Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Dans le même numéro

Encadré : Où va l’argent du 1 % logement ?

janvier 2012

#Divers

Le logement social pourrait être un bouclier contre la crise, or il en est actuellement l’un des principaux symptômes. Cela provient d’un refus de prendre en compte l’articulation de l’économique, du social et de l’urbain, et d’une incompatibilité entre le long terme indispensable à toute politique du logement et un temps politique qui tend de plus en plus à se raccourcir.

Comme pour d’autres sphères de la protection sociale, un vent de réformes agite le monde du logement, et plus particulièrement celui du logement social. Le gouvernement souhaite aller vers un nouveau modèle économique du logement social. L’idée sous-jacente à cette réflexion est que le logement social coûte cher et que ses résultats économiques sont médiocres, voire négatifs pour la société française. Il serait même le principal responsable de la grave crise du logement que nous connaissons actuellement. Il serait donc temps de réformer ce système passéiste contraire aux canons de la modernité économique. Il est assez surprenant de voir ainsi le logement social résumé à sa seule fonction économique et d’oublier sa fonction sociale et structurante pour les villes et les territoires.

Il ne faut pas nier les difficultés du logement social, conséquences de son histoire, de la gestion de certains de ses dirigeants, de choix politiques, urbanistiques et architecturaux. En effet, les logements sont construits pour des décennies alors que les modes ou les postulats idéologiques ne durent souvent, dans le meilleur des cas, pas plus de quelques années. Tout le monde reconnaît que la question du logement est centrale dans notre société. A contrario, il est assez frappant de voir la faiblesse des recherches universitaires lui étant consacrées ou le faible nombre d’hommes politiques s’intéressant au sujet. Cela ne veut surtout pas dire que les réflexions et les hommes ne sont pas de qualité. Mais il y a une déconnection complète entre l’importance que revêt le logement pour chacun d’entre nous et le désintérêt de la grande majorité des intellectuels et des décideurs pour le sujet. Au-delà de la dizaine de grands spécialistes qui s’y intéressent de manière approfondie depuis plusieurs années, la réflexion autour du logement est quantitativement assez pauvre.

Avant de revenir plus particulièrement sur le sujet du logement social, il est nécessaire, dans un premier temps, d’avoir une analyse juste de la crise du logement. En effet, il ne faut pas oublier que seulement 16 % des ménages français résident dans un logement social. Dès lors, le sens des causalités a toute son importance. Les dysfonctionnements qui existent dans le logement social ne sont que les symptômes d’une maladie plus grave qui ronge la politique du logement, et plus généralement la politique de la ville. Les difficultés que nous connaissons peuvent se résumer en une triple crise : une crise structurelle, une crise du pouvoir d’achat mais aussi une crise du « vivre ensemble ».

Le logement social, bouclier face à la crise du logement

La crise du logement est tout d’abord une crise structurelle. Elle est la conséquence d’un décalage entre l’offre et les besoins depuis plus d’une vingtaine d’années. C’est l’accumulation de petits déficits annuels qui fait qu’il manque plus d’un million de logements. Le rapport de la Fondation abbé Pierre sur le mal-logement1, année après année, pointe les effets de ces déficits : 3, 7 millions de personnes sont concernées par le mal-logement en France, 685 000 personnes n’ont pas de domicile personnel, 85 000 vivent en camping ou dans un mobil-home toute l’année. À cette vision quantitative s’ajoutent des problèmes qualitatifs : de nouveaux besoins se font jour. Alors que la structure de la population française a profondément changé depuis la fin des Trente Glorieuses, la politique du logement est marquée par une forte inertie. Par exemple, la France va devoir faire face dans les prochaines décennies au vieillissement de sa population. C’est aujourd’hui que devraient se préparer les logements pour les personnes âgées et dépendantes de demain.

La crise du logement est aussi une crise du pouvoir d’achat. En effet, depuis plus de dix ans, les prix et les loyers ne cessent de croître. Les ménages les plus modestes ont de plus en plus de difficultés à trouver un logement décent abordable. Ces difficultés touchent désormais les classes moyennes qui peinent à accéder à la location et à la propriété. Déjà en 2008, l’observatoire du groupe Caisses d’épargne montrait qu’il fallait en moyenne 4 années de revenus pour rembourser son logement, contre 2, 5 années entre 1995 et 2005, et que les prix des logements anciens avaient bondi de 146 % entre 1997 et 2007. Ainsi, depuis 2000, le prix des logements anciens a augmenté 1, 55 fois plus vite que le revenu disponible par ménage. Cette augmentation des prix a pour conséquence un blocage complet de la chaîne du logement, et réduit donc fortement le rôle économique et social du logement social. La mobilité résidentielle est un indicateur simple pour mesurer ce blocage. Dans le parc social, elle n’a jamais été aussi faible. Cela a pour conséquence une sclérose du logement social qui joue donc moins bien son rôle d’accueil des jeunes et de sas d’insertion dans un cadre de mixité. Dès lors, les plus modestes, les plus pauvres, les moins bien intégrés n’ont plus de place dans la chaîne du logement. Il est désormais temps de relancer toute la chaîne du logement. Tous les segments sont importants pour mettre en œuvre une politique durable du logement. Les politiques d’urgence sont indispensables mais elles ne résoudront pas à elles seules la crise du logement de façon pérenne. Sans une politique du logement ambitieuse pour l’ensemble de la population, nous ne pouvons espérer la réussite de la politique du « logement d’abord » en faveur des personnes en marge du logement ordinaire.

De plus, le gouvernement, dans une logique de stigmatisation qu’il voudrait efficace, a décidé de pointer tous les riches du logement social. La loi Boutin de 2009 fixait un critère simple (le double dépassement des plafonds d’attribution d’un logement social) pour ne plus avoir le droit de rester dans le logement social. En fin de compte, seuls 0, 3 % des ménages dépassent cette limite, et 4 % dépassent de plus de 20 % les plafonds de ressources. Il n’en demeure pas moins que la situation par rapport au logement est profondément inéquitable. Ainsi, le taux d’effort (rapport entre les loyers versés et les revenus des locataires) est inversement proportionnel à leur revenu, même en tenant compte des aides au logement : il est de 36 % pour le quart des ménages français les plus modestes (25 % après versement des allocations logement) ; 16 % pour le quart des ménages les plus aisés. Les restes à vivre après imputation des dépenses logement pour les plus pauvres sont souvent inférieurs à 10 euros par jour et par personne. Le problème n’est pas la situation des plus aisés dans le logement social mais plutôt les prix des loyers, en particulier dans le secteur privé, qui empêchent toute mobilité.

La ville est un monde socialement complexe. Il y a d’un côté les villes-centres et les centres-villes, constitués généralement par les quartiers et faubourgs historiques. En schématisant et en oubliant que la ville est un continuum de situations, au-delà se trouve une double banlieue qui s’oppose et s’ignore : d’un côté les « quartiers résidentiels » et de l’autre les « cités ». Puis se trouve le périurbain, ensemble de petites villes et de villages ruraux dont les habitants travaillent principalement dans la ville voisine. De cette construction naissent des dynamiques de population : les habitants des quartiers sensibles abandonnés par la collectivité rêvent de les quitter. N’y restent que ceux qui n’ont pas les moyens d’en partir. Dans le même temps, la réhabilitation des centres-villes a rendu ces derniers attractifs, en particulier pour les plus aisés. La population du centre devient plus riche et les prix augmentent. Ce phénomène est renforcé par des politiques malthusiennes en termes de construction. Le renouvellement de la population se fait au détriment des plus pauvres et des ménages modestes qui s’en trouvent progressivement évincés : la centrifugeuse sociale entre en action. Leur seul espoir est d’accéder à un logement social qui est absent du fait d’une offre insuffisante et d’une mobilité inexistante. L’application des simples règles économiques de marché, sans intervention de règles sociales, produit mécaniquement de la ségrégation. S’ajoute à ces dynamiques individuelles la gestion des marchés locaux de l’habitat avec leur logique politique locale propre qui de temps en temps s’oppose aux politiques nationales. Le mille-feuille administratif (aux maires, les droits de la construction ; aux départements, l’aide sociale aux régions, le foncier ; à l’État, l’aide à la pierre et à la personne, et enfin à l’Europe, certains grands projets) a comme conséquence une déresponsabilisation de certains acteurs mais aussi un manque d’efficacité des politiques publiques. La ségrégation est le résultat de décisions individuelles qui sont renforcées par des décisions politiques conscientes, c’est donc la conséquence d’un marché régulé sur des bases socialement discutables.

Face à ces trois crises, le monde du logement social ne peut rester sans réaction, il est l’un des éléments de la solution. Le logement social est un vecteur de la lutte pour le pouvoir d’achat des ménages. Les loyers y sont sensiblement plus bas que ceux du secteur locatif privé et les taux d’effort y sont plus faibles. De plus, il ne participe pas à la bulle spéculative immobilière (même si quelques experts objecteront que cette bulle n’existe pas), les loyers étant dictés par un indice qui, sur le long terme, est assez proche de l’inflation, contrairement au marché locatif, qui est un marché déséquilibré par un manque d’offre, où les loyers ne cessent de s’envoler. De plus, même s’ils l’avaient oublié durant les années 1980-1990, les organismes de logements sociaux peuvent être de puissants outils industriels. Depuis les années 1970, leur modèle économique et social repose sur une équation assez simple mais pérenne. Ils empruntent à long terme grâce à un circuit financier « sécurisé » (livret A, prêts à long terme de la Caisse des dépôts et consignations, 1 % logement) et les loyers collectés servent à rembourser ces emprunts. L’État ou les collectivités locales apportent subventions et terrains pour aider ou faciliter la construction. Les loyers servant à l’équilibre financier des opérations sont diminués de l’aide personnalisée au logement, qui est fonction des revenus et de la composition des ménages. Le financement de cette aide provient pour moitié du budget de l’État et pour moitié des cotisations sociales sur les salaires.

La remise en cause du modèle pérenne du logement social

Ce système ingénieux est-il à bout de souffle ? A-t-il été volontairement épuisé par les pouvoirs publics ? Ou bien est-il la victime d’une situation socio-économique d’ensemble dégradée ? Comme souvent, la réalité est complexe. Mais il n’en demeure pas moins qu’elle est en premier lieu la résultante de choix politiques. Alors que les ménages dépensent toujours plus pour se loger, l’État consacre une part de moins en moins importante de son budget, moins de 1 %, à aider les Français à se loger. Au vu des chiffres des cinq dernières lois de finance, il est légitime de se demander si les choix proposés par le gouvernement ne renforcent pas la crise du logement. Deux orientations politiques suivies depuis le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy peuvent être interrogées quant à leur efficacité à long terme pour juguler la crise du logement.

La première, certainement la plus emblématique parce qu’annoncée comme l’un des marqueurs forts de la campagne présidentielle de 2007, est la politique du « Tous propriétaires ». Avec 58 % de propriétaires occupants, la France accuserait un retard chronique grave par rapport aux autres pays développés. En réalité, la France est assez proche de la moyenne européenne (66 %). De plus, il ne faut pas oublier que la Roumanie est le pays européen avec le plus fort taux de propriétaires (98 %) et à l’opposé se trouve la Suisse avec 35 %. La proportion de propriétaires n’est donc pas dictée par un haut niveau de développement économique mais par un choix de société. Les défenseurs de l’accession à la propriété mettent en avant que c’est un souhait des Français. L’aspiration à la propriété serait dans leur nature, de l’ordre de l’inconscient, voire du génétique. Les Français n’auraient pas fait le deuil de leur lopin de terre. Mais le renforcement de cette volonté ne serait-il pas lié à une insécurité sociale grandissante ? Le logement n’est plus considéré comme un investissement à long terme mais comme une épargne de précaution. Face aux modifications des structures productives et aux évolutions des systèmes de protection sociale, la propriété immobilière devient un refuge : « Si l’on perd tout, on aura au moins un toit ! »

Les Français s’endettent de façon déraisonnable. Il est légitime aussi de se demander si cette aspiration, encouragée par les pouvoirs publics, n’est pas antagoniste avec la volonté de flexibilité et de mobilité des salariés. Les propriétaires sont deux fois moins mobiles géographiquement que les locataires. En outre, cette inertie est inversement proportionnelle au revenu. Il ne faudrait pas que l’accession à la propriété se transforme en une nouvelle trappe à pauvreté. En effet, les individus qui sont rationnels devront faire le choix entre prendre un emploi instable qui oblige à changer de logement, ce qui a un coût monétaire important lorsqu’on est propriétaire, ou rester au chômage mais sous un toit assuré. Les aides fiscales à la propriété ont été un choix politique assumé. Il faut avoir conscience qu’il s’agit d’une orientation politique centrée sur les individus qui se constituent un patrimoine plutôt qu’en direction des structures qui favorisent la solidarité nationale. Force est de constater que le gouvernement est revenu sur les dispositifs Scellier, le prêt à taux zéro (Ptz+), et sur la défiscalisation des intérêts d’emprunt. De plus, tous ces dispositifs, y compris la déduction de la valeur de la résidence principale dans le calcul de l’impôt sur la fortune, augmentent les prix du marché en modifiant la valeur réelle de ces biens. La crise est passée par là, mais il s’agit aussi d’un constat d’échec de ces politiques.

La seconde orientation a été la remise en cause du mode de financement de la construction et de la réhabilitation du logement social, qui s’est traduite par la baisse régulière des subventions de l’État pour la production de logements neufs et l’entretien du parc existant. En effet, la réorientation des moyens budgétaires de l’État pour favoriser financièrement l’accession à la propriété dans un univers budgétaire contraint l’oblige à rechercher de nouvelles sources de financement. Pour ce faire, il est contraint de remettre en cause l’ensemble du système de financement du logement social qui était pourtant l’un des rares pans de notre économie sociale à reposer sur un système de financement quasi pérenne. C’est donc un choix politique.

Dans le contexte actuel, vu les prix du foncier et de la construction, les subventions de l’État ou des collectivités locales sont indispensables pour le lancement de nouvelles opérations. L’État « encourage » donc les organismes à vendre leurs logements afin de générer des fonds propres qui pourront venir se substituer à la subvention de l’État. Dès lors, il est nécessaire de se demander quels sont les locataires sociaux qui voudront devenir propriétaires de leur logement.

Les premiers sont sans doute ceux qui habitent dans des logements sociaux bien placés au cœur des centres-villes ou dans des périphéries confortables et agréables (un quart seulement des Hlm sont dans les quartiers défavorisés en zone urbaine sensible). La détermination historique des loyers Hlm, en dehors de toute considération de marché et de capacité financière des locataires, fait que généralement leurs loyers sont relativement faibles. Une fois que l’on a la « chance » d’avoir un de ces logements, il n’est plus question de déménager. Il se crée donc au fil du temps des situations d’avantage comparatif que la vente viendrait encore renforcer. Cela revient donc à vendre des logements bien placés à des populations qui ne sont pas les plus modestes alors que ces loyers sont nécessaires à la gestion équilibrée des organismes. En effet, il existe une péréquation financière au sein d’un organisme Hlm. Les logements construits depuis longtemps, et donc remboursés, servent à la production nouvelle et aux remboursements des programmes plus récents. Vendre ces logements revient encore une fois à déséquilibrer le fragile système de financement du logement social, donc à terme à remettre en cause sa pérennité.

La seconde catégorie de logements sociaux qui trouverait preneur se compose des logements dans les quartiers les plus défavorisés. En effet, quel est le prix d’un logement dans une zone très défavorisée ? La stigmatisation est telle que ces logements, où la qualité du bâti est discutable, ne valent pas grand-chose sur le marché. Dès lors, ce sont les couches les plus modestes qui y accéderont. Ils payeront des logements qu’ils ne pourront ni revendre ni entretenir. Le coût de l’entretien à long terme n’est jamais prévu dans le prix de vente. Des ménages qui ont déjà du mal à payer leurs factures ne pourront pas provisionner un changement de chaudière ou un ravalement. C’est la voie royale vers les copropriétés dégradées. De plus, l’observation des premières expériences de mises en vente importantes de logements sociaux aux locataires révèle, même s’ils semblent dans un premier temps intéressés par la possibilité d’acheter, que nombre de ménages décident par un calcul financier rationnel de rester locataires Hlm.

L’autre solution pour pallier la baisse des subventions de l’État a été de budgétiser l’argent du 1 % logement. En sus de l’argent des organismes qui peut s’apparenter à une solidarité des pauvres vers les plus pauvres, pour arriver à mener à bien sa politique du logement, le gouvernement se retourne donc vers le 1 % logement (système paritaire qui gère les sommes prélevées sur la masse salariale de toutes les entreprises de plus de vingt salariés2) et l’argent des salariés. Il s’agit donc d’inscrire l’argent du 1 % logement dans le budget pour faire croire que l’État consacre toujours autant d’argent au logement social, mais cet argent était déjà consacré à la sphère logement. La loi Molle (loi Boutin du 25 mars 2009 – loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion) ainsi que le décret du 22 juin 2009 prévoient que le 1 % subventionne le plan de cohésion sociale, l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat… Cette logique s’est accélérée lors des deux derniers exercices budgétaires. Dès lors, si les montants versés sous forme de subventions sont supérieurs à la collecte nouvelle, la capacité du système à générer une ressource stable et pérenne est entamée. Avec de telles méthodes, les ressources financières du 1 % ne peuvent que s’assécher et le système sera à terme dans une impasse.

Un modèle économique et social à réinventer

Avant de réinventer un modèle économique et social pérenne pour le logement social, il faut réaffirmer que les investissements dans ce domaine sont structurants pour les villes à long terme. Ils sont au-delà de l’horizon de rentabilité des acteurs économiques classiques. De plus, il ne s’agit pas de routes ou de structures industrielles puisqu’ils sont par essence habités par des ménages. Ils ne peuvent donc être supportés que par des opérateurs publics, parapublics ou privés dédiés agissant dans un cadre législatif et réglementaire très particulier. Cette durabilité de l’investissement matériel s’oppose à la durée de plus en plus courte des séquences politiques : le temps des politiques publiques n’est pas toujours le temps de l’action des hommes politiques. Le logement, comme d’autres politiques publiques (énergie, université, infrastructures routière et ferroviaire), devrait faire l’objet d’un consensus national. Un débat éclairé devrait donc trancher de nombreuses questions qui traversent les familles politiques et les différents courants de pensée.

La première question, certainement la plus importante à long terme, est : quelle est la population qui doit être logée dans le logement social ? Doit-il se spécialiser vers les populations les plus modestes et les plus fragiles, ou doit-il être ouvert à un très grand nombre de ménages ? Actuellement, plus de 60 % des ménages français ont, en termes de ressources, droit au logement social. Dans une situation de pénurie d’offre, ce débat peut s’apparenter à l’opposition classique entre « développement » et « urgence ». En France, ce débat prend une tournure particulière parce qu’il existe des zones de surconcentration du logement social dans le tissu urbain. Ainsi, si le logement social est réservé aux plus pauvres, cela conduit mécaniquement à une spécialisation spatiale des territoires, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de mixité. Mais il n’en demeure pas moins que la gestion de la file d’attente est une chose très complexe. Le corollaire à cette interrogation est la question de la mixité. Comment garantir les équilibres de peuplement sans discriminer les entrants dans le logement social ? Le fait de vouloir rendre anonymes les candidatures à l’entrée dans le logement social pour éviter les discriminations sociales ou ethniques empêche toute politique sociale visant à garantir les équilibres de peuplement et à éviter les dérives ghettoïsantes.

Le bilan de l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (loi Sru), sur l’obligation d’avoir au moins un pourcentage de 20 % de logements sociaux3, est mitigé. Du côté négatif, il y a encore des communes qui ne respectent pas la loi. Après vingt ans, on peut se demander si les contraintes financières sont suffisantes. Mais du côté positif, il y a une large majorité d’élus qui ne veulent plus la remettre en cause. Ils ont mis le concept de mixité au cœur des politiques urbaines et nombre de communes déficitaires ont augmenté leur parc de logement social. Il est peut-être temps de proposer un deuxième acte de la politique de mixité sociale. Tout en gardant cette loi structurante, il serait aisé de construire des indicateurs d’inégalité, basés sur les revenus, au sein des agglomérations, et donc d’imaginer un système de péréquation entre les communes riches et les communes pauvres. Cela permettrait, en sus des politiques de mixité liées aux logements, de dire que l’entre-soi des plus riches a un coût direct et indirect pour les villes accueillant les plus modestes. Les ménages pauvres n’ont guère le choix de leur logement et de leur habitat. Leurs décisions sont contraintes par les plus riches. Dès lors, il s’agirait d’un système de bourse à la mixité : si les plus riches, par leurs choix individuels, décident de vivre dans les mêmes quartiers, dans les mêmes villes, alors ils doivent supporter les coûts sociaux qu’ils engendrent pour les autres.

La deuxième question est : quelle est la fonction des bailleurs sociaux ? En effet, ces organismes sont des acteurs centraux sur certains territoires. Ils ne s’occupent pas uniquement du logement mais ils sont aussi des acteurs de l’habitat et de l’urbain. Ils sont des vecteurs de l’aménagement des territoires et de nombreuses politiques économiques et sociales. Commerces de proximité, centres de soins, politique de l’emploi, agents de sécurité, animations socioculturelles, traitement des populations en souffrance sociale, les collectivités locales, mais aussi l’État demandent aux organismes d’intervenir dans toutes ces dimensions. Lorsque ces politiques sont conscientes, elles sont anticipées par les organismes et peuvent constituer une façon de garantir la qualité de vie des locataires et donc elles font partie de la valorisation des logements sociaux. Il n’en est pas de même lorsque les organismes de logements sociaux sont contraints de traiter des problèmes qui se révèlent encore plus éloignés de leurs compétences. Par exemple, c’est le cas des personnes souffrant de troubles mentaux et psychiatriques. L’abandon de politiques ambitieuses de prise en charge de la santé mentale et d’hébergement de ces personnes en fragilité a un impact sur la vie des immeubles de logements sociaux. Faute d’offre spécialisée suffisante, ces dernières se retrouvent dans le meilleur des cas dans ces logements sans accompagnement spécifique. Leurs besoins sont peu pris en considération par les organismes de logements sociaux et elles peuvent être source de perturbations pour leurs voisins. La diversification de ces missions, le passage d’organismes de logement ordinaire à des organismes de l’habitat palliant les défauts de certaines politiques sociales, ne sont absolument pas pris en compte dans les modes de financement. Les conventions d’utilité sociale, engagement signé entre l’État, les collectivités locales et les organismes de logements sociaux sur les politiques patrimoniales, sociales et de qualité de service de ces derniers, sont un premier pas vers cette prise en considération. Sauf que comme souvent, l’État impose, l’État contrôle mais les financements publics ne suivent pas. À côté d’un financement des opérations immobilières, il reste à imaginer pour les organismes un financement pérenne et conséquent pour la qualité de la gestion locative et du travail social.

Les règles de financement de la production de logements doivent être confortées. Comme nous l’avons déjà écrit : le financement du logement social repose actuellement sur un système financier assez simple. Les Français déposent leur épargne, qui demeure assez liquide, sur des livrets réglementés (par exemple le livret A) dans leur établissement bancaire. Une partie de cette épargne est centralisée à la Caisse des dépôts qui offre des prêts à très long terme à de faibles taux d’intérêt aux organismes de logements sociaux. Le taux de centralisation, terme un peu technique, est l’un des fondamentaux de ce système. Une diminution de la centralisation signifie que moins d’argent du livret A serait destiné à aider à la construction de logements sociaux et serait conservé au sein des établissements bancaires privés. Ce système avait l’avantage de produire des logements aux loyers abordables pour les plus modestes. Mais l’envolée des prix du foncier et dans une moindre mesure l’augmentation des coûts de construction font que, s’il n’y a plus de subventions de l’État, les loyers équilibrant les opérations augmentent d’autant. Mais rien n’a été fait sur le mal qui gangrène la production de logements sociaux : la disponibilité du foncier, qu’elle soit physique ou financière. De plus, les politiques d’aide fiscale ont comme impact d’augmenter les coûts du foncier.

Une politique foncière à long terme est possible, certaines collectivités ont mis en place des dispositifs qui assurent le développement de l’offre locative sociale. Il s’agit d’une volonté politique de longue haleine pour contrecarrer la simple mécanique de la loi de l’offre et de la demande. Il serait plus simple de capter réglementairement ou légalement les prix du foncier et de rendre fiscalement très désavantageux de conserver des terrains non utiles à la collectivité que d’essayer de compenser l’envolée des prix par des suppléments de subventions publiques. L’État serait doublement gagnant. Gagnant par une stabilisation, voire une baisse des subventions octroyées aux organismes de logements sociaux en échange d’une politique forte, volontaire et pérenne de contrôle des coûts du foncier. Gagnant par une production supplémentaire de logements abordables pour les ménages et donc un impact direct sur le pouvoir d’achat. Mais pour cela le postulat de base est que l’on veuille développer le parc de logements publics à loyers modérés. Il en est de même pour les loyers du secteur privé dans les zones tendues. Il ne peut y avoir de sortie de crise du logement sans une action volontaire de régulation des loyers du secteur privé.

*

La politique du logement, et plus particulièrement du logement social, est bien un choix de société liant l’économique et le social. Le logement doit se comprendre comme une chaîne, où les plus pauvres, les plus modestes, les plus fragiles, sont les premières victimes d’un jeu de dominos. Elle doit donc être au cœur des politiques publiques. Le logement est souvent la première pierre de l’accès à l’emploi, à la sécurité, à la santé, à l’éducation… Dès lors, sans politique à long terme de construction de logements sociaux abordables, sans politique de fixation des prix du foncier et des loyers et sans politique de mixité sociale et urbaine, il n’y aura pas de sortie de la crise du logement.

  • *.

    Économiste, chercheur affilié à l’Ofce, spécialiste des questions de logement, de santé et de protection sociale, en particulier du lien entre mobilité et logement social. Il est actuellement dirigeant d’une association œuvrant pour le logement des personnes les plus démunies et les plus mal logées.

  • 1.

    Voir supra, l’entretien avec Christophe Robert, p. 56-65.

  • 2.

    Voir supra, l’encadré de Bernard Coloos, p. 119.

  • 3.

    Dans les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de-France) comprises dans une agglomération de plus de 50 000 habitants, comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants.