
Les Cahiers de Janina, de Janina Hescheles
Janina Hescheles a douze ans en 1943, quand elle écrit ses souvenirs du ghetto de Lvov, qui était une ville polonaise avant la Seconde Guerre mondiale (aujourd’hui Lviv en Ukraine), et du camp de travail forcé de Janowski, situé dans un faubourg de la ville où les juifs de Lvov ont été retenus prisonniers avant d’être abattus ou envoyés au centre de mise à mort de Belzec. Ces Cahiers constituent donc un témoignage sur la mise en œuvre du génocide des juifs de Pologne. Des poèmes composés par Janina Hescheles entre 1942 et 1945 complètent cette édition, ainsi qu’un choix d’illustrations. Cette traduction intégrale fait suite au livre publié par Aurélia Kalisky et Catherine Coquio en 2007, L’Enfant et le Génocide, qui a déjà présenté des extraits des Cahiers. Si la première édition de ce témoignage est parue en Pologne en 1946, l’édition française reproduit en plus des fragments inédits du manuscrit original de 1943 qui ont été initialement coupés (les événements racontés par l’enfant avaient été remis dans l’ordre chronologique et certains passages éludés), ainsi qu’un épilogue écrit en 2015 par l’auteure. Le livre a d’abord été publié à l’initiative de Michel Borwicz et Maria Hochberg-Mariańska, membres du réseau de résistance qui a sauvé Janina Hescheles et qui l’a incitée à écrire ses souvenirs juste après son évasion réussie. En effet, Michel Borwicz, résistant et écrivain, a repéré Janina Hescheles lorsqu’elle récitait des poèmes dans les baraquements du camp et il a pris le risque de l’emmener avec lui quand il s’est évadé du camp en 1943, peu avant sa liquidation. Elle a alors vécu cachée à Cracovie jusqu’à la fin de la guerre. Puis elle a émigré en Israël en 1950. De son côté, Michel Borwicz a dirigé la Commission historique de Cracovie, avant de s’installer en France en 1947 et de devenir historien, spécialiste des témoignages de la « catastrophe » (khurbn en yiddish), appelée « Shoah » en France. Ce témoignage est intéressant à plus d’un titre : Janina Hescheles raconte la vie quotidienne, la faim, les exécutions, les morts et les charniers où les SS font brûler les corps. Elle explique les stratégies de survie, comme la falsification de documents et l’occupation d’un poste de travail. Elle évoque aussi la disparition des proches et la détresse affective. Son père, journaliste, est assassiné juste après l’invasion allemande. Sa mère, qui a travaillé comme infirmière à l’hôpital de la rue Dwernicki organisé par le médecin Maksymilian Kurzrok, se suicide avec le reste de l’équipe soignante pour éviter la déportation. Janina Hescheles décrit également les « actions » des SS et les tentatives d’échapper aux convois grâce à l’organisation de l’hôpital juif, où elle a trouvé un abri précaire. De sorte que son témoignage permet de documenter comment le service sanitaire du ghetto a fonctionné, avec peu de moyens et sous la contrainte. Si, d’un côté, l’hôpital est un dangereux foyer de maladies, où sévit l’épidémie de typhus, de l’autre, il sert de cachette temporaire. Ce rôle de mise à l’abri – certes relatif, précaire et souvent désespéré – des hôpitaux dans les ghettos et les camps est un aspect méconnu mais déjà souligné par certains historiens (Sonia Combe dans le cas de Buchenwald). Enfin, comme l’explique bien Judith Lyon-Caen dans sa postface, les Cahiers peuvent aussi être lus comme un document sur l’histoire du genre testimonial, c’est-à-dire sur les conditions d’écriture et de transmission du témoignage.