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Écologie événementielle

septembre 2017

#Divers

L’accord de Paris sur le climat, adopté le 12 décembre 2015 et entré en vigueur en un temps record un an plus tard grâce à la ratification d’une centaine d’États, a constitué l’acmé de la lutte contre le réchauffement climatique. Point d’orgue d’une longue séquence marquée par l’échec douloureux de la conférence de Copenhague en 2009, et point de départ historique d’une démarche commune de l’humanité pour préserver les conditions mêmes de sa survie, la Cop21 a constitué un événement en France et dans le monde.

Mobilisation générale pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, a-t-on claironné sur tous les tons depuis deux ans, et honte à celui qui oserait se retirer de ce combat vital ! En annonçant le retrait des États-Unis de l’accord de Paris quelques mois à peine après son élection, Donald Trump devenait ainsi l’épouvantail idéal pour tous les gouvernants qui feraient presque figure, en comparaison, d’écologistes militants.

Le président de la République lui-même, pourtant peu disert auparavant sur la cause climatique, a su très habilement profiter de cette occasion en or. “Make our planet great again”, lança-t-il crânement. Dans la même veine, Nicolas Hulot a exposé le 6 juillet un plan climat aux objectifs ambitieux, visant la neutralité carbone en 2050 et proclamant la fin de la voiture à essence en 2040. Il est resté plus discret sur ce que le gouvernement entendait faire en 2017 et en 2018. La France est pourtant encore loin du fameux « facteur 4 », jugé insuffisant par nos « terminators » de fossiles avant même d’être atteint.

Appels, résolutions, engagements proclamés d’entreprises et de grandes métropoles, brochures rutilantes, coalitions, déclarations de stars, documentaires alarmants, promesses de financements, événements et manifestations, cris d’alerte, tweets par millions et autant de pages Facebook dédiées se sont ainsi multipliés pour appeler à agir, ou plutôt montrer qu’on agit pour le climat, en conspuant les cyniques et les sceptiques.

On aurait mauvaise grâce à s’en plaindre. Il y a tout juste vingt ans, lors de l’adoption du protocole de Kyoto en 1997, le changement climatique n’intéressait pas grand monde et aucun gouvernement n’aurait proclamé, comme c’est le cas aujourd’hui, qu’il convenait d’en faire une priorité de l’action publique. La prise de conscience a indéniablement progressé, grâce d’abord aux scientifiques du Giec, qui ont su coopérer et diffuser les connaissances accumulées, grâce à des hommes et à des femmes politiques pionniers, grâce aussi à de nombreuses personnalités issues de la société civile. Les proclamations actuelles, même si elles ne se traduisent pas concrètement dans l’immédiat, même si elles n’obligent à rien, ont au moins le mérite de constituer des marqueurs au niveau mondial, indiquant que dorénavant l’avenir s’écrit sans carbone.

Pour autant, agit-on vraiment ? Les résultats sont-ils à la hauteur des annonces ronflantes communiquées à travers les postures et discours avantageux, les slogans aussi percutants qu’éphémères ? Hélas, les faits sont têtus : les émissions de gaz à effet de serre se stabilisent à peine à l’échelle mondiale (et encore, sans qu’on sache mesurer précisément la part liée au ralentissement de la croissance économique), celles des pays développés ne baissent pas suffisamment, celles des pays émergents continuent de croître fortement, et celles des pays les plus pauvres augmenteront durablement s’ils se développent, ce qu’on ne peut que souhaiter. L’année 2016 a ainsi battu des records de concentration de CO2 dans l’atmosphère, de températures, d’événements météorologiques extrêmes, de millions dépensés pour tenter d’en secourir les victimes et d’en réparer les effets dévastateurs. Les scientifiques alertent, la sphère militante et communicante se désole.

Face à cette situation d’urgence, les pouvoirs publics semblent impuissants à changer d’échelle, malgré les stratégies et les lois adoptées, malgré les plans d’action successifs, malgré les objectifs toujours plus ambitieux. Il faut dire que les modes d’aménagement du territoire n’ont guère évolué : même s’ils sont dénoncés, l’artificialisation des sols, le bétonnage, les Zac et autres zones bitumées en périphérie urbaine continuent de prospérer. L’offre de transports publics a beaucoup augmenté, mais cela n’empêche pas toutes les grandes métropoles d’être embouteillées matin et soir, et donc polluées par les gaz d’échappement, le besoin et le désir de mobilité ne faisant d’ailleurs que croître. Nos régimes alimentaires n’évoluent pour l’instant qu’à la marge, pour réduire l’empreinte carbone du modèle agricole actuel ; à l’échelle de la planète, le besoin et le désir de manger plus et pas forcément mieux, de la viande en particulier, sont plus forts que jamais.

La communication effrénée sur l’urgence climatique ne serait-elle qu’un écran de fumée masquant la faiblesse des inflexions obtenues, le miroir avantageux de nos lâchetés et de nos insouciances ? Pire encore, ne se substituerait-elle pas peu à peu à l’action, dont elle ne serait qu’un virtuel ersatz ? Nos sociétés n’ont pas encore fait le choix de s’orienter collectivement vers un modèle de développement plus sobre en carbone et en ressources, et la concentration urbaine, voulue ou contrainte, de populations toujours croissantes ne favorise pas ce choix.

Les moyens de communication et d’information ont par ailleurs connu un essor inouï ces dernières décennies. D’abord utilitaires et élitistes, les Ntic se sont largement démocratisées. Le smartphone ne rend pas seulement des services, il est aussi un instrument de la représentation de soi et des autres, un faire-savoir et un faire-valoir. Après le climatoscepticisme, la désinformation touche aussi la lutte contre le réchauffement climatique : en la relayant, Donald Trump attise les peurs de millions d’Américains déclassés qui rejoignent, paradoxalement, les intérêts de lobbies puissants. En France et en Europe, nous aurions tort de nous croire à l’abri de ce scénario politique cauchemardesque…

Heureusement, l’action en faveur d’un climat et d’une planète préservés monte malgré tout en puissance, à travers les initiatives de collectivités territoriales, d’associations, et d’entreprises plus responsables, que la Cop21 a permis d’encourager. Mais ce n’est pas assez, et pas assez rapide.

Il est tentant alors de jeter la pierre aux gouvernants et aux décideurs politiques, accusés de faiblesse et d’inaction pour traiter une cause climatique qui serait, paraît-il, partagée par tous. Mais ceux qui s’engagent courageusement dans ce combat se heurtent en permanence au refus, à l’incompréhension, aux accusations de dilapider l’argent public inutilement ou de tuer l’emploi. Pour répondre à ces peurs, déjouer ces blocages, et dépasser les contradictions, la communication hyperbolique au sommet de l’État ou des grandes villes n’est pas forcément d’un grand secours, a fortiori quand elle se veut toujours plus verte et plus vertueuse pour créer l’événement. Car l’action climatique ne nécessite pas forcément d’afficher toujours plus et de faire différent. Elle demande surtout de la constance par rapport aux dispositifs qui fonctionnent le mieux, de la clarté et de la stabilité dans les mesures qui incitent, régulent ou interdisent, de la précision et du pragmatisme dans la mise en œuvre, en fonction des spécificités territoriales ou sectorielles, et des moyens financiers et humains en conséquence. Pas « glamour », mais efficace.

Plus que d’images et de discours savamment mis en scène, la lutte contre le réchauffement climatique a besoin de s’organiser et de se structurer à court, à moyen et à long terme, en confortant et en pérennisant à tous les niveaux les solutions qui font leurs preuves et les compétences nécessaires, dans les services de l’État comme dans le secteur privé. Hic et nunc, sans attendre 2050.

Marie-Hélène Aubert

Membre du parti Les Verts puis du Parti socialiste, députée à l'Assemblée nationale puis au Parlement européen, elle est depuis 2016 inspectrice générale de l'administration du développement durable. 

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