Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Notes de lecture

Dans le même numéro

Coriolan de Shakespeare

juil./août 2019

#Divers

Publiée il y a déjà trente ans au Québec, cette traduction de Coriolan ressort en librairie à l’occasion d’une nouvelle mise en scène de la tragédie de Shakespeare au théâtre du Nouveau Monde, à Montréal, par Robert Lepage. Le traducteur est le poète québécois Michel Garneau, né en 1939, également auteur de pièces de théâtre. Son Coriolan connaît une seconde vie grâce aux éditions Somme Toute : mise en page aérée, très agréable à lire, la publication a été réalisée avec beaucoup de soin. À noter que Michel Garneau a aussi traduit Macbeth et La Tempête de Shakespeare en français québécois. Coriolan a été monté la première fois en 1607-1608. Rappelons rapidement l’intrigue : en empruntant à la matière de Rome (le motif est repris des Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque), Shakespeare plante son décor dans la République romaine de l’époque archaïque. Caius Martius, général autoritaire et craint, est surnommé Coriolan après avoir conquis la ville de Corioles. Honoré pour son courage par les familles patriciennes, il est aussi haï par la plèbe parce qu’il refuse d’être élu démo­cratiquement à la plus haute magistrature. Intransigeant et fier, l’homme fort de Rome entre dans une fureur folle et quitte son peuple plutôt que de se soumettre à ses lois, pour s’offrir avec rage comme général aux ennemis de la République. Mais il oublie que les valeurs aristocratiques qu’il vénère le lient aussi à sa famille : peu avant un siège décisif, il est confronté à sa mère et à son épouse, qui tentent de le ramener à la raison et de faire tomber sa colère en lui rappelant ses devoirs de fils et de mari. La démesure et la peur forment l’essentiel de la palette des émotions mobilisées par ­Shakespeare, qui mèneront l’orgueilleux Coriolan de la vengeance à la mort. Voici un extrait du quatrième acte, deuxième scène, qui voit Volumnia, la mère virile et orgueilleuse de Coriolan, exprimer d’une voix véhémente la Rome patricienne, sûre de ses privilèges : « Sicinius: la fureur vous aveugle / Volumnia: oui elle m’aveugle sombre imbécile / il n’y a là aucune honte / toi tu suintes d’ingratitude /tu as chassé un homme / qui a porté plus de nobles coups / pour défendre Rome / que tu n’as prononcé en ta vie / de paroles stupides / oh je voudrais que mon fils / soit devant toi l’arme à la main. » La traduction de Michel Garneau s’éloigne considérablement du texte, mais elle est plus poétique, plus rythmée, peut-être moins imagée aussi (on remarquera, par exemple, la disparition de la métaphore du renard) que les autres, elle dégage une énergie et une violence qui rendent la pièce singulièrement moderne. Les passionnés de Shakespeare curieux de voir le Coriolan de Robert Lepage auront peut-être la chance de le voir sur les écrans, car la mise en scène produite pour le festival de Stratford (Ontario) en 2018 a été filmée et commercialisée au cinéma au Canada.

 

Trad. par Michel Garneau, préface de Claude Vaillancourt, Somme Toute, 2018
240 p. 24 €

Emmanuel Delille

Spécialiste de l’histoire culturelle du XXe siècle, chercheur associé au Centre Marc Bloch et au CAPHES, Emmanuel Delille consacre ses analyses aux enjeux de la psychologie, de la psychanalyse et de la folie dans la société contemporaine, aussi bien dans l’histoire des institutions médicales et des controverses scientifiques que dans la recherche en sciences sociales et la littérature. Il a publié…

Dans le même numéro

L’argent, maître invisible

Le dossier estival de la revue Esprit, coordonné par Camille Riquier, fait l’hypothèse que le monde capitaliste a substitué l’argent à Dieu comme nouveau maître invisible. Parce que la soif de l’or oublie le sang des pauvres, la communauté de l’argent est fondée sur un abus de confiance. Les nouvelles monnaies changent-elles la donne ? Peut-on rendre l’argent visible et ainsi s’en rendre maître ?