
La mémoire en péril
L’inquiétude de Fernand Dumont
Nos sociétés contemporaines, prises dans une course au développement et à l’innovation, conçoivent spontanément leur devenir historique selon l’idée de progrès, au détriment d’un sens de la tradition pourtant indispensable à leur équilibre. Le philosophe Fernand Dumont a interrogé cet a priori collectif, en rappelant l’importance de la mémoire et d’un certain rapport au passé pour l’avenir de toute culture.
« Se préoccuper de l’avenir de la mémoire n’est pas un divertissement d’esthète ou d’intellectuel nostalgique, mais la volonté de garantir l’avenir de la liberté1. »
Figure éminente de la pensée québécoise, sociologue, philosophe, théologien et poète, Fernand Dumont (1927-1997) fut par-dessus tout un penseur universel, dont l’œuvre, malgré toutes les distinctions qu’elle a méritées, est loin d’avoir obtenu l’attention que commandaient sa profondeur et son originalité. En France, Fernand Dumont demeure très largement méconnu, malgré les quatre livres qu’il y a publiés, parmi la vingtaine qui jalonnent son parcours, dont Le Lieu de l’homme, paru en 1968, où il posait les assises de son audacieuse et pénétrante théorie de la culture comme « distance et mémoire »2. Avec l’article qui suit, je forme le souhait que le lecteur, qu’il soit théologien, philosophe, sociologue, historien ou simplement chercheur de sens, y trouve matière à mieux connaître l’œuvre d’un penseur qui, inspiré par la mémoire de ses humbles origines populaires, n’eut de cesse d’interroger en profondeur la culture et la condition humaine de notre temps3.
L’idéologie du développement culturel
Dans Le Lieu de l’homme, Fernand Dumont postulait l’