
Participation, protection, relégation. Entretien
Alors que jusqu’aux années 1990, un consensus existait en France autour de l’idée que la nation a une dette envers les pauvres, cette conviction s’est inversée, mettant en doute les bienfaits des mécanismes de solidarité. Dans cet entretien de 2017, Serge Paugam revient sur les différents types de liens qui structurent la société, et les dynamiques contemporaines de recomposition du lien social.
La réussite actuelle de candidats « hors-système », qui marginalisent, voire détruisent, les candidats des partis établis en s’adressant aux déclassés, aux perdants de la mondialisation, est-elle pour vous la conséquence d’un certain état de désintégration sociale ? Pensez-vous que le modèle théorique des deux nations, développé par Bob Jessop pour penser la division de la société britannique dans les années Thatcher, soit encore opérant pour penser la pauvreté aujourd’hui ?
Cette question nous place au cœur de l’actualité. Le modèle qui distingue une nation des pauvres et une nation des travailleurs s’applique encore, mais en partie seulement. Les données fournies par les eurobaromètres permettent aujourd’hui d’étudier les perceptions et les explications données à la pauvreté, à l’échelle européenne, depuis le milieu des années 1970. Or plusieurs interprétations coexistent, voire s’affrontent, surtout celle qui relie la pauvreté à la paresse et celle au contraire qui l’impute à l’injustice. Ces deux conceptions ont des racines profondes, comme le montre l’ouvrage de Geremek sur le Moyen Âge, la Potence ou la Pitié1.
Ceux qui tiennent les pauvres pour des assistés qui ne font pas d’efforts pour s’en sortir, et revendiquent la « valeur travail », ont longtemp