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L'Afrique du Sud et les bénéfices du football

octobre 2010

#Divers

Malgré un bilan sportif mitigé, les Sud-Africains ne semblent pas avoir tenu rigueur à leur équipe, les Bafanas-Bafanas. Elle n’aura connu qu’une seule fois la défaite (contre l’Uruguay demi-finaliste) et réussi à obtenir un match nul face au Mexique et à triompher de l’équipe de France. Plus encore, leur élimination au premier tour de la compétition n’a amoindri ni l’euphorie ni la fierté qui se sont emparées des Sud-Africains, un mois durant. Mais par-delà le bilan sportif, il faut se demander quelles transformations politiques et sociales peuvent être attendues au terme de la Coupe du monde.

L’unité nationale : un sentiment plus qu’une réalité sociale

L’engouement pour la Coupe du monde a été partagé par les Noirs (c’était attendu) comme par les Blancs (c’est l’heureuse surprise). Les Blancs ont goûté à l’événement d’abord avec surprise puis, au fil des jours, avec enthousiasme. Supporter l’équipe nationale puis, après son élimination, le Ghana, a été l’occasion pour les Afrikaners d’offrir une forme de reconnaissance aux Africains et aux coloureds (métis), sans avoir à en payer le prix en pénitence. De même, sans devenir de hauts lieux touristiques, les townships ont été déstigmatisés, au point que des blancs qui, peu auparavant n’auraient sans doute jamais pensé y mettre les pieds, y circulaient gaiement. On a même vu les plus hardis revêtus du maillot des Bafanas laisser leur vuvuzela pour entonner des chants en Khosa. Cette ferveur collective était perceptible non seulement dans les stades mais plus encore dans les rues sous le regard des visiteurs étrangers. La liesse partagée a masqué les lignes de fracture « raciales » mais plus encore économiques et sociales.

La paix s’est momentanément installée en Afrique du Sud : c’est toujours autant de pris dans un pays où l’ordre social, quoi qu’en disent les dirigeants politiques, reste fragile. Jacob Zuma ne s’y est pas trompé dans sa conférence du 12 juillet : plus encore que les retombées économiques, il a mis en avant « les bénéfices sociaux inestimables » : « Nous avons maintenant une unité remarquable, une solidarité entre Sud-Africains comme jamais auparavant. » Cette unité nationale se traduit également par un patriotisme très marqué. Du point de vue économique, le pouvoir organise le rejet des produits étrangers et en particulier cherche à organiser une croisade face aux importations chinoises. La guerre sans merci aux produits « fongkong » sert de dérivatif pour contenir l’exaspération des plus pauvres dans une société où les écarts sociaux continuent à se creuser malgré la fin de l’apartheid. Jacob Zuma a tenu trois types de discours. Le premier, à destination des pays non africains, a vanté le multiculturalisme de la « nation arc-enciel ». Un deuxième, destiné aux voisins africains, a célébré la renaissance africaine. Mais le troisième, pour ses électeurs sud-africains, a flatté la fierté nationale, en distillant l’idée de la supériorité de l’Afrique du Sud comme seule puissance capable en Afrique d’organiser un tel événement (d’ailleurs Zuma, sans plus attendre, propose aux dirigeants du Cio, que l’Afrique du Sud soit organisatrice des futurs jeux Olympiques de 2016).

Cette supériorité proclamée a comme effet paradoxal, dans la population la plus démunie des townships, d’aviver les frustrations et de renforcer les réactions xénophobes alors même que le gouvernement dit les combattre. La mise en veille du racisme entre Blancs et Noirs sud-africains, la conviction pour les Sud-Africains de représenter l’élite de l’Afrique contribuent certes au sentiment d’appartenance nationale mais réactivent aussi des haines tenaces et désignent des boucs émissaires : les immigrés venus des pays pauvres voisins. Ainsi, avec un taux de chômage national de 25 % (avec des pics de plus de 50 % dans certains townships), il n’est guère surprenant que Somaliens ou Zimbabwéens venus pour établir leurs commerces dans les townships soient victimes de thématiques xénophobes (« voleurs d’emplois »). Des émeutes contre ces immigrés jugés indésirables se sont déroulées le jour même de la finale du Mondial.

Une question centrale est celle des difficultés de mobilité pour les habitants des townships. Le fait que les blancs y soient venus faire « des visites de courtoisie » durant la Coupe du monde ne règle en rien l’enclavement de ceux qui y vivent. Zuma doit donc faire face à l’insatisfaction des habitants des townships et aux soupçons de corruption portés par les blancs sur sa politique. Impliqué lui-même, sous Mbeki, dans des affaires de corruption, l’actuel président a profité de la Coupe du monde de football pour opérer un retournement de situation : sous le feu des médias internationaux, il a mis en avant son plan « anti-corruption » assurant qu’il organisait la croisade « contre ce fléau » avec la même foi que celle qui l’animait pour l’organisation du Mondial. Les dates de la fin du procès-fleuve de Jackie Sébéli (ancien chef de la police sud-africaine sous le président Mbeki) ont correspondu avec les poules finales de la compétition mondiale. Zuma s’est montré sans complaisance envers cet ancien responsable jugé coupable, le 1er juillet 2010, d’avoir été corrompu par un trafiquant de drogue.

Une image d’efficacité renforcée mais des retombées économiques incertaines

« L’Afrique ne nous a pas déçu, la Fifa est amplement satisfaite » a déclaré Sepp Blatter, président de la Fifa, lors de la conférence de presse de clôture de l’événement du 12 juillet et il ajoutait : « Je donne à l’Afrique un 9 sur 10. Pourquoi pas dix ? Simplement parce que la perfection n’existe pas. » Le grand bénéfice à capitaliser pour l’Afrique du Sud est donc ce crédit porté à un organisateur reconnu aujourd’hui comme efficace et sûr. Il est trop tôt pour envisager sérieusement les retombées économiques, par exemple en termes de tourisme futur, de cette nouvelle image de marque en rupture avec les clichés sur l’insécurité qui prévalaient jusque-là. Il est même difficile d’établir un bilan rigoureux du nombre de visiteurs étrangers à la Coupe du monde. Comme dans les manifestations de rue, subsistent de grands écarts entre les chiffres annoncés par les organisateurs et ceux émis par les « services d’ordre ». Ainsi, quand la Fifa annonce 450 000 visiteurs, les services douaniers du ministère de la Culture et du Tourisme ne comptabilisent pour leur part que 220 000 arrivées sur le territoire.

Une autre difficulté surgit quand il s’agit de calculer les retombées économiques des cinq grands stades construits pour l’événement. D’un côté, Jacob Zuma et son ministre des Finances, Pavin Gordhan, font valoir (là encore avec des écarts sur les chiffres) qu’ils auraient permis la création de 70 000 à 80 0000 emplois. D’un autre coté, Dani Jordan, qui a dirigé le Loc (comité d’organisation local), rappelle que le budget de construction des stades a presque doublé entre les premières estimations et la facture finale : 13 milliards de rands (environ 1, 3 millard d’euros). La question reste entière de savoir comment le pays va rentabiliser à moyen terme ses nouvelles installations. Les scénarios évoqués sont multiples (transfert de savoir-faire pour les autres pays africains désireux de bâtir des stades, démontage et revente de parties d’édifices aux Brésiliens pour la prochaine Coupe du monde, création de centres multisports, de centres de santé, de musées de la Coupe du monde pour touristes). Finalement, on comprend la satisfaction de Sepp Blatter car la Fifa est la grande gagnante de l’organisation en imposant dans un périmètre d’un kilomètre aux abords des stades des « zones Fifa ». À l’intérieur de ces zones réservées, d’où ont été exclus les moindres petits commerces locaux, les stands des sponsors officiels ont prospéré. Plus que les sommes perdues pour l’économie locale, ce monopole aura sans doute un coût politique pour Zuma.

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L’organisation de la Coupe du monde avait trois enjeux principaux pour le pouvoir : renforcer son image de leader du continent africain (objectif pleinement atteint), apaiser les tensions ethniques entre Africains du Sud (objectif momentanément atteint mais au prix de l’apparition de nouveaux boucs émissaires), faire entrer des devises permettant d’améliorer le niveau de vie des Africains du Sud (objectif qui ne pourra être évalué qu’en fonction de la redistribution des coûts et des profits opérée par les dirigeants en place). Le Mondial a renforcé le processus d’unification nationale d’un pays qui connaît ses divisions et peut encore surprendre par sa capacité à les surmonter.