Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Dans le même numéro

Églises à vendre au Québec : le pesant héritage catholique

décembre 2010

#Divers

Le voyageur français qui visite Montréal y voit de nombreuses églises catholiques dont les architectures sont difficiles à dater pour un Européen. Beaucoup sont « modernes », ne remontant pas au-delà des années 1950 ou 1960. Leur visite est parfois pleine de surprises : on peut accéder à leurs étages par des escalators mécaniques, ou bien on peut admirer des fresques représentant des myriades d’anges au port très « féminin », dans un style imité de la Renaissance italienne. Le touriste français, habitué aux visites des églises romanes et gothiques du Moyen Âge européen, ne sait pas très bien comment regarder ces églises. Si ce touriste lit la presse québécoise de qualité (Le Devoir), il y découvre de nombreux articles polémiques issus d’une nécessité absolue pour l’Église québécoise : vendre ses trop nombreuses églises, singulièrement à Montréal. C’est que si la pratique religieuse a très fortement chuté au Québec depuis la « Révolution tranquille », ces églises ont encore un rôle culturel important. Ainsi, au printemps 2010, la communauté artistique était choquée par l’annonce d’une prochaine mise en vente de l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus qui contient de très grandes orgues construites par la société Casavant, un des instruments qui permettent d’interpréter les œuvres symphoniques de César Franck ou de Charles-Marie Widor, et sur lesquelles viennent jouer des organistes du monde entier. Le bâtiment exige également de très lourds travaux de remise en état (plusieurs millions de dollars). La polémique a fait rage entre la communauté musicale (conservation de l’église avec ses orgues difficiles – coûteux – à déménager) et la ministre de la Culture, Christine Saint-Pierre (pas de crédits pour cela). Au moment où j’écris, la destinée de cette église désaffectée n’est toujours pas tracée clairement.

Des entretiens avec des Québécois, catholiques encore pratiquants et militants, ou bons observateurs, ont permis au voyageur intéressé de connaître des faits surprenants. Jusqu’en 1960, il y avait à Montréal environ 230 paroisses qui avaient, chacune, (au moins) une église, souvent un (ou plusieurs) couvent(s), une école, un cimetière, un sanctuaire, et même (parfois) une basilique. Il n’y aura plus en 2025 à Montréal (1, 7 million d’habitants) que vingt-cinq « secteurs », chacun ayant deux ou trois églises, car il n’y aura plus que vingt-cinq prêtres en activité. L’entretien d’une église, avec le chauffage pendant le dur hiver québécois, peut coûter 100 000 dollars par an. Le calcul du coût total de l’entretien des 291 églises répertoriées à Montréal donne des sommes vertigineuses. Il faut donc vendre ces églises et leurs dépendances.

Nous sommes en Amérique du Nord, le concept de « monument historique » n’est pas le même qu’en Europe : une église est considérée comme « patrimoniale » si elle a été construite avant 1940, et à Montréal, il y en a 120 qui seront conservées. Vingt d’entre elles serviront à des fins pastorales, les autres auront un usage « social » : architectural, historique, touristique, comme l’oratoire Saint-Joseph – le meilleur équivalent canadien du Sacré-Cœur parisien – créé en 1904 à l’initiative du frère André ; celui-ci a été canonisé le 17 octobre 2010 par Benoît XVI. Une malchance veut que beaucoup d’églises patrimoniales se trouvent dans des quartiers peu pratiquants, et pas dans les quartiers où il reste encore des fidèles relativement nombreux (une « très bonne » paroisse compte 200 ou 300 fidèles). Il y a donc une centaine d’églises, et des couvents, à vendre.

Certains lieux ecclésiaux sont repris par des associations proches de l’Église, comme le couvent Sainte-Anne – pourtant historique, mais sa communauté est tombée de 100 religieuses en 2000 à 30 aujourd’hui. D’autres sont vendus à des communautés religieuses non catholiques (par exemple aux orthodoxes), d’autres enfin sont transformés en bureaux ou en appartements. Cette laïcisation des « églises-bâtiments » apparaît comme une métaphore de l’histoire de l’Église-institution dans la société québécoise à partir de la Révolution tranquille des années 1960 (gouvernement de Jean Lesage). La société québécoise était « matriarcale » : les femmes étaient plus éduquées que leurs maris, ceux-ci (qui travaillaient souvent au loin) leur donnaient leur paie ; les femmes géraient la maison et la religion. Celle-ci, on le sait, était extrêmement pesante et réactionnaire (on dit que les prêtres réfractaires à la Révolution française ont largement émigré au Québec). Pendant les deux guerres mondiales, les femmes avaient appris à vivre sans leurs hommes partis au combat. Quand le gouvernement fit des réformes importantes, comme la nationalisation de l’énergie ou la définition du français comme langue officielle du Québec, le système éducatif passa de l’Église catholique à l’État. L’Église catholique perdait ainsi une des assises importantes de son pouvoir. Toujours dans les années 1960, quand apparut la pilule – bien acceptée par les protestants – on sait que l’Église catholique romaine s’opposa farouchement à son usage. Ces femmes de tête que sont les Québécoises désobéirent à l’Église : elles s’abstinrent d’être mères de famille nombreuses, et elles cessèrent d’envoyer leurs maris et leurs enfants à l’église. Une sévère laïcisation était en marche. La décrue régulière de la natalité et de la pratique religieuse des Québécois a multiplié les églises qui n’ont plus que 25 fidèles réguliers – elles étaient souvent construites pour 2 000 fidèles. Les grandes églises construites juste avant la Révolution tranquille pèsent maintenant lourdement sur les épaules des Québécois.

Il n’y a pas que l’héritage matériel immobilier, il y a aussi l’héritage idéologique catholique qui pèse également sur la société québécoise. Au même printemps 2010, où des polémiques s’exprimaient à cause des grandes orgues d’une église alors promise à la vente, d’autres polémiques bien plus violentes s’exprimaient à partir des déclarations du cardinal Marc Ouellet (archevêque de Québec et primat du Canada) contre l’avortement (même en cas de viol). Le jugement des femmes catholiques encore pratiquantes est tout aussi « féministe » que celui des agnostiques : ce cardinal, élevé dans des séminaires, des universités et la tour d’ivoire des bureaux du Vatican (il y est membre de nombreuses « Congrégations »), est un pur héritier de la tradition « paternaliste et autoritaire ». La polémique dans la presse était d’un haut niveau : il est clair que ces anciens (?) catholiques québécois – qui ne pratiquent plus – sont contraints à un grand écart entre leur volonté de conserver un certain humanisme chrétien, et leur critique très virulente du conservatisme de l’Institution. En juin 2010, pour remercier de ses bons et loyaux services ce « fidèle du cardinal Ratzinger », le cardinal Ouellet a été nommé à la curie romaine, responsable de la Congrégation pour les évêques. Selon La Croix du 1er juillet 2010, l’arrivée de cet homme de 66 ans marque un rajeunissement de la curie – où la moyenne d’âge est de 71 ans.