petite gestuelle grivoise et coquine, ou terrifiante et lugubre dont nos prédicateurs et « fatwistes » ont la passion.
Il se moque d’une lettre qui tue.
Abolir la lettre ne veut pas dire abolir l’islam, mais tout le contraire, changer l’océan d’ignorance et de bêtise dans lequel il est plongé de nos jours.
Il défend un islam du for intérieur, et donc d’un espace public soulagé de toute référence prétendant s’imposer d’autorité. Les analyses d’Ali Mezghani ont la rigueur et la détermination d’un encyclopédiste ; son style allie la clarté du juriste à la profondeur d’esprit philosophique.
Ces deux livres ne sont pas pessimistes, même si leur propos est parfois mordant ; mais leur simple publication est déjà signe d’espoir. Ils ont le mérite de souligner, chacun à leur manière, les vrais enjeux du printemps arabe, dont le principal est de séparer le droit de la religion. Parce que de lui découlent tous les autres : en laïcisant le droit, les pays arabes se doteront d’un instrument de changement. C’est pourquoi le débat sur la forme civile du gouvernement (ne parlons pas de laïcité pour ne pas ramener le débat au contexte français) est aussi central, car c’est la constitution du lieu vide de la loi dont il s’agit in fine. Un tel travail de séparation, de désincorporation, de désintrication du politique et du sacré suivra ses voies propres qui ne seront pas celles de l’histoire occidentale. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils ne pourront en faire l’économie.
Antoine Garapon
Librairie
Haruki Murakami. 1Q84, LIVRE 1, AVRIL-JUIN. Paris, Belfond, 2011, 533p., 23 €. 1Q84, LIVRE 2, JUILLET-SEPTEMBRE. Paris, Belfond, 2011, 529 p., 23 €
Les œuvres de Murakami sont des romans du passage, du basculement d’un monde familier dans un univers étrange, basculement qui s’effectue à travers des objets et des lieux : une photographie dans la Course au mouton sauvage5, un puits asséché dans Chroniques de l’oiseau à ressort6, une île mystérieuse dans Kafka sur le rivage7. Dans son dernier opus, 1Q84 (dont le dernier tome paraîtra en 2012), cet objet est un livre, la Chrysalide de l’air, œuvre d’une jeune lycéenne nommée Fukaéri que l’un des protagonistes du roman, Tengo, est chargé de réécrire pour lui permettre de gagner un prix littéraire.
L’œuvre se construit autour de deux personnages, Tengo donc, et Aomamé, dont les points de vue alternent tout au long des deux volumes. Des sons (la Sinfonettia de Janacek), des lieux (un escalier le long d’une voie express), des personnages (la jeune Fukaéri) vont les faire passer du monde connu de l’année 1984 à l’univers d’1Q84. Ce basculement, cependant, est lent, progressif, il n’advient pas au même moment pour les deux personnages ni pour le lecteur. Il ne modifie pas brutalement la vie de Tengo et d’Aomamé. Lui continue à écrire et à donner des cours de mathématiques, elle poursuit son œuvre vengeresse en assassinant des hommes coupables de violences envers des femmes. Si la référence à Orwell est évidente et voulue (en japonais, le chiffre neuf se prononce comme la lettre « q » en anglais), le monde que décrit Murakami est bien différent de l’Océania dans laquelle vit Winston Smith. Là où Orwell écrit un roman du mur, du rideau de fer, le romancier japonais travaille la faille, la brèche, par où l’étrange s’introduit. Big Brother, dont le visage orne chaque mur de Londres, incarne l’oppression. Chez Murakami, les Little People, créatures à la lisière du bien et du mal, sont indescriptibles, de taille changeante, et s’insinuent dans notre monde de manière presque imperceptible, à travers les fêlures que nous les laissons exploiter.
Tengo et Aomamé, chacun enfermé dans sa propre solitude, tendant vers l’autre sans jamais le chercher, portent en eux ces failles qui les transforment en même temps qu’elles les rendent réceptifs aux changements qui les entourent. Tengo est obsédé par une vision de sa mère se faisant lécher les seins par un inconnu, vision qui le mène à chaque fois au bord de l’évanouissement. Aomamé, quant à elle, éprouve régulièrement le besoin de réciter la prière des Témoins qu’elle a apprise étant enfant, alors même qu’elle a rompu avec sa famille pour échapper aux contraintes de cette religion. Tous ces symboles, toutes ces scènes originelles (comme celle où, enfants, Tengo et Aomamé se tiennent par la main dans une salle de classe), inlassablement répétés tout au long des mille pages de l’œuvre, sont à double tranchant. Les personnages s’y raccrochent pour affirmer leur identité, mais ne peuvent leur donner un sens.
Peu à peu, ils plongent tous les deux dans le monde de la Chrysalide de l’air, le roman écrit par Fukaéri. Ce monde, l’année 1Q84, n’est pas à proprement parler de l’ordre du merveilleux. C’est un univers décalé, qui passe, pour la plupart des gens, inaperçu, un univers qui se présente tout d’abord comme une illusion d’optique (Aomamé a-t-elle vraiment, ce soir-là, vu deux lunes dans le ciel ?). Murakami invite ainsi le lecteur à garder les yeux bien ouverts, à repérer les changements progressifs, parfois imperceptibles, du monde, il joue sur l’étrange et l’étranger, faisant entrer dans son récit de plus en plus d’éléments mystérieux et surnaturels, comme il fait entrer dans sa langue des mots d’anglais, qui ne sont pas là simplement pour décorer le texte, pour le rendre exotique en cédant à l’occidentalisme dont il est si souvent accusé dans son pays. Non, l’anglais est, encore une fois, une manière de décentrer le texte, de le trouer, d’obliger le lecteur à prêter attention aux mots, aux choses. Si Murakami parvient à nous entraîner dans son univers, c’est bien parce qu’il refuse de nous y précipiter. Le chaos, la violence, n’arrivent jamais comme par magie, brutalement, sans prévenir. Ils s’installent lentement, déplaçant peu à peu nos repères, transformant subrepticement les choses qui nous sont familières, si subtilement, que, la plupart du temps, nous ne parvenons même pas à nous en rendre compte.
Alice Béja
Jonathan Franzen. FREEDOM. Paris, Éditions de l’Olivier, 2011, 720 p., 23 €
Il a suffi d’un roman à succès, les Corrections (2001), pour que Jonathan Franzen devienne l’un des auteurs américains les plus médiatisés et figure, à l’occasion de la sortie de Freedom (2010) aux États-Unis, en couverture du célèbre Time Magazine, privilège auquel n’ont eu droit avant lui qu’une poignée d’écrivains tels que Vladimir Nabokov, J. D. Salinger, ou encore Toni Morrison. Si Franzen avoue avoir soufflé au magazine l’idée de mettre un écrivain en couverture, c’est sans doute parce qu’outre ses penchants narcissiques, l’auteur a toujours été animé par une même ambition : réconcilier la littérature et la société, en replaçant au cœur de ses romans l’être humain et ses émotions. Au risque de se voir parfois accusé d’être réactionnaire, Franzen défend, dès ses premiers essais, un certain conservatisme littéraire qui passe, selon lui, par un retour nécessaire au réalisme, dans le but de ressusciter le grand roman social américain. C’est sans doute là le projet de grande envergure qui sous-tend les 720 pages de Freedom, un roman qui se veut héritier de Balzac, de Sinclair Lewis, ou de Tolstoï (les références à Guerre et Paix sont explicites dans le roman).
Dans Freedom, Franzen fait le portrait d’une famille dysfonctionnelle du Midwest, les Berglund, qu’il double d’une fresque politique courant des années 1970 aux prémisses de l’ère Obama, bien que l’action se situe principalement en 2004, dans des États-Unis post-11 septembre en guerre sur tous les fronts.
Au centre de cette saga multigénérationnelle, il y a le couple formé par Patty et Walter, dont le mariage, célébré peu après leur rencontre à l’université, représente la promesse d’un avenir radieux et l’assurance d’un bonheur conjugal. Tout sourit aux époux Berglund : Patty excelle dans son rôle de mère tandis que son mari lui ramène l’argent nécessaire pour qu’elle entretienne avec goût leur demeure victorienne de Ramsey Hill, dans la paisible banlieue de Saint Paul dans le Minnesota.
Pourtant, dès la première page, le lecteur est averti qu’« il y avait toujours eu quelque chose de bizarre chez les Berglund » et il y a en effet plus d’une anomalie chez ce couple moins uni par l’amour que par la frustration et la sensation d’être passé à côté de son destin. Sportive de talent à l’université, Patty range ses rêves de basketteuse professionnelle au vestiaire pour se dévouer corps et âme à sa carrière de femme au foyer. Walter, l’écologiste idéaliste, fait une croix sur son éthique et ses convictions politiques quand, pour sauver une espèce d’oiseau menacée, la paruline azurée, il n’a d’autre choix que celui de devenir financièrement dépendant d’un industriel milliardaire ami de Dick Cheney et de G. W. Bush.
Franzen ne se cache pas d’avoir conçu Freedom comme un roman politique dont l’ambition est de démanteler le discours mensonger et propagandiste de l’administration Bush, qui fait la guerre au nom d’un seul principe : la liberté. Si la veine politique qui traverse le roman peine parfois à convaincre, c’est sans doute parce qu’elle demeure secondaire et trop désincarnée. En revanche, là où Franzen excelle, c’est dans l’observation minutieuse de l’être humain dans son rapport au monde mais surtout à la famille, théâtre privilégié des pires manipulations et des pires trahisons.
Chez les Berglund, il est souvent question de liberté, car il faut s’efforcer de lutter contre les déterminismes hérités d’une génération à l’autre, se construire contre un modèle parental dans l’espoir qu’on ne le reproduira jamais. Pourtant, la liberté est bien ce qui fait défaut aux personnages de Franzen cernés par la voix oppressante d’un narrateur omniscient qui pousse chacun à prendre la responsabilité de ses actes. La famille devient alors le siège d’une « dictature bienveillante » que les enfants s’empressent de fuir dès qu’il leur en est donné l’occasion. Le mariage, quant à lui, est une prison dont il faut s’évader car dehors il y a la passion, le désir, l’adultère.
Freedom se construit sur une série de frustrations et sur cette interrogation récurrente : à quoi aurait pu ressembler l’existence des Berglund si tout s’était bien passé ? Nul ne peut nier que « des erreurs furent commises », et c’est d’ailleurs le titre que donne Franzen à l’un des morceaux de bravoure de son roman, l’autobiographie à la troisième personne de Patty Berglund, mémoires d’une jeune fille dérangée, traumatisée à l’adolescence par un viol que ses parents préférèrent considérer comme une indélicatesse commise par le fils de voisins tout à fait charmants. C’est sur cette faille que Franzen construit le personnage bouleversant de Patty Berglund, qui ne sait jamais vraiment si elle est coupable ou victime.
Deux hommes sont à l’origine de ses tourments : le « type super qu’elle avait épousé et le type sexy qu’elle n’avait pas épousé ». D’un côté, il y a Walter, le mari sensé, responsable et éperdument amoureux de sa femme, de l’autre, il y a Richard, le meilleur ami du mari, le rockeur taciturne qui consomme femmes, alcool et drogues, celui que Patty ne cessera finalement jamais de désirer.
Le tour de force de Freedom réside sans doute dans le talent qu’a Franzen pour sonder des âmes tiraillées entre l’amour et la haine, la faute et la culpabilité. Toujours volubile, parfois trop bavarde, sa prose saisit avec puissance les ravages que provoque la passion chez ceux qui ont cru pouvoir la maintenir à distance. À l’aube de la quarantaine, les Berglund font voler en éclats les faux-semblants sur lesquels reposait leur famille, résolus à sacrifier leurs principes au nom du plaisir. Quand les modèles politiques et sociaux ne reposent que sur l’individualisme à outrance, que reste-t-il du sens de la famille et de la communauté ? De vieux souvenirs et la promesse d’une nouvelle jeunesse. Sacrifiant famille et amis, Walter et Patty alors se mentent, se jalousent, et se déclarent la guerre. Comme c’est le cas pour l’Amérique, on n’est pas sûr que ce soit pour de bonnes raisons…
Sophie Chapuis
Fabrice Pataut. RECONQUÊTES. Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2011, 375 p., 19 €
Los Angeles, août 2004. Dexter Koons − qui préside aux destinées de l’agence immobilière Koons Conseils − est perplexe. L’une de ses clientes, Dorothy Cunningham, lui a fait part de son intention d’acquérir un terrain situé au nord-ouest de sa propriété et actuellement détenu par un certain Vladimir Andreievich Kurzinovski, retraité depuis deux ans de Ucla où il a passé trente-cinq ans à enseigner la littérature russe. Jusque-là, rien de très original sauf que Dexter vient de s’apercevoir que la forme de la propriété de Dorothy Cunningham reproduit fidèlement la carte des États-Unis et que le terrain qu’elle veut acheter a la forme exacte de l’Alaska ! Il y a manifestement anguille sous roche, et cela d’autant plus qu’après l’acquisition du terrain imitant l’Amérique du Nord, Dorothy Cunningham, devenue veuve, s’est portée acquéreuse d’une petite dépendance au sud de celui-ci ayant la forme de… Porto Rico, où elle aime passer ses week-ends.
Délire patriotique d’une veuve californienne ou, au contraire, manifestation d’un repli hédoniste de l’Amérique sur elle-même ? Questions légitimes à un moment où les télévisions annoncent la décapitation d’otages américains au Moyen-Orient et que George Bush prépare sa réélection.
Dexter décide de confier l’enquête à Don Jolie, un ami d’enfance avec qui il est allé à l’université. Investigation qui va se révéler d’autant plus nécessaire qu’il s’avère assez rapidement que Dorothy Cunningham n’est pas avare de mensonges.
Mais ce qui va devenir « l’affaire Cunningham » n’est pas l’unique sujet de préoccupation de Dexter. En effet, planifier méticuleusement les journées de travail est pour lui une façon de tenter de s’extraire de la « mélasse » qui « tourbillonne » dans sa tête. Un mois auparavant, en effet, son fils Lewis, âgé de treize ans, a été tué par un chauffard en traversant la rue. Dix ans plus tôt, sa femme est partie sans jamais plus donner de nouvelles. Heureusement qu’il peut compter sur la présence (initialement platonique) de sa secrétaire Rachel Drocheiner. Mais elle-même a une histoire mouvementée, elle a perdu sa mère lorsqu’elle avait huit ans et sa grand-mère Hannah − qui s’appelait à l’origine Henriette − a émigré en Israël dans les années 1950. Quant à Vladimir, on va apprendre que sa petite sœur est enterrée sur le terrain qu’il projette, non pas de vendre mais de donner à Dorothy…
Fabrice Pataut nous livre une méditation sur l’exil, l’abandon et la solitude. Tandis que les médias, à l’approche de la convention républicaine qui doit se tenir en août en Californie sous la houlette d’Arnold Schwarzenegger, s’emparent de l’affaire, chacun des protagonistes part à la reconquête de son propre passé. Rachel se remémore la visite qu’elle a faite à sa grand-mère à Tel Aviv. Dexter pense à Lewis, rendu réel par « l’épaisseur de son absence ». Un Lewis qui le rejoint « sans couture, sans mâchoire reconstituée, sans ses pieds pâles » dépassant du drap beige de la morgue et avec qui, en père allant « du grave au léger sans reprendre son souffle », il va se promener dans les lieux où il aurait tant aimé l’emmener. Se débattant dans l’histoire du monde et leur histoire intime, Dexter, Rachel et les autres dévoilent progressivement leur complexité.
Réflexion métaphorique sur une « hyperpuissance » qui tient tout entière dans le comté de Los Angeles, Reconquêtes n’a rien d’un texte morbide ou pessimiste. À la façon d’un Italo Calvino, Fabrice Pataut « zoome » sur des détails de la vie californienne − de Sunset Boulevard au campus de Ucla − ou de l’existence quotidienne qui donnent à son récit une tonalité tout à la fois mystérieuse et hyperréaliste. « Il faut porter le lin froissé [se dit Rachel en regardant son patron], ou alors ne pas le porter du tout. Rester naturel sous le tissu. Laisser bouger son corps, même quand son fils est mort. »
Au fil des pages, la reconquête du passé se révèle comme la condition de nouveaux départs, comme ce qui permet de « s’élancer vers l’instant présent » et de se rendre compte que la « nuit profonde » peut « s’éteindre [et] glisser sans bruit de l’autre côté de la terre ».
Jean-Paul Maréchal
Victor Klemperer. LITTÉRATURE UNIVERSELLE ET LITTÉRATURE EUROPÉENNE. Belval, Circé, 2011, 122 p., 14 €
Paru pour la première fois en 1929 dans la revue Logos, cet essai porte sur l’évolution, dans le temps et dans l’espace, du concept de littérature transnationale, vecteur de communication et de reconnaissance entre les hommes et les peuples. En partant de Goethe, qui a conçu le terme de Weltliteratur en 1827, Victor Klemperer propose un parcours éblouissant à travers auteurs – de Homère à Joyce en passant par Rabelais, Voltaire, Shakespeare, Pirandello, Miguel de Unamuno, Ibsen, Thomas Mann, Whitman ou Eduard Stucken – et théoriciens – Richard M. Meyer, Johann Gottfried von Herder, Ferdinand Brunetière, Ernst Robert Curtius. Il recherche ce qui favorise ou contrarie l’harmonisation des paramètres esthétiques et éthiques, posant les questions toujours actuelles de l’importance des particularismes culturels, de la dialectique entre singulier et universel, de l’élaboration d’une représentation européenne et de la centralité du couple franco-allemand dans sa construction.
Ce texte érudit, bref et incisif tout à la fois, est un témoignage vibrant de l’épaisseur et de l’originalité de la pensée de Victor Klemperer, passeur généreux d’une culture ancrée dans la germanité et bouleversée par le déroulement tragique de l’histoire.
Victor Klemperer, né en 1881 à Landsberg et décédé en 1960 à Dresde, a traversé cinq chapitres de l’histoire allemande. Huitième enfant d’un rabbin réformé, il se convertit au protestantisme en 1903, marquant ce qu’il appelle sa « bigamie confessionnelle ». Rattrapé par les lois raciales dès 1935, interdit d’enseignement et de bibliothèque, contraint de se cacher, il résiste en tenant sur la vie au quotidien et le discours nazi un journal dont son épouse, encore considérée comme aryenne, prend le risque de déposer les feuillets chez une amie. En 1945, il est rétabli dans ses fonctions universitaires et adhère au parti communiste, tout en réaffirmant sa volonté de garder sa liberté de penser.
Littérature universelle et littérature européenne revêt donc une résonance particulière à la lumière du parcours de son auteur : plus encore que le travail d’un universitaire qui élargit son champ de recherche8, cet essai peut se lire comme l’œuvre d’un Européen de l’époque.
En miroir à une représentation de l’individu primitif heureux, le concept de littérature universelle répond à un rêve de communauté éclairée tant sur le plan esthétique qu’intellectuel et éthique. Il suppose une littérature nationale à la fois suffisamment affirmée dans sa spécificité et porteuse d’universel, pour constituer un facteur d’enrichissement et pouvoir se prolonger dans la littérature transnationale.
Appréhendée « comme une littérature à laquelle chaque partie de l’humanité, de “l’univers”, collabore librement et sans y être forcée, selon ses particularités, une littérature, qui, en tant que tout, puisse parler à l’ensemble de l’humanité », cette notion se développe en marge de la poésie originelle et s’articule autour de la relation entre raison et sentiment, état de nature et culture, norme et liberté.
Victor Klemperer opère d’abord un glissement du concept de littérature universelle à celui de littérature européenne. Pour lui, l’accès élargi à des textes nationaux venus d’horizons éloignés comme l’Amérique ou l’Inde, grâce notamment au développement des traductions, révèle le rôle formateur essentiel de l’Europe ancienne. Il note ainsi les liens étroits que la littérature américaine entretient avec la littérature anglaise et estime par exemple que la pièce de Rabindranath Tagore, le Bureau de poste, pourtant située dans un contexte totalement indien, n’aurait pu être composée sans une connaissance intime de la littérature européenne.
Il n’ignore pas davantage la contribution des littératures espagnole, italienne ou irlandaise, faisant référence à Unamuno, Pirandello ou Joyce et pose, comme essentielle à la justification de son étude, la question de savoir si une « Europe inéluctable » n’est vraiment constituée que « de ce centre, France et Allemagne, avec ses annexes et dépendances ». Après l’analyse de la spécificité de ces auteurs et les recoupements avec d’autres textes – Rabelais et Proust pour Joyce, le romantisme allemand pour Pirandello et Unamuno –, il considère que leur dimension européenne s’inscrit dans la matrice franco-allemande, produit des mécanismes de fusion et de séparation qui caractérisent les deux cultures et leur relation.
Dans Littérature universelle et littérature européenne transparaît l’attachement viscéral de Victor Klemperer à l’Allemagne, sa sensibilité extrême à la perception de la différence et à la subtilité de la langue. Cette réflexion annonce ses écrits ultérieurs, Mes soldats de papier (Journal 1933-19419), Je veux témoigner jusqu’au bout (Journal 1942-194510) et surtout Lti-Lingua Tertii Imperii, la langue du Troisième Reich. Carnets d’un philologue11. Ce livre, composé pour l’essentiel de pages extraites de son journal et complété par quelques textes écrits en 1945 et 1946, analyse la perversion de la langue allemande par le régime nazi : changement du sens des mots, mise en place d’un vocabulaire qui privilégie la discrimination, valorise l’absence de réflexion et, par son caractère répétitif, produit un effet galvanisant.
De même que Goethe avait légitimé l’émergence du concept de Weltliteratur par le développement du commerce international et l’accélération de la circulation des revues, l’essai de Victor Klemperer invite à dépasser le cadre strict de la littérature et à greffer la grille de lecture proposée sur la situation politique et économique de l’Europe de 2011.
L’actualité des interrogations de Victor Klemperer en 1929 reste intacte. Le renforcement du national peut-il contribuer à la définition de ce qui est européen ? Faut-il protéger sa singularité tout en accueillant ce qui vient de l’étranger ? Comment apprécier le poids de chaque culture dans la définition des objectifs communs et intégrer des systèmes de pensée aussi différents ? Est-il souhaitable de limiter l’adhésion et de privilégier les pays à forte identité afin qu’ils contribuent ainsi à l’enrichissement général ? Comment gérer la prépondérance d’un pays à un moment donné ?
Le couple franco-allemand demeure au cœur de l’Europe, mais d’une Europe qui n’est plus au cœur du monde comme en 1929.
Sylvie Bressler
Denis Coussy, Denis Hirson et Joan Metelerkamp. AFRIQUE DU SUD. Une traversée littéraire. Paris, Éditions Philippe Rey/ Institut français/Ina, 2011, 254 p., 19 €
La littérature sud-africaine nous est connue par ses monstres sacrés : Nadine Gordimer, J. M. Coetzee (tous deux prix Nobel de littérature), André Brink ou Breyten Breytenbach. Tous ont lutté avec acharnement contre l’apartheid. Tous sont blancs. Ils représentent, en un sens, notre « porte d’entrée » vers la culture d’Afrique du Sud, une porte imposante, importante, mais qui occulte souvent les autres accès, longtemps dérobés à la représentation collective.
Cet ouvrage, synthétique et agréable à lire, a l’avantage d’offrir de multiples manières de se frayer un chemin vers les œuvres et les genres moins connus qui peuplent la littérature sud-africaine. Le lecteur voulant avoir un aperçu de son histoire lira la présentation générale de Denis Hirson, qui le mènera jusqu’en 1994. Ceux qui préfèrent se concentrer sur un genre particulier iront voir ce que disent Denise Coussy et Joan Metelerkamp sur le roman et la poésie après la fin de l’apartheid. Certains voudront peut-être faire l’expérience de cette littérature avant d’en comprendre les enjeux politiques ou esthétiques ; ils pourront se plonger dans les deux courtes anthologies qui suivent les textes critiques. Enfin, le livre est accompagné d’un CD où l’on retrouve les voix de Brink et de Gordimer, le discours de Mandela à sa libération en 1990, mais aussi les mots des poètes Lesego Rampolokeng, Robert Berold et Mxolisi Nyezwa.
Évitons de tomber dans les comparaisons faciles et convenues, en expliquant que ce livre aux multiples entrées convient bien à la complexité ethnique et linguistique d’une société comme l’Afrique du Sud, qu’il reflète à merveille cette « nation arc-en-ciel » que tant d’écrivains critiquent ; insistons plutôt sur le fait que, si les principales dates de l’histoire sud-africaine (guerre des Boers, mise en place du régime de l’apartheid, massacre de Sharpeville…) sont rappelées à bon escient, ce sont ici les œuvres qui sont mises à l’honneur, brièvement résumées et toujours rattachées à leur contexte, leur courant, mais aussi appréciées pour elles-mêmes. L’un des paradoxes de la littérature sud-africaine est qu’elle s’est pendant longtemps construite contre l’apartheid, contre les divisions ethniques, raciales et racistes, mais que pour reconnaître aujourd’hui sa diversité, on se voit souvent obligé de faire appel à ces mêmes catégories ethniques, en parlant de littérature « blanche » (au sein de laquelle il faut distinguer celle de langue anglaise et celle écrite en afrikaans), « noire » ou « métis », ce qui contribue à mettre en avant la figure de l’auteur plutôt que la nature de l’œuvre. Il n’est pas question de faire abstraction des écrivains, simplement de laisser le lecteur se faire une idée de leurs écrits, de reconnaître la récurrence de thèmes comme l’idéal pastoral de la ferme, présent dès 1883 dans la Nuit africaine d’Olive Schreiner12, et dont la face sombre réapparaît dans Disgrâce de Coetzee13, la violence de la ville ou, bien sûr, la question des relations entre les races.
En Afrique du Sud, « la politique a toujours fait partie intégrante de l’imaginaire des artistes », écrit Denis Hirson. Les écrivains, depuis l’Afrique du Sud (Jack Cope) ou en exil (Lewis Nkosi, Alex La Guma), ont activement participé à la lutte contre l’apartheid, et ont souffert de ce combat, dans leur chair et dans leurs œuvres, soumises à la censure. La fin de l’apartheid a cependant fait surgir une nouvelle question : comment continuer à résister lorsque l’on a gagné ? Coetzee a ressenti toute la gravité d’une telle interrogation, lui qui a été accusé de racisme à la parution de Disgrâce, et qui a fini par quitter son pays pour l’Australie. Les textes de Denise Coussy et Joan Metelerkamp mettent bien en scène ce dilemme ; le passé continue de hanter les romans de Zoë Wicomb14 ou Gillian Slovo15, mais il ne dédouane pas pour autant le présent. Zakes Mda16 ou Ivan Vladislavic opèrent ainsi une déconstruction méthodique du mythe de la « nation arc-en-ciel », allant jusqu’à éclater, surtout dans le cas de Vladislavic17, la forme du roman, comme pour mettre encore davantage en valeur les failles et les brisures qui traversent le pays de part en part.
À l’heure où l’Afrique du Sud, malgré son statut de nouvel émergent (elle fait partie des Brics), peine à lutter contre la violence, la pauvreté et le sida, à l’heure où ses leaders, comme le président de la ligue pour la jeunesse de l’Anc Julius Malema, invoquent volontiers le spectre de l’apartheid pour habiller leur discours populiste, la complexité est nécessaire pour comprendre un pays que l’on ne peut plus se contenter de voir en noir et blanc. Cette complexité, c’est peut-être la littérature, qui mène aussi ses propres combats, qui peut nous la transmettre, en nous montrant que le « long chemin vers la liberté18 » entrepris par Mandela n’est pas en ligne droite, et entraîne le pays dans des errances et pérégrinations à la Michael K., héros d’un roman de Coetzee. Ce livre a le mérite de nous y guider tout en nous laissant le loisir de nous perdre.
Alice Béja
Corine Pelluchon. ÉLÉMENTS POUR UNE ÉTHIQUE DE LA VULNÉRABILITÉ. Les hommes, les animaux, la nature. Paris, Cerf, coll. « Humanités », 2011, 350 p, 24 €
Après l’Autonomie brisée. Bioéthique et philosophie19, Corine Pelluchon poursuit ici la réflexion engagée sur l’éthique de la vulnérabilité. Cet essai, à l’écriture fluide et au vocabulaire choisi mais jamais jargonnant, est novateur. Son thème est l’écologie politique, mais sa manière de l’aborder se veut résolument philosophique et questionnante, afin de contribuer à l’élaboration d’un concept à rénover, celui de « responsabilité », qu’elle place au cœur des rapports avec autrui. Elle choisit plusieurs figures de l’Autre, l’animal, l’handicapé, la Terre. Mais avant de montrer en quoi chaque humain gagnera à considérer ces « autres », Corine Pelluchon revient sur les liens entre philosophie et écologie. Pour cela, elle mobilise l’excellente anthologie Éthique de l’environnement20, réalisée par H. S. Afeissa, les travaux de Martha Nussbaum et ceux de Arn Naess (dont la pensée a été grandement caricaturée), Michel Serres, Bruno Latour et Dominique Bourg. Elle se positionne finement par rapport au care et met ses pas dans ceux de Levinas qui, dans Autrement qu’être, pointait selon elle « cette solidarité entre l’expérience de l’altérité en moi liée à ma rencontre avec l’autre homme et l’expérience de l’altération de mon corps qui renvoie ma vulnérabilité à celle du vivant ». À la suite d’Aldo Leopold, elle préconise de « penser comme une montagne », ce qui veut dire « apprendre à voir ce qui est bon pour elle, ce qu’a priori nous ne savons pas », effectuant ainsi une révolution épistémologique à propos de la notion de « valeur », rompant avec l’approche organiciste pour déployer une philosophie de l’environnement attribuant aux écosystèmes la place qui, dorénavant, leur revient, à l’ère anthropocène. Elle s’attarde sur la remise en cause qu’une telle démarche provoque sur la pratique de la démocratie (la participation, le rôle des experts, les modalités du débat public, etc.), tout comme elle explique en quoi « la prise en compte de la vulnérabilité du vivant, loin d’effacer toute différence entre l’homme et les animaux, souligne notre responsabilité à l’égard d’êtres qui peuvent être victimes des mauvais traitements que nous leur infligeons et qui, en raison de notre mode de développement, dépendent de plus en plus de nous pour leur survie et leur habitat ». Commentant Günther Anders, elle note que « la crise environnementale ne peut être endiguée par la morale ou le droit, mais par un changement dans la manière dont l’homme se pense et pense son rapport à l’autre que lui et à la nature ». Elle illustre ce changement dans « la manière de penser » en abordant le travail dans notre société mécanisée, l’agriculture soumise aux diktats de l’industrie agroalimentaire et des banques, l’éducation qui bride l’indispensable turbulence de la pensée, etc. Ce sont davantage des pistes − souvent judicieuses − que des exposés définitifs, mais le lecteur est stimulé et se dit que tous ces chantiers théoriques méritent un approfondissement pour rendre la Terre habitable, sans discrimination entre les êtres vivants, qu’ils soient humains ou non… Les notions de « responsabilité », de « vulnérabilité », d’« autonomie » et de « considération » se révèlent au cours de sa démonstration essentielles, au point que les deux dernières devraient faire l’objet d’une aussi ample analyse que les deux premières. Dans un troisième livre, peut-être…
Thierry Paquot
Sylvain Tesson. DANS LES FORÊTS DE SIBÉRIE. Paris, Gallimard, 2011, 272 p., 17, 90 €
Cet ouvrage livre une expérience d’écriture dans la plus haute des solitudes. L’auteur a décidé de vivre seul durant six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal, avec pour seuls compagnons des livres qu’il commente au fil du journal qu’il a décidé d’écrire. Ce journal est d’abord un essai rousseauiste sur la solitude et l’exigence vertueuse qu’elle implique. « L’ennui ne me fait aucune peur. Il y a morsure plus douloureuse : le chagrin de ne pas partager avec un être aimé la beauté des moments vécus. La solitude : ce que les autres perdent à ne pas être auprès de celui qui l’éprouve. » Mais, au-delà de ce sentiment d’absence, le solitaire qui doit s’astreindre au devoir de vertu ne peut se permettre la moindre cruauté, ce que Rousseau perçoit dans la cinquième de ses promenades. « L’homme civil veut que les autres soient contents de lui, le solitaire est forcé de l’être lui-même ou sa vie est insupportable. Aussi, le second est forcé d’être vertueux. » Mais la vie glacée en Sibérie passe par la dureté, l’alcool, le froid et la présence de Russes d’où ressort, sous la plume de Sylvain Tesson quand il évoque ses rencontres, une certaine cruauté. Ce qui n’est peut-être pas sans lien avec la taïga, qui est l’envers de la jungle tropicale. « Là où la jungle chaude produit sans discontinuer, la taïga conserve. Ici, la croissance végétale est lente mais la décomposition ne débarrasse pas les sous-bois aussi vite que sous les basses latitudes. Un cèdre sibérien met des années à pourrir. » Cette méditation métaphysique et géographique fait ressentir la lenteur d’un pourrissement paradoxal, puisqu’il est recouvert par la glace.
O.M.
Christian Oster. ROULER. Paris, Éditions de l’Olivier, 2011, 180 p., 15 €
Rouler, aller de l’avant on ne sait pas où, descendre vers le sud sans la moindre idée de la route, passer par le Centre, les Cévennes, les Alpilles, puis Marseille, au hasard. On ne sait pas pourquoi, on ne connaît pas l’histoire, l’homme qui roule en voiture n’ira pas voir un vieil ami comme il l’avait initialement prévu, il lui faut éviter tout contact. Tout en roulant, les rencontres se succèdent par hasard, celles de couples avec lesquels il noue des relations étranges car ils le sont eux-mêmes : un couple d’entrepreneurs à qui il vient en aide dans un hôtel, un couple de jeunes auto-stoppeurs qui n’a pas peur de la nudité, un couple d’isolés qui ont fait le choix de vivre dans une maison perdue au fond d’une vallée où il s’est lui-même égaré, puis un microcosme bizarre rassemblé dans une maison d’hôte avec une piscine. On comprend que chacun roule à sa manière, homme et femme, que chacun a des histoires compliquées et que personne ne veut se raconter. Reste que cette histoire de fuites successives tient fort bien la route. L’écriture captive sans jamais céder au minimalisme, elle intrigue en raison même de ces histoires toutes impossibles qui deviennent, au fil du récit, l’histoire du narrateur. Mais on ne saura rien de plus sur celui qui roule pour rouler. On imagine bien qu’il a eu des histoires de couple, et il sera ramené à la réalité par un vieil homme attachant à qui il apprend à nager dans la piscine de la maison d’hôte. Le vieil homme insolite, qui a eu de sacrées histoires, va mourir à côté de lui et provoquer le choc. Il peut enfin entendre, il lui faut entendre une voix, celle d’une ou d’un autre. Le livre joue ainsi subtilement du décalage entre la fuite et le désir, entre le contact avec l’autre et la rencontre impossible.
O. M.
Jean Rolin. LE RAVISSEMENT DE BRITNEY SPEARS. Paris, P.O.L, 2011, 288 p., 17 €. TRAVERSES. Paris, Le Seuil, coll. « Points », 2011, 120 p., 5, 50 €. CAMPAGNES. Paris, Éditions de la Table ronde, 2011, 231 p., 7 €
Jean Rolin marche pour écrire, ce qui ne veut pas dire qu’il écrit au seul rythme de la marche. En effet, comme il ne peut que marcher parce qu’il ne sait pas conduire, il lui faut s’adapter à des situations fort contrastées. C’est tout l’intérêt de ces trois publications automnales (un inédit et deux rééditions) que d’éclairer sa démarche en nous déplaçant dans des territoires qui n’ont rien à voir entre eux. Dans Traverses, il se promène à la fin des années 1990 dans des villes françaises à l’abandon (dans l’Est et le Centre de la France) car en voie de désindustrialisation, les espaces qu’il traverse sont lugubres et les marches nocturnes l’occasion de traîner dans des gares ou des bistrots pour rencontrer figures inattendues et méthodes de survie. À rebours, Campagnes, qui raconte le chemin de la guerre en Yougoslavie, découvre la terrible cruauté qui se cache derrière celui qui est protégé par ses armes et derrière des paysages où il y a des criminels invisibles partout. Le Ravissement de Britney Spears n’a pas grand-chose à voir avec ces deux livres plus anciens : il s’agit d’une fiction de Jean Rolin qui raconte l’histoire d’un agent secret dépêché à Los Angeles pour protéger une star (la chanteuse Britney Spears elle-même) qui risque d’être la victime d’un complot islamiste. L’ouvrage, fort drôle, raconte à la Rolin, encore et toujours, la marche à pied impossible dans une ville comme Los Angeles. On a droit à la description de tout ce qui bloque et fait frontière : des impasses, des parcours impossibles, des bus fantomatiques tant ils sont rares, des connexions invraisemblables, des hôtels inabordables, des gardes du corps et des paparazzi, et tout ce qui a pour métier de s’approprier des images de célébrité. Voilà une ville où il n’est pas possible de marcher et où il faut donc se déplacer comme un guerrier qui doit être en permanence sur la ligne de front. Dans le cas de Los Angeles, on comprend vite que Jean Rolin a choisi la fiction parce qu’il ne pouvait pas faire autrement : c’est une ville où l’on marche tellement mal qu’il faut se battre, redevenir un guerrier ou un agent secret pour la reprendre en main, pour affronter un monde qui court à sa perte. Les trois livres se font donc bien écho, celui de la ville de tous les simulacres, celui de la guerre et celui de la dérive urbaine. Mais, ce qui est rare, Rolin fait rire avec Britney Spears. C’est tout l’art de la fiction : se donner le droit de rire et de faire rire de ce qui n’est pas drôle.
O. M.
Pierre Schneider. UN DÉSACCORD PARFAIT. Hardouin-Mansart aux Invalides. Arles, Actes Sud, 2009, 128 p., 19 €
Celui qui passe trop vite devant le dôme et l’hôtel des Invalides, ou regarde une photo frontale depuis le pont Alexandre-III, peut croire aisément que les Invalides ne sont qu’un seul monument. Et la vision depuis l’esplanade vient confirmer que l’hôtel des Invalides et le dôme ne font qu’un. Deux en un ! Vieux problème métaphysique ! Mais, dans ce cas, il a fallu résoudre un problème esthétique. C’est la raison pour laquelle Louis XIV a fait appel à Hardouin-Mansart, dont l’aptitude à imaginer des illusions d’optique est remarquable, pour prendre la succession de Libéral Bruant, qui avait réalisé l’hôtel et devait ensuite construire la chapelle de la Salpêtrière. Bien entendu, le problème esthétique est indissociable d’un problème théologico-politique : comme le roi ne peut se trouver dans le même espace religieux (pour prier et communier) que les soldats invalides, il a fallu dissocier l’église du roi de celle des soldats, les séparer tout en maintenant un sentiment d’unité. Cette unité fictive vue de loin correspond donc à une démarcation architecturale que Pierre Schneider, l’auteur d’un classique inégalé sur Matisse et de livres sur Giacometti ou Poussin, expose avec rigueur. Ce livre dense et discret permet de saisir les ressorts politiques et religieux d’un monument simple en apparence.
O. M.
Jocelyne Dakhlia. TUNISIE. LE PAYS SANS BRUIT. Arles, Actes Sud, 2011, 128 p., 15 €
Auteur d’un ouvrage de référence, l’Oubli de la cité, sur le Sud tunisien, et du Divan des rois, qui porte sur les relations de l’islam et de la politique, Jocelyne Dakhlia publie un ouvrage où elle tente de faire le point, sur le ton de la méditation personnelle et engagée, sur le processus enclenché en Tunisie. Elle s’interroge d’abord sur les raisons du soutien aveugle à Ben Ali. « La société tunisienne tout entière, dans l’ombre de son président, était créditée de positions par essence progressistes et laïcistes, et donc pro-occidentales, mais sur la base de ces quelques raccourcis et malentendus, Ben Ali a hérité de ce label d’impeccabilité et de modernité. » De manière plus originale, elle rappelle à ceux qui se plaignent des désaccords naissants entre les acteurs du processus démocratique que la démocratie ne se fait pas dans le consensus et que l’accord n’est jamais assuré : « Certes, la situation que vit la Tunisie dans l’attente d’un nouvelle Constitution et d’un nouveau cadre politique est éminemment inconfortable, au-delà de l’enthousiasme et de la fierté, et l’incertitude que porte en lui le régime transitoire favorise toutes les rumeurs et les craintes. Mais la crainte elle-même, la vigilance, sont après tout inhérentes au système démocratique : il repose sur la négociation permanente, et sur une veille constante face à la diversité politique. Il faut donc accepter qu’un principe minimum d’instabilité, voire la perspective de crises, s’inscrivent comme une forme de routine politique, s’énoncent, dans une certaine mesure au moins, comme une normalité. » Ces propos trouvent tout leur sens dans le cadre des conflits et dissensions qui ont surgi en Tunisie au sein du groupe chargé de la révision de la Constitution. Ils trouvent aussi leur sens hors de Tunisie, pour des « ailleurs » du printemps arabe.
O. M.
François Cariès et Suzette Bloch. LA BATAILLE DU SÉNAT. Paris, Robert Laffont, 2011, 216 p., 19 €
Ce livre, qui a été rédigé pour permettre de comprendre les enjeux d’une bataille qui n’était pas gagnée d’avance, n’a en rien perdu de son intérêt et de son actualité après le changement de majorité. Bien au contraire (voir l’éditorial de ce numéro). Dans la mesure où le journalisme politique est focalisé en France sur les seules présidentielles, le Sénat est considéré comme une chambre bien secondaire. A-t-on lu quelque part un portrait nourri du nouveau président Jean-Pierre Bel, un proche de François Hollande, avant son élection ? L’ouvrage vient répondre à l’absence d’informations dont pâtit le Sénat et qui contribue à son repli. Mais il a surtout le mérite d’anticiper les grands débats qui étaient envisagés en cas de victoire par la gauche et doivent aujourd’hui être mis en chantier. Voici une piqûre de rappel : « Ce Sénat nouveau aimerait en cinq mois dresser un bilan des politiques publiques menées en France depuis dix ans, se livrer à un audit du pays qui pourrait prendre sa part dans la campagne présidentielle et l’éclairer. Cela pourrait se traduire dès l’hiver 2011-2012 par la tenue d’états généraux des élus locaux au Sénat. Suivrait une réflexion sur la réforme de la chambre haute à qui l’on pourrait attribuer un droit de veto sur les projets qui la concernent. Son mode d’élection serait revu afin d’avoir un collège sénatorial qui ressemble à la France d’aujourd’hui. » Telles sont certaines des promesses de la gauche sénatoriale. Il ne reste plus qu’à prendre sans tarder des initiatives.
O. M.
Jean-Paul Maréchal. CHINE/USA. LE CLIMAT EN JEU. Paris, Éditions Choiseul, 2011, 113 p., 15 €
Cet ouvrage aborde un sujet dont l’importance n’échappera à personne. Comme le rappelle l’auteur, démonstrations très claires à l’appui, l’avenir de la planète dépend largement de la volonté et de la capacité des deux partenaires du G2 (Chine et États-Unis) d’assumer leurs responsabilités dans la lutte contre le changement climatique. Pour le résumer d’une formule, notre sort est suspendu à la solution d’un « dilemme du prisonnier planétaire » dont l’issue coopérative semble encore lointaine. Les deux pays qui dominent l’économie mondiale sont en effet pris dans une logique de puissance qui rend fort improbable la conclusion rapide d’un accord global sur la réduction des émissions. À supposer qu’une volonté d’aboutir existe, la disparité des niveaux de développement rendrait de toute façon la négociation fort complexe. Seule, et maigre, lueur d’espoir dans ce tableau inquiétant : les deux pays investissent massivement dans la recherche et le développement de technologies vertes, preuve qu’ils n’ignorent rien du caractère stratégique des enjeux écologiques. Mais il est douteux que cela suffise pour sauver le climat. Ce diagnostic inquiétant n’est pas vraiment nouveau, mais il est ici bien étayé par des analyses documentées et des anecdotes pertinentes qui permettent de mieux comprendre comment raisonnent les dirigeants des deux pays.
B.P.
Alessandro Piperno. PERSÉCUTION. Paris, Liana Levi, 2011, 432 p., 22 €
On retrouve dans ce livre imposant l’atmosphère et le ton qui avaient fait le succès d’Avec les pires intentions (paru chez le même éditeur en 2006) : une plongée dans le monde de la bourgeoisie juive romaine, livrée par un narrateur omniscient à l’ironie mordante. Cependant, la saga familiale fait ici place au portrait d’un homme, Leo Pontecorvo, médecin, professeur, installé dans une petite maison de banlieue qui a des allures de paradis, isolé du tumulte romain, avec sa femme aimante et ses deux fils. Un homme qui, enfant, a été soustrait à l’horreur des persécutions par ses parents partis se réfugier en Suisse, un homme que sa mère a toujours cherché – et toujours réussi – à protéger, un homme cultivé, de bon ton, qui admire le socialiste Bettino Craxi (le roman se situe dans les années 1980) et ne fait pas de sa judéité une question identitaire. Dès les premières pages, cependant, ce monde vole en éclats, lorsque, réunis devant la télévision lors du dîner familial, les Pontecorvo apprennent que Leo est accusé d’avoir entretenu une relation sexuelle avec la petite amie de son fils Samuel, âgée de douze ans. Innocent, terrassé, trop faible pour faire face, Leo se terre dans le sous-sol de sa maison et choisit de traverser ainsi cette épreuve, en sondant ses propres faiblesses, en s’y complaisant parfois, sans affronter ce qu’il y a au-dehors. Ce roman, on l’a suffisamment fait remarquer à l’auteur, est d’une criante actualité, par sa mise en scène de la puissance des médias et de la primauté des apparences sur la vérité. Cependant, c’est avant tout une œuvre d’introspection polyphonique, pourrait-on dire, dans la conscience d’un homme qui a vécu sans distance, dans la certitude et le confort d’un rôle qu’il voit soudain remis en question. En 1979, les critiques féministes Susan Gubar et Sandra Gilbert publiaient un grand livre sur la place de la femme dans les romans victoriens, intitulé The Mad Woman in the Attic (« la folle dans le grenier »). La femme hystérique que l’on cache dans les combles a aujourd’hui laissé place, dans le roman de Piperno (et ailleurs…), à l’homme paranoïaque qui s’enferme au sous-sol.
A.B.
Mona Ozouf. LA CAUSE DES LIVRES. Paris, Gallimard, 2011, 560 p., 24 €
Les articles publiés dans cet ouvrage – articles de critique littéraire parus dans Le Nouvel Observateur au cours des quarante dernières années – balaient l’histoire littéraire, et sortent volontiers des frontières françaises pour aller explorer ce qui se fait ailleurs. Comme l’écrit Mona Ozouf dans sa préface, il pourrait sembler illusoire, nécessairement factice, de reconstruire une cohérence à partir de textes dictés par le plaisir ou l’actualité éditoriale. Cependant, au fil de la lecture, qui donne l’impression de se promener dans les rayonnages d’une bibliothèque amie, on voit émerger, plutôt que des thèmes, une approche, un angle, dirions-nous, si cela ne sonnait trop journalistique. À travers les indignations d’un Jean-Paul Sartre adolescent, l’improbable amitié entre Flaubert et George Sand, l’« odeur [de] charnier » des massacres de 1792 ou le « procès Gatsby » raconté par Azar Nafisi dans Lire Lolita à Téhéran, on aborde l’histoire et la littérature de biais, par la tranche, presque. Mona Ozouf refuse la monumentalisation, l’idéal illusoire d’une nation confite dans ses symboles, pour nous montrer les écrivains sous un autre jour, pour reconstruire avec nous le discours de l’histoire. C’est cela, la « cause des livres », celle qui refuse l’Un pour nous accorder « le droit d’être doubles », d’aimer la brèche, de quitter le droit chemin pour se perdre dans les bas-côtés.
A.B.
En écho
L’ESPACE À L’HORIZON 2040 – La revue d’études et de perspective (Des systèmes spatiaux en perspective, Territoires 2040, n° 3, La Documentation française, Datar) propose un état des lieux des transformations spatiales et urbaines. Du texte d’ouverture rédigé par le géographe Michel Lussault, auteur de l’Homme spatial et De la lutte des classes à la lutte des places, il ressort que « l’urbanisation ne doit pas être pensée seulement en termes d’expansion démographique », que « la mondialisation, l’institution du monde comme espace social d’échelle planétaire, se déploie par et pour l’urbanisation », et que « cette mondialisation urbaine est métropolisée ». À l’horizon 2040, il ressort, entre autres hypothèses, que « les espaces métropolisés tendront à la fois à être multipolaires, mobilitaires et fragmentés ». Cette approche a le mérite de rappeler que la mondialisation n’est pas uniquement un phénomène économique et que la France participe des dynamiques en cours comme les autres pays de la planète.
DES EXPERTS CONSENSUELS – Dans Archives sociales des religions (juillet-septembre 2011, n° 155, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales), on lira un dossier dirigé par Nadia Marzouki sur l’expertise (voir son article sur le discours des think tanks américains sur l’islam depuis 2001). Il en ressort que l’expertise est de nature consensuelle, ce que montre pour sa part Olivier Roy à propos de la norme religieuse dans l’espace public français : « La vraie fonction de l’expert est de produire du consensus faute de pouvoir produire du vrai. C’est pourquoi le débat, y compris sous la forme caricaturale du débat télévisé, est capital dans la production d’un nouveau paradigme du religieux qui soit acceptable, faute d’être tout simplement inscrit dans l’histoire et la culture. »
GROS PLAN SUR LES THINK TANKS AMÉRICAINS – Le dossier du numéro de septembre du Banquet est consacré aux think tanks américains, et ne comporte que des articles (la plupart tirés d’entretiens) en anglais, ce dont le rédacteur en chef Nicolas Tenzer s’explique dans une note aux lecteurs. Ils reflètent l’état actuel de la pensée des grands laboratoires d’idées outre-Atlantique concernant les relations internationales. Carl Gershman, président du National Endowment for Democracy, Thomas Carothers, du Carnegie Endowment for International Peace, ou Daniel Hamilton (Center for Transatlantic Relations, Johns Hopkins University) insistent tous sur l’universalité des valeurs démocratiques, comme l’ont récemment démontré les révoltes arabes, mais également sur la nécessité de transformer la manière dont les États-Unis en particulier promeuvent la démocratie à travers le monde. Il s’agit justement de passer de la promotion au soutien, en renforçant notamment la coopération avec l’Europe, opération selon eux entamée avec succès par le président Obama. Une voix dissonante se fait néanmoins entendre dans ce dossier, celle de Reginald Dale (Center for Strategic and International Studies), qui critique vertement la politique étrangère du président américain, paradoxalement présentée comme plus unilatéraliste que celle de Bush, et marquée par l’indécision.
THINK TANKS COMME À LA RADIO – Alors que les gens de radio, qui sont d’abord des voix et des gens de son, se dévoilent en montrant leur visage sur les panneaux publicitaires, que le canal radiophonique, qui joue un rôle déterminant, est quelque peu oublié dans les méditations savantes au profit de l’image et du numérique, Critique (octobre 2011, n° 73) a la bonne idée de consacrer un dossier à la radio, qui est à la fois un art et une industrie. Ce qui fournit l’occasion à Esteban Buch de relire Adorno et Pierre Schaeffer (très présent à Esprit dans les années 1950), à Camille Renard de saluer le poète et créateur des Nuits magnétiques qu’est Alain Veinstein, et à Marielle Macé de se pencher sur le dernier livre de Peter Szendy qui porte sur les tubes et la philosophie du juke-box.
NOUVELLES POLITIQUES DU LOGEMENT – Le site www.metropolitiques.eu consacre un dossier au logement, dans lequel on s’interroge sur le modèle économique du logement social, aux échelles française et européenne, ainsi qu’à la situation spécifique de la France sur cette question. Comment expliquer la difficulté qu’ont certains Français à se loger ? La part de plus en plus grande des dépenses liées au logement dans le budget des ménages ? Comme l’écrivent Jean-Claude Driant et Thierry Repentin, le problème n’est pas uniquement celui du manque de logements, il réside également dans la nature des logements qui manquent et dans la manière dont ils sont rendus accessibles (ou inaccessibles) aux citoyens. La construction, certes nécessaire, ne doit donc pas faire oublier d’autres éléments, comme la fiscalité, l’interaction entre logement et urbanisme et les questions foncières. L’idéal n’est pas, selon Thierry Repentin, d’en arriver à une « France de propriétaires », mais à une France des bien-logés. Un sujet à suivre, auquel Esprit consacrera prochainement un dossier.
RACONTER DES HISTOIRES – Saluons la naissance de « transitions » (http ://www.mouvement-transitions.fr/), un site internet qui est un véritable objet, à la fois graphique et littéraire. Il se plaît à dérouter le lecteur habitué à la navigation par l’intitulé de ses onglets (point d’articles mais des « intensités », point d’entretiens mais des « civilités ») et l’invite, à travers son dessin fluide, à lire et à écrire, à tisser en somme un « lien littéraire » appelé à se matérialiser par des rencontres autour des projets du mouvement lui-même (comme le questionnaire sur la littérature que l’on trouve sur le site et qui donnera lieu à une table ronde le samedi 10 décembre 2011) ou de questions plus générales liées à la littérature, à sa pratique et à son enseignement (questions posées dans un séminaire qui se tient tous les lundis à la Sorbonne). En somme, cette entreprise de l’esprit et de la plume, créée sous l’impulsion d’Hélène Merlin-Kajman, nous invite à redécouvrir la littérature comme action et comme pratique, à laisser de côté le pur commentaire pour entrer dans une « communauté de destinataires en alerte de la merveille », pour reprendre la citation de Jean-François Lyotard qui figure en exergue du manifeste publié sur le site.
Avis
Liberté de la recherche. Les membres du Centre d’études des mondes africains (Cemaf, Umr 8171 du Cnrs) et l’association des chercheurs de Politique africaine diffusent cette pétition à laquelle nous nous associons :
« Une nouvelle fois, un acteur politique cherche à obtenir de la justice qu’elle sanctionne le travail et la liberté d’expression des chercheurs. »
L’ancien ambassadeur du Rwanda en France de 1990 à 1994 a porté plainte pour diffamation contre deux éminents spécialistes de l’histoire rwandaise : Jean-Pierre Chrétien, historien, directeur de recherches émérite au Cnrs, et Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain. Il leur reproche d’avoir critiqué, dans un courrier adressé à des responsables associatifs de Rouen, le caractère univoque d’un cycle de conférences consacrées en principe à la « réconciliation » au Rwanda, mais confiées exclusivement à des orateurs déniant la réalité historique du génocide des Tutsi et du massacre des Hutu démocrates en 1994. Le courrier signé des deux accusés soulignait que l’ancien ambassadeur, un des conférenciers invités, venait de publier un ouvrage défendant, entre autres, la thèse dite d’un « double génocide » entre Hutu et Tutsi, un argumentaire habituel des réseaux négationnistes.
Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier travaillent sur cette région d’Afrique depuis les années 1960-1970. Ils avaient dénoncé en son temps le génocide des Hutu commis au Burundi en 1972. Ils ont publié de nombreuses études sur le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, sur sa préparation, son organisation et ses séquelles. Ils ont tenté de mettre en garde l’opinion publique française sur ce danger dès le début des années 1990. Ils ont publié en 1995, avec le soutien de l’Unesco, un ouvrage crucial sur les Médias du génocide. Ils ont été témoins-experts auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda en 2002.
La plainte pour diffamation vise à dénier à deux spécialistes reconnus du Rwanda le droit d’informer des responsables d’associations bernés, en septembre 2009, au point d’accepter des conférenciers très orientés dans le cadre d’une manifestation internationale pour la paix. Elle a aussi pour but de faire interdire par la justice le droit de qualifier de « négationnistes » les réseaux qui propagent la thèse d’un double génocide en 1994 au Rwanda. Plus généralement, il s’agit une nouvelle fois d’une tentative d’intimidation des chercheurs pour mettre l’Histoire au service d’ambitions politiciennes.
Solidaires de Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier, nous nous indignons que les controverses sur le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates en 1994 au Rwanda soient considérées comme relevant du tribunal correctionnel. Non, l’Histoire ne se fait pas dans les prétoires !
Pour vous joindre à cette pétition, veuillez envoyer votre accord, en mentionnant vos nom, prénom, fonctions et titres, à l’adresse suivante : petition.jpc.jfd@gmail.com
Le colloque annuel de l’Association des philosophes chrétiens porte cette année sur la question du lien entre philosophie, théologie et religion (« Philosophie, théologie, religion : de nouveaux rapports ? »). Il se tiendra le samedi 26 novembre 2011 de 9h30 à 17h à l’Institut catholique (salle B07), 21, rue d’Assas, 75006 Paris. L’entrée coûte 15 euros, sans inscription préalable. Pour toute demande d’information, contacter Bernadette Plot au 0678882735 (plotbernadette@yahoo.fr).
Www.esprit.presse.fr : le site de la revue suit à sa manière l’actualité en proposant aux lecteurs de relire des articles de son fonds pour éclairer des événements en cours ou prendre du recul par rapport aux urgences du présent. Courant octobre par exemple, la remise du prix Nobel de littérature au poète Tomas Tranströmer était l’occasion de redonner à lire une présentation de son œuvre, accompagnée d’une traduction de plusieurs poèmes que nous avions eu l’occasion de publier en 1996. Nous avons également accompagné la commémoration des événements du 17 octobre 1961 en mettant en valeur un article que Paul Thibaud avait consacré à cette journée il y a dix ans, mais aussi en renvoyant aux articles parus à chaud dans la revue en décembre 1961. Dans le cadre des commémorations de l’indépendance algérienne, nous aurons d’autres occasions de valoriser notre travail au long cours. Nous saluerons également, par exemple, la mémoire de Frantz Fanon, qui est commémorée cette année. N’hésitez pas à vous inscrire à notre lettre d’information et à faire connaître la revue par l’intermédiaire de ce site, qui permet de découvrir les sommaires de tous les numéros et d’avoir différents accès payants à tous les articles de la revue. Une page Facebook permet aussi de tenir les personnes intéressées au courant des thèmes traités dans la revue et des articles qui restent stimulants pour décrypter le monde contemporain.
Nos abonnés ont reçu le numéro d’octobre en retard, en raison d’un problème de machine à l’imprimerie, nous les prions de bien vouloir nous en excuser. Nous les remercions de leur fidélité, sans laquelle nous ne pourrions pas poursuivre notre travail ni défendre l’indépendance de la revue.
Dans les mois qui viennent, nous continuerons notre réflexion sur les révolutions arabes. La Tunisie, l’Égypte et la Libye entrent en effet dans une nouvelle phase, celle de la construction démocratique, qui ne se fait pas sans heurt. Nous reviendrons également sur la crise financière et les tentatives (avortées ?) de régulation mises en place par les gouvernements des pays occidentaux.
- 1.
Abdelmajid Charfi, l’Islam, entre le message et l’histoire, Paris, Albin Michel, 2004.
- 2.
Herbert Hart, le Concept de droit, trad. de l’anglais par M. Van de Kerchove, Bruxelles, Universités Saint-Louis, 1976.
- 3.
Abdellah Hammoudi, Une saison à La Mecque. Récit de pèlerinage, Paris, Le Seuil, 2005.
- 4.
Yadh Ben Achour, Aux fondements de l’orthodoxie sunnite, Paris, Puf, 2009.
- 5.
Haruki Murakami, la Course au mouton sauvage, Paris, Le Seuil, 2002.
- 6.
Id., Chroniques de l’oiseau à ressort, Paris, Le Seuil, 2001.
- 7.
Id., Kafka sur le rivage, Paris, Belfond, 2006.
- 8.
Il se concentrait jusque-là sur la littérature française : publication en 1923 de Die moderne französische Prosa 1870-1920 et entre 1925 et 1931 de Die französische Literatur von Napoleon zum Gegenwart en quatre volumes.
- 9.
Victor Klemperer, Mes soldats de papier (Journal 1933-1941), Paris, Le Seuil, 2000.
- 10.
Id., Je veux témoigner jusqu’au bout (Journal 1942-1945), Paris, Le Seuil, 2000.
- 11.
Id., Lti- La langue du Troisième Reich, Paris, Albin Michel, 1996.
- 12.
Olive Schreiner, la Nuit africaine, Paris, Phébus, 1989.
- 13.
J. M. Coetzee, Disgrâce, Paris, Le Seuil, 2001.
- 14.
Zoë Wicomb, Des vies sans couleur, Paris, Phébus, 2007.
- 15.
Gillian Slovo, Poussière rouge (Paris, Gallimard, 2006) est un roman fondé sur les auditions de la commission Vérité et réconciliation.
- 16.
Zakes Mda, le Pleureur, Paris, Dapper, 1999.
- 17.
Ivan Vladislavic, la Vue éclatée, Genève, Zoé, 2007.
- 18.
Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Paris, Le Livre de poche, 1996.
- 19.
Corine Pelluchon, l’Autonomie brisée. Bioéthique et philosophie, Paris, Puf, 2009.
- 20.
H. S. Afeissa, Éthique de l’environnement, Paris, Vrin, 2007.