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La Maison des lanceurs d’alerte

avril 2019

La Maison des lanceurs d’alerte, créée fin 2018 par différentes organisations de la société civile, propose un accompagnement juridique, fait du plaidoyer auprès des pouvoirs publics et forme les acteurs concernant les bonnes pratiques.

Fin 2018, la Maison des lanceurs d’alerte (Mla) a été créée sur le modèle de Protect au Royaume-Uni. Cette dernière agit en effet sur trois tableaux : l’accompagnement juridique des lanceurs d’alerte, le plaidoyer (Protect est à l’origine du vote par le Parlement britannique du Public Interest Disclosure Act en 1998) et la formation des acteurs (entreprises et administrations notamment). Mais, avec la naissance de la Mla, c’est la première fois qu’une structure repose sur les efforts conjoints d’organisations de la société civile, associations et syndicats, rendus nécessaires par la multiplicité des expertises requises.

Depuis 2012, la France a connu une actualité législative constante sur l’alerte, avec près d’une dizaine de lois. La loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 avait pour ambition d’aborder la protection des lanceurs d’alerte de manière globale. Mais elle laisse de côté le traitement de l’alerte et s’inscrit dans un paysage règlementaire qui reste morcelé voire contradictoire, dont témoigne la difficile articulation entre les secrets et l’alerte. Face à ce patchwork législatif, le lanceur d’alerte se retrouve souvent désemparé.

Protéger le lanceur d’alerte et son alerte

La première difficulté à laquelle doit faire face le lanceur d’alerte est d’identifier un interlocuteur à même de recueillir et de traiter son signalement. En outre, lorsque l’alerte est effectuée dans le cadre du travail, la loi Sapin 2 imposant une démarche par paliers (voie interne puis, à défaut de traitement effectif ou efficace, autorités administratives ou judiciaires et, seulement dans un troisième temps, révélation publique), le lanceur d’alerte ne sait en général ni quels sont ses droits, ni comment procéder. Il ne peut que rarement compter sur ses collègues, qui cherchent en général plutôt à le dissuader, arguant qu’il ne fera que s’attirer des ennuis ou qu’il mettra en difficulté son employeur ou ses collègues, sans pour autant parvenir à régler le dysfonctionnement signalé. Aussi est-il nécessaire de lui apporter une assistance juridique et procédurale.

C’est la mission première que la Mla s’est engagée à mettre en œuvre. Il s’agit d’assurer que le lanceur d’alerte s’engagera de manière sécurisée dans ce qui va certainement devenir un parcours du combattant. De plus, en complément d’un accompagnement juridique, la Mla prodigue des conseils pour que le recueil, le transfert et le stockage d’informations puissent s’effectuer avec un haut niveau de sécurité. En effet, la rupture de confidentialité est pénalement répréhensible et l’identification du lanceur d’alerte peut le conduire à faire l’objet de représailles de différentes natures (disciplinaires, judiciaires, physiques,  etc.). ­L’accompagnement du lanceur d’alerte en amont de sa démarche, sachant que, dans la majeure partie des cas, il ne connaît pas la loi, est un préalable crucial.

Malheureusement, lorsque les lanceurs d’alerte se tournent vers ­l’extérieur, soit ils sont déjà hors du cadre de la loi Sapin 2 en n’ayant pas respecté les paliers prévus, soit ils ont fait l’objet de représailles. Dans ce cas, ces deux premières formes d’accompagnement ne suffisent plus. Il peut alors être efficace de médiatiser l’alerte pour inverser le rapport de force et il peut être nécessaire de porter assistance au lanceur d’alerte en tant que personne fragilisée par sa démarche. Ce soutien peut être financier (pour des besoins urgents), social (pour l’aider à se réinsérer), voire psychologique (notamment en groupe pour l’aider à travailler sur la situation vécue). Pour que son action soit la plus complète possible, la Mla a choisi d’agir sur ces différents volets, afin d’accompagner le lanceur d’alerte en tant que vigie mais aussi en tant que victime.

Outre ses missions d’accompagnement, considérant que le lanceur d’alerte se situe à l’interface d’une variété d’interlocuteurs, qu’il s’agisse de son environnement professionnel ou social, des organisations de la société civile – associations, syndicats et, plus largement, instances représentatives du personnel –, des pouvoirs publics – exécutifs nationaux et locaux, législateurs, autorités –, la Mla propose de former toute personne physique ou morale ayant, de près ou de loin, un lien avec le lancement, le recueil ou le traitement des alertes, journalistes compris. Mettre en lumière les bonnes pratiques ou dénoncer les défaillances, volontaires ou non, des procédures en place ou envisagées constitue le second type d’activités au cœur de l’action de la Mla.

Enfin, à l’image de Protect, la Mla n’a pas simplement choisi de pallier les carences des pouvoirs publics, ni d’endosser un rôle de délégataire de service public. Aussi se positionne-t-elle également comme pivot des efforts de plaidoyer visant à amender la réglementation tant en France qu’en Europe, dans le but d’améliorer la protection des lanceurs d’alerte, de renforcer la réparation des dommages subis et surtout d’assurer que leur alerte sera traitée. Ce troisième point est fondamental, étant donné qu’il n’est abordé par aucune des législations en vigueur et que la situation actuelle est particulièrement dissuasive. En effet, qui ira prendre le risque de lancer une alerte s’il n’a pas la garantie qu’il sera entendu ?

Mutualiser les compétences

L’idée de créer une Maison des lanceurs d’alerte remonte à une dizaine d’années, suite à l’organisation par l’association Sciences citoyennes de campagnes de mobilisation pour soutenir Pierre Meneton (qui dénonçait l’excès de sel dans l’alimentation), Véronique Lapides (qui alertait qu’une école maternelle était construite sur un sol pollué) et Christian Vélot (qui soulignait les risques liés aux organismes génétiquement modifiés). Les campagnes de pétition ont eu pour conséquence de rendre Sciences citoyennes destinataire de nombreuses sollicitations de lanceurs d’alerte. Mais l’association n’avait ni le temps ni l’expertise nécessaires pour valider les alertes reçues.

En 2013, le projet d’une structure dédiée a pris corps, suite à un partenariat avec Transparency International France, soutenu financièrement par la fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme. Le passage d’initiatives isolées à un projet mutualisé a permis d’envisager que la Mla constitue un interlocuteur bien identifié vers lequel pourraient se tourner des lanceurs d’alerte ou des structures ayant besoin d’améliorer leurs pratiques en matière d’alerte.

En 2017, afin d’augmenter les chances que la Mla soit pérenne, il a été proposé aux organisations souhaitant rejoindre le projet de définir ensemble ses missions, sa gouvernance, ses sources de financements et ses modalités de fonctionnement. Un comité de pilotage, composé de vingt-trois associations et syndicats, a été constitué. Le fait de rassembler ces organisations répond notamment au besoin d’avoir à disposition une diversité de compétences techniques (droit, sécurité informatique, plaidoyer, communication, gestion de projets multi-acteurs,  etc.) et ­d’expertises ou expériences de terrain dans différents domaines (santé, environnement, fiscalité, corruption,  etc.).

La Mla à long terme

Compte tenu de la multiplicité des scandales et des évolutions très lentes du cadre règlementaire permettant de les prévenir ou d’y remédier, la démarche de la Mla s’inscrit forcément sur un temps long, d’où l’idée de créer cette organisation sur une base robuste en y associant de nombreuses associations et syndicats. Mais son activité ne saurait se résumer à une démarche de confrontation. Différents types d’acteurs interviennent dans le champ de l’alerte. Au niveau institutionnel, le défenseur des droits s’est vu confier une mission de conseil et de protection au bénéfice des lanceurs d’alerte. Des acteurs de la société civile se coordonnent à différentes échelles ou sur des dossiers spécifiques[1]. Il est par ailleurs prévu que la Mla organise différents comités d’experts, juridiques mais aussi scientifiques, pour l’accompagner dans l’étude des dossiers reçus. C’est donc en collaboration avec l’ensemble des acteurs concernés que la Mla entend inscrire son action, afin de mutualiser ce qui peut l’être, tout en déployant une action spécifique sur les terrains qui ne sont pas abordés par ses partenaires.

Agir pour les lanceurs d’alerte, c’est aussi agir avec les lanceurs d’alerte.

Mais agir pour les lanceurs d’alerte, c’est aussi agir avec les lanceurs d’alerte. Le développement de l’expertise et de l’efficacité de la Mla repose ainsi sur le retour d’expérience de ceux qui vivent au quotidien le fait d’être lanceur d’alerte. Un comité consultatif de lanceurs d’alerte sera par conséquent mis en place afin de pouvoir bénéficier d’un éclairage de terrain des premiers concernés ainsi que de leurs suggestions.

 

[1] - Le Whistleblowing International Network coordonne au niveau international un réseau d’organisations impliquées dans la défense des lanceurs d’alerte ou le plaidoyer visant à renforcer leurs droits. The Signals Network s’est constitué en partenariat avec des médias d’investigation, dont Mediapart, afin de soutenir les lanceurs d’alerte dénonçant des utilisations abusives des données personnelles et de rendre publiques ces malversations.

Glen Millot

Docteur en génie des procédés, coordinateur de l’association Sciences citoyennes en charge du programme lanceur d’alerte, il a publié Boutiques de sciences (Charles Léopold Mayer, 2019).

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