Dans une époque où les images se multiplient à l’infini, où l’apparence et la parure semblent souvent reines, nous avons voulu rendre hommage à Roland Barthes, dont le travail explore avec génie les profondeurs du réel. Auteur de plusieurs articles parus dans la Revue Esprit entre 1951 et 1971, il a entamé, par un travail singulier et vertigineux, un véritable renouveau du monde intellectuel du XXème siècle. Intarissable, Barthes passe au crible les images et les symboles de la modernité.
On peut d’abord remarquer une certaine parenté entre les articles parus entre 1951 et 1953 dans Esprit et les Mythologies, ouvrage paru en 1954. Effectivement, dans son article « Un monde où l’on catche » (1951), l’auteur décrit le sport de combat en question comme un grand spectacle solaire, une foire aux passions, un affrontement qui propose une « iconographie de la douleur ». De la même façon, le texte « Visages et Figures» (1953) esquisse une « sociologie du visage », et analyse avec brio la « production » de visages par la société. Barthes mentionne, comme il fera dans ses Mythologies, les photographies célèbres du studio Harcourt, avant de conclure : « On a volé à l’homme jusqu’à son propre visage ».
D’autres articles permettent d’approcher la qualité de la lecture barthésienne. Dans son texte « Michelet, l’Histoire est la Mort », il décrit la façon dont l’historien intègre les personnages dans l’Histoire, les fantasmes , avant de conclure que « L’historien est celui qui accouche la Mort d’un rêve ». Lecteur des tragédies raciniennes, Barthes distingue l’Eros sororal, paisible et graduel de l’Eros événement, instantané et brutal, avant d’affirmer que « Les moments réussis sont toujours des souvenirs» (« L’éros racinien », 1969).
Ce dossier donne enfin la parole à Eric Marty, grand spécialiste de l’œuvre de Barthes. D’abord, en 1991, Marty écrit pour défendre l’image posthume de Barthes, souvent ternie par de sombres rumeurs, parfois diffamatoires : pour s’en préserver, l’auteur de l’article préconise de faire du journal de Barthes sa « dernière parole ». (« La vie posthume de Roland Barthes », septembre 1991). Puis, dans un entretien, Eric Marty souligne la richesse de l’œuvre de Barthes, qui aurait fait de la Beauté la finalité de ses travaux. (« L’esthète déguisé en théoricien », juin 2003). Finalement, un dernier article étudie le rapport de Barthes à la philosophie, dont il s’est toujours méfié (« Jamais un philosophe ne fut mon guide »). Pour Marty, Barthes voudrait sauver la philosophie d’elle même, par l’exercice d’une légèreté qui laisse au réel son irréductible épaisseur (« Littérature, philosophie et antiphilosophie, 2014).