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La France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation

Alors qu’on craint, ou qu’on agite pour mieux inquiéter l’opinion, un risque de « communautarisation », cette étude des différents mouvements s’adressant à la population musulmane montre une tendance inverse. L’essoufflement des organisations de jeunes et la notabilisation des représentants de l’islam, en l’absence de relais politiques laïques, orientent la revendication de reconnaissance vers le terrain de la violence.

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, le problème de la France avec ses banlieues relève moins d’un choc de civilisation que, bien plus prosaïquement, d’un problème de discrimination socioéconomique et de représentation politique de la communauté musulmane1. Issue d’une immigration de travail, cette communauté particulièrement précarisée occupe en proportion importante les quartiers dits sensibles, cités de logement social ou banlieues périurbaines et a manqué de relais efficaces lui assurant une représentation politique.

Jusqu’à présent, l’organisation politique de ces populations – qu’elle se soit faite sous la direction de l’extrême gauche ouvriériste dans les années 1970, des marches pour l’égalité menées par le mouvement des beurs2 et de la forte dynamique associative qu’elles ont générée au cours des années 1980, ou des mobilisations religieuses de caractère islamiste dans les années 1990 – a systématiquement échoué ou a été mise en échec. C’est le cas, notamment, de l’Union des organisations islamistes de France (Uoif), fédération plus ou moins lâche d’associations s’inscrivant dans la filiation des Frères musulmans, ainsi que des mouvements de jeunes musulmans ayant émergé au tournant des années 1980 comme acteurs de l’encadrement associatif des quartiers et structurés idéologiquement autour du discours de Tariq Ramadan3.

Cet échec a donné lieu de façon récurrente à deux types de réaction. La première, spontanée, est le plus souvent liée à une implication policière directe ou indirecte : c’est la violence émeutière, constamment présente mais avec des degrés de violence variables la rendant souvent médiatiquement invisible. La seconde, qui ne touche qu’une mince frange d’activistes, a trait au basculement dans l’expérience jihadiste. Dans un premier temps, cette expérience fut étroitement liée à des conflits nationaux, que ce soit le conflit libanais ou algérien. Depuis peu, cependant, elle s’internationalise dans le cadre d’un nouvel anti-impérialisme jihadiste qui prône l’affrontement violent avec des puissances non musulmanes. En plus des musulmans d’origine, ce nouvel activisme implique toujours plus de convertis à l’islam qui vivent dans des cités précarisées et vidées de tout espace de militance.

Dans les deux cas, c’est l’échec des formes de représentation politiques traditionnelles joint au retrait de l’État – sauf en ce qui concerne son caractère sécuritaire – qui explique la dérive violente. Ainsi, avec l’épuisement des organisations qui ont cherché à encadrer les militants issus de l’immigration et avec le désengagement des forces politiques nationales, « personne ne milite plus dans les banlieues sauf les militants jihadistes4 ». Depuis la fin des années 1980, lorsque les marches pour l’égalité menées par des militants foncièrement laïcs ont perdu de leur capacité de mobilisation, c’est sous la bannière de l’islam que les populations issues de l’immigration musulmane s’organisent politiquement. Quant à la présence de l’État dans le monde des cités, elle tend à s’y manifester de façon toujours plus coercitive comme l’indiqua encore l’imposition du couvre-feu pour tenter de contenir le soulèvement des banlieues de 2005.

À tout cela il faut ajouter le raidissement idéologique d’une grande partie de la classe politique française, lequel nourrit les tentations de rupture avec la société française développées par le mouvement salafiste5 mobilisant sur le projet de retour vers les pays musulmans.

Il s’ensuit que les phénomènes de violence émeutière ou jihadiste sont directement liés à la question de la dépolitisation actuelle, elle-même liée à celle de l’essoufflement des formes de représentations traditionnelles. Désormais, l’offre d’islam dans les quartiers se réduit plus ou moins à une rivalité entre deux mouvements missionnaires, le Tablîgh6 recrutant toujours activement mais peinant à « fixer » ses adeptes, et le salafisme qui le concurrence toujours plus vivement dès la fin des années 1990, et, à la marge, le militantisme des réseaux jihadistes mobilisant à partir d’un discours anti-impérialiste « islamisé » et dopé d’une part par les questions palestinienne et irakienne sur le plan international et d’autre part par les discriminations en France. Contrairement aux idées reçues, c’est l’essoufflement de l’islamisme politique bien plus que sa radicalisation qui explique les violences émeutières et jihadistes7. Comprendre ces violences passe alors par l’élucidation des mécanismes qui ont amené à cette « désertification politique » des banlieues8.

La France, l’islam, et ses musulmans

L’islam de France est un tableau à double entrée où l’on trouve d’un côté les populations musulmanes et l’histoire de leur installation dans le pays et, de l’autre, une religion telle qu’elle se structure, s’institutionnalise et s’intègre dans la cité. Or les musulmans et l’islam, en France, n’ont pas la même histoire. Celle des musulmans, c’est d’abord l’histoire d’une immigration qui, longtemps, était traitée à partir d’autres questions que celle de leur identité religieuse. Jusqu’au début des années 1980, ceux qui allaient devenir – par leurs revendications mais aussi par le regard extérieur de la société d’accueil, des médias, des autorités – les musulmans de France, étaient d’abord des immigrés ou des travailleurs.

Dans les années 1960-1970, les immigrés économisent en France et préparent le retour. Toute demande religieuse est alors mise entre parenthèses, les vraies demandes étant plutôt sociales, directes, concernant les salaires ou les conditions de vie dans les foyers de travailleurs. Pourtant, dès 1965, un nouveau processus va jouer un rôle déterminant : le regroupement familial freine le projet de retour. Une « demande d’islam » se développe alors sur le sol français portant principalement sur les lieux de culte. Dans le monde du travail, les entreprises ne réagissent pas défavorablement alors que dans les foyers de travailleurs, la construction de lieux de culte a été utilisée comme concession pour neutraliser les revendications plus politiques ou économiques portant sur les prix des loyers et les conditions de vie9.

Mais le véritable essor des lieux de culte viendra d’un autre facteur : la réforme de la loi sur les associations en 1981 qui donne le droit aux étrangers de s’organiser en associations, ce qui permettra aux premières revendications religieuses de se formuler. La demande d’islam née avec l’arrivée des familles allait dorénavant trouver un cadre institutionnel pour s’affirmer.

C’est, apparemment, une entrave au modèle républicain français qui, en principe, ne reconnaît que les individus et se méfie des médiations communautaires. A priori, et en vertu de la loi de 1905 stipulant la séparation de l’État et des Églises, la question de l’islam devrait être une affaire privée et ne pas impliquer l’État. En réalité, l’État français s’est montré interventionniste, reprenant une vieille tradition d’instrumentalisation étatique des organisations religieuses ou communautaires. C’est cette tradition qui va déterminer les avant-projets d’institutionnalisation de l’islam qui se mûrissent dans la seconde partie des années 1980, suite à des appels d’universitaires travaillant sur la question de l’islamisme (Gilles Kepel et Bruno Étienne en particulier10). L’idée est la suivante : il faut structurer l’islam à partir d’un « consistoire » visant à franciser l’islam pour s’assurer la loyauté de ses adeptes. Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur à l’époque, réunit un Conseil de réflexion sur l’islam de France (Corif) en 1990, soit dans la foulée de 1989, année de toutes les crispations avec les affaires de voile en France, la montée du Front islamique du salut en Algérie et l’affaire de la fatwa contre Salman Rushdie en Iran. Le Conseil ne donna guère de résultats forts mais contribua à asseoir un peu plus cette idée qu’il fallait « organiser l’organisation de l’islam ». Jean-Pierre Chevènement, devenu ministre de l’Intérieur, reprend le témoin en 1999 avec une nouvelle structure de consultation réunissant les grandes fédérations nationales de musulmans et qui aboutit en 2003 sous le nom de Conseil français du culte musulman.

Créé pour que la République puisse trouver des interlocuteurs, et éviter que la demande d’islam soit laissée à la gestion incertaine et dispersée des collectivités locales, le Conseil français du culte musulman dote l’islam d’une instance centralisée ayant pour objet la gestion de toutes les questions liées au bon fonctionnement du culte.

Avec le temps, l’institutionnalisation du culte musulman fait son chemin. Pourtant, alors que l’immigration maghrébine est dans une phase extrêmement rapide de francisation dès les années 1980 par l’acquisition de la nationalité, la langue et les mariages mixtes, l’islam de France se fait encore attendre. En effet, les grandes fédérations au cœur du Conseil restent proches des pays d’origine et n’intègrent que peu – ou seulement à la base – les musulmans des deuxième et troisième générations nées en France. Quant aux associations de base, elles restent largement tenues par les immigrés de la première génération alors que le métier d’imam semble souffrir d’une sérieuse crise de vocation ou de manque de moyens. Depuis 1995 remarque Christian Delorme, prêtre, chargé des relations avec les musulmans au diocèse de Lyon, le nombre des imams en France stagne ou n’augmente que peu : 800 en 1995, ils sont 1 000 aujourd’hui en comptant les bénévoles et les occasionnels (seuls 550 sont des permanents11). D’ailleurs, les structures de formation en France ne mettent que peu d’imams sur le marché français et souffrent de sérieuses difficultés financières comme le reconnaît le président du Conseil régional du culte musulman de la région lyonnaise12.

En clair, le processus d’islamisation, réel, doit être relativisé. Non seulement parce qu’il ne touche qu’une minorité de la population musulmane de l’Hexagone mais également parce que, quand il a lieu, c’est la plupart du temps de façon peu encadrée, souvent « bricolée » de manière individuelle ou dans le cadre d’une culture de jeunes qui doit bien peu aux directives des imams. Les sondages d’opinion concernant les croyances et l’évolution de la pratique des musulmans de France montrent ainsi, sur ces 20 dernières années, une légère hausse de la pratique (prière, fréquentation de la mosquée le vendredi, respect des interdits alimentaires) bien loin de la lame de fond parfois décrite13. Derrière la tentation jihadiste, il y a donc moins une effervescence religieuse généralisée que le partage d’une communauté de destin et de relégation sociale, économique et politique.

L’épuisement de l’islamisme politique

Alors qu’on a craint que l’islamisme politique soit le vecteur de la radicalisation, c’est son déclin qui favorise aujourd’hui à la fois le jihadisme et les émeutes de banlieue. La violence qui se manifeste est directement issue de la crise profonde des canaux d’expression politique et identitaire des populations musulmanes. Dominée par un discours laïque au cours des années 1980, l’affirmation identitaire s’islamise lors de la décennie suivante. Puis l’islamisme politique comme projet de mobilisation contestataire entre lui aussi en crise.

Cette crise, qui représente moins une baisse des capacités de mobilisation qu’une remise en cause des anciens modes de militance, s’exprime d’abord par l’évolution que connaît le principal acteur islamiste en France, l’Union des organisations islamiques de France (Uoif). Cette fédération d’associations se situant dans la mouvance des Frères musulmans a progressivement renoncé à une stratégie de relations conflictuelles avec les autorités françaises pour s’engager, au cours de la seconde partie des années 1990, dans une stratégie de reconnaissance et de clientélisme. Cela nourrit le mécontentement d’une partie de sa base sociale, notamment les jeunes, alors que l’Union peine à s’imposer dans les régions stratégiques comme Lyon, Paris ou Marseille, ainsi que dans les cités, en raison d’un discours toujours plus orienté vers les classes moyennes et éduquées. Le dernier congrès de l’organisation, qui a eu lieu en 2005 au Bourget, à côté de Paris, a ainsi été marqué par un discours lisse et non polémique, ainsi que par une orientation consumériste marquée14. En 2005 toujours, l’embourgeoisement croissant et les positions consensuelles des cadres de l’Uoif renforcent le mécontentement au sein de la base militante.

Par ailleurs, les émeutes de la même année sont venues confirmer que les islamistes ne tiennent pas les banlieues. Alors qu’ils avaient tout intérêt à calmer le jeu pour montrer leur capacité de contrôle dans les quartiers sensibles et donc négocier une meilleure reconnaissance des pouvoirs publics, ce fut largement l’échec : pas d’agents provocateurs barbus derrière l’embrasement, ni de « grands frères » derrière pour l’éteindre. Les islamistes (politiques et missionnaires) sont pourtant là, mais sans position hégémonique. Ils sont des éléments parmi d’autres de l’organisation sociale des banlieues françaises, finalement pas tant « sous influence » que cela.

Enfin, la constitution, en janvier 2005, du mouvement des « Indigènes de la République » exprime une tendance des mouvements de jeunes musulmans à prendre leurs distances avec l’idéologie islamiste. À partir d’un discours à nouveau sécularisé, ces militants dénoncent le caractère néocolonial qu’ils décèlent dans les processus de ségrégation communautaire.

L’émergence de ce mouvement tend à confirmer la re-sécularisation de l’identité politique d’une partie des mouvements citoyens de l’immigration, centrée sur la référence culturelle arabe avec le mouvement beur au cours des années 1980, puis sur l’identité musulmane au cours de la décennie suivante. Rompant avec les cadres de pensée et d’action islamistes, c’est en tant qu’« indigènes de la République » que certains héritiers de l’immigration maghrébine se mobilisent désormais en politique.

La neutralisation politique de l’Uoif : clientélisme et rémission idéologique

L’épuisement de l’islamisme politique se manifeste en premier lieu par la neutralisation de l’Uoif. Structure militante fondée en 1983 par un groupe de militants et de cadres islamistes tunisiens menés par Ahmed Jaballah et Abdallah Benmansour, l’Uoif était destinée à devenir la branche française du Mouvement de la tendance islamique (Mti) – mouvement islamiste tunisien en partie inspiré par les Frères musulmans égyptiens15.

Alors que, dans un premier temps, l’Uoif fut très marquée par cette filiation islamiste et peu intéressée par l’action au sein du pays d’accueil, vers la fin des années 1980 elle change d’orientation et se persuade que c’est en France, et non dans le monde arabe, que doit se situer son action. Galvanisée par la montée du Front islamique du salut (Fis) en Algérie en 1990, choquée par la guerre contre l’Irak (à laquelle participe la France) l’année suivante et, plus encore, par la guerre civile en Bosnie, l’Uoif entend négocier son entrée sur la scène française à partir d’une stratégie de tension. L’organisation s’engage aux côtés des écolières voilées en 1989 que certains veulent empêcher d’accéder à l’école, tente d’interdire la parution en français des Versets sataniques de Salman Rushdie, se réclame de la lutte contre « la francisation des pensées et des mœurs16 », et ne cache pas ses velléités de contrôle sur le processus de réislamisation des jeunes musulmans de France.

L’Uoif est effectivement engagée dans une stratégie d’encadrement associatif à vaste échelle17 : elle dispose de près de 30 centres cultuels, contrôle deux grandes mosquées, et revendique des liens avec 250 associations18, des sections de jeunes (Jeunes musulmans de France), et d’étudiants (Étudiants musulmans de France). L’Uoif est également proche de groupes de femmes, d’organisations humanitaires comme le Secours islamique ou le Comité de bienfaisance et de soutien à la Palestine, ainsi que d’associations éducatives ou culturelles au niveau local. Surtout, l’Uoif fait montre depuis une dizaine d’années d’une forte capacité de « mobilisation communautaire19 » dans des rassemblements comme le congrès du Bourget où la dimension familiale l’emporte largement sur la geste militante.

En parallèle à ses stratégies d’encadrement social, l’Uoif a pourtant une autre ambition : participer à la reconnaissance et à l’institutionnalisation de l’islam de France, vaste chantier auquel elle est invitée à se joindre, dès 1990, par Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur – à ce titre responsable des cultes – dans le cadre du Conseil de réflexion sur l’islam de France. Cette mission va progressivement prendre le pas sur la vocation militante de l’organisation et marquer l’entrée de l’Union dans un jeu clientéliste : ses cadres, pour se rapprocher des autorités françaises et bénéficier de leurs faveurs, abandonnent leur posture contestataire et prennent leurs distances avec la rhétorique de l’islamisme politique des années 1980.

En 1993, une nouvelle direction emmenée par les Marocains Fouad Alaoui et Lhaj Thami Brèze, qui écarte les fondateurs tunisiens plus radicaux, répond favorablement au processus de consultation sur l’islam lancé par le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, qui vise à renforcer l’institutionnalisation de l’islam, faible en comparaison de celle des autres cultes. Progressivement, l’orientation clientéliste du mouvement devient la stratégie dominante ; elle aboutit, en 2003, à la participation active de l’Uoif au Conseil français du culte musulman (Cfcm), créé par le nouveau ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Comme l’explique le sociologue Ahmed Boubekeur, une nouvelle génération de cadres locaux apparaît :

qui se définissent en gestionnaires du culte beaucoup plus que comme militants politiques. Ces nouveaux leaders ne veulent plus de politique. Ils considèrent désormais que le vrai lieu est la mosquée et non l’espace public20.

Les positions d’Azzedine Gaci, l’actuel président du Conseil régional du culte musulman en Rhône-Alpes, sont révélatrices de cette nouvelle génération marquée par le souci d’efficacité plus que par la ferveur militante, mais aussi d’une certaine autonomie par rapport à la direction de l’Uoif. Soucieux de marquer son indépendance par rapport à la tête du Conseil français du culte musulman « miné par les rivalités et les intérêts étrangers », il revendique une autre politique islamique, plus proche des réalités locales, loin « des manifestations et des cris de colère ». Azzedine Gaci dialogue avec les médias21, propose une émission sur une radio locale de variété arabe, finance sa mosquée sans recours à des fonds étrangers, pacifie les rapports avec le voisinage, rétablit la confiance avec la mairie, mais aussi entre les jeunes et les premières générations au sein de la mosquée.

Dans les structures dirigeantes comme dans la base militante, l’heure est donc à la dépolitisation. Les critiques se multiplient, principalement de la part des jeunes musulmans nés en France, les beurs. Ils mettent l’accent sur les liens étroits unissant nombre de ses cadres au ministre Nicolas Sarkozy, et dénoncent l’approche purement humanitaire de la question palestinienne de la part de l’Uoif, le profil bas qu’elle adopte lors du vote de la loi interdisant le port du foulard à l’école en 2004, ou récemment sa relative discrétion lors de l’affaire des caricatures danoises du prophète Mahomet. Il est aussi reproché à l’Union son enfermement dans une culture politique « blédarde » – c’est-à-dire orientée vers le pays d’origine (bled en arabe dialectal), trait caractéristique des musulmans récemment venus d’Afrique du Nord22 – coupée des vrais problèmes des musulmans de France. Comme le fait remarquer le directeur du site oumma.com, Saïd Branine :

Les préoccupations des jeunes musulmans au niveau local, ce n’est pas le culte, c’est la discrimination, l’islamophobie, la question palestinienne, et alors que les beurs sont à gauche, les blédards sont à droite et peu réceptifs aux nouveaux combats comme l’altermondialisme23.

En même temps, la bureaucratisation de l’Uoif fait l’objet de sévères critiques. Les beurs dénoncent notamment la mainmise des représentants de l’islamisme « blédard » sur la direction du mouvement, au détriment des musulmans nés en France, la concentration des pouvoirs et le cumul des postes de responsabilité, autant de facteurs qui amènent certains des militants les plus actifs à se désolidariser du mouvement.

Pourtant, l’abandon de la stratégie de l’affrontement n’est pas seulement dû au virage clientéliste de l’organisation. Il est aussi le fruit d’une évolution idéologique touchant l’ensemble de l’islamisme politique. On observe tout d’abord une prise de distance par rapport aux références idéologiques qui prédominaient au cours des années 1980 (Hassan al-Bannah, Mawdoudi, mais aussi Sayed Qutb24) et la constitution d’une vision plus souple du dogme25. En second lieu, après s’être focalisé sur l’engagement militant en faveur de la communauté, l’Uoif adopte un nouveau discours de promotion de valeurs individualistes. La réussite sociale devient le ressort de ce nouveau discours qui considère que c’est par l’exemple, le volontarisme et l’effort que le musulman s’imposera dans la société. Sont mises en avant des personnes comme le basketteur français Tariq Abdel-Wahad, modèle par excellence du winner pieux. Un modèle de religiosité destiné aux classes moyennes réislamisées se constitue, plus ouvert sur la culture de masse. Ainsi, lors de l’édition 2005 de la rencontre annuelle de l’organisation au Bourget, le streetwear islamique l’emporte sur le hidjab, les hymnes martiaux et militants cèdent le pas au rap islamique et à la « chanson halal ». « Le Bourget est devenu un souk sans conscience militante et sans engagement associatif. Ce sont les blédards qui sont encore en train de reproduire leurs schémas », déplore un ancien compagnon de route de l’Uoif de la région lyonnaise.

Ces mutations montrent les limites du modèle d’encadrement communautaire de l’Uoif26 et ses difficultés croissantes à s’ériger comme acteur principal de la réislamisation ou de la représentation politique des musulmans en France. D’abord, si l’Uoif est toujours présente dans les banlieues, son action n’y est pas significative. Ensuite, ses éléments les plus dynamiques, les organisations de jeunes, sont de plus en plus critiques à l’égard de la direction.

Enfin, l’Uoif n’a jamais réussi à capter l’ensemble de l’islamisme blédard. D’une part, les acteurs free lance ne s’inscrivant pas directement dans la mouvance de l’Uoif sont nombreux ; d’autre part, l’Uoif n’est plus le passage obligé pour intégrer les instances de représentation de l’islam politique. Le conseil d’administration du Conseil français du culte musulman comprend une part non négligeable de militants directement issus de structures locales dans lesquelles ils ont fait carrière.

En somme, avec des capacités de mobilisation réelles, mais socioculturelles plus que politiques, l’Uoif ne saurait constituer ce vaste mouvement social unifié de restructuration communautaire qu’elle a un moment cherché à être. Plutôt proche des classes moyennes, loin des quartiers, l’Uoif ne peut être une alternative à la radicalisation jihadiste ni un mouvement d’encadrement des banlieues.

L’essoufflement des jeunes musulmans

À la fin des années 1980, l’islamisme politique en France, issu pour une part du passage en Europe des militants du Maghreb, va se nourrir d’une dynamique plus nationale : la mobilisation sur l’islam des jeunes Français issus de l’immigration maghrébine.

S’exprimant au début des années 1980 par le biais d’une démarche laïque dans le cadre de la mobilisation associative lancée par la marche des beurs de 1983, la quête de reconnaissance s’affirme progressivement en termes islamiques par une nouvelle militance religieuse menée par des jeunes musulmans, parfois issus du mouvement beur et déçus par lui, lassés des trahisons de la classe politique. Abdelaziz Chambi résume les frustrations qui régnaient alors :

La gauche est arrivée au pouvoir, Mitterrand a reçu la marche des beurs, mais quelle reconnaissance, quelle visibilité, quelle égalité avons-nous reçues en retour ? Les promesses comme le droit de vote aux immigrés sont restées purement verbales27.

Parmi les nouvelles structures religieuses figure l’Union des jeunes musulmans (Ujm), fondée en 1987 à Lyon. Proche dans un premier temps de l’Uoif, elle entend rester avant tout un mouvement de jeunes et de musulmans français. Elle rejette alors les tentatives de récupération des islamistes marocains d’al-Adl wa al-Ihsan28, refuse de trop se rapprocher de l’Uoif et préfère s’inspirer de la pensée de Tariq Ramadan, qu’elle contribue à faire connaître en France.

Portée par le souffle militant de la fin des années 1980, l’Union des jeunes musulmans fédère un réseau d’associations décidé à défendre la « reconnaissance du fait musulman », mais aussi à assurer la « participation des jeunes à la cité29 », tout en tentant de s’instituer en force électorale capable de négocier avec les autorités locales30. Il s’agit de redonner aux populations issues de l’immigration leur autonomie en matière d’expression politique et de se positionner à la fois dans le politique et le religieux. Ainsi, le congrès de l’Union des jeunes musulmans de 1994 décide de soutenir une « position médiane entre l’intégration forcée et l’exclusion », défendre « les valeurs arabo-islamiques, tout en respectant le cadre républicain ».

Devant le succès de la mobilisation de l’Union des jeunes musulmans au début des années 1990, les mouvements islamistes liés aux pays maghrébins vont monter leurs propres associations de jeunes31. Mais cette militance aussi s’essoufflera en quelques années. L’essor des groupes de jeunes musulmans se déroule simultanément avec les tentatives d’implantation du Front islamique du Salut algérien dans les banlieues françaises, ce qui engendre une confusion entre jeunes musulmans et militance islamiste nord-africaine, facilitant ainsi la diabolisation des premiers au nom de leurs liens supposés avec la seconde. La relation de confiance entre la société politique locale et l’Union des jeunes musulmans, qui s’était imposée comme un véritable interlocuteur depuis le début des années 1990, se brise. Les subventions du Fonds d’action sociale (Fas), organe étatique destiné à soutenir les actions en faveur des familles des travailleurs immigrés, sont coupées en 1992 suite aux positionnements de l’Union sur les affaires de foulard et le mouvement continue de refuser le soutien financier de l’Uoif. L’affaire Kelkal32, en 1995, va définitivement laminer le capital de confiance du mouvement auprès des pouvoirs publics et lui coûter le soutien de politiciens locaux.

Privée de financements publics et hostile aux soutiens financiers extérieurs, l’Union des jeunes musulmans manque de moyens, ce qui rend d’autant plus problématique la question de la relève de dirigeants qui se pose à la fin des années 1990. Les jeunes musulmans sont devenus des quadragénaires, souvent bien intégrés professionnellement. Ils ont pris en marche l’ascenseur social, quitté les cités, et sont en quête de nouveaux modes de militance.

Les organisations de jeunes musulmans n’ont plus qu’une influence limitée d’autant que Tariq Ramadan les oriente sur un public éduqué plutôt que sur les réalités de la banlieue dans laquelle elles étaient au départ bien présentes. À Lyon, par exemple, dix ans après avoir été le principal acteur sociopolitique dans les banlieues, l’Union des jeunes musulmans est désormais en net recul. Elle garde quelques imams qui lui sont proches, mais, du côté des jeunes militants des associations de quartier, la morosité domine : beaucoup d’entre elles végètent, quand elles ne sont pas sur le point de fermer. Face aux leaders des mouvements de jeunes comme face à l’Uoif, la jeune génération a le sentiment diffus d’avoir été trahie par les grands frères fondateurs qui « sont partis dans la politique33 ».

La crise du militantisme associatif est générale : dans le quartier sensible des Minguettes, en banlieue lyonnaise, la mairie renonce à l’animation et ferme certains de ses locaux ; Bouallam Azahoum, du collectif d’associations DiverCité, constate que les dons pour la Palestine sont en chute libre ; un responsable associatif y déplore que « le bénévolat marche de moins en moins bien. Dans le religieux comme dans le domaine du sport, il y a de moins en moins de gens qui s’investissent34 ».

La sécularisation de la militance des jeunes musulmans

La référence à l’islam devient donc toujours plus coûteuse politiquement et contre-productive pour des mouvements qui cherchent à accroître la reconnaissance sociale des musulmans. Dans ce contexte, les héritiers de la mobilisation des jeunes musulmans reviennent à des formes sécularisées de militance. L’Aube, par exemple, une association des Minguettes proche de l’Union des jeunes musulmans renonce depuis 2001 à mobiliser sur le religieux, ne revendique plus aucune filiation avec l’Ujm et se concentre sur un programme de banque alimentaire, de soutien scolaire et d’organisation de sorties de week-ends35.

L’affirmation politique des jeunes issus de l’immigration musulmane tente donc de se reconstituer en dehors du cadre religieux. Ainsi, par exemple, est né un nouveau concept, levier de mobilisation et de critique sociale : « l’indigène ». Formé autour d’un appel lancé le 24 janvier 2005 (suivi d’une marche, le 8 mai 2005, et d’une caravane, en décembre de la même année), le mouvement des « Indigènes de la République » rassemble des intellectuels et des associations autour de deux axes : un travail sur l’histoire des populations immigrées et une dénonciation des processus de ségrégation, qu’ils imputent à des formes résurgentes de gestion coloniale des populations issues de l’immigration et des cités. Ce mouvement émane d’une alliance, nouée au moment de la résistance contre le projet de loi interdisant les signes religieux à l’école, entre des mouvements de jeunes musulmans et une partie de la gauche radicale laïque proche du courant altermondialiste. Il prolonge un lent rapprochement entre les acteurs des mobilisations de jeunes musulmans et la dynamique citoyenne laïque. Celui-ci s’est structuré de manière progressive lors des États généraux du mouvement altermondialiste dans le Larzac, en 2003, puis durant le Forum social européen de Saint-Denis (près de Paris) la même année où, d’après Abdelaziz Chambi :

Le but était de faire de la politique en investissant le champ du mouvement social et pas d’être les Arabes de service sur les listes aux élections locales, mais de mener un travail de longue haleine pour une nouvelle visibilité sociale de l’immigration36.

La revendication religieuse se redéfinit ici comme un sujet de revendications parmi d’autres, dans le cadre de mobilisations mixtes où la religion n’est plus l’enjeu essentiel : ces militants musulmans rejoignent alors des mouvements trotskistes, homosexuels, laïques, féministes, sociaux ou de solidarité internationale.

La neutralisation de leurs mouvements a donc amené une partie des jeunes musulmans à séparer la religion du politique dans une démarche sécularisante, sinon laïque. De fait, selon un proche des mouvements de jeunes musulmans, « la lutte contre les discriminations, c’est maintenant leur priorité ; ils ne parlent presque plus de questions de culte37 ». Les actions sont dorénavant jugées par rapport à leurs résultats : après les espérances du début, l’islam subit le même type d’usure que le mouvement beur, car les objets du combat politique (la reconnaissance) sont toujours d’actualité (mauvaises conditions de vie en banlieues, discrimination, racisme) et, pour beaucoup, à l’heure des premiers bilans de la mobilisation sur l’islam, « les espoirs ont été déçus38 ».

Mais autant les Verts – dont l’audience reste limitée – auront intégré les anciens acteurs associatifs musulmans, autant les autres partis restent à ce jour relativement fermés aux jeunes issus de l’immigration musulmane. La sécularisation des engagements militants témoigne ainsi plus d’une crise (celle de l’affirmation politique par l’islam) qu’elle n’offre à l’heure actuelle de réponse crédible au problème de la militance et de la représentation politique. Sans alternative politique, au final, les jeunes musulmans font face à l’affaiblissement des encadrements sociaux de nature religieuse. Le 17 novembre, suite aux émeutes, lors d’un chat sur Islamonline, un des sites islamiques les plus visités, Tariq Ramadan constate aussi que :

nous sommes tous déconnectés. Les organisations islamiques, comme moi-même et mes discours, n’atteignent pas les banlieues et leurs populations déclassées. Il y a une rupture claire et personne ne peut prétendre représenter les populations des banlieues39.

Effectivement, un jeune ex-imam de Marseille analyse que :

les jeunes de quartier ne veulent pas un islam de faculté, un islam de spiritualité, mais un islam normatif pour réorganiser des vies désorganisées. Pour le jeune de banlieue, aujourd’hui, le choix est simple, c’est ou le salafisme ou le Tablîgh40.

L’Uoif, ayant visé une implantation dans les classes moyennes éduquées et la formation d’une future élite musulmane, a également négligé les jeunes de quartiers. Au Conseil des imams de Marseille, un forum informel situé dans la mouvance islamiste, on reconnaît que « les jeunes, les quartiers, cela n’a pas été notre priorité41 ».

En clair, l’islamisme en France a perdu les cités, laissées à la prédication fondamentaliste des groupes missionnaires comme le Tablîgh et le salafisme, dans ses deux versions shaykhiste et jihadiste. Bénéficiant d’un effet de nouveauté42, le salafisme est incontestablement le courant le plus dynamique depuis la fin des années

1990. Il recrute dans toutes les mouvances, du Tablîgh à l’islamisme politique, et capte près d’un quart des conversions à l’islam43. Sans surprise : le salafisme est le fruit amer de la dépolitisation de l’islam, la rationalisation d’un rapport de retrait et d’évitement avec la société française.

Le salafisme shaykhiste, une religiosité de sortie du politique

L’épuisement de la mouvance islamiste politique coïncide avec la montée du salafisme. Ce dernier se développe au cours des années 1990 sur fond de bilan critique d’un islamisme politique qui n’a réussi ni à prendre le pouvoir en Algérie, ni à assurer la reconnaissance de l’islam en France. Les salafistes mettent cet échec sur le compte des concessions faites à la modernité occidentale, de l’inscription de l’islamisme dans un système politique sécularisé, de l’adoption de la référence démocratique et de sa participation, en France, à l’institutionnalisation de l’islam, notamment par le biais du Conseil français du culte musulman (Cfcm). Sur fond de dilution de la portée contestataire de l’islamisme et d’épuisement des mouvements de jeunes musulmans, le salafisme arrive alors en France.

Dans un premier temps, il s’implante au début des années 1990 par le biais d’anciens militants de l’aile salafiste du Front islamique du salut (Fis), Algériens réfugiés en France pour fuir la répression du régime de leur pays. Ce salafisme « première génération » se nourrit des références à Ali Benhadj, le prédicateur de l’aile salafiste du Fis, et à Sayed Qutb, le théoricien égyptien du radicalisme, tout en s’inspirant du rigorisme des théologiens saoudiens. Abdel-Hâdî Dûdî, l’actuel imam de la mosquée al-Sunna al-Kebira, dite « du Boulevard national », à Marseille, reste l’icône de ce courant. Diplômé de l’université d’al-Azhar en Égypte, beau-frère de Moustapha Bouyali (fondateur du premier maquis islamiste algérien en 1982) et ancien maître d’Ali Benhadj, Abdel-Hâdî Dûdî a appartenu à la tendance salafiste algérienne, qui a participé à la création du Fis en 1989. Condamné à mort par le régime algérien en raison de son implication dans le maquis de Bouyali, une peine commuée plus tard en prison à perpétuité, il arrive en France en 1987, avec l’assentiment des services algériens. C’est lui qui implante le salafisme dans la région marseillaise, avant de briguer le leadership du salafisme français. Pour cela, il prend ses distances avec l’islamisme maghrébin et privilégie les liens avec les oulémas saoudiens. Il en retire une tazkiyya (recommandation) du théologien saoudien Rabî’al-Madkhalî, la référence principale du salafisme shaykhiste en France44. Cela va constituer la pièce maîtresse de sa stratégie d’influence sur le sol français, Dûdî étant le seul imam en France officiellement patronné par Madkhalî.

La conversion de Dûdî du salafisme populiste et politisé algérien au salafisme shaykhiste apolitique des théologiens saoudiens est en phase avec la transformation du salafisme en France dans la seconde partie des années 1990 : marginalisation du salafisme politique algérien d’un côté et apparition d’un second pôle, saoudien cette fois, pour le salafisme français de l’autre. En effet, les premiers retours en France vers 1995 d’étudiants dont l’Arabie Saoudite a financé les études sur son sol conduisent à la constitution d’un salafisme résolument apolitique, le salafisme shaykhiste. Celui-ci relaie le discours des théologiens saoudiens45, dominé par le courant « madkhaliste », et il est soutenu, dès la fin des années 1990, par la venue de prêcheurs saoudiens, notamment en Île-de-France, aux mosquées des Mureaux et d’Argenteuil. Selon les estimations des services du renseignement français, le salafisme en France compterait maintenant environ 5 000 sympathisants, 500 militants et une trentaine de lieux de culte46.

Les salafistes se lancent alors à la conquête des quartiers en pratiquant une politique d’entrisme dans les lieux de culte existants47, occupent le terrain là où la présence est faible – c’est-à-dire au sein de mosquées où il y a peu d’activités – et s’imposent souvent par la force. Ils recrutent les déçus de toutes les mouvances, des anciens supporters de l’intellectuel musulman Tariq Ramadan aux anciens disciples des notables musulmans proches des autorités algériennes.

Le salafisme profite ainsi directement de la crise du militantisme associatif des mouvements de jeunes musulmans en misant sur un propos sans ambiguïtés qui contraste avec ce qui est souvent perçu comme la langue de bois de la mouvance islamiste48. Il bénéficie également de l’usure du Tablîgh, ce groupe missionnaire quiétiste qui a été le principal acteur du processus de réislamisation dans les quartiers.

Récupérer les déçus de l’islamisme

Dans son rapport au politique, le salafisme est l’expression d’une religiosité dégagée de la fascination du politique et de l’État. À ce titre, il prolonge sur le terrain théologique l’essoufflement de la militance observé tant au sein de l’islamisme politique transplanté de l’étranger des cadres de l’Uoif qu’à l’intérieur des organisations de jeunes musulmans, qui tendent à repenser leur engagement politique hors du cadre de l’islamisme. Sans volonté d’implication dans la société et sans projet politique (autre que l’attente messianique dénuée d’implication immédiate), le salafisme shaykhiste défend une vision apolitique et non violente de l’islam, fondée sur la volonté d’aligner toute sa vie sur les fatwas des savants saoudiens. Son principe – conforme à la doctrine classique de l’orthodoxie sunnite – est la non-contestation de l’autorité politique par crainte de l’anarchie.

La solution concrète, c’est alors la hijra, sorte de porte de sortie théologique et politique à usages multiples. Elle permet de régler la question palestinienne par une « seconde hijra », vers les pays du Golfe selon une fatwa du shaykh Rabi’al-Madkhalî appelant les Palestiniens non au jihad, mais à l’exode vers les terres sûres d’Arabie ; la question de la discrimination dans l’espace européen par une hijra, ou exode, vers les pays musulmans ; et la question des autoritarismes dans le monde musulman par une « hijra inversée » vers le milieu occidental non répressif et pluraliste au niveau religieux. Le rêve de hijra se réalise pourtant rarement, car il suppose des moyens qui font souvent défaut aux adeptes du salafisme désireux de quitter la France. Il n’en demeure pas moins qu’en fondant cet idéal de départ, le concept de hijra replace ainsi la nouvelle génération dans la même position d’attentisme démobilisateur par rapport à la société française que celle de leurs parents qui, eux, n’avaient pas le mythe du départ hors du pays de naissance, mais celui du retour sur la terre des origines. Les salafistes s’impliquent alors peu en France. D’où le silence des salafistes sur la question du foulard et leur très faible présence aux manifestations de résistance à la loi sur les signes religieux ainsi que l’absence de tout soutien organisé aux imams salafistes expulsés.

Au niveau politique, la menace que représente le salafisme shaykhiste ne réside donc pas dans une re-communautarisation ou dans l’encouragement à la contestation radicale, mais bien dans la dépolitisation des musulmans et l’étouffement des engagements civiques ou citoyens, voire professionnels et scolaires des jeunes, et donc dans l’érosion généralisée du rapport aux institutions françaises. À ce titre, il définit un espace à la fois en rupture avec le discours de l’Uoif (qui valorise la réussite sociale dans la société sécularisée) ou avec celui des jeunes musulmans (qui appellent aux engagements citoyens), mais aussi avec le Tablîgh (qui valorise l’éducation, même par le biais d’institutions laïques) dont les déçus constituent le principal bassin de recrutement du salafisme.

Prêcher sur les terres du Tablîgh

C’est avec le Tablîgh, seul courant islamiste à avoir encore une action significative dans la France des banlieues, que la rivalité est la plus forte. En raison de son ancrage social, le Tablîgh est placé en première ligne dans la phase d’expansion du salafisme. Et, dans ce face-à-face, le salafisme ne manque pas d’atouts. D’abord, parce que le Tablîgh prend peu position contre le salafisme tandis que ce dernier est très offensif à l’égard de son concurrent dans la course à l’islamisation des quartiers. Ensuite, parce que le salafisme dispose d’une batterie d’arguments théologiques simples mais efficaces. Le salafisme, c’est la communauté sauvée (firqa nâjiyya), rescapée de l’égarement et des innovations réprouvables (bid’a), l’expression de l’islam des trois premières générations de croyants, l’islam de l’Arabie Saoudite, plus pur que l’islam frériste, né en Égypte, ou que le Tablîgh originaire du sous-continent indien.

Mais, avant tout, le salafisme bénéficie d’un effet de vieillissement du Tablîgh. Alors que le salafisme a l’attrait de la nouveauté, le Tablîgh est très souvent associé à la première génération de migrants. Si l’usure est difficile à chiffrer, elle est subjectivement ressentie un peu partout. Selon Ahmed Boubekeur, « leur austérité est trop contradictoire par rapport aux valeurs consuméristes qui dominent dans les quartiers49 ».

Les cas d’anciens membres du Tablîgh passant au salafisme dans une logique de bande (le groupe, les amis du quartier) sont nombreux, certains sont même des prédicateurs50.

Une religiosité sectaire

Contrairement au Tablîgh et aux mouvements appartenant au courant de l’islamisme politique, le salafisme n’a ni structures ni prédicateurs nationaux et ne s’inscrit pas dans une stratégie communautariste. L’encadrement des quartiers l’intéresse peu et se limite à quelques crèches, régulièrement fermées par les autorités. Le repli du salafisme se fait donc moins sur la communauté que sur l’individu, au mieux sur la bande, repensée comme un réseau des « purs » structuré autour de la mosquée de quartier et de la boucherie halal, du snack ou de la boutique de téléphonie tenus par les frères salafistes. Paradoxalement, le salafisme se situe à la fois dans la globalisation, par son usage de l’Internet et par ses contacts avec les théologiens saoudiens (via vidéoconférences ou demandes de fatwas par téléphone), et dans le microréseau local (la bande), mais reste peu intéressé par l’espace national. Il ne vise pas la constitution d’espaces islamiques dans la société française, mais la rupture maximale avec celle-ci en prélude au départ vers le monde musulman, ce qui engendre une relation souvent conflictuelle avec la communauté et les familles.

Ainsi, alors que le Tablîgh s’intègre assez bien à l’ordre familial51, le salafisme le perturbe. Car ce dernier prône la rupture, non seulement par rapport à la société française, mais aussi par rapport à tout ce qui n’est pas strictement musulman. Il favorise ainsi des attitudes offensives dans les familles, qui peuvent inverser les lignes traditionnelles de l’autorité et permettre, par exemple, l’affirmation des femmes contre les hommes (les salafistes appellent leurs ouailles, hommes et femmes, à quitter les conjoints non pieux) ou des cadets contre les aînés. Il est également fréquent de voir les imams de la première génération contestés dans leur savoir religieux par les jeunes salafistes. À ce titre, le salafisme est aussi l’islam des jeunes52 contre l’islam des familles qui s’est organisé dans les années 1980 et 1990. C’est aussi un modèle adapté à des populations individualisées, ce qui explique qu’il recrute peu là où les solidarités communautaires sont fortes, comme chez les Comoriens ou les Turcs, où elles ont fait barrage53.

La banalisation du salafisme des autodidactes

L’apparition conjointe, vers 2001-2002, d’une petite bourgeoisie salafiste ayant réussi dans le petit commerce et d’un salafisme d’autodidactes, convertis par la lecture individuelle grâce à la diffusion massive par l’Arabie Saoudite d’une littérature salafiste à très bas prix, va quelque peu altérer la sévérité du dogme. Cette évolution est amplifiée par le contexte de stigmatisation des musulmans de l’après-11 septembre, qui rend l’ostentation religieuse toujours plus coûteuse socialement. Une réévaluation de la religiosité « par le bas » vers un peu moins de rigueur s’opère alors et donne naissance à un salafisme qui renonce à l’idéal de la hijra, et vise un avenir en France. Il devient donc plus pragmatique et prêt au compromis avec la société d’accueil.

Le livre de Mahdy Ibn Salah, un jeune salafi faisant un bilan de l’état de l’offre de l’islam en France, Lettre aux musulmans de France, illustre parfaitement ce revirement54. Ce plaidoyer pour une « réforme salafiste » (islah salafi) dresse un panorama de l’islam de France étonnant au regard de la mouvance dont l’auteur se revendique : loin des condamnations habituelles de tout ce qui n’est pas salafiste, Ibn Salah déclare s’inspirer du mysticisme soufi, reconnaît son admiration pour Tariq Ramadan et renonce aux attitudes de rejet. Ainsi, le concept central de la rhétorique salafiste, la secte sauvée (firqa nâjiyya), est revu dans une perspective plus large pour être étendu à tous ceux qui, parmi les différents groupes « tolérables55 », œuvrent pour le vrai. Ce livre témoigne aussi d’une autre mutation : le salafisme commence à recruter dans les catégories professionnellement intégrées ou potentiellement intégrables et donc moins portées à rendre visibles leurs différences.

À tous les niveaux, le salafisme ne propose pas une communauté de substitution, mais une formalisation de l’individualisme ambiant, apolitique et consumériste. En lieu et place des démarches communautaires sur le sol français, le salafisme prône le projet individuel de hijra (le départ vers les pays musulmans). À ce titre, le salafisme correspond à une réaction à l’islamisme classique. Il propose une religiosité de repli sur l’individu ou sur le groupe des frères, souvent la bande56, la secte sauvée (firqa nâjiyya) à laquelle s’identifie le salafisme, à la fois sectaire et compatible avec la culture de marché des jeunes des banlieues qui restent, à ce jour, son principal bassin de recrutement.

Une religiosité en phase avec le consumérisme et la culture de masse

À la fois en rupture théologique avec les autres groupes se réclamant de l’islam et bien intégré à la sous-culture des jeunes de banlieue qu’il ne conteste pas mais qu’il encadre par la norme islamique (d’où des appellations comme le « McHalal »), le salafisme se déploie sans défendre un projet de société.

Le salafisme ne s’oppose pas à l’américanisation (le port de la gandoura et des Nike relevé avec ironie par ses adversaires n’a rien de contradictoire dans sa logique), ni au consumérisme (les salafistes dépensent beaucoup, notamment pour les produits de la culture de masse, économisent peu et fréquentent assidûment les grandes surfaces qui leur servent aussi d’espace de rencontre57). La micro-économie salafiste, elle aussi, fonctionne dans la culture de masse. Le salafiste vend des sandwichs grecs et des pizzas, parfois des kebabs et, quand il est dans le textile, il fait plutôt dans le streetwear vaguement islamique dans ses logos58 – et donc tout public – que dans les hijabs et les djellabas. Et contrairement au Tablîgh, le rapport à la richesse s’en trouve décomplexé comme pour ce jeune salafiste de Marseille qui reconnaît que :

Je voudrais mieux être le frère avec une Porche Cayenne que le petit vendeur de cassettes. Me briser les orteils avec des tongs à l’ancienne, non ! Faire le faux modeste, non ! Dieu aime la beauté et je veux me faire plaisir59 !

Ainsi, le salafisme, en ne s’opposant pas au consumérisme et en s’inscrivant dans un fatalisme de fait (par le refus des attitudes revendicatives), en prônant la rupture avec les institutions, à commencer par l’école, tout en valorisant la richesse60, offre une sorte d’éthique islamique parfaitement en phase avec la réalité sociale des banlieues : précarité, flexibilité, dévalorisation des diplômes, vision à court terme de l’existence, forte consommation, le tout sur fond de défiance envers tout ce qui relève de l’administration et de l’État. Mais il est aussi en phase avec les classes moyennes, la hijra inscrivant pleinement le salafisme dans la globalisation tout en portant des stratégies personnelles d’enrichissement.

En effet, quand il en a les moyens, le salafiste aspire à la hijra, mais une hijra bourgeoise et marchande, non pas à destination des pays d’origine considérés comme sans avenir, mais des pays musulmans à fort taux de croissance : la Malaisie ou les pays du Golfe, rarement l’Arabie Saoudite, mais plutôt les Émirats ou Dubaï, où l’on trouve beaucoup de jeunes beurs français ayant émigré moins pour cause de jihad que parce que, comme cet ancien plombier français d’origine algérienne reconverti dans le prêt-à-porter et le streetwear islamique, ils y voient « une terre d’avenir, qui fait ce qu’il faut en matière d’islam tout en étant cosmopolite, et où le rêve américain rejoint le rêve arabe61 ».

En résumé, le succès du salafisme traduit beaucoup plus le souci individualiste et le repli sur soi qu’un projet de communautarisation ou de confrontation avec la société. Religiosité du refus des engagements collectifs en phase avec la culture de masse et le consumérisme62, il ne s’érige pas en nouveau porteur des demandes de reconnaissance politique que l’islamisme politique proprement dit n’assume plus. Ces demandes, laissées sans possibilité d’expression efficace, s’affirment alors par le radicalisme jihadiste ou la révolte de banlieue.

Faute de politique, la violence : jihadisme et émeutes de banlieue

Alors que les organisations de jeunes musulmans et l’Uoif n’occupent plus les terrains de l’encadrement associatif et de la contestation, et alors que la force religieuse montante, le salafisme shaykhiste, s’en désintéresse, la revendication politique se radicalise autour de deux axes : le salafisme jihadiste et le soulèvement de banlieue.

Des islamo-nationalismes au jihad global

L’absence d’actions spectaculaires depuis les attentats de 1995 dans le métro parisien ne doit pas faire illusion : l’activisme violent à référence islamiste est bien présent sur le sol français. Depuis 2002, les arrestations se multiplient et cent activistes ont été écroués dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, selon les chiffres donnés par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, le 23 novembre 2005, devant les députés : neutralisation d’une « filière tchétchène » dans les banlieues lyonnaise et parisienne en 2002, démantèlement du groupe de Farid Benyettou dans le XIXe arrondissement de Paris, en janvier 2005, arrestations ou identifications de volontaires partis en Irak en 2005, arrestation de militants proches du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc, mouvement armé algérien), en septembre 2005, dans les Yvelines, dirigés par Safé Bourrada, déjà impliqué dans les attentats de 1995 à Paris.

Si la présence de l’activisme islamiste violent en France n’est pas nouvelle, ce qui a changé, c’est la nature de la militance. Les attentats en France de 1986 et l’été meurtrier de 199563 s’inscrivent dans un processus d’extension de l’activisme des mouvements islamo-nationalistes radicaux de pays étrangers. Par contraste, l’activisme violent de la seconde partie des années 1990 n’est plus une réalité importée : il concerne des ressortissants français intégrés à des formes de militance occidentales64.

Le combat aussi change de nature : il ne vise plus la prise de pouvoir et l’établissement de l’État islamique dans un pays donné, mais une confrontation plus large avec les ennemis d’une communauté musulmane (oumma) résolument transnationale. Transnationale, elle l’est d’abord parce que les réseaux sont devenus globaux et articulés aux opérateurs du jihadisme d’Al-Qaida par l’intermédiaire, notamment, des mosquées radicales anglaises. L’existence en Europe d’un sanctuaire pour les islamistes activistes, voire jihadistes, (Londonistan), a favorisé les liens entre les militants de différents pays. Son démantèlement n’a pas contrecarré l’activisme violent, mais l’a poussé à créer des filières beaucoup plus mobiles et indépendantes, où l’amateurisme augmente en proportion65. Ses filières ont des connexions toujours plus larges, comme le montre l’extension du groupe interpellé, le 15 décembre 2005, à Saint-Denis, aux portes de Paris, et qui avait des contacts au Maroc, en Syrie, en Algérie et en Irak66, alors que les départs vers l’Irak sont multiples, qu’ils passent par la Syrie – comme pour certains membres du groupe de Farid Benyettou – ou qu’ils transitent par l’Égypte67.

Quant aux événements déclencheurs de la radicalisation, ils ne sont plus forcément liés au pays d’origine, mais procèdent du sentiment d’appartenance à une oumma globale, où les nationalités comptent peu. Ceci facilite les processus de conversion des Français de souche, pièces maîtresses des dispositifs jihadistes en France depuis 1995 et dont l’importance va croissant. Ces nouveaux réseaux évoluent dans un imaginaire « déterritorialisé » qui occupe l’espace vide du militantisme de gauche et, à ce titre, il s’agit bien, comme le relève Olivier Roy, de « l’islamisation d’un nouveau tiers-mondisme », où l’islamisme reprend les modes d’action et les cibles de l’anti-impérialisme de l’extrême gauche des années 197068.

Ainsi, en tant qu’expérience politique, la radicalisation n’est pas liée à un durcissement de la religiosité. En particulier, elle ne semble pas être le prolongement logique du salafisme shaykhiste précédemment décrit (même si dans la première partie des années 1990, les chevauchements entre salafistes jihadistes et salafistes shaykhistes existaient), ce que confirment les témoignages : s’ils peuvent à l’occasion fréquenter le salafisme shaykhiste car il est, à tout prendre, le plus proche de leur religiosité, les sympathisants de la cause jihadiste le méprisent en raison de sa faiblesse et n’en sont pas issus. En clair, entre les salafismes shaykhiste et jihadiste en France, les passages seraient désormais absents, ce que confirment effectivement les itinéraires de radicalisation des militants connus. Le salafisme shaykhiste ne fait office ni de barrage ni d’antichambre de la tentation jihadiste.

La relégation sociale au cœur du radicalisme

La radicalisation se constitue donc par le politique, et de façon souvent abrupte, non par un processus de lente maturation religieuse, et s’effectue dans le cadre d’une identification du militant aux grandes causes jihadistes. En même temps, et au niveau local, la relégation sociale est un élément clé des processus de radicalisation.

Depuis l’itinéraire de Khaled Kelkal, expérimentant la galère, se radicalisant en prison, jusqu’aux dernières arrestations de septembre à décembre 2006, c’est dans les quartiers pauvres que recrutent principalement les opérateurs de l’activisme violent islamiste. En effet, si les leaders sont parfois issus des classes moyennes (Christophe Caze est médecin, Fateh Kamel, à la tête du réseau du gang de Roubaix, commerçant prospère), la structure militante se construit autour d’une alliance entre éduqués déclassés et marginaux dans le monde de la banlieue. C’est ce que montre encore la géographie des arrestations de 2005 : en Seine-Saint-Denis, dans les Hlm du XIXe arrondissement ou à Trappes, à La Courneuve (d’où provenaient également les jeunes à l’origine du coup de feu dans l’hôtel Atlas-Asni à Marrakech, en 1994), à Vénissieux ou à Argenteuil. À un premier niveau, on trouve des personnes non pas marginalisées, mais en proie au déclassement social et professionnel. Ainsi, Kamel Daoudi était informaticien, mais dans un cybercafé de banlieue de l’Essonne (banlieue parisienne) après avoir connu l’échec à l’université. Mourad Benchellali était universitaire sans diplôme au bénéfice d’un emploi jeune à Vénissieux dans la banlieue lyonnaise. D’autres, comme Redouane el Hakim, tué par les Américains à Fallouja en 2004, montent des petites entreprises de restauration rapide ou de vêtements. Certains passent par les emplois précaires, comme Nizar Sassi, à Rillieux-la-Pape, le gardiennage de nuit, et autres petits emplois. Zakarias Moussaoui, par exemple, quitte la France pour Londres, où il se radicalisera après des échecs scolaires et professionnels.

Ces militants sont au contact permanent des réalités de la banlieue, de l’exclusion et de la précarité. Tout ceci les met en relation avec le dernier échelon de la structure militante, les jeunes ayant connu la galère et la délinquance, les échecs personnels, le chômage de longue durée et les petits trafics pour les clandestins. La plupart des arrestations effectuées en 2005 confirment que le jihadisme recrute des individus toujours plus jeunes et s’articule de manière plus serrée qu’auparavant au milieu de la petite criminalité. Le financement des réseaux se fait alors largement à travers l’économie informelle de la banlieue : délinquance, braquages, reproduction de cartes de crédit, contrefaçon de vêtements de marque. De manière classique, la prison devient logiquement un des espaces stratégiques de la radicalisation. Le groupe de Safé Bourada, démantelé en septembre 2005, était, par exemple, composé de délinquants de droit commun convertis à l’islam au cours de leur détention.

Pourtant, le lien entre la banlieue et l’activisme violent ne saurait se réduire à une équation économique dont la pauvreté serait le dénominateur commun. C’est plutôt la relégation sociale et politique qui fait problème, l’absence de reconnaissance, le mépris et « l’énorme mur », selon le mot de Khaled Kelkal, qui sépare les cités du reste des villes.

L’activisme violent au miroir de l’embrasement des banlieues

Plus que par la tentation jihadiste, c’est par la révolte que s’exprime la revendication politique lorsque les encadrements citoyens font défaut. L’embrasement des banlieues d’octobre et novembre 2005 s’est fait sans acteurs religieux. En dépit de plusieurs initiatives visant à ramener le calme, ceux-ci n’ont pas joué leur rôle attendu d’agent de contrôle social, illustrant bien que les islamistes n’encadrent ni les émeutes, ni les quartiers, même s’ils ont pu parfois être localement efficaces. Quant aux grandes instances de l’islam de France, elles ont montré leur manque de prise sur les événements et sur les populations impliquées. Le retour au calme a davantage été le résultat de l’action des comités de quartier, qui ont défendu les établissements publics par des « veilles citoyennes », des mobilisations du voisinage ou encore des rondes d’assistants sociaux de la mairie, mais avant tout de l’épuisement d’une mobilisation non encadrée tournant à vide.

Le soulèvement semble bien lié à l’essoufflement de toute forme de militance, en particulier de celle de l’islamisme politique et à l’absence d’espace fort de militance citoyenne. Car ces émeutes, déclenchées par la mort de deux jeunes poursuivis par la police, à Clichysous-Bois, en banlieue parisienne, sont clairement le fruit d’une volonté d’en découdre avec un ordre perçu comme répressif lié à la politique d’inflation sécuritaire qui frappe les quartiers depuis 2002. Celle-ci s’est traduite par un affaiblissement de la police de proximité, à vocation préventive, et par la réduction des budgets pour la médiation sociale et les associations en général. Pendant ce temps, la « politique du résultat », renforcée au sein de la police par un ministre de l’Intérieur appelant à « faire du chiffre », a abouti à une humiliation majeure, constante et massive : le contrôle d’identité, avec toutes les vexations qu’il suppose (insultes, coups parfois) et les suites judiciaires qu’il entraîne souvent (délits d’outrage à représentants de l’ordre et de rébellion).

Sans aucun doute, même si les émeutes ont été amplifiées par l’entrée en action de jeunes et de délinquants cherchant à se défouler, la nature du mouvement s’inscrit dans une demande de reconnaissance sociale, notamment par la violence. En témoignent les propos un peu contradictoires de ce jeune, relevés sur un blog : « Nous ne sommes pas de la racaille, mais des êtres humains, on existe. La preuve : les voitures brûlent. » Et c’est bien parce que la violence a partie liée avec la reconnaissance que le soulèvement est resté contenu dans l’espace géographique des cités et que le recours à la force, en dépit des bilans généraux angoissants et de la souffrance des victimes, est resté relativement contenu.

Le choix des cibles montre bien que c’est l’État qui est accusé dans ces manquements et les institutions de reproduction de l’inégalité sociale qui sont visées : la police pour la répression, bien sûr, les arrêts de bus pour la marginalisation géographique, et les établissements scolaires parce qu’ils génèrent de l’échec social. En l’absence d’une offre contestataire crédible, le politique passe par ce que l’on pourrait qualifier d’émeute tribunitienne, qui est d’ailleurs l’un des modes majeurs de captation des ressources de l’État bien avant l’embrasement de 2005. La politique de la Ville se met en effet en place en décembre 1981 après l’été chaud de Vénissieux, à Lyon ; le ministère de la Ville est créé fin décembre 1990 après les explosions de violence de Vaulx-en-Velin ; et le soulèvement des banlieues de 2005 a massivement relancé le débat sur la discrimination. Résumant cet état de fait, un ancien militant associatif des quartiers nord de Marseille déplore que « le recours à la violence reste si souvent le meilleur moyen de faire avancer les dossiers ».

Ceux qui manifestent semblent continuer de placer leurs attentes dans les institutions de l’État-providence beaucoup plus que dans une option communautaire, ethnique, familiale ou religieuse, laquelle ne fonctionne pas ni n’est véritablement sollicitée. On est au cœur du paradoxe de la question communautaire : alors que la restructuration communautaire des populations issues de l’immigration maghrébine ne fonctionne pas (et le processus d’islamisation ne change rien à l’affaire), celles-ci tendent toujours plus à être gérées par les agents de l’État ou des collectivités locales à partir d’une approche d’ordre communautaire.

Le paradoxe communautaire français

Alors que l’on craignait des tensions entre l’ordre communautaire supposé réguler les populations de culture musulmane qui peuplent les cités d’un côté, et l’individualisme républicain de l’autre, le problème est en réalité exactement inverse. Dans un contexte d’essoufflement de toutes formes de militance légaliste sinon citoyenne, les musulmans de France s’avèrent finalement bien plus individualistes que prévu. À l’inverse, il y a bien un communautarisme républicain, qui s’inscrit dans la tradition française de ghettoïsation sociale et d’instrumentalisation clientéliste des élites religieuses69. Que ce communautarisme soit contradictoire avec le dogme républicain n’est pas le problème. Le problème est qu’il s’avère inadapté à la gestion de populations où l’individualisme domine et où les demandes à l’égard de l’État restent élevées.

Le mythe de la communautarisation musulmane

Le modèle de l’enclave musulmane est une construction imposée et non choisie, et la vision d’une population musulmane en voie de mise sous tutelle par des acteurs islamistes nourrissant un projet de rupture collective avec la société tient du mythe.

Au niveau des individus, les chiffres confirment que les populations musulmanes d’origine maghrébine, en France, ne sont pas dans des logiques communautaires : taux élevés de mariages mixtes (y compris chez les femmes70), de divorces et donc de familles monoparentales. Elles atteindraient 30 % dans certains quartiers « arabes », selon les données des mairies71, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.

Au niveau social, également, la structuration communautaire se fait encore attendre. Ainsi, alors que l’on compte 30 000 enfants juifs scolarisés en France dans 256 établissements confessionnels72 et que les lycées chrétiens affichent une santé de fer73, on compte à peine 100 élèves inscrits dans les deux écoles musulmanes actuellement en activité74. Il n’y a guère plus de solidarité musulmane forte dans l’action sociale, culturelle ou cultuelle.

La dynamique associative fonctionne surtout quand le contact avec le pays d’origine est encore fort (dans le cas des étudiants maghrébins ou de l’ancienne génération), mais résiste mal à la sédentarisation : l’affaissement du tissu associatif qui avait été élaboré dans les années 1980 et 1990 dans le cadre de la mobilisation des jeunes musulmans n’en est que la dernière illustration.

Dans le champ politique, enfin, l’hypothèse communautaire ne se vérifie pas davantage : alors que les listes communautaires, même soutenues par des mosquées, tournent toujours au fiasco75, le vote beur, arabe ou musulman demeure un fantasme d’élus locaux beaucoup plus qu’une donnée véritablement structurante de la vie politique des cités76.

Le ghetto français

Si le communautarisme arabe bat de l’aile malgré le processus de réislamisation, le communautarisme français, lui, est porté par les autorités en dépit du dogme républicain. En effet, le grand récit républicain et laïque opérant comme référence idéologique est, dans la réalité, constamment contredit par un communautarisme de fait organisant nombre de pratiques sociales et politiques.

Au vu de son ampleur, tous les rapports sur les inégalités le montrent, force est d’admettre que l’ordre social en France est, au moins en partie, un ordre ethnique. Les considérations d’ordre ethnique organisent les inégalités sociales par le délit de faciès et les discriminations raciales à l’embauche ou dans l’accès au logement77. Elles organisent parfois aussi le gouvernement des hommes. Au niveau administratif, on relève d’abord l’ethnicisation de l’espace urbain par les commissions d’attribution du logement social, pour différentes raisons allant des calculs de paix sociale78 à une politique non dite de préférence nationale, en passant par une gestion électoraliste à base ethnique de l’octroi des logements79. Elles regroupent parfois de manière volontariste les gens de même origine : isolement des harkis (militaires indigènes d’Afrique du Nord qui servaient aux côtés des Français), immeubles réservés aux Kabyles, centre-ville alloué préférentiellement aux Français de souche, regroupements sur des bases d’origine nationale. Ces politiques de spatialisation communautaire aboutissent à des quartiers avec des taux pouvant dépasser les 90 % de résidents de même origine ethnique80. En clair, les logiques de ghettos et de communautarisation se construisent aussi, et sans doute surtout, par ceux-là mêmes qui l’érigent en péril pour la République.

Le communautarisme autoritaire de la République

Le communautarisme est bien la grille de lecture adoptée par les partis politiques de gauche comme de droite. Cela se traduit d’abord par des opérations de séduction des élus et des candidats en direction des leaders communautaires dans une logique de clientélisme assez classique. En retour, certains de ces leaders se comportent en opportunistes (khubzistes81), frappant aux portes de l’ensemble des partis, pour demander des faveurs en échange de leur soutien. Loin d’être des acteurs marginaux, ils sont systématiquement sollicités dans le jeu politique local, suffisamment pour que ce responsable associatif de la cité des 4000, à La Courneuve, puisse regretter que, désormais, « aux 4000, plus personne ne défend les habitants de la cité, mais les Comoriens de la cité, les Maliens de la cité, etc.82 ». La cause tient moins des dynamiques identitaires que de pratiques clientélistes des politiciens locaux quêtant – quitte à le créer – le candidat communautaire.

Le communautarisme, dans ce cas, résulte moins des replis identitaires du corps social que de la prophétie autoréalisatrice produite par les calculs électoraux, parfois les fantasmes, des hommes et femmes politiques locaux. D’une part, ceux-ci se rapprochent des leaders religieux de leur circonscription83, en raison de leur utilité sociale réelle ou supposée84, notamment pour leur demander de participer à la lutte contre la délinquance. D’autre part, alors qu’aucune enquête n’a démontré statistiquement l’existence d’un « vote musulman » et que, « durant la décennie 1980-1990, c’était souvent par crainte de favoriser une poussée dans les urnes de l’extrême droite à l’approche d’échéances électorales que certains maires refusaient de prendre des engagements précis par rapport à un projet de lieu de culte musulman », nous assistons actuellement « parfois au phénomène inverse : c’est souvent dans la perspective d’un hypothétique vote musulman que des élus se lancent dans une politique volontariste audacieuse en faveur de l’exercice du culte musulman et se prononcent, par exemple, pour la construction de mosquées85 ».

Le communautarisme en politique privilégie ainsi le contact avec les acteurs, comme l’Uoif86, les plus proches du communautarisme tant craint officiellement par le système français ou avec des « intérêts étrangers » régulièrement dénoncés dans la presse, à juste titre, pour leur immixtion dans les affaires courantes de l’islam de France. Ce sont pourtant ces acteurs qui sont systématiquement approchés. Les consulats sont sollicités par les mairies pour résoudre les tensions liées à des questions afférentes à l’islam87. L’étranger est aussi sollicité pour la formation des imams, quand Nicolas Sarkozy fait appel à l’université d’al-Azhar au détriment des différentes structures européennes ou françaises existantes, comme le Conseil européen de la fatwa ou l’Institut européen des sciences humaines dépendant de l’Uoif.

Par sa défense du rôle moral de la religion, son plaidoyer en faveur d’une « laïcité apaisée », son engagement personnel dans la mise en route du Conseil français du culte musulman, et surtout par son questionnement de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État88, Nicolas Sarkozy ne contribuerait-il pas simplement à doter un certain communautarisme de facto d’une légitimité qui auparavant lui faisait défaut ?

*

Dans un contexte d’essoufflement des organisations de jeunes et de notabilisation de l’islamisme politique et en l’absence de relais politiques laïques efficaces, la revendication de la reconnaissance tend à se repositionner sur le terrain de la violence, qu’elle soit jihadiste ou émeutière. Si elle est, d’une part, le produit d’une nouvelle offre radicale et mondialisée autour de la référence à Al-Qaida à traiter de manière sécuritaire, la violence islamiste, tout comme les jacqueries de banlieue, est avant tout la conséquence d’une crise de la représentation politique des populations musulmanes et des cités qui suppose, elle, un traitement politique.

À ce titre, toute réponse organisée en termes de religion building cherchant à promouvoir un islam modéré et contrôlable restera inopérante. La présence d’un islam tranquille et sous contrôle ne fera pas, et n’a pas fait, barrage ni à la tentation radicale89, ni à la dynamique émeutière90. Procédant au moins en partie d’une telle démarche, les tentatives d’institutionnalisation de l’islam de France (Conseil français du culte musulman), les grandes mosquées officielles91 ou les attentes d’aggiornamento doctrinal de l’islam souhaitées par Nicolas Sarkozy92, se trompent d’autant plus de cible que, avec la surveillance accrue des mosquées, les territoires de la radicalisation sont de moins en moins les lieux de culte.

Les réponses doivent donc se positionner d’abord dans le politique. Plus précisément, il faut favoriser la participation politique pour casser à la fois la défiance parfois radicale envers les institutions qu’a formalisé théologiquement le salafisme et les retours pathologiques du politique par les portes de l’émeute ou du militantisme jihadiste. Il faut donc favoriser des espaces alternatifs d’engagement politique, c’est-à-dire lutter contre la « désertification politique des banlieues93 ». Cela peut se faire au moins à deux niveaux.

Tout d’abord, par le développement d’une « bienveillance distante » à l’égard des forces politiques et sociales susceptibles d’exercer une fonction tribunitienne dans les cités, et clairement dynamisées par les émeutes de l’automne passé. Ces forces peuvent être les associations héritières de la mobilisation des jeunes musulmans restées sur le terrain, ou les nouvelles dynamiques citoyennes laïques comme les « Motivé-e-s les élue-e-s » à Toulouse94, les initiatives politiques associatives comme le mouvement des « Indigènes » ou Banlieue 6995, les collectifs d’associations comme DiverCité à Lyon, et ainsi de suite.

En deuxième lieu, il incombe aux forces politiques nationales d’ouvrir leurs structures militantes. En effet, du côté des beurs impliqués dans les grands partis français, le malaise est évident. Sentiment de trahison à l’égard de la gauche, impression d’être condamné à la figuration, désillusion face à des mesures symboliques comme la nomination d’un préfet ou d’un ministre musulman, les frustrations sont nombreuses en particulier au sein de la nouvelle classe moyenne issue de l’immigration qui, par dépit, tend à reporter ses engagements aux marges du politique sur des solidarités de club élitistes et sans affiliation partisane96. En effet, la proportion de candidats beurs reste très en dessous de leur présence social : ils étaient 123 blacks ou beurs sur 8 424 candidats aux législatives de 2002, mais sur les listes des partis traditionnels, on ne comptait qu’un candidat issu de l’immigration à l’Union pour la majorité présidentielle (Ump), deux à l’Union pour la démocratie française, trois au Parti socialiste, l’immense majorité de ces candidats se présentant en indépendants. Aux régionales de 2004 les beurs restent aussi fortement marginalisés à gauche comme à droite : une demi-douzaine à l’Union pour la majorité présidentielle, une dizaine au Parti socialiste. À l’exception notable des formations d’extrême gauche et des Verts, l’intégration des beurs dans le champ politique à laquelle appelait une partie des candidats issus de l’immigration97 a encore été ajournée.

En troisième lieu, il faut s’attaquer aux problèmes de violence sur les cités. Violence des images à leur égard, stigmatisation à partir de l’islam cible d’un nouveau racisme, « respectable98 », violence policière, ségrégation sur le marché de l’emploi, le fond de la protestation politique par l’émeute ou par le militantisme jihadiste est commun et tient bien dans cet « immense mur » entre le monde de la banlieue et la société environnante que le militant jihadiste Khaled Kelkal décrivait il y a déjà plus de dix ans99 et qui reste plus que jamais d’actualité, comme réalité sociale et comme argument des conduites de rupture que formalise le salafisme.

  • *.

    Cette version écrite du rapport de Patrick Haenni ne comporte pas toutes les notes et n’est pas exhaustive. On peut retrouver la totalité du rapport sur le site www.crisisgroup.org. Patrick Haenni vient de publier au Seuil l’Islam de marché. Correspondant d’International Crisis Group à Beyrouth.

  • 1.

    La France ne mentionnant pas l’appartenance religieuse dans ses recensements, l’évaluation du nombre de personnes de confession musulmane sur son sol reste très approximative. Elle se situerait dans une fourchette entre 4 et 5 millions de personnes suivant les enquêtes avec une forte prédominance maghrébine (2, 9 millions), et de pôles minoritaires, Turcs (315 000 personnes) et d’Afrique subsaharienne (250 000). Alain Boyer, l’Islam dans la République, rapport du Haut Conseil à l’intégration, 2000.

  • 2.

    Mouvement d’intégration laïque, organisé autour d’associations comme France Plus ou Sos Racisme qui domina la scène de l’immigration au cours des années 1980. Inauguré par la marche des beurs de 1983, le mouvement constitua la première affirmation politique autonome des héritiers de l’immigration musulmane.

  • 3.

    La mouvance des jeunes musulmans est particulièrement active en région lyonnaise avec l’Union des jeunes musulmans (Ujm) et en région parisienne ou dans le nord avec le Collectif des musulmans de France (Cmf) créé en 1993 ou avec la structure de concertation Présence musulmane qui émerge trois années plus tard.

  • 4.

    Olivier Roy, l’Islam mondialisé, Paris, Le Seuil, 2002, p. 202.

  • 5.

    On parle en France de « salafisme shaykhiste », missionnaire et non violent, opposé au salafisme jihadiste.

  • 6.

    Mouvement prosélyte fondé en Inde en 1926 par un lettré, Mohamed Ilyas. C’est un des plus anciens acteurs de la réislamisation, actif dès la fin des années 1960 au sein des foyers de travailleurs immigrés en provenance d’Afrique du Nord. Connu en France dès 1972 sous le nom de « Foi et pratique », le Tablîgh est un mouvement qui reste fortement ancré dans les milieux pauvres, et l’un des deux courants (avec le salafisme) à être fortement présent dans les quartiers populaires.

  • 7.

    Nous entendons par islamisme politique l’activisme de groupes fondé sur une vision précise du politique, ayant un projet politique pratique (et non une utopie messianique), organisés en mouvement social ou parti politique, recourant à des activités et des démarches proprement politiques (manifestations, pétitions, participations à des élections, etc.), agissant dans un cadre politique réel (l’État) et institutionnalisé, et non violents dans leurs modes d’action. À ce titre, nous ne considérons pas le jihadisme comme procédant de l’islamisme politique, pas plus que les mouvements missionnaires (comme le mouvement Tablîgh Wa Daawa ou les groupes se revendiquant du salafisme) qui ne revendiquent aucune forme d’engagement politique.

  • 8.

    Entretien téléphonique de Crisis Group avec le sociologue Abdellali Hajji, 25 février 2006. Voir également ses différents articles sur le site oumma.com

  • 9.

    Gilles Kepel, les Banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France, Paris, Le Seuil, 1991.

  • 10.

    Bruno Étienne (sous la dir. de), l’Islam en France, Paris, Cnrs, 1990 ; G. Kepel, les Banlieues de l’islam…, op. cit.

  • 11.

    Entretien de Crisis Group avec Christian Delorme, Lyon, 6 septembre 2005.

  • 12.

    Entretien de Crisis Group avec Azzedine Gaci, Lyon, 7 septembre 2005.

  • 13.

    Pour une analyse détaillée de ces sondages, voir Xavier Ternisien, la France des mosquées, Paris, Albin Michel, 2002.

  • 14.

    Observations de Crisis Group, Paris, mars 2005.

  • 15.

    Branche tunisienne des Frères musulmans, le Mouvement de la tendance islamique est créé en 1979 par l’intellectuel Rachid al-Ghanoushî. La répression du régime du président Habib Bourguiba s’abattant sur le mouvement poussera nombre de ses militants à l’exil en France dès le début des années 1980.

  • 16.

    Aperçu sur l’Union des organisations islamiques en France, 1990, trad. de la version arabe par G. Kepel, dans À l’Ouest d’Allah, Paris, Le Seuil, 1994, p. 276.

  • 17.

    Samir Amghar, « L’Union des organisations islamiques de France : la gestion politique de l’islam », Maghreb-Machrek, no 182, 2005.

  • 18.

    X. Ternisien, la France des mosquées, op. cit., p. 161. Pour le sociologue Vincent Geisser ce chiffre est pourtant à nuancer. Il estime que seule une centaine d’associations peut être considérée comme vraiment contrôlées par l’Uoif. Entretien de Crisis Group, 24 février 2005.

  • 19.

    X. Ternisien, la France des mosquées, op. cit.

  • 20.

    Entretien de Crisis Group avec Ahmed Boubekeur, sociologue, spécialiste de l’islam lyonnais, Lyon, 8 septembre 2005.

  • 21.

    Il s’illustra par ses appels au calme lors des émeutes d’octobre-novembre 2005.

  • 22.

    Le terme de blédard est né dans son opposition avec les beurs, les Arabes nés en France, qui l’utilisent de manière péjorative pour qualifier les étudiants venus des pays d’Afrique du Nord (le bled). La tension entre beurs et blédards se retrouve en partie au niveau organisationnel dans la tension entre les leaders des organisations issues des mobilisations de jeunes musulmans et les cadres de l’Uoif, même si cette dernière ne saurait être réduite à son côté « blédard ».

  • 23.

    Entretien de Crisis Group avec Saïd Branine, Paris, 8 octobre 2005. Il est loin d’être certain que les blédards soient politiquement à droite. Ce qui semble davantage certain en revanche, c’est qu’ils sont la plupart du temps des fils et filles de petits bourgeois commerçants ou propriétaires terriens venus faire des études scientifiques, souvent en 3e cycle, en France sur un projet de vie « petit-bourgeois » et souvent en échec d’ascension scolaire. Entretien de Crisis Group avec Bernard Godard chargé de mission auprès du Bureau central des cultes, Paris, 11 octobre 2005.

  • 24.

    Hassan al-Bannah est le fondateur des Frères musulmans ; Sayed Qutb pose dans les prisons égyptiennes à l’époque du président Nasser les bases théologiques du jihadisme contemporain ; Abu al-Ala Mawdoudi, le Pakistanais, porteur également d’une vision très militante de l’islam a été une des sources d’inspiration principale de Sayed Qutb.

  • 25.

    On songe notamment à la « sharia des minorités », de Tarek Oubrou, l’imam de la mosquée de Bordeaux, un concept qui se réfère à la volonté d’édicter une vision des normes religieuses adaptée au contexte européen, ou encore le discours de la foi engagée de Tariq Ramadan qui vise à coupler la foi avec des engagements citoyens non nécessairement religieux et politiquement situés à gauche de l’échiquier politique, une posture qui fondera son rapprochement avec la mouvance altermondialiste.

  • 26.

    Au-delà de son réseau d’associations, l’Uoif garde une « capacité de mobilisation communautaire » jamais démentie, que ce soit lors des congrès du Bourget, ou des rassemblements locaux qui peuvent attirer jusqu’à 5 000 personnes au niveau régional, comme à Marseille lors de la prière de l’Aïd.

  • 27.

    Entretien de Crisis Group avec Abdelaziz Chambi, Lyon, 6 septembre 2005.

  • 28.

    Fondée en 1987 au Maroc par le shaykh Abdesalam Yassine, un ancien membre de la confrérie soufie al-Tariqa al-Buchichiyya, al-Adl wa al-Ihsan est une association islamiste proche du soufisme soucieuse de ne pas laisser la question sociale au militantisme de gauche, en proposant de substituer à la lutte des classes la solidarité musulmane. Le mouvement appelle toutefois à la participation politique et à ce titre se situe bien dans la mouvance de l’islamisme politique.

  • 29.

    Entretiens avec des organisateurs du congrès de l’Ujm de 1994.

  • 30.

    Le maire communiste de Vénissieux, André Gérin, dans un premier temps sensible à la démarche, fera une allocution remarquée au congrès de l’Ujm de 1994, où il appela notamment les musulmans à « s’enrichir de nos différences, ne pas laisser la politique aux états-majors et même aux élus de quelque tendance qu’ils soient », ibid.

  • 31.

    Jeunes musulmans de France (Jmf) est fondée par l’Uoif en 1993, Participation et spiritualité musulmane (Psm), plutôt proche des Marocains d’al-Adl wa al-Ihsan est également créée dans ce même esprit de conquête des jeunes réislamisés. Ces organisations sont pourtant relativement indépendantes vis-à-vis de leurs organisations de tutelle. Soucieuses de marquer leurs distances par rapport à l’islamisme des pays d’origine, elles cherchent des sources européennes, et s’appuient fortement sur le discours de Tariq Ramadan ainsi que sur les écrits de la Fondation islamique de Leicester.

  • 32.

    Khaled Kelkal, un jeune Lyonnais de la seconde génération, est impliqué dans le réseau proche du Groupe islamique armé algérien responsable de la vague d’attentats de 1995 à Paris. Kelkal a été abattu par la police en septembre de la même année, semant le doute sur les conséquences de la mobilisation des jeunes musulmans sur le mode religieux.

  • 33.

    Entretien de Crisis Group avec un militant associatif de la région lyonnaise, Lyon, 11 septembre 2005.

  • 34.

    Entretien de Crisis Group avec Bouallam Azahoum, 11 septembre 2005.

  • 35.

    Entretien de Crisis Group avec Remi Temimi, président de L’Aube, Lyon, 10 septembre 2005.

  • 36.

    Entretien de Crisis Group avec Abdelaziz Chambi, Lyon, 6 septembre 2005.

  • 37.

    Entretien de Crisis Group avec Saïd Branine, directeur du site oumma.com, Paris, 8 octobre 2005.

  • 38.

    Entretien de Crisis Group avec Bouallam Azahoum, Lyon, 12 septembre 2005.

  • 39.

    Voir http://www.islamonline.net/livedialogue/english/Browse.asp?hGuestID=6d13I2

  • 40.

    Entretien de Crisis Group avec Nasreddine Ben Ahmed, Marseille, 18 septembre 2005.

  • 41.

    Entretien de Crisis Group avec Azzedine Ayouch, Marseille, 20 septembre 2005.

  • 42.

    Samir Amghar, « Les salafistes français : une nouvelle aristocratie religieuse », Maghreb-Machrek, no 185, 2005.

  • 43.

    23 % contre 28 % pour le Tablîgh qui reste le principal opérateur dans la dynamique de réislamisation (selon un rapport des renseignements généraux publié par Le Monde, le 12 juillet 2005).

  • 44.

    Le cheikh Rabî’al-Madkhalî est dépositaire avec deux de ses contemporains (Ahmed Ramdanî al-Jaza’irî et Sâlih al-Fawzen) d’une lignée de prédicateurs salafistes, se cooptant selon le principe de la médiation (Wasta). Rabî’al-Madkhalî est la référence principale du salafisme en France. Le salafisme shaykhiste est à distinguer du salafisme jihadiste prônant la violence armée.

  • 45.

    Ceci à l’instar du cheikh Abdelkader Bouziane, d’origine algérienne, qui a étudié pendant deux ans à l’université islamique de Médine. Il implanta et contribua à la diffusion du salafisme dans la région Rhône-Alpes. Il fut l’imam de la mosquée de Villefranche-sur-Saône, de la Duchère (Lyon) et de Vénissieux.

  • 46.

    Piotr Smolar, « Mouvance éclatée, le salafisme s’est étendu aux villes moyennes », Le Monde, 22 février 2005.

  • 47.

    Ceci par le biais de la pratique des durûs, ou cercles d’étude, dans la mosquée, autour d’imams autoproclamés. Bouziane l’avait fait à la grande mosquée de Lyon. Entretien de Crisis Group avec Olivier Bertrand, journaliste, observateur de la scène salafiste lyonnaise, Lyon, 13 septembre 2005.

  • 48.

    Observations de Crisis Group à Marseille et à Lyon, septembre 2005.

  • 49.

    Entretiens de Crisis Group avec Ahmed Boukebeur, Lyon, 8 septembre 2005.

  • 50.

    Observations de Crisis Group à Lyon et Paris, septembre-octobre 2005.

  • 51.

    C’est cependant moins le cas aujourd’hui : l’engagement au sein du Tablîgh fait peur aux parents qui tentent souvent de dissuader leurs enfants, craignant l’enrôlement dans les madrasas.

  • 52.

    Recrutant principalement chez les 15-35 ans, selon les estimations de Samir Amghar, le salafisme est un mouvement de jeunes beaucoup plus que le Tablîgh par exemple. Entretien téléphonique de Crisis Group, 13 janvier 2006.

  • 53.

    Observations de Crisis Group, Marseille, septembre 2005.

  • 54.

    Mahdy Ibn Salah, Lettre aux musulmans de France, Paris, Islah, 2004.

  • 55.

    Groupes dans lesquels il place le Tablîgh, le salafisme, l’islam associatif de l’Uoif et des groupes de jeunes musulmans, ainsi que la mouvance de Tariq Ramadan et le soufisme. Parmi les intolérables : l’islam libéral, le chiisme, le mouvement Habachi Ahbach mais aussi les mouvements qu’il qualifie de takfiristes, en fait le salafisme jihadiste tel que défini ici.

  • 56.

    La conversion au salafisme est souvent une conversion de groupe d’amis, de la bande.

  • 57.

    Observations de Crisis Group à Lyon, septembre 2005.

  • 58.

    Avec des marques jouant sur les deux registres du streetwear et de la référence (discrète) à l’islam, comme Muslim by Nature (Mbn), Dawahwear, Amine, Bilal Wear, Salam, Muslim Classic, et ainsi de suite.

  • 59.

    Entretien de Crisis Group avec Ahmed (pseudonyme), Marseille, 20 septembre 2005.

  • 60.

    Samir Amghar, « Les salafistes français … », art. cité.

  • 61.

    Entretien de Crisis Group avec un commerçant du Bourget, Paris, 25 mars 2005.

  • 62.

    À Lyon, par exemple, les salafistes ont toujours refusé de se joindre aux campagnes anti-marques auxquelles ont participé certains leaders issus des mouvements de jeunes musulmans.

  • 63.

    Neuf attentats à la bombe commis entre juillet et octobre 1995 sont attribués aux réseaux français du Groupe islamique algérien (Gia) ; ils sont suivis, en décembre 1996, par une nouvelle explosion dans le Rer, une vague d’attentats qui fera 14 morts et près de 300 blessés.

  • 64.

    C’est la thèse d’O. Roy dans l’Islam mondialisé, op. cit.

  • 65.

    Sur la préparation des membres du groupe de Farid Benyettou, voir Patricia Tourancheau, « Paris-Baghdad, un ticket pour le jihad », Libération, 21 mai 2005

  • 66.

    Le Monde, 16 décembre 2005.

  • 67.

    Pascal Ceaux, « Une filière égyptienne de départ pour l’Irak a été démantelée en Seine-Saint-Denis », Le Monde, 20 septembre 2005.

  • 68.

    O. Roy, l’Islam mondialisé, op. cit.

  • 69.

    Rémy Leveau, « France : changement et continuité de l’islam », dans Rémy Leveau, Khadija Mohsen-Finan, Catherine Wihtol de Wenden (sous la dir. de), l’Islam en France et en Allemagne, Paris, La Documentation française, 2001.

  • 70.

    Emmanuel Todd montre ainsi que le taux de mariage mixte des femmes algériennes passe de 6, 2 % à 27, 5 % de 1975 à 1990, le taux de mariage mixte des femmes marocaines de 4 % à 13 %. Emmanuel Todd, le Destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Paris, Le Seuil, 1994, p. 302.

  • 71.

    Entretien de Crisis Group avec une médiatrice sociale de la ville de Dreux, 13 novembre 2005.

  • 72.

    L’Arche, no 555, mai 2004.

  • 73.

    20 000 élèves ont dû être refusés par manque de place lors de la rentrée des classes 2005, selon le secrétaire général de l’enseignement catholique s’exprimant le 20 septembre 2005 lors de la conférence de presse de la rentrée. Un engouement qui tient au demeurant moins du repli communautaire ou de la rechristianisation que de stratégies d’évitement de l’enseignement public.

  • 74.

    Ces écoles sont le lycée Averroès, créé en 2003 par le recteur de la mosquée de Lille sud, Amar Lasfar, un membre de l’Uoif, et le collège Réussite en région parisienne, dirigé par l’imam Dahou Meskine, plutôt indépendant en termes d’affiliation organisationnelle. Une autre école sous la direction de l’Uoif est en projet à un stade assez avancé à Marseille. Les collectes sont en train de s’organiser un peu partout depuis 2004, largement en réaction à la loi sur le foulard, laquelle a réussi à faire de la création d’écoles musulmanes une priorité majeure dépassant la question des mosquées. Entretien de Crisis Group avec Saïd Branine, directeur du site oumma.com, Paris, 8 octobre 2005.

  • 75.

    Ce fut par exemple le cas à Marseille d’Abel Djerrari, un ancien de France Plus (mouvement s’inscrivant dans la mouvance des beurs fondé en 1988, France Plus cherche à promouvoir la représentation politique des enfants de l’immigration maghrébine), soutenu par les dirigeants de l’influente mosquée al-Islah et certains chefs d’entreprise. Tête de liste « Liste indépendante » aux régionales dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il ne dépassa pas 7 000 voix en 2004 (0, 4 %). Entretien de Crisis Group avec Abel Djerrari, Marseille, 19 septembre 2005. Il y a une exception notable, celle de Mouloud Aounit qui, aux élections régionales de 2004, en Seine-Saint-Denis, rassembla 14, 3 % des suffrages.

  • 76.

    Les enquêtes réalisées par Vincent Geisser montrent le côté spéculatif d’une telle notion : « Tout au plus, l’on pourrait parler de “polarisation communautaire” ou de “courants de sympathie à la marge” mais pas véritablement de vote communautaire, de vote ethnique et encore moins de vote religieux. » Voir « Europe-Palestine : un vote communautaire en trompe l’ œil », Marseille solidaire, 19 juin 2004.

  • 77.

    Tous les rapports abondent dans ce sens. Citons notamment, du côté du monde de l’entreprise : Yazid Sabeg et Laurence Méhaignerie, les Oubliés de l’égalité des chances. Participation, pluralités, assimilation… ou replis, Institut Montaigne, 2004. Du côté de l’État, on consultera les rapports de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles. Les mairies ont aussi parfois réalisé ou commandé leurs propres enquêtes au niveau local. On verra par exemple, pour l’agglomération lyonnaise, le rapport du Groupe d’initiative pour l’intégration dans la ville, Volet emploi : promotion sociale et intégration professionnelle. Propositions relatives à l’intégration socioprofessionnelle des personnes issues des quartiers difficiles et de l’immigration, Lyon, 2004. Sur le thème plus spécifique des discriminations à l’embauche, on consultera, du côté du monde académique, les résultats des différentes études réalisées par l’Observatoire des discriminations, un organe dépendant de l’université Paris I.

  • 78.

    C’est le cas des harkis, qu’on isole pour éviter des tensions avec les Algériens notamment.

  • 79.

    C’est ainsi que l’on met les familles maghrébines, qui votent à gauche, dans les quartiers traditionnellement acquis aux partis socialistes et communistes pour éviter de déstabiliser les fiefs traditionnels de la droite.

  • 80.

    Selon les chiffres de la mairie, un quartier de la ville compte 92 % de Marocains d’origine (source : entretiens et observations de Crisis Group, Dreux, 14 octobre 2005). Quant aux mairies de quartiers plus aisés, elles tendent à négliger le devoir de solidarité que leur impose la loi Solidarité et renouvellement urbains (Sru). La loi, instaurée en 2000 comme une mesure de promotion de la mixité sociale, impose un quota minimum de 20 % de logements sociaux dans les mairies de France. Ce quota est loin d’être atteint dans nombre de villes de classes moyennes et bourgeoises.

  • 81.

    Opportuniste, dans un argot des banlieues ayant emprunté le terme à l’arabe khobz (pain).

  • 82.

    Entretien de Crisis Group avec un dirigeant associatif de La Courneuve, Paris, 11 octobre 2005.

  • 83.

    Pour les candidats politiques locaux, courtiser le « vote musulman » par l’entremise d’une écoute privilégiée des leaders des associations responsables de lieux de cultes est fréquent depuis le début des années 1990.

  • 84.

    Ainsi, le leader du courant salafiste à Marseille, Abdel-Hâdî Dûdî, est un des personnages appréciés par les agents de la mairie de Marseille responsables de la question du culte musulman, parce que c’est un personnage efficace (il a ouvert 4 mosquées à Marseille), non perturbant, religieusement crédible (études à l’université d’al-Azhar), gérable pour un politique (d’autant plus qu’il était sur la liste de la mosquée de Paris politiquement non contestataire). Entretien de Crisis Group avec Salah Bariki, chargé de mission à la mairie de Marseille, Marseille, 19 septembre 2005.

  • 85.

    Frank Frégosi (sous la dir. de), Rapport du Fasild, mai 2004, p. 157.

  • 86.

    L’Uoif est ainsi intensément mobilisée sur la création d’écoles musulmanes depuis l’adoption de la loi sur les signes religieux de 2004 (projets d’écoles à Lille, Marseille, Lyon, région parisienne). Au dernier congrès annuel du Bourget de 2005, la cause des écoles a été une des quêtes les plus réussies avec la Palestine. En revanche, les mouvements issus des mobilisations de jeunes musulmans comme le Collectif des musulmans de France ou le mouvement des « Indigènes de la République » s’y opposent arguant du fait que les écoles musulmanes, de qualité médiocre, ne feront que reproduire l’exclusion et l’inégalité sociales. Entretien de Crisis Group avec Karim Azouz, membre du Collectif des musulmans de France, Paris, 9 octobre 2005.

  • 87.

    La mairie de Dreux a par exemple fait appel, en mars 2005, au consulat marocain pour résoudre le conflit entre un imam peu apprécié et des jeunes beurs, « une méthode qui nous rappelait le contrôle exercé sur la communauté sous Hassan II », commenta l’une des personnes impliquées, alors que les jeunes en concluaient que « quoi qu’on fasse, on ne nous considérera pas comme des Français ». Témoignages téléphoniques recueillis par Crisis Group, 2 février 2006.

  • 88.

    L’aménagement considéré permettrait notamment aux collectivités locales de participer au financement des lieux de culte et donc de soutenir leur autonomisation financière vis-à-vis des pays d’origine.

  • 89.

    C’est ce qu’a bien démontré le cas de la filière du XIXe qui fréquentait la mosquée al-Da’wa tenue par Larbi Kechat qui fait figure de modéré ; l’itinéraire de Djamel Beghal, qui écoutait les prêches de Tariq Ramadan sans que cela ne l’ait immunisé contre la tentation radicale ; ou encore de Safé Bourada, un temps proche de l’islamisme frériste.

  • 90.

    À l’image de la fatwa d’appel au calme lancée sans effet par l’Uoif.

  • 91.

    La politique des grandes mosquées est souvent mise en place pour offrir une alternative à « l’islam des caves », et à accroître le contrôle sur les discours dans la communauté musulmane. De toute évidence, cela ne marche pas : les grandes mosquées sont des affaires de notables, et leur dynamique est tellement indépendante, qu’elle n’empêche pas la formation de petites mosquées après coup à côté des « mosquées-cathédrale », comme par exemple la mosquée al-Houda à Lyon, relevant de l’association Clarté proche de l’Ujm située à 300 mètres de la grande mosquée de Lyon.

  • 92.

    De manière troublante pour un laïque, « plus qu’une simple conciliation entre l’islam et la République », il attend « une transformation de l’islam pour lui permettre de s’intégrer dans une société démocratique, laïque et sécularisée ». Discours prononcé devant l’association Bible à Neuilly, le 21 juin 2005.

  • 93.

    Abdellali Hajjat, « Les quartiers populaires ne sont pas un désert politique », www.oumma.com

  • 94.

    Né en 2001 lors des élections municipales autour du groupe de rap Zebda (« beur » en arabe), les motivés présentent une liste associative à Toulouse et remportent plus de 12 % des voix. Les Motivé-e-s sont aujourd’hui au c œur des nouvelles formes d’action citoyenne, mobilisent autour des thèmes de l’immigration et de la critique de la dérive sécuritaire de l’État et de la participation politique des jeunes.

  • 95.

    Mouvement né à Lyon à la suite de l’insurrection des banlieues de novembre 2005. Imputant la résistance de la banlieue lyonnaise face à l’émeute (Lyon, relèvent les organisateurs du mouvement, n’aurait basculé que tardivement par rapport aux autres régions dans le soulèvement) au travail de socialisation de l’Union des jeunes musulmans, Banlieue 69 se propose d’agir à deux niveaux : l’insertion professionnelle et résidentielle des jeunes de banlieue (création de commissions paritaires comprenant élus, jeunes et préfet sous la supervision de personnalités publiques pour casser les logiques de clientélisme partisan dans l’attribution de logement) et la préparation d’une liste électorale banlieusarde pour les prochaines élections municipales.

  • 96.

    Moustapha Kessous, « L’élite beur tisse son propre réseau », Le Monde, 17 décembre 2005.

  • 97.

    Sadek Hajji, Stéphanie Marteau, Voyage dans la France musulmane, Paris, Plon, 2005.

  • 98.

    Saïd Bouamama, l’Affaire du voile, production d’un racisme respectable, Roubaix, Geai bleu éd., 2004.

  • 99.

    « Moi, Khaled Kelkal », Le Monde, 7 octobre 1995.