L'Inde, histoire, culture et identité
La publication simultanée de ces deux recueils d’articles d’Amartya Sen éclaire le lien entre la réflexion permanente et obstinée qu’il consacre à son pays d’origine, l’Inde, et ses interrogations sur les évolutions identitaires dans un monde globalisé qui exacerbe les durcissements d’ordre culturel, favorisant ce qu’il appelle « l’enfermement civilisationnel ». Pour Sen, l’Inde est un pays marqué par diverses traditions et des cultures hétérogènes qui n’en forment pas moins un ensemble cohérent. De ce constat, il ne tire pas des conclusions idéologiques préconisant le multiculturalisme, mais il invite plutôt à penser l’identité en lien avec la pluralité. Ce qui le conduit à refuser d’assimiler mondialisation et occidentalisation (tant sur le plan de la dynamique des sciences et des techniques que de la culture). « L’idée fausse selon laquelle il faudrait résister à la mondialisation des idées et des pratiques parce qu’elle entraînerait un processus d’occidentalisation a déjà joué un rôle négatif dans le monde colonial et post-colonial. Cette idée est non seulement contre-productive en elle-même, mais elle peut également finir par pousser les sociétés non occidentales à se tirer une balle dans le pied » (Identité et violence, p. 176). Dans cette optique, l’Inde, pays où le conflit entre l’islam et l’hindouisme est récurrent, est moins un modèle analytique qu’un exemple historique permettant d’esquisser une approche de la culture à l’heure de la globalisation. Mais penser la pluralité, respecter « la discipline de l’identité » (« Il faut éviter de souscrire à deux hypothèses aussi infondées l’une que l’autre : nous ne devons ni postuler qu’on ne devrait avoir qu’une seule identité ; ni supposer qu’on découvrirait son identité sans jamais la choisir », l’Identité indienne, p. 379), c’est aussi réactiver des formes de mémoire marginalisées ou oubliées, à commencer par la tradition critique refoulée par les fondamentalismes (voir Esprit, décembre 2000 : « La raison, l’Orient et l’Occident »). Penser la pluralité, non sans lien avec la réflexion de l’économiste reconnu qu’est A. Sen, c’est s’inquiéter de la capacité des individus à agir, ce qui n’est pas sans lien avec les « ressorts » de leur culture et de leur identité.
O. M.
O. M.